La blonde récupéra le dossier et s'isola dans la salle de repos pour le consulter. Au fond d'elle, elle était persuadée que la mort d'Émilie était intrinsèquement liée au décès de sa sœur. Pourtant, à la lecture des divers comptes-rendus, rien ne paraissait suspect...
« Overdose médicamenteuse… » lut-elle à voix haute avant de se convaincre que Camille avait eu la réelle volonté d'en finir d'une manière peu brutale. Ce geste résultait d'un syndrome dépressif identifié par un médecin traitant et par un psychologue qui la suivait depuis quelques semaines. Mais quelque chose clochait selon Candice, bien décidée à en apprendre davantage sur cette jeune femme…
Depuis le chambranle de la porte, Antoine l'observait en souriant. Des sourcils froncés, des doigts qui tapotent son front et des soufflements d'agacement à chaque page tournée... C'était clair, son ancienne collègue pestait contre ses lectures infructueuses. Et montrant une concentration à toute épreuve, elle n'avait même pas repéré son commissaire qui s'approchait désormais à pas de loups.
« Alors… ? osa-t-il. Ça donne quelque chose ?
Candice sursauta, ne s'attendant pas à le voir débarquer devant elle.
- Euh… Pas grand-chose… Enfin… Elle était enceinte…
- Au moment de sa mort ?
- Ouais… D'après les compte-rendu médicaux, elle a fait un déni de grossesse… Et quand elle l'a appris elle a dû vriller…
- Ça s'entend…
- Ils ont noté un syndrome dépressif récent mais… elle a aucun antécédent… Enfin, je sais pas… C'est le caractère soudain du suicide qui me dérange… Faudrait peut-être voir les infos qu'on a sur elle…
- On va demander à Ismaël de s'en charger. En attendant, Mehdi a réussi à identifier ces 3 hommes sur tes photos. On les attend pour les interroger… On sait jamais s'ils ont vu un truc… expliqua-t-il en montrant les 3 individus. »
Quelque peu honteuse, Candice acquiesça. Pas besoin de préciser que l'homme qui l'enlaçait par la taille sur la photo était celui qu'elle avait failli traîner dans son lit ce soir-là… Et, Antoine n'y avait fait aucune allusion. Étonnant pour quelqu'un qui multiplie les piques depuis quelques heures… songea-t-elle perplexe avant de le remercier pour ses nouvelles informations. Le commissaire abandonna à nouveau la commandante, choisissant de s'isoler dans son bureau pour s'occuper de l'administratif en attendant la venue des trois témoins potentiels.
. . . . .
Depuis la salle de contrôle, Elodie observait son supérieur hausser le ton en salle d'interrogatoire. Visiblement Antoine s'était décidé à jouer le méchant flic pour tenter d'obtenir quelques informations supplémentaires. Et face à ce témoin, la comédie était particulièrement simple à jouer. Cela ne faisait que dix minutes que ce fameux Julien était assis sur cette chaise, et pourtant le commissaire se montrait déjà féroce. En même temps, il se rappelait cet homme enlacer sa femme. Il s'imaginait cet homme la toucher et investir les draps dans lesquels il dormait encore quelques temps plus tôt… alors forcément, Antoine Dumas vrillait…
« Je l'ai pas tué ! entendit hurler Élodie alors que son homologue débarquait à ses côtés.
- Ça y est ?! Ils sont arrivés ?
- Ouais… Et monsieur le commissaire est énervé… »
Candice hocha la tête en grimaçant. Évidemment qu'il s'énervait… Elle souffla en s'installant bruyamment sur la chaise d'à côté, espérant intérieurement qu'il parvienne à garder son calme.
« Vous ne l'avez pas tué mais vous avez passé la soirée avec… s'agaça-t-il en montrant les photos de Candice.
- Oui… Mais je comprends pas… Ça date ça… C'était y a un mois…
- Et justement, j'aimerais bien qu'on revienne sur cette soirée… Puisqu'apparemment vous avez passé une bonne partie de la soirée avec…
- C'est vrai… Mais moi j'en avais rien à foutre d'elle… Fin' c'était l'autre qui m'intéressait…
- L'autre ?
- La blonde…
Antoine ravala sa salive et se leva de sa chaise avant d'entamer des allers-retours dans la pièce.
- Est-ce que vous avez vu quelque chose en particulier concernant Émilie ?
- Nan… Fin elles dansaient toutes les deux, je les ai abordés avec mon pote… On a sympathisé et voilà…
- Sympathisé comment ?
- On leur a payé des verres… On a discuté… On a dansé… Fin des trucs basiques quoi… La brune était sympa mais c'est pas mon style… J'préfère les femmes avec des formes… Donc je l'ai laissé à mon pote et je me suis occupé de la blonde.
- Occupé ? répéta Antoine avec angoisse.
- J'vais pas vous faire un dessin…
- Vous l'avez ramené chez vous ?
- Non ! C'est le contraire… On est allés chez elle. Mais à peine entré que sa fille m'a foutu à la porte… Donc j'ai pas eu le temps de me soulager si vous voyez ce que je veux dire…
- Pardon ?! s'offusqua-t-il en sentant l'énervement grimper.
- Bah je me l'aurais bien tapé quoi mais… »
Le sang d'Antoine ne fit qu'un tour et le poussa à choper son témoin par le col. Des cris résonnèrent dans la petite salle sombre, entraînant la panique de Candice.
« Intervenez ! ordonna-t-elle à Vasseur.
- Mais c'est…
- Allez-y j'ai dit ! s'emporta-t-elle à nouveau. »
La commandante s'exécuta et parvint à séparer les deux rivaux, poussant Antoine à déserter la pièce. Furieux, il coulissa vivement la porte et débarqua dans la salle de contrôle, nez-à-nez avec son ex-compagne.
« Ça va pas non ?! cracha-t-elle furieuse. T'es censé garder ton sang-froid, Antoine !
- Mais t'as vu comment il parle de toi ?! Le mec est dégueulasse… Il te considère comme un bout de viande… Et je devrais rester là bien sagement à l'écouter t'insulter ?! Eh bah désolé mais je peux pas ! »
Candice souffla en l'observant partir à toute allure, voracement enragé. Un comportement peu habituel pour la commandante qui côtoyait plutôt sa docilité et sa tendresse. Mais dès que les choses la concernaient… il ne se contrôlait plus… Et peut-être qu'au fond… Candice appréciait cette réaction… Et elle se surprit à le trouver mignon… s'autorisant même à esquisser un petit sourire.
« Candice ?! » entendit-elle crier depuis l'espace groupe. Elle secoua la tête pour reprendre ses esprits et débarqua ensuite où Marquez revenait de l'interrogatoire d'un autre témoin.
« Ça a donné quelque chose ? demanda-t-elle avec espoir.
- Pas grand-chose. Fin' il dit qu'il a vu Émilie quitter la soirée seule dans un taxi ce soir-là… Il a rien vu de particulier… Puis c'est surtout que vu l'alcool qu'il avait dans le sang… Devait pas se souvenir de grand-chose…
- Ouais…
- J'ai un truc ! lâcha Nathan qui venait d'investir la pièce à son tour. J'viens d'interroger un certain Yanis qu'on a repéré sur tes photos. Il était au Cubanos à Agde le soir du meurtre et il a vu Émilie. Il dit qu'elle avait l'air normal mais qu'elle s'est longtemps absentée dehors avant de revenir et elle avait l'air énervée. Il a tenté de lui faire une proposition indécente mais elle a refusé. D'après lui, elle a quitté la boîte en montant dans une voiture.
- Y a moyen qu'il soit plus précis sur la voiture ?
- Nan… Il faisait nuit… Il m'a juste dit que c'était un modèle foncé. Type citadine…
- Ouais… Comme la plupart des voitures qui existent quoi… souffla-t-elle d'agacement.
- Et toi ? Ça a donné quoi ?
- Chou blanc… Il se souvenait plus de moi que d'elle visiblement…
- Bon ça avance pas là ! pesta Nathan en s'approchant du Plexiglas.
- Froissart m'a rappelé. J'ai rendez-vous avec lui en fin de journée… On verra bien… En attendant j'ai lu les compte-rendu sur le décès de Camille, la sœur d'Émilie et j'aimerais qu'on regroupe tout ce qu'on a sur elle.
- Pourquoi faire ? s'étonna Élodie.
- Parce que je pense que y a un lien entre les deux…
- Ah bon ? Et qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
- Mon intime conviction…
Élodie éclata de rire, s'attirant les foudres de l'autre blonde.
- J'peux savoir ce qui vous fait rire ?
- Depuis quand on arrête les meurtriers sur nos convictions ?! s'indigna-t-elle en s'approchant.
- Eh bien on vous écoute alors. Vers quoi allons-nous désormais nous tourner ? Allez-y… J'ai hâte d'entendre vos arguments qui reposent donc sur des… certitudes ? répondit-elle hargneuse en se rapprochant davantage.
- On vient de le dire… On avance pas… Toute cette affaire est une zone d'ombre…
Candice se mit à applaudir, moqueuse.
- Waouh ! Merci pour cette intervention commandant ! Grâce à ça, notre équipe va pouvoir avancer…
- Alors on va déjà remettre les choses à leur place… Vous êtes ici chez nous, ok ?! Donc merci de vous plier au fonctionnement de la maison…
- Mais on est ici parce que VOUS êtes venus nous chercher. Puis vous savez quoi ? On peut très bien se débrouiller sans vous ! Nathan ?!
- Hum ? répondit-il hésitant.
- On y va ! déclara-t-elle en récupérant son sac avant de quitter la pièce. »
Élodie souffla avant de se retourner vers le reste de son équipe visiblement partagé. D'un côté il y avait leur supérieure envers qui ils ne pouvaient rien dire et de l'autre leur amie… Le cœur balançait mais question de déontologie oblige, la neutralité devait l'emporter. Pourtant, tous manifestèrent leur agacement par des soupirs bruyants. Leur chef soupira à son tour avant de s'emparer d'un dossier et quitter la pièce pour se rendre dans le bureau voisin. Elle toqua doucement et attendit le signal d'Antoine pour entrer.
« J'te dérange ?! osa Élodie en passant une tête dans le bureau.
- Du tout ! Je t'attendais… lâcha-t-il souriant.
- Désolée d'être intervenue tout à l'heure mais… Candice m'a poussé à y aller…
- Elle a eu raison… J'ai dérapé…
- Et… Ça va mieux ?
- Ouais… acquiesça-t-il souriant.
- Tiens… J't'ai rapporté le compte-rendu de notre soirée au bar d'hier…
- Parfait… Merci… Et… Ça s'est bien passé avec le capitaine ? J'suis désolé j'ai pas pensé que j'aurais peut-être du t'envoyer avec quelqu'un d'ici…
- T'inquiète pas… Tout s'est bien passé… Heureusement que tu m'y as pas envoyé avec le commandant par contre… plaisanta-t-elle. J'crois qu'elle aurait fini par me noyer…
Antoine rigola doucement.
- Je sais que… quand on n'a pas l'habitude… c'est compliqué de bosser avec elle…
- Ouais… Puis… Avec ce qu'il vient de se passer, c'est clair qu'elle peut pas m'encadrer…
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- J'ai remis en cause ses méthodes… Mais j'pensais pas qu'elle le prendrait comme ça…
- Ah oui ! Sujet sensible… Et laisse-moi deviner, elle s'est entêtée avant de prouver qu'elle était capable de s'en sortir toute seule avant de quitter la pièce en furie…
- Comment tu sais ? s'étonna-t-elle.
- Oh… Dix ans de collaboration… sourit-il fièrement.
- Hum… Ça devait pas être facile…
- Question d'habitude… Puis même si elles sont parfois surprenantes ses méthodes… Je dois dire qu'elles nous aident bien dans nos enquêtes…
Élodie baissa la tête, honteuse.
- Tu… Tu trouves que je suis à la hauteur ?
- À la hauteur de ? s'étonna-t-il.
- Bah depuis qu'elle est arrivée, j'ai l'impression de faire tout de travers et… j'vois bien que j'ai perdu en légitimité auprès de l'équipe.
- Disons que la situation est compliquée… Mais ça n'enlève en rien tes qualités d'enquêtrice. On a eu plusieurs rendez-vous tous les deux… On a fait plusieurs bilans et tu sais ce dont tu es capable…
- Ouais… T'as sûrement raison… Désolée… bredouilla-t-elle en rigolant doucement.
- Tu sais, Candice qui débarque quelque part… Ça passe rarement inaperçu… Et ça laisse des traces… Puis là, comme tu le sais, la situation est doublement compliquée.
- Hum… Ça doit pas être facile pour toi…
Il haussa les épaules fatalistes.
- En tout cas… Si t'as besoin… J'suis là… Fin' même pour te changer les idées… Sortir…
- C'est gentil ! Merci… sourit-il gêné.
- Bien ! Donc la procédure Avilenko… déclara-t-elle enjouée en ouvrant le dossier pour changer de sujet. »
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« On va où là ?! l'interrogea Rinsson alors qu'il avait du mal à la suivre sur le trottoir.
- Au café !
- Au café ?! répéta-t-il désabusé »
Nathan hocha négativement la tête face à l'entêtement de sa supérieure. Piquée dans son égo de flic, la blonde venait de quitter le commissariat bille en tête, convaincue qu'ils pouvaient résoudre l'affaire sans eux. Et comme elle venait de l'annoncer, il l'observa ouvrir la porte de la brasserie et demander une table pour s'y installer. Il obéit. Dans ce genre de moments, mieux valait ne pas la contrarier davantage... Candice sortit son ordinateur portable rose, le dossier sur le décès de Camille ainsi qu'un bloc-notes.
« On cherche quoi ? demanda le capitaine.
- Tout ce qui pourrait nous sembler intéressant… lâcha-t-elle laconiquement. Tu prends l'ordinateur et tu me trouves tout ce que tu peux sur elle. »
