CHAPITRE SEIZE - une année.


C'est avec énormément d'émotion que je vous informe
que l'histoire est entièrement écrite. Que j'y ajouté son point final
en ce mardi 15 août 2023... :')
Pour la publication des chapitres à venir, je vais passer
à une publication tous les samedis matin,
mais comme
je pars en vacances une semaine je vous poste celui-ci
avec un jour d'avance.


« Comment ?
Pourquoi ?
Le faut-il vraiment ? Dois-je vraiment m'y rendre ?
Je ne peux pas, non...
C'est au-dessus de mes forces...
Mon frère, je... »

Il pleuvait.
Le martèlement de la pluie contre les carreaux de la chambre résonnait avec force contre son crâne tandis que, debout, devant le miroir sur pied qui lui faisait face, Fred observait distraitement son reflet.
Son reflet vêtu de noir.

Il aurait aimé échapper à ce qui allait suivre.
Il aurait aimé pouvoir se terrer dans un trou de souris pour les prochaines heures.
Il aurait aimé avoir le courage de dire non.
De refuser quand Bill avait demandé s'il viendrait avec eux, à Poudlard, pour la commémoration.
Il aurait aimé avoir de la force. Du courage. De la volonté.

Mais tout avait disparu un an auparavant.
Un an jour pour jour.
Quelque part, dans un couloir du château, sa vie entière, tout ce qu'il était, tout ce en quoi il croyait et ce pour quoi il se battait avec dévotion, avait volé en éclats.
Un simple éclair de lumière verte et tout s'était arrêté dans l'instant.

Sa vie avait basculé dans des ténèbres sans fond.
Il avait perdu toute raison de vivre.
De continuer la lutte, alors même que c'est ce que George aurait voulu qu'il fasse.
Qu'il finisse, qu'il mène au bout la bataille pour laquelle il avait donné sa vie.
Pour sauver ses frères et sœur.
Pour sauver ceux qu'il aimait.

Pas un seul jour n'était passé sans qu'il ne pense à lui.
Sans qu'il se souvienne de tous les moments qu'ils avaient passé ensemble, les bons comme les mauvais.
Sans qu'il ne se rappelle le timbre de sa voix, qu'il imagine son sourire, son rire.
Sans que George ne hante ses pensées.

Cela n'avait pas été facile au début, c'est vrai.
Penser à lui ne faisait que raviver la meurtrissure de son cœur.
Son être entier hurlait à l'agonie.
Il avait perdu goût à tout.
Même respirer était une torture sans nom.

Mais le temps avait finalement réussi son œuvre.
La douleur restait encore omniprésente, mais le souvenir de son jumeau lui rappelait l'époque où il avait été heureux.
Pleinement heureux.
Profitant de la vie auprès de ceux qu'il aimait.
Ce souvenir était devenu la raison pour laquelle il se levait chaque matin, les bons comme les mauvais jours, ainsi que les appelait Hermione.
Les mauvais avaient été très présents ces derniers temps, pourtant, il s'était accroché.

Car il savait désormais que c'est que George voudrait.
Qu'il vive.
Qu'il vive pour lui, pour eux, pour les autres.
Pour l'avenir serein auquel il avait donné sa vie.
Comme tant d'autres sorciers morts ce jour-là.
Comme tant d'autres sorciers qui avaient perdu la vie cette année-là.

Chaque nouvelle journée était donc destinée à son frère.
A sa moitié.
Ce combat contre lui-même, contre ses démons, il le menait pour lui.
Pour eux.
Pour ce qu'ils avaient été.

Il n'était qu'au début de son deuil, il le savait.
Le chemin sur lequel il s'était engagé serait encore semé d'embûches.
Il lui faudrait probablement encore des mois, voire même des années pour complètement tourner la page.
Pour se découvrir.
Pour connaître la personne qu'il était maintenant, sans son jumeau.
Pour apprendre à vivre dans un monde qui avait perdu cet éclat si particulier que George était le seul à pouvoir lui donner.

Mais Fred ne perdait pas espoir.
Car il n'était pas seul.

Il avait enfin trouvé une personne sur laquelle s'appuyer.
Une personne qui l'avait accepté tel qu'il était, sans chercher à raviver la flamme de ce Fred qu'il fut dans son adolescence.
Qui avait accepté ses cicatrices, ses plaies.
Ses faiblesses, ses doutes.
Ses angoisses, ses peurs.
Sa douleur, pleine et entière.
Qui avait été là dans les moments les plus difficiles.
Qui lui avait tendu la main et ne l'avait pas lâché depuis.
Qui l'avait consolé quand les larmes avaient coulé, qui l'avait écouté quand les mots avaient enfin réussi à sortir.
Qui lui avait offert le soutien dont il manquait cruellement.
Qui avait compris.
Qui avait pris la pleine mesure de la mort de George.

Qui ne l'avait pas lâché.
Pas une seule fois.

Et qui restait encore, alors même qu'ils ne savaient plus vraiment où ils en étaient.
Pas après cette fameuse nuit.
Jamais Fred n'avait pensé que le lien qui l'unissait à Hermione puisse évoluer d'une telle façon.
Il n'avait pas imaginé une seule seconde qu'elle puisse éprouver la même chose que lui.
Mais, même si elle n'avait rien dit, il le savait.

Hermione lui avait offert plus que son cœur.
Elle lui avait offert qui elle était.
Ce qu'elle avait de plus précieux.
Et aucun mot ne pouvait surpasser cela.

Ils avaient fait le choix de n'en parler à personne.
Car ni l'un ni l'autre ne se sentait près à s'expliquer.
A raconter toute son histoire.
Non, cela leur appartenait.
Du moins, cela leur appartiendrait autant de temps qu'ils le pourraient.

Ils évoluaient désormais sur la même voie.
Fred ne parvenait plus à vivre sans elle.
Chaque fois qu'il croisait son regard, il lui semblait que les morceaux de son cœur détruit se recollaient petit à petit.
La nuit, Hermione venait le rejoindre dans sa chambre, et ils parvenaient à trouver le sommeil ainsi enlacés, réconfortés par la chaleur et la présence de l'autre.

Ils ne s'étaient plus embrassés.
Ni étaient allés plus loin.

Une seule fois avait suffi pour qu'ils comprennent.
Que maintenant, vivre l'un sans l'autre leur était impossible à tous les deux.

Ils avaient ainsi évolué, dans leur bulle.
Sans que personne ne remarque quoi que ce soit.
Sans que personne ne dise rien, en tout cas.

Ils se découvraient un peu plus chaque jour et Fred appréciait le garçon qu'il devenait auprès d'elle.
Il aimait toutes les facettes qu'Hermione éveillait chez lui, les bonnes comme les moins bonnes.
Ils se disputaient aussi, parfois, mais cela finissait toujours par des soupirs résignés, chacun connaissant le caractère de l'autre.
Hermione était Hermione, en dépit de son fardeau, et elle ne pourrait jamais changer.
Fred était Fred, en dépit de sa douleur, et il ne pourrait jamais changer.

Mais cela leur convenait.
Tout était bien.

Ils étaient là l'un pour l'autre.
C'était tout ce qui comptait.

Et il savait qu'elle serait là aujourd'hui.
Pour soutenir ses amis.
Pour soutenir les Weasley.
Pour le soutenir, lui.

Un soupir lui échappa.
Il lui sembla que le noir de sa robe de sorcier faisait ressortir d'autant plus la pâleur de sa peau, en dépit des heures qu'il avait passées à l'extérieur, ces derniers jours, profitant de la chaleur réconfortante du soleil, la tête blottie sur les jambes d'Hermione pendant que la jeune femme lisait.
Cette couleur ne lui allait pas.
George le lui avait répété à plusieurs reprises, durant leur scolarité.
Cela jurait avec l'éclat de feu de leurs cheveux.

Mais il lui paraissait inconcevable de se rendre à la commémoration habillé de couleurs vives.
Même si cela devait rendre hommage à la personnalité de son frère, il ne voulait pas se faire remarquer.
Non, pas aujourd'hui.
Il souhaitait simplement qu'on l'oublie, qu'on l'ignore.
Il voulait passer inaperçu dans cette marée de tristesse qui les attendait.

Un nouveau soupir s'échappa de ses lèvres sèches, et après un ultime regarde sur son reflet, il rejoignit le reste des siens qui attendaient silencieusement dans le salon.
Ils étaient tous là, hormis Ginny, qui se trouvait déjà à Poudlard.
Même Charlie avait fait le déplacement de Roumanie pour être présent.
Percy aussi était là, si guindé dans son ensemble sombre, ses yeux ridés et plissés derrière ses lunettes rondes.

L'habituelle atmosphère joyeuse avait laissé place à un profond silence poignant et douloureux qui le mit mal à l'aise.
Bien entendu, il savait que cette journée serait un véritable calvaire pour chacun d'entre eux, mais une partie de lui avait eu l'infime espoir que ses frères auraient essayé d'égayer la journée.

Il repéra Hermione, blottie dans un coin, elle aussi vêtue de noire.
Une robe moldue noire qui semblait flotter sur son corps frêle.
Une seconde, il fut tenter d'aller vers elle, car il avait besoin terriblement besoin de son soutien, mais il se retint.
L'un comme l'autre ne voulait pas trahir leur secret.
Et ce n'était clairement pas le bon jour pour annoncer à tous qu'il avait à son égard bien plus que des sentiments d'amitié.
Ron ne le supporterait sûrement pas.

La jeune femme, qui le connaissait bien, lui offrit cependant un faible sourire d'encouragement et il s'y accrocha de toutes ses forces, sentant son être entier se détendre face à la douceur de ce geste.
Même de loin, Hermione serait là.
Et c'était tout ce qui comptait pour lui.

―Il va être l'heure, lança Arthur. Allons-y.

Fred aurait voulu que les secondes s'égrainent avec lenteur.
Fred aurait voulu contrôler le temps et retarder autant que possible cet instant.
Fred aurait voulu s'échapper, fuir, se terrer dans un trou de souris, emportant Hermione avec lui pour le consoler, le soutenir comme elle seule pouvait le faire.
Fred aurait voulu que le trajet jusqu'à Poudlard dure éternellement.
Fred aurait voulu que l'aura de tristesse qui s'échappait déjà à travers le portail ouvert ne l'atteigne pas de plein fouet, lui enserrant la poitrine dans un étau douloureux.
Fred aurait voulu que le sourire joyeux de sa petite sœur ne disparaisse pas lorsqu'elle eut l'autorisation de ses professeurs de les rejoindre.

Et par-dessus tout, Fred aurait voulu faire disparaître les centaines de portraits qui s'étalaient sur une longue fresque dans le parc de l'école.

Des dizaines de famille étaient agglutinées devant ce mémorial improvisé.
Des sanglots s'élevaient de certains groupes.
Des murmures à peine audible osaient interrompre le moment.
Les rayons du soleil frappaient avec force les photographies mouvantes qui s'étalaient devant lui, représentant chacune un sorcier ou une sorcière mort durant cette terrible année de terreur.
Des sorciers et sorcières morts durant la Bataille de Poudlard.
Des sorciers et sorcières jugés injustement pour la couleur de leur sang.
Des sorciers et sorcières qui s'étaient sacrifiés pour défendre leur vie, celle de leurs amis ou même celle d'inconnus.
Des sorciers et sorcières qui s'étaient battus contre l'ennemi sans jamais faillir.

―Par là, souffla Ginny.

Fred la suivit, tel un automate, la tête baissée pour ne pas avoir à affronter les regards de ses anciens camarades.
Des camarades qui le découvraient pour la première fois sans sa moitié.
Des camarades qui prenaient la pleine mesure de la disparition de George et qui, il en était certain, n'allaient pas tarder à venir lui exprimer leurs marques d'encouragement et de soutien.
Mais il n'en voulait pas.

L'étau de sa poitrine s'accentua.

―Ici.

Evidemment, George faisait parti des derniers de la liste.
Molly lâcha un râle de douleur.
Ginny éclata en sanglots dans les bras de ses frères aînés.
Les épaules d'Arthur s'affaissèrent.
Ron recula d'un pas.

Fred n'eut pas la force de relever la tête.
Ni de croiser ce regard et ce sourire qu'il avait désespérément chercher ces derniers mois.
De réaliser à quel point ils avaient été similaires.
Car ce portrait n'allait pas seulement lui renvoyer l'image de son jumeau, mais le souvenir de ce qu'il avait été jadis.
Et il n'avait pas la force de s'y résoudre.

Une main se glissa soudainement dans la sienne.
Il n'eut pas besoin de relever la tête pour reconnaître ce toucher.
Les doigts d'Hermione pressèrent doucement les siens, en signe de soutien.

Et ce fut à cet instant qu'il n'eut plus la force de retenir les larmes qu'il avait refoulées en débarquant ici.
Une à une, elles s'écrasèrent sur l'herbe à ses pieds.
Une à une, elles disparurent dans les sillons de la terre, à jamais perdues dans les méandres de cet univers qui l'avait privé de sa moitié bien trop tôt.
Qui lui avait arraché son cœur.
Qui lui avait pris tout ce qu'il avait de plus cher au monde.
Qui avait détruit ses rêves, ses espoirs, son avenir tout entier.
Qui avait laissé les ténèbres le consumer.

La douleur se raviva, si violemment qu'il réprima tant bien que mal un gémissement de douleur.
Son corps fut parcouru de tremblements incontrôlables.
La main d'Hermione parut brusquement brûlante sur sa peau glacée.
Chaque cellule de son corps lui donna l'impression d'éclater en milles morceaux, ne pouvant supporter cette vague de souffrance.

Son être tout entier se désagrégea.
Pendant de longues secondes, il ne put penser à autre chose qu'à cette douleur, cette incommensurable douleur qu'il avait oubliée au fil des mois, grâce au soutien d'Hermione.
Une douleur qui avait commencé à s'apaiser avec le temps, comme signe d'espoir.
Une douleur qui venait soudainement de se rallumer face au sourire de la personne qu'il avait aimée le plus au monde.

Comment avait-il pu croire qu'il parviendrait à faire son deuil ?
Comment avait-il pu croire qu'il y avait encore de l'espoir ?
Comment avait-il pu croire que le monde pouvait continuer de tourner alors que la lumière avait disparu ?
Comment avait-il pu croire qu'il remonterait la pente ?
Comment avait-il pu croire que seul le soutien et l'amour d'Hermione allaient l'aider à tourner la tête ?

Il s'était fourvoyé.
Il s'était laissé prendre par ses espoirs.
Par son envie de croire que George était là, quelque part, dans un monde énigmatique, et qu'il lui envoyait des signes.
Que c'était lui qui avait placé Hermione sur son chemin.
Que c'était grâce à lui qu'il affrontait les jours sans crainte.
Qu'il prenait soin de lui, même au-delà de la mort.

Il s'était fourvoyé.

Son cœur manqua un battement.

Il essaya de lutter contre la douleur.
Pour ne pas la laisser l'engloutir de nouveau.
Car cette fois, il en était sûr.
Il ne pourrait supporter ça de nouveau.
Il ne pourrait s'y résoudre.

Il s'accrocha de toutes ses forces à la main d'Hermione.
Il s'accrocha à elle, à tous les moments qu'elle lui avait fait vivre.
Il s'accrocha à sa présence, à sa chaleur, à son silence apaisant.
Il s'accrocha à l'espoir qu'elle lui avait redonné.
Il s'accrocha à sa personne, à tout ce qu'elle lui avait donné.

Il pensa à sa famille qui l'entourait.
A ses parents qui souffraient de la perte d'un fils.
A ses frères et sœur qui pleuraient un frère.
Il se rappela tous ces instants passés avec eux.

Il se rappela qu'ils étaient là.
Pour lui.
Quoi qu'il advienne.

Et qu'il pouvait compter sur eux.

Il ne sut combien de temps ils restèrent ainsi.
Le soleil brillait bien au-dessus de leur tête lorsqu'il trouva enfin le courage de sortir de sa torpeur.
Ses larmes s'étaient taries, traçant des sillons de feu sur ses joues pâles.

Hermione poussa un léger soupir de soulagement lorsqu'il pressa délicatement ses doigts.
Un instant, il se demanda comment les autres avaient fait pour ne voir qu'elle lui avait pris la main, mais chacun était si perdu dans son propre mutisme que personne ne faisait vraiment attention à eux.

Il lui offrit un faible sourire de remerciement avant de la lâcher.

Son regard rencontra alors celui de George.

Et il trouva enfin la force de lui pardonner.
De l'avoir abandonné.
De l'avoir laissé seul.
Dans un monde qui avait perdu toutes saveurs.

Et de le remercier.
Pour avoir mis Hermione sur son chemin.
Pour lui avoir donné une nouvelle raison de se battre.
Contre lui-même.
Contre ses démons.
Contre les ténèbres qui essayaient de l'engloutir.
Pour lui avoir offert une étincelle d'espoir.
Une infime étincelle à laquelle il s'était accroché de toutes ses forces.

Une étincelle qu'il ne comptait plus jamais lâcher dorénavant.

Un regard en arrière lui confirma qu'Hermione était encore là.

Qu'elle serait toujours là.

Il vit ses lèvres s'étirer lentement, en ce qu'il pensa être un sourire, mais son visage fut défiguré par une étrange grimace.
Une grimace de douleur.

Il sentit son cœur manquer un battement en voyant la jeune femme s'effondrer.