Aujourd'hui le monde est mort. Ou peut-être était-ce hier.
Désolation et silence sont les deux maîtres en ce lieu où rien ne vit.
Seule une ombre, avançant à pas régulier, brave ce monde couleur cendre. Le silence est son royaume.
Elle s'arrête devant une poupée de tissus au bras arraché qui repose par terre. L'ombre s'accroupit, prend la poupée, et repart non sans l'avoir rangée dans sa poche après un instant d'hésitation.
Au bout de ce qui pourrait sembler être des heures, l'ombre arrive devant une maison en ruine. Deux corps sont crucifiés sur l'un des seuls murs qui tiennent encore debout et au-dessus d'eux, tracé avec du sang, luit funestement l'insigne de Zeref. Son poing se crispe, l'un des corps est celui d'une petite fille, l'autre est vraisemblablement celui de sa mère. La fillette ressemble un peu à Wendy, la petite avec qui il avait fait un bout de chemin quand lui-même arrivait juste dans ce monde.
La rage s'empare de lui. La rage et le regret, qui s'enfoncent comme des poignards dans son cœur. S'il était arrivé plus tôt, le massacre de ce village n'aurait pas eu lieu. Lui qui était au courant des sombres intentions de la guilde noire aurait pu faire évacuer les villageois et les protéger. Mais il n'est pas arrivé à temps et il ne restait rien de ce village, rien que des cendres. Il a échoué.
Jellal se réveille en sursaut, un cri étranglé sortant de sa gorge. Il halète, étouffe, quelques larmes roulant sur ses joues malgré lui. Il repousse ses draps d'un mouvement de jambe et se dirige vers la chaise où il a jeté ses vêtements la veille, trop fatigué pour les ranger. Il a besoin de sortir, de respirer. Tout plutôt que de retomber dans ce sommeil peuplé de cauchemars, réminiscences de son passé.
La porte se referme sans un bruit, il est sorti.
Il avance d'un pas souple et silencieux sur les remparts, évitant les gardes qui font leur ronde. Il n'est pas d'humeur à recevoir révérences et politesses tous les dix pas. Il les repère bien avant qu'il ne soit dans leur champ de vision et se camoufle dans l'ombre. Rien ne lui est plus facile.
Une fois la moitié du château parcouru, il descend pour se réfugier dans les jardins royaux. Il apprécie l'atmosphère qui se dégage de ces jardins. Les bruits de la ville sont étouffés par la végétation et les visiteurs se font rares. De nuit, les arbres et buissons laissent filtrer la lumière de la lune, un décor de conte de fée encore sublimé par les lucioles voletant tranquillement au gré de leurs envies.
Il s'installe sous un arbre, les jambes repliées sous lui. La brise fraîche chasse les derniers échos de ses tourments. Alors il se concentre et inspire, puis expire. Rien d'autre ne compte que sa respiration. Et alors que les étoiles continuent leur course dans le ciel, Jellal demeure plongé dans cette posture méditative, où les pensées et souvenirs n'ont pas leur place.
Le temps non plus n'a plus prise et il ne saurait dire combien de minutes, d'heures ou même de semaines s'écoulent sans qu'il en ait conscience. Toujours est-il que lorsque ses yeux s'ouvrent, le soleil s'est levé, plongeant le château dans une activité bourdonnante. Et devant lui, deux jambes. Lorsqu'il lève les yeux, il découvre qu'il s'agit du commandant Knightwalker, le regard tranchant et rempli de reproche.
« Pouvez-vous me dire ce que vous foutez là ? » Le ton est froid, presque glacial.
« Bien le bonjour à vous aussi, commandant Knightwalker. » répond le roi tout en se levant tranquillement. « Vous avez l'air en pleine forme ! »
« Vous ne pouvez pas disparaitre comme ça ! Dois-je vous rappeler que vous êtes le roi ? » Lui reproche-t-elle, le ton mordant.
« Le roi n'a-t-il pas droit également à quelques instants de liberté ? »
« Pas quand cela oblige la garde royale à se mettre en alerte maximale ! »
Jellal se tait quelques secondes. Tourmenté par ses vieux démons, il n'a pas tenu compte une seule seconde de sa position. Couronné récemment, il a beaucoup de mal à s'habituer à cette attention permanente qu'on lui porte. Lui qui avait été une ombre sans attache, regrettait souvent cette liberté passée, loin de toute responsabilité.
« Vous avez raison commandant, cela ne se reproduira plus. Vous présenterez mes plus plates excuses à vos hommes. »
Il voit un éclair de surprise passé dans les yeux de la jeune femme, vite caché sous son expression stricte et hargneuse. Leur relation n'a jamais été bonne, ce fait est de notoriété commune. Leurs disputes explosives font d'ailleurs le bonheur des ragots au sein de la cour et des feuilles de chou. Lors de leurs altercations, il ne leur est pas coutumier de reconnaitre leurs torts, encore moins de s'excuser.
« Bien. » La rousse tourne les talons et s'éloigne sans plus de cérémonie. Elle est bien l'une des seules personnes à ne pas le saluer de manière obséquieuse, ce que Jellal trouve rafraichissant.
Après la chute de son père et son couronnement, Jellal avait fait bouger beaucoup de chose. Autant par nécessité suite à la disparition de la magie que par volonté de remettre son peuple dans le droit chemin. Sa notoriété déjà bien établie pour avoir mis fin aux folies de son père, et pour avoir battu le démon Dragneel, n'avait cessé de grandir au fur et à mesure que le peuple d'Edolas s'identifiait au jeune souverain dynamique et plein de bonne volonté.
Une de ses décisions les moins populaires cependant, fût de rétrograder Elza Knightwalker comme commandante de la garde royale. Les gens en dehors de la capitale voyaient en elle les restes de l'ancien régime et le souvenir de ses traques sans pitié restait vif dans la mémoire de beaucoup. Mais Jellal n'avait pas cédé et même si ce changement de statut semblait être une faible sanction, c'était en vérité la pire des punitions imaginables pour la jeune rousse qui se voyait ainsi forcer de devenir ce qu'elle aimait à appeler "une baby-sitter royale". De plus il souhaitait la garder près de lui, n'étant pas encore sûr de pouvoir avoir confiance en elle, même si elle semblait avoir changé depuis son affrontement avec son double d'Earthland. Garder son ennemie proches était donc la meilleure solution.
Le roi au cheveux bleus leva les yeux pour fixer son regard sur l'horloge ornant la plus haute tour du château. Il devait se rendre immédiatement à son bureau s'il voulait être à l'heure pour ce rendez-vous qu'il ne souhaitait manquer pour rien au monde.
Jellal observa l'incrédulité sur le visage de son vis-à-vis. Il retient un sourire amusé, il s'attendait à ce genre de réaction.
« Et ben… Je… Enfin je veux dire… Oui je peux le faire. Mais êtes-vous sûr de vous Votre Majesté ? » Demanda laborieusement Jason, essayant de se remettre de son choc.
« Certain. » répondit Jellal, fixant sévèrement le reporter blond, afin qu'il comprenne toute la gravité de la situation.
Jason, reporter de génie pour le Edolas Newspaper, était calme et discret. Son travail s'approchait d'ailleurs plus de celui du détective privé que de celui d'un journaliste car s'il était avide de scoop, il rechignait souvent à les publier. Son respect pour la vie privée d'autrui l'en empêchait et c'est pourquoi Jellal l'avait choisi. En temps normal, il aurait plutôt fait appel à Gadjeel mais le jeune roi était certain que la nouvelle se serait aussitôt répandue à l'ensemble de Fairy Tail avec qui le journaliste avait créé des liens lors la lutte contre Faust. Et après avoir eu Jason en face de lui et vu son visage se décomposer en comprenant l'importance de garder cette information secrète, Jellal était sûr de son choix.
Jellal n'ayant pas de successeur direct, ni de famille proche, Jason avait pour mission de démêler les mailles de la généalogie compliquée de ses ancêtres afin de trouver la personne qui lui succéderait à la tête du royaume d'Edolas.
« Mais pourquoi abandonner votre trône ? Le peuple a encore besoin de vous ! »
L'ancien mage au cheveux bleus s'appuya contre le dossier de son fauteuil.
« Je ne compte pas abdiquer immédiatement. Je prendrais le temps qu'il faudra pour former mon successeur et reconstruire le royaume. Mais je n'ai pas l'étoffe d'un roi. » Jellal n'avait que trop vu les ravages du pouvoir sur son propre père pour ne pas comprendre que lui-même n'était pas à l'abris. Il n'avait jamais voulu devenir roi et voyait même cette position comme une entrave. Il savait donc que viendrait un jour où son implication et son dévouement envers son peuple baisserait. Avant que cela n'arrive, il abdiquerait afin de laisser le trône à un souverain plus adéquat.
Le reporter se tût pendant de longues secondes, le temps de digérer ce qu'il venait d'entendre. De toutes les affaires qu'il avait eu entre les mains, c'était de loin celle qui lui semblait la plus étrange. Un jeune roi tout juste couronné et adulé par le peuple souhaitait abdiquer. Rassemblant ces esprits, il se leva et salua le roi, donnant tacitement son accord pour la mission qui lui avait été confié.
Alors que Jason rejoignait la porte du bureau royal, il entendit la voix de son souverain dans son dos.
« Évidemment Jason, je ne te demande pas de faire cela gratuitement. Tu auras l'exclusivité sur l'affaire quand le temps sera venu de l'annoncer. »
Le reporter esquissa un sourire et remercia son souverain d'une légère révérence, puis quitta la pièce.
Seul dans son office, Jellal soupira longuement, quittant son personnage royal pour redevenir le jeune aventurier. Il était déjà épuisé par cette affaire et ne voulait pas penser à la dimension qu'elle prendrait quand serait venu le temps de la rendre publique.
