Quand nous atterrissons sur le sol thaïlandais, je manque de rendre mon petit-déjeuner dans la poubelle la plus proche. Je déteste les moyens de transport sorciers. Isaak me tapote le dos en ricanant. La veille, j'ai pourtant fait un discours de vingt-trois minutes, introduction et conclusion comprises, sur les avions, le confort, la sécurité qu'ils apportent, je lui ai expliqué avec hargne que le voyage en lui-même était plus important que la destination, que passer des heures assis dans une boîte rectangulaire avec des ailes, c'était une expérience, mais monsieur a rejeté en bloc l'idée même de poser un seul de ses orteils dans un aéroport. Je le déteste.
Isaak retient mes cheveux en arrière d'une main et d'une autre, fait de grands cercles dans mon dos. Ses gestes sont tendres, comme toujours mais quand je lève les yeux vers lui après avoir repris mon souffle, ce mufle à une lueur amusée dans les siens. Ajoutons à cela son sourire espiègle pour le trahir et on a le démon en personne…
– Ça te fait marrer ?
– Mais non pas du tout ! se défend-t-il.
Son sourire mange son visage tout entier, alors que je suis livide. Après quelques instants, j'achète une carte avec tous les sites touristiques auprès d'une petite boutique moldue. J'ai envie de tout visiter, de tout voir, tout manger, tout découvrir. La chaleur et l'humidité m'écrasent. J'attache mes cheveux en un chignon étrange, qu'Isaak retravaille en faisant en sorte que mes mèches bleues se voient. Il dit que ça l'aide à me repérer dans la foule quand je m'éloigne trop de lui et que je me perds… La vérité, c'est qu'Isaak me suivra partout, je le sais. Même dans les trente-deux temples bouddhistes que je compte visiter. Il aime tout simplement beaucoup trop fourrer ses mains dans mes cheveux.
– On commence par quoi ? demande-t-il.
– Se brosser les dents. J'ai envie de vomir à cause du portoloin et j'ai un goût de bile dans la bouche.
– Y'a vraiment des jours où je me demande comment j'ai fait pour tomber amoureux de toi…
Je hausse les épaules. Moi aussi je me le demande.
– Mon charme et ma beauté naturelle ont probablement eu raison de toi.
– T'as du vomi au coin des lèvres, mon coeur.
Je lève les yeux au ciel.
– Alors disons que j'ai tout simplement une élégance noble et distinguée.
– T'as une tâche de sauce sur ta robe, Wallergan.
– Oh merde !
Il fouille dans ses poches et en sort un paquet chewing-gum. J'en prends un en le remerciant.
– Mâche bien.
– Je préférerai me brosser les dents.
– C'est en attendant qu'on soit à l'hôtel.
Il en fourre un dans sa bouche avant d'entremêler ses doigts aux miens. Il caresse ma paume de son pouce et m'interroge silencieusement du regard en posant deux doigts sur mon front.
– Je vais bien, je t'assure…
Il hoche la tête, et l'éclair d'inquiétude qui l'a traversé s'en va tout aussitôt. Je le tire par la main, avançant faiblement sur mes deux jambes :
– Allez viens ! On a tant de choses à visiter ici ! Je veux absolument voir ce temple…
Nous déposons nos bagages à l'hôtel. Il me laisse me brosser les dents et me couvre de produit anti-moustique sur tout le corps, jusqu'à m'en faire tousser, me faisant baigner dans un nuage de vapeur chimique.
Toute la matinée, nous arpentons les rues de Bangkok. J'ai pris le vieil appareil photo sorcier de mon frère. Dans la poche de ma veste, j'ai l'alliance d'Isaak qui pèse lourd. J'y pense de temps en temps, puis, quand il vient vers moi, tout excité à l'idée de se rendre dans le quartier sorcier thaïlandais pour goûter les fameux sato-salto, j'oublie tout. Je prends fermement l'écrin dans ma main en la sortant de ma poche.
Une bouffée de courage m'envahit : je vais lui demander maintenant, comme ça, je serai débarrassée et je pourrais calmement profiter de mes vacances ! Il n'y a que ses yeux bruns lumineux et rieurs dans ma tête. Il abandonne son chewing-gum qu'il a gardé jusqu'à maintenant dans son papier et le fait tomber par inadvertance par terre, trop heureux et précipité de se rendre dans le prochain bar du coin. Il s'apprête à entrer dans un temple donnant accès à l'avenue principale sorcière, bien cachée des moldus, quand je l'arrête, désignant le papier tombé par terre :
– Tu comptes ramasser ça j'espère ? je le gronde doucement.
Il fronce les sourcils et commence à se pencher pour le ramasser, que deux hommes l'approchent, menaçants. Les poings sur les hanches, je les regarde faire, un sourire moqueur au coin des lèvres.
– Vous n'êtes pas sans savoir que jeter son chewing-gum sur la voie publique est passible d'une amende de six cents dollars ? fait l'un d'eux.
– Hein ? couine Isaak, qui a parfaitement compris ce qui disait son interlocuteur grâce aux sorts de traduction que nous avons.
J'explose de rire en me tiens les côtes alors que le policier exige qu'il s'acquitte de sa dette.
– Alors là, c'est vraiment trop fort, je ris. C'est probablement le genre de loi jamais appliquée parce que jamais personne ne se fait prendre, mais toi, non. Toi, Isaak Hartley, auror de talent, tu viens de te faire arrêter parce que t'as fait tomber ton chewing-gum par terre.
Je prends une photo pour immortaliser ce moment. Je crois qu'il s'agit d'une mauvaise blague mais perd très vite mon rire en observant l'agent dresser un constat sur un petit calepin.
– Six-cent dollars ! exige le policier.
– Je ne les ai pas ! bégaie Isaak.
– On va voir ça au poste alors.
J'explose de rire, tant cette situation me paraît ridicule, alors qu'Isaak me lance des appels au secours.
– T'es vraiment un poissard, Hartley.
– Tu vas les laisser m'embarquer ? s'offusque-t-il.
Je hausse les épaules.
– Tu veux que je fasse quoi ? Je ne suis qu'une Cracmole, faible et fragile…
– Quand ça t'arrange…
– Tu vas bien trouver une solution pour te dépatouiller de cette situation. Je te fais confiance. T'es un grand garçon, Isaak.
– Je te déteste, fait-il alors que les policiers le pousse vers la voiture.
Je comprends Colin désormais, lorsqu'il dit que j'aurais peut-être atterri à Serpentard, plutôt qu'à Poufsouffle, comme j'aime le penser. Parce qu'en ce moment, j'ai la merveilleuse idée de me servir de cette situation pour que cela tourne à mon avantage…
– On prendra l'avion la prochaine fois ?
– Pas question !
– Quel dommage… Je viendrais te rendre visite en prison de temps en temps, ne t'en fais pas.
Je lui tourne le dos, en m'en allant. J'ai bien envie de me rendre à l'hôtel dans lequel nous avons loué une chambre. Je suis sûre que le temps qu'Isaak se sorte de là, je serai dans le jacuzzi.
– Je te déteste, vraiment Opaline ! hurle-t-il alors que les policiers le traînent derrière eux, après lui avoir enfilé des menottes.
– Moi aussi, je t'aime chéri ! je ris au milieu de la foule et en le saluant.
