– Je vais mourir, je me plains en fermant les yeux. J'ai traversé des épreuves intenses et sanglantes, j'ai été accusée de meurtre, j'ai fait partie d'un groupuscule terroriste, mais ça… Ça, Isaak, c'est la pire de toutes les expériences que j'ai jamais vécu ! Et mon fantôme te hantera Isaak ! Il te hantera pour toujours !
– Opaline ! Opaline ! Regarde comme c'est beau !
La voix d'Isaak est si ravie que j'ai presque envie d'ouvrir les yeux pour voir les siens pétiller de bonheur. Je l'imagine les joues rouges, sous sa barbe de trois jours, le bout du nez caché par une écharpe Serpentard qu'il me prête de temps en temps, et sa boucle brune tombée sur son front.
– Opaline, tu y es presque !
Je souffle alors que je continue de descendre. Nous sommes à 120 mètres de profondeur et j'ai bien l'impression que mon cœur est resté en haut du volcan. Le guide touristique se retient de rire avec difficulté, parce que, malgré mes yeux fermés, j'entends ses gloussements. Je devine même aux soupirs amusés d'Isaak, qu'il a croisé les bras sur sa poitrine, et qu'il doit me regarder curieusement. Il s'esclaffe légèrement lorsqu'une petite descente trop abrupte me fait couiner de peur.
– Pourquoi a-t-il fallu que tu choisisses l'activité de la journée ?
– T'as perdu à chaudron, parchemin, boule de cristal et griffe de gobelin, me rappelle-t-il.
– Non. Tu as honteusement triché ! La boule de cristal casse la griffe de gobelin, la griffe de gobelin déchire le parchemin, le parchemin emballe la boule de cristal mais il n'y a pas de chaudron ! Le chaudron est interdit !
– Fallait le préciser quand tu as lancé le jeu ! me nargue Isaak.
– Descendre dans le cœur d'un volcan, c'est bien la pire idée de toute ta vie et crois-moi, Isaak Hartley, le classement était déjà fameux.
– Ah oui ?
– Oui. Dedans il y a la fois où tu as voulu transformer le Manoir de tes parents en terrain de débauche pour fêter tes dix-sept ans !
– Je t'avais invité !
– Je suis venue et je t'ai trouvé en plein bouche-à-bouche avec Cherry Hopkins !
J'ouvre un œil. Il hausse un sourcil et sifflote.
– Jalouse ?
Peut-être l'étais-je un peu.
– Pas du tout. Vous bloquiez simplement l'accès à la tequilala !
Je descends encore un peu alors que mes poumons se compriment dans ma poitrine. Isaak me tend les bras, comme si cela devait me donner une raison valable de le rejoindre partout, même jusque dans les enfers. Je referme les yeux sentant la nausée monter dans ma gorge.
– On va tous mourir brûlés dans la lave, je commence en refermant les yeux avec force quand le vertige me prend une nouvelle fois.
– En fait, le volcan Thrihnukagigur ne montre aucune activité depuis plus de quatre mille ans. Les dragons l'ont déserté il y a bien longtemps. Ils ne reviennent que pour couver leurs œufs.
– Moi je voulais voir la Diamond Beach, les sculptures de glace, les phoques ! je continue. Ou même le Pont de l'Ófærufoss. Je me suis entraînée pendant quatre jours entiers pour arriver à prononcer ce nom !
– Un pont ? On est en Islande et tu veux qu'on visite un pont ?
Isaak pense que le danger, c'est marrant et que l'aventure est synonyme de frisson. Pourtant, il sait que ma définition est toute autre : quitter le seuil de ma maison est déjà une énorme péripétie.
– C'est super chiant, un pont, ajoute le guide.
– Vous, je vous ai pas causé ! rétorqué-je en pointant un doigt accusateur dans sa direction. Je voulais me baigner dans une source thermales et baver devant ton corps en toute discrétion, je voulais visiter la distillerie d'Eimverk et profiter de leur dégustation gratuite pour te faire boire du whisky parce que t'es toujours super marrant quand t'as un petit coup dans le nez. Mais non ! Il a fallu que tu me sortes du lit pour faire une randonnée de quinze mille kilomètres !
– Trois. C'était trois kilomètres.
– Mes jambes, si elles pouvaient parler, te diraient qu'elles en ont marché quinze mille !
– Opaline, ouvre les yeux !
– Je suis en train de descendre l'équivalent de la hauteur de la statue de la Liberté. JE. NE. VEUX. PAS. OUVRIR. LES. YEUX.
J'ai compté les secondes depuis que j'ai commencé à descendre. Cela fait six minutes… Les yeux fermés, je continue pourtant de m'enfoncer dans ce gouffre sans fin, quand je sens deux bras encercler ma taille alors que mes pieds pendent encore dans le vide.
Je reconnais les mains d'Isaak, et ses lèvres qui murmurent tout près de mes oreilles en les chatouillant :
– Ouvre les yeux Opaline.
Je m'exécute, rassurée de sentir son corps contre le mien et je réfugie ma tête dans le creux de son cou, heureuse d'être sur la terre ferme, alors que le guide touristique détache mon harnais. J'observe par-dessus l'épaule d'Isaak la chambre magmatique dans laquelle nous nous trouvons avec toutes les autres personnes qui commencent déjà prendre des photos. L'intérieur de Thrihnukagigur offre de magnifiques couleurs de jaune, orange, vert, rouge ou encore bleu, incrustées dans la pierre. C'est magnifique. Absolument magique. La descente a duré une éternité, mais elle valait ce que je vois en ce moment. Les camaïeux de couleurs sont si beaux… Un puits de lumière éclaire les parois rocheuses et descend vers nous, comme pour nous rappeler que le ciel existe toujours.
Je glisse un doigts sous mon bracelet d'opaline. Mon père me l'a offert lorsque j'étais enfant. Pour mes onze ans en fait. Je n'avais pas reçu ma lettre pour Poudlard et j'avais piqué une crise de colère et de tristesse qui me plonge toujours dans des pensées noires lorsque j'y songe, même encore aujourd'hui. C'était la première fois que je disais les détester, eux. Maman. Papa. Colin. Des sorciers… Et moi, une Cracmole… J'avais dit tant d'horreurs… Je les avais accusé d'un crime qu'ils n'avaient pas commis, parce que je ne savais pas à qui en vouloir. Je ne savais pas que personne n'était coupable, pas même moi. Je me détestais. Je les détestais.
J'avais dit à mon père que l'opaline n'était qu'un caillou sans valeur, du verre un peu joli, mais qui ne servait à rien. Je leur avais dit que même si mon prénom signifiait « pierre précieuse » en Sanskrit, moi, je ne l'étais pas. Je n'étais rien.
Le soir même, il était venu dans ma chambre avec ce bracelet, et m'avait montrer les jeux de couleurs de l'opaline, ses reflets et ses teintes. Il m'a raconté que les aborigènes australiens disaient que Dieu serait venu apporter un message sur terre et aurait créé l'Opaline en touchant la terre avec ses pieds. Il m'a raconté que beaucoup croyaient en ses pouvoirs de guérison et qu'elle permettait même de trouver l'amour véritable. Il m'a dit que cela expliquait peut-être pourquoi j'étais déjà si douée en potions, et pourquoi j'étais si facilement aimable malgré mon caractère ronchon.
Merlin qu'il se trompait.
– Opaline ? Tout va bien ?
– Oui, oui, rassuré-je Isaak.
Il n'insiste pas, mais je sais qu'il a deviné à quoi je pensais.
Je repense à la bague que j'ai caché dans le sac à dos d'Isaak. Ce serait le bon moment pour lui demander s'il veut m'épouser. Le décor est parfait et romantique. Il était si impatient à l'idée de venir ici… Mais j'ai la gorge trop serrée par la peur que je viens de vivre, et par la beauté de ce que je vois. Et je me dis surtout que si je lui fais ma demande ici, il faudra qu'on y emmène nos potentiels enfants et je refuse de refaire une descente de six minutes dans cette horreur.
Isaak repousse l'une de mes mèches de cheveux et m'embrasse sur le bout du nez.
– Tu es adorable quand tu paniques.
Je le frappe brutalement au niveau de l'épaule. Mais quel crétin…
Il rit et m'embrasse avant de prendre ma main dans la sienne et de faire le tour de l'intérieur du volcan. Et si ce volcan ne présente aucune activité sismique, je jure que mon cœur, lui, est sur le point d'imploser, encore plus quand Isaak me dit qu'il a hâte lui aussi, d'aller aux sources thermales pour me voir baver sans aucune honte sur son corps.
