Une rencontre particulière

Wanda aurait aimé passer le restant de son existence prostrée dans son lit, sans devoir adresser la parole à des gens, sans devoir sourire lorsque son cœur saigne, sans devoir porter en permanence un masque qui ne lui convient pas. Elle a laissé derrière elle la ville de Westview, elle a brisé son sortilège et rendu leur liberté à toutes ces personnes emprisonnées dans la toile de ses pouvoirs. Au fond d'elle, son âme crie de douleur, elle a perdu ses enfants – l'image de ses enfants, une vision née de son esprit, des fantômes d'un avenir avorté qu'elle aurait tant voulu toucher du doigt avant que Thanos ne vienne tout détruire. Et plus que tout, elle s'est éloigné des vestiges de l'homme qu'elle aimait, faisant disparaître celui qu'elle a tissé et regardant partir ce Vision blanc à la fois familier et étranger.

Dans sa cabane solitaire, elle tente de résister à l'appel du Darkhold. Le livre lui murmure chaque jour qu'elle a les moyens de modifier la réalité, d'en écrire une qui lui rendra sa famille – ses parents, son frère jumeau, Vision, les enfants qu'elle a tant désirés – et de prendre les rênes d'un monde différent où elle n'aurait pas à craindre qui elle est. Bien que ces belles paroles soient doucereuses, tentatrices et emplies de ses plus profondes envies, Wanda ne cède pas. Elle a vu de quoi était capable Agatha avec la magie du livre et elle refuse de devenir dépendante de cet ouvrage. Elle a déjà causé trop de soucis avec ses propres pouvoirs de Sorcière Rouge, il est hors de question pour elle d'être une nouvelle fois à l'origine d'un problème.

Tous les matins, après avoir quitté son lit, elle part se promener dans les bois environnants. Le paysage est beau, calme, relaxant, mais elle a sans cesse l'impression que quelqu'un l'observe. Peut-être est-ce égoïste de sa part mais elle s'attendait à voir Strange ou l'un de ses compagnons maîtres des arts mystiques, supposant à tort que ce qu'elle a accompli à Westview lui vaudrait des remontrances. Elle a réussi à se convaincre qu'ils n'ont sûrement pas perçu ce qu'elle a fait, c'est bien plus facile pour elle que de se rendre compte qu'ils n'ont pas agi parce qu'ils se moquaient bien de la vie de tous ces gens.

Pourtant, au bout de plusieurs mois à regarder ainsi les semaines s'écouler, Wanda devine que cet univers est au bord du gouffre. Elle ignore comment elle le sait, elle a des pressentiments liés à sa magie qui s'agite, aux murmures de plus en plus pressants du Darkhold, à une sensation d'étirement qui serpente dans ses membres et qui lui chuchote que la trame de la réalité n'est plus exactement la même. Elle l'a déjà senti auparavant, à Westview, lorsqu'elle a accepté son plein pouvoir de Sorcière Rouge, mais cette fois, tout est plus fort, plus dangereux, plus séduisant aussi.

Elle n'est donc pas si surprise lorsqu'un soir, alors qu'elle se tourne et se retourne dans son lit, emmêlée dans ses draps et ses cauchemars, quelqu'un vient frapper à sa porte. La jeune femme repousse le sommeil qui lui fait défaut, elle quitte la protection de sa chambre et accueille son visiteur. Si les yeux verts ne lui sont pas familiers parce qu'elle ne les a jamais vus d'elle-même, elle reconnaît toutefois la personne qui se tient devant elle.

« Loki ? »

Le dieu de la malice a un sourire en coin malgré une lueur d'urgence dans son regard. Le frère de Thor n'est pas seul, un homme en chemise blanche et costume brun l'accompagne et semble aussi pressé que le dieu. Aussitôt, Wanda sent sa magie couler vers l'extrémité de ses doigts, en un réflexe de survie acquis depuis qu'elle a développé ses pouvoirs. L'inconnu lève les deux mains en signe de paix, sans avoir peur d'elle.

« On a besoin de vous, déclare-t-il de but en blanc, pour contenir le multivers. »

Ce simple mot apaise les doutes de la jeune femme, bien qu'elle soit désormais effrayée par les propos de cet homme. Vision lui a parlé du multivers et de ses dangers, il lui a bien fait comprendre que jamais, ô grand jamais, il ne faudrait que cette infinité ne s'ouvre.

« Pourquoi moi ? s'enquiert-elle avec un soupçon de suspicion.

— Vous avez participé à l'ouverture du multivers, lui annonce l'homme en costume.

— Vous êtes qui au juste ?

— Mobius, le présente Loki. Il n'est pas votre ennemi, ni le mien. Ayez confiance en lui, vraiment. »

Avec des mots choisis pour ne pas la brusquer, le dieu lui apprend qu'il est un variant de lui-même – une histoire liée au multivers où chacun a un autre lui quelque part. L'un de ses variants, une femme nommée Sylvie, a déclenché des bouleversements au niveau de l'univers au moment précis où Wanda se voyait dotée de l'ensemble de ses pouvoirs de Sorcière Rouge. Les deux événements combinés ont ouvert un pont dans le multivers et ont permis à ce dernier de sortir des chaînes qui le maintenaient fermé.

« Votre magie pourrait être utile, poursuit Mobius. Entre vous, Vision et les Loki …

— Vision ? l'interrompt Wanda en sentant poindre dans son cœur un vent de mélancolie. Il est mort.

— Pas totalement. Enfin oui et non. Nous avons retrouvé un synthézoïde blanc qui correspond à votre Vision.

— L'homme que vous aimez est toujours là en lui, confirme Loki. Vous avez cru le perdre mais ce n'est pas le cas. »

Elle note mentalement le regard en coin que le dieu jette à Mobius ainsi que le léger sourire sur les lèvres de ce dernier. Son esprit se focalise cependant sur la nouvelle la plus importante, celle qui change son point de vue sur ce monde, celle qui lui redonne tout l'espoir qu'elle a perdu jour après jour, celle qui lui montre qu'elle a eu raison de ne pas écouter les murmures du Darkhold. Vision est en vie, prêt à sauver le multivers avec elle, prêt à d'autres sacrifices.

Cette fois-ci, Wanda compte bien être là jusqu'au bout et empêcher son compagnon de mourir. Puisque l'univers leur laisse une seconde chance de s'aimer dans un avenir commun, elle la saisit avec joie.