Rajustant sa veste sur son ventre, le brigadier Schmidt leur fit face.
« Vous serez heureux d'apprendre que vous allez pouvoir rentrer chez vous ! Toutes les données compromettantes ont été effacées, et Puccini a reconnu avoir agi seul et en dehors de tout cadre légal. Il sera jugé et puni pour ses actes. Ces jeunes gens vont pouvoir faire leur rentrée universitaire bien tranquillement. Il va même vous rester un peu de vacances pour vous remettre de toutes ces émotions ! »
Il y eut un instant de silence, puis Ilinka poussa un couinement de joie, et chacun y alla de son exclamation, qui de bonheur, qui de soulagement. Seul Markus semblait déçu de n'avoir pas pu personnellement mettre un point final au problème.
En moins de deux heures, ils avaient récupéré toutes leurs affaires à l'alpage et embarquaient dans les jeeps de l'armée qui devaient les ramener à la maison.
« Pipeau ! Tu m'as trop manqué ! » s'exclama-t-elle, serrant fort contre elle le chat peu coopératif qui tentait de lui échapper. « Au fait, qui s'est occupé de toi ? » s'enquit-elle en le reposant, se tournant vers sa mère, qui inspectait les placards de la cuisine afin de faire une liste de courses.
« Ah ! Faut que je te présente quelqu'un ! Viens. » l'invita cette dernière, l'emmenant jusqu'au jardin arrière où était garé un vieux van converti en habitation sur roues.
Les voyant approcher, un homme à l'âge rendu indéfinissable par une vie à la dure s'approcha.
« On vous a finalement laissé revenir. J'vais m'en aller alors. Pas vous gêner, la petite famille... » nota l'homme, faisant danser de haut en bas la cigarette qu'il avait aux lèvres.
« Freddy ! Tu ne gênes pas du tout ! Restes aussi longtemps que tu veux ! On va pas te chasser. »
« J'veux pas déranger, vraiment... » marmonna-t-il, visiblement mal à l'aise.
« Tu ne déranges pas ! D'ailleurs, laisse-moi t'inviter à dîner pour te remercier. Au fait, Freddy, je te présente Ilinka. Ilinka, voici Frédéric, dit Freddy la Débrouille. C'est... mon demi-frère. »
« Bonsoir, monsieur. »
« Salut. Appelle-moi Freddy, comme tout le monde. » lança-t-il avec un petit geste négligent de la main.
Elle opina.
« Merci de vous être occupé de Pipeau... et des autres animaux. »
« Y a pas de mal. Si j'peux rendre service... »
« Bon, les placards sont vides. Je dois aller faire des courses. Tu as besoin de quelque chose ? » poursuivit sa mère.
Freddy réfléchit, se grattant le menton.
« Nan, c'est bon. J'ai tout ce qu'il faut. »
« Sûr ? Rien du tout ? »
« Bah... Un paquet de gauloises, comme ça, j'ai pas besoin d'aller en acheter demain. »
«Ça marche. A tout à l'heure. »
« Ouaip. »
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« Putain, mec, tu fais chier ! Comme t'as disparu sans prévenir et qu'on savait pas où t'étais passé, on a annulé le concert ! T'aurais pu prévenir ! » s'agaça Arnaud, faisant gicler un peu de sa bière éventée.
Sam lui réclama une clope d'un geste. Zen la lui tendit sans faire d'histoire. Après sa disparition subite, il leur devait bien ça.
« Désolé. »
« Mais t'étais où ? » renchérit Sébastien.
« J'avais pas de réseau. Encore désolé. »
« Ouais, OK, mais genre t'aurais pu prévenir ! » s'agaça Sam, faisant claquer le briquet pour appuyer son propos.
« Heum... J'aurais dû... mais c'est arrivé tellement vite... Déso... »
« Bon, j'espère au moins qu'elles étaient bonnes, tes vacances. » grommela Arnaud.
Il fit la moue. « C'était un peu chiant... il a beaucoup plu... » éluda-t-il.
L'incident était placé sous le sceau du secret, comme tant de choses dans sa vie.
Il soupira. Il n'avait pas envie de le faire, mais le trio méritait d'être prévenu.
« D'ailleurs, les gars... J'sais pas trop quand... ça dépend de mon frère... mais dans pas longtemps, on devrait partir... genre loin... »
« Oh, tu pars en vacances avec ton bro ? » demanda Sébastien.
Si seulement !
« Non... On va déménager... quitter la Suisse... du coup... Vous devriez chercher un autre chanteur pour Élégie. »
« Putain ! Zen, tu fais chier ! Tu sais très bien que Élégie, les trois quarts de son succès, c'est ta voix ! » s'écria Arnaud.
« Hé ho ! » protesta Sam.
« Je sais pas pour toi, mais moi, je sais que c'est pas mes riffs de guitare qui marquent. C'est sa voix à lui ! » répliqua l'adolescent, le désignant d'un doigt furieux.
Zen'kan se sentit encore plus mal, cette horrible impression de trahir ses amis renforcée.
Arnaud leva dramatiquement les bras au ciel. « Autant dissoudre le groupe ! »
« Non ! Trouvez un autre chanteur. J'suis pas si doué que ça .»
« De la merde ! Tu m'expliques où on trouve quelqu'un avec un voix comme la tienne en dehors de ta cousine ? » siffla Arnaud, dont les yeux s'éclairèrent d'une lueur d'espoir. « Hé, mais peut-être qu'Ilinka... »
« Oublie, elle va aussi déménager. »
« Quoi ? Mais c'est un complot, bordel ! »
« Du coup, on la fait cette répète ou pas ? » demanda Sam dans un grand nuage de fumée.
« Nan, laisse tomber. » grommela Arnaud.
« OK. Fais péter une binche. » accepta-t-elle placidement, s'installant plus confortablement dans le vieux canapé qu'ils avaient tiré devant le garage.
Pas vraiment soulagé, Zen'kan l'imita. Autant profiter de ce qu'il restait de sa vie sur Terre.
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« Maman, pourquoi tu m'as jamais parlé de Freddy ? Ou du reste de tes frères et sœurs ?»
L'artiste soupira. « On a jamais été vraiment proche. Au fond, tout ce qu'on a en commun, c'est du code génétique et d'avoir été conçu par un taré mégalo dans un labo... ça rapproche, certes, mais ce n'est pas suffisant... »
« Mais il est venu de Genève pour aider... » nota-t-elle. Venir au pied lever prendre soin de la ferme et ses occupants à quatre pattes, ce n'était pas exactement un service anodin.
« C'est vrai. » opina Rosanna. « Et je lui en suis très reconnaissante. »
« Moi aussi. Il vas venir avec nous ? »
Sa mère hocha négativement la tête. « Non. Freddy fait partie de ceux qui ont choisi de rester. »
« Mais il vit à la rue ! »
« C'est vrai. Mais je crois qu'il aime sa liberté. Tant qu'il est heureux... »
Elle opina. C'était sans doute ça, l'essentiel : Être heureux.
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C'était un caprice, Rorkalym en était conscient, mais il avait tenu à faire sa rentrée universitaire. Même si ce n'était que pour deux ou trois semaines, c'était tout cela de savoir supplémentaire qu'il emporterait avec lui. Une formule de plus, une étincelle de sagesse, un brin de connaissance. Tout était bon à prendre.
En ce lundi de rentrée pluvieux, sur le quai de métro bondé, il croisa Ava qui, telle une marmotte à l'automne, avait profité des vacances pour empiler quelques kilos de plus sur sa silhouette déjà replète.
« Hey ! Mais c'est Rory le Romain ! Comment ça va ? » lança-t-elle, agitant une main joyeuse.
« Rory, le Romain ? » demanda-t-il, perplexe.
« Tu connais pas Dr Who ? »
« Heu... la série anglaise ? »
« Ouais. »
« De nom. »
« Dommage, c'est trop bien. Tu devrais la regarder. »
Il opina. Milena leur avait conseillé à chacun de se constituer un disque dur avec tous les films, séries, jeux et livres qu'ils désiraient emporter. Il tâcherait d'ajouter la série à sa collection, pour l'heure surtout constituée de livres numériques.
« Oh, tu as vu cet été, l'accident de la fusée Blue Dragon ? C'est terrible. Pauvre cosmonaute... » renchérit-elle, changeant de sujet comme d'accoutumée.
« On dit astronaute, pas cosmonaute, mais tu as raison. Un des boosters arrière a dysfonctionné, ce qui a modifié la trajectoire, et à cette vitesse, ça ne pardonne pas. La « bonne nouvelle », c'est que avec plus de douze G dans la figure, l'équipage était probablement inconscient au moment de l'explosion. Ils n'ont rien senti. »
« Ah... oh... Tant mieux pour eux, je suppose. Et c'est quoi la différence entre cosmonaute et astronaute ? »
« Cosmonaute, c'est le terme que les Russes ont choisi. Il n'y a qu'eux et quelques pays de l'ex-URSS qui l'utilisent. Astronaute est le terme américain, qui est devenu général. Même si les Français utilisent spationaute. »
Ava pouffa.
« Ces français, ils peuvent jamais rien faire comme les autres. Mais c'est joli, spationaute... »
Il hocha la tête en un simple signe qu'il l'écoutait, sans donner son propre avis.
La jeune femme leva le nez au ciel, ses lunettes se couvrant de gouttes. Elle rit et les essuya dans son pull.
« C'est trop cool. Un jour, des gens flotteront là-haut, grâce à un bidule que tu auras fabriqué. C'est excitant, non ? »
Il opina. Elle fit la moue.
« Même si ça doit être encore mieux d'y aller soi-même. Tu crois pas ? »
Il hocha encore la tête, mais comme elle continuait à le fixer, il se sentit obligé de répondre.
« L'espace, c'est magnifique et terrifiant à la fois. Tout est tellement gigantesque. Tellement vide. Et pourtant, il y a une infinités d'étoiles, et de mondes et de galaxies, là-haut. Dans l'espace, tu es plus proche des étoiles, et pourtant, elle paraissent... mortes, et mille fois plus lointaine que depuis la Terre. Et la Terre, elle est tout petite. Comme un fruit. (Il mima un rond de la taille d'un melon.) Tu pourrais la tenir contre toi. Si plus de Terriens allaient dans l'espace, ils réaliseraient peut-être combien cette planète est précieuse et facile à détruire. Et ils voudraient peut-être plus la protéger... »
Il se tut, mortifié de ce qu'il venait de dire. Ava le détailla avec un petit sourire amusé.
« A t'entendre, on croirait que tu es déjà allé dans l'espace. » nota-t-elle.
Il haussa les épaules, n'osant répondre.
« Mais t'as probablement raison. Peut-être que si plus de gens allaient dans l'espace, on réaliserait mieux qu'on a qu'une seule Terre, et qu'on doit veiller sur elle... »
Il opina.
« Mon amphi est par-là. » nota-t-il, pointant le grand bâtiment gris sur sa droite.
« Ah ! Moi, je continue tout droit. A une prochaine, Rory ! » le salua-t-elle, agitant la main.
« A une prochaine. »
Il lui rendit salut, ignorant si ces mots étaient mensongers ou pas.
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Rory avait fait sa rentrée. Elle n'avait pas eu ce courage. Ilinka ne se sentait pas capable de s'investir dans quelque chose qu'elle ne pourrait jamais finir. Ses parents n'avaient pas insisté. Par contre, ils avaient été clairs : si elle restait à la maison, ils attendait d'elle qu'elle participe aux tâches quotidiennes encore plus que d'habitude.
Cela lui convenait. Elle avait de quoi s'occuper, tout en ayant son content d'heures pour réfléchir. Car il lui fallait se rendre à l'évidence. Faire l'autruche et ne pas affronter ses démons ne mènerait à rien d'autre qu'à plus de peine et de souffrance quand elle serait forcée de leur faire face.
Son premier démon à affronter était son apparence. Cette apparence qui la terrifiait autant qu'elle la dégoûtait.
Depuis l'affaire des caméras, elle ne se sentait plus tout à fait en sécurité dans la maison. Il n'y avait plus rien, et pourtant la ferme avait perdu son aura de sanctuaire inviolable. Et seule, elle ne pouvait s'empêcher de chercher frénétiquement ce reflet qu'elle redoutait tant de croiser.
Alors elle avait demandé de l'aide. Zen'kan avait accepté avec joie qu'elle squatte sa chambre pour ses petites expériences. Il avait même été jusqu'à couvrir les fenêtres et en retirer maniaquement toute surface plus que vaguement réfléchissante quand elle lui avait expliqué son problème.
Au début, chaque fois qu'elle retirait son collier, c'était avec l'abominable impression d'une catastrophe imminente. La sensation n'avait pas disparu, mais elle s'était estompée, transformée en une vague impression de menace et de danger.
Zen s'était voulu rassurant. C'était normal. On leur avait tellement bourré leur crâne avec le Secret, avec l'importance de cacher leur nature sous peine de conséquences dramatiques, qu'il était normal de se sentir ainsi. Lui-même se sentait toujours un peu en danger quand il osait sortir de sa chambre sans son hologramme.
De quelques secondes, elle avait progressivement réussi à passer à plusieurs minutes sans son collier.
Il avait eu la délicatesse de ne pas retirer le sien en sa présence avant qu'elle ne lui dise que c'était OK.
Même si depuis les années, elle s'était habituée à le voir sous sa véritable apparence, pour une raison qu'elle ne s'expliquait pas, le fait d'elle-même ne pas porter son collier rendait l'expérience totalement différente. Infiniment plus intime et troublante.
« Lili, ça va ? » s'enquit-il, la faisant sursauter.
Réalisant que ça faisait plusieurs minutes qu'elle fixait sa paume, passant et repassant le pouce le long de la fente fermée de son schiitar, elle verdit.
« Oui, ça va. »
« T'es sûre ? »
« Oui. J'essayais d'imaginer comment ça sera... » marmonna-t-elle, agitant vaguement la main.
« Tu veux que je te montre ? »
« Non !... Oui. Je veux bien, s'il te plaît. » bafouilla-t-elle.
Elle était là pour affronter ses démons. Pas les fuir.
Lui faisant signe de se pousser un peu, il vint s'asseoir à côté d'elle au pied de son lit, puis lui tendit la main, la laissant comparer leurs deux paumes.
Il ne se taillait pas vraiment les griffes, et ses doigts étaient couverts de cals, mais la principale différence résidait dans la fente barrant leurs deux paumes. Dans la sienne, le schiitar était à peine un vague renflement barré d'un creux d'un vert indistinctement plus clair que le reste de sa paume.
Dans celle de Zen'kan, le schiitar saillait clairement, la fente ourlée d'une séries de minuscules trous à la coloration rosée.
« Je peux toucher ? »
« Vas-y. »
Très doucement, elle effleura le contour de l'organe. Zen eut un petit hoquet.
« Oh, désolée ! » s'excusa-t-elle, retirant précipitamment sa main.
« Tu m'as pas fait mal. J'ai été surpris... Ça chatouille, mais pas vraiment. J'saurais pas comment expliquer... »
Elle opina, reprenant son inspection avec encore plus de prudence qu'auparavant, comparant sporadiquement avec sa propre paume.
« Les trous, là... y a rien sur ma main. » nota-t-elle.
Zen opina.
« Y en avait pas non plus chez moi, avant. Ils sont apparus très tard. Quelques jours à peine avant que mes schiitars s'ouvrent. »
Un repère temporel. Elle en prit mentalement note.
« Est-ce que... Est-ce que... »
« Tu veux que je l'ouvre ? »
Elle opina.
Se concentrant un peu, il fit un petit mouvement des doigts, et dans un chuintement humide, la fente s'écarta, révélant une série de petits crocs aiguisés, et de minuscules tentacules qui s'agitèrent en tous sens.
« Eux, je les contrôle pas. » nota-t-il, effleurant du doigt les tentacules, qui s'accrochèrent aussitôt à sa chair.
Fascinée autant que répugnée, elle observait l'organe alien.
Zen'kan se mordilla les lèvres.
« Je peux te demander un service ? »
« Hein ? »
« J'ai une certaine sensibilité, mais j'arrive pas à dire si quand j'touche les tentacules, je sens à travers mon doigt ou à travers eux, si tu vois ce que j'veux dire ? »
« Heu, OK. »
« Si ça te dégoûte, prends un crayon, ou n'importe quoi, mais tu veux bien les toucher ? Voir si je sens un truc si je ferme les yeux ? »
Elle n'avait pas très envie de faire une telle chose, mais il aurait été déraisonnable et stupide de refuser.
Elle opina, et se levant, récupéra un stylo sur le bureau de Zen.
« Voilà. Tu veux que je fasse quoi ? »
« Approche-le doucement. Ils vont s'accrocher dessus, c'est normal, mais t'en fais pas. En tirant un peu, ils vont se décrocher. »
Elle hocha la tête et, retenant son souffle, approcha le stylo. Dès que le premier tentacule eut effleuré l'objet, tous les autres vinrent s'y accrocher.
« Comme ça ? »
« Ouais. Enlève-le, maintenant. »
Elle obéit, surprise de la résistance des minuscules organelles.
« OK, je vais fermer les yeux. Recommence, et je te dis si je sens un truc. »
Doucement elle répéta l'exercice. Zen'kan ne broncha pas avant qu'elle retire le stylo.
« Là, j'ai senti un truc ! »
« Je viens de l'enlever. Tu as rien senti avant ? »
« Quoi ? Non ! Recommence. »
« OK. »
« Là ? »
« Non, j'ai même pas approché le stylo. »
« Quoi ? Mais... »
« Et là ? »
« Non, rien. »
« Regarde. »
Il fixa avec dépit sa paume, les tentacules solidement enroulés autour du stylo.
« Mais c'est pas possible ! »
Elle eut une intuition. Une intuition absolument répugnante, mais qui méritait d'être testée.
« Je veux essayer un truc. Ferme les yeux et dis-moi si tu sens quelque chose. »
« OK. »
Il avait vraiment confiance en elle ! Se laisser faire ainsi sans rien lui demander, après tout ce qu'elle lui avait fait subir...
Approchant le stylo une fois de plus, elle le laissa quelques secondes puis le retira. Comme les fois précédentes, il ne réagit que lorsqu'elle le retira.
Inspirant à fond, elle abandonna l'objet sur sa jupe et tendit un doigt.
Elle s'était attendu à un contact froid et gluant. Tout ce qu'elle sentit, ce fut un vague picotement chaud.
« Là ! Là, je sens un truc ! »
Précipitamment, elle retira sa main.
Zen'kan rouvrit les yeux, la fixant avec intensité.
« Tu m'a touché. Toi. Avec ta main. »
Elle opina en verdissant.
« Comment t'as su ? »
Ce fut son tour de piquer un fard.
« J'ai senti ta force vitale... »
Le silence revint, insoutenable.
« Donc... c'est pas le contact que tu sens avec eux... c'est la force vitale ? » murmura-t-elle, pour y mettre fin.
Zen'kan opina.
« Ouais, je suppose. »
« Et le reste ? »
« Le reste quoi ? »
« T'es sensible ? »
« Mmmh. En quelque sorte. Je veux dire, ma paume, c'est ma paume, c'est normal quoi. Là (il désigna le cœur de la fente) c'est très sensible. J'arrête pas de me planter des trucs dedans quand je bosse à la réserve. J'te jure, j'ai jamais autant porté mes gants ! Et les crocs (il joua du bout d'une griffe avec l'un d'eux)... J'sens la pression. J'veux dire, s'ils sont appuyés sur un truc ou pas... »
Elle opina.
Expliqué platement comme ça, c'était un peu comme regarder une dissection de grenouille à l'école. C'était dégoûtant, mais pas effrayant.
Ils passèrent encore un moment à observer silencieusement les tentacules définitivement dotés d'une volonté propre.
Puis la pendule de Selk'ym sonna dix-sept heures à l'étage en dessous, et Zen'kan la fixa avec un immense sourire !
« Ça fait une demi-heure que t'as pas ton collier ! Et t'es pas en panique ! Bravo, Lili ! »
« M'appelle pas comme ça ! Mais t'as raison. Merci. J'y serais jamais arrivée sans toi. »
Rayonnant de joie, il lui offrit un sourire un peu trop dentu.
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Aux petites heures du matin, il fut réveillé par un étrange sentiment, qu'il mit quelques instants à identifier.
Scrutant les ombres de sa chambre, il chercha à localiser un éventuel intrus, puis il comprit pourquoi il ne se sentait plus seul.
L'Utopia était arrivé.
