Isaak regarde le guide avec méfiance, alors que je souris, amusée.

– Il fait moins mille dehors.

– Oui sans doute, assuré-je en rentrant dans son jeu.

– Je crois que je viens de perdre un petit orteil.

– Cela est bien fâcheux. Le petit orteil a un rôle essentiel pour l'équilibre… Imagine donc la tête de ton patron si tu te casses la gueule toutes les deux secondes en pourchassant des Mangemorts ?

– Eh bien je lui dirais que ma petite-amie m'a fait traverser un froid polaire juste pour admirer des chiens !

– Des chiens-des-glace, corrigé-je en levant un doigt pour l'inviter à se taire. Alors c'est ça, l'élite de notre pays ? Un Auror qui grelote comme un papy de quatre-vingt ans sans son plaid et ses chaussons doublement fourrés ?

– Les papys de quatre-vingt ans ont la vie que j'ai toujours rêvé d'avoir : ils passent leurs journées assis dans un confortable fauteuil, engueulent les petits jeunes qui saccagent leur tranquillité et ont un train de vie paisible et régulier .

– Ce ne sont pas des papys ça… Ce sont des petits vieux aigris, ricané-je. De plus, il n 'y a pas besoin d'être un vieux pour être aigri, Isaak, tu m'en fais la démonstration très souvent.

– Et tu me voles toujours mes chaussons, poursuit Isaak en m'ignorant.

– J'aime beaucoup ces chaussons, avoué-je. Et Bob a mangé les miens.

– Ce chat est un monstre.

– Oui, oui…

Je ris, alors qu'il remonte avec fureur sa cagoule jusque sur le bout de son nez. C'est fou parce que personne n'est beau avec une cagoule. Sauf Isaak. Ses yeux ressortent plus et je pourrais m'y perdre toute la journée.

J'entraîne Isaak à ma suite, sa main dans la mienne, toutes deux couvertes de moufles épaisses. Isaak a enchanté ce matin nos vêtements pour qu'ils gardent la chaleur au maximum et contrairement à lui, je me sens parfaitement bien et ne souffre pas du froid.

Le guide nous fait avancer un peu plus dans les terres enneigées. Nos pas crissent dans le blanc immaculé de la poudreuse. En fait, la neige nous atteint jusqu'aux genoux.

Il me sera donc compliqué de demander à Isaak sa main ici… Mais ce sera sans doute très mignon et très atypique, ce que je suis au fond, et je sais qu'il adore ces deux qualités. Ce matin, j'ai pris la bague avec moi. Elle est dans la poche de ma veste, qui est sous ma combinaison. Il me faudra dénouer mon écharpe et je n'avais pas pensé à ce détail… Nilam et Clara m'ont dit de faire les choses simplement cette fois-ci.

– Ils devraient être tout proche ! nous annonce le guide, tout sourire.

Ces vacances au Canada sont parfaites et c'est le moment idéal pour demander à Isaak s'il veut bien se marier avec moi. Il reprendra le travail dans deux jours et demain, nous rentreront pour la Grande-Bretagne. Avec Nilam, nous visitons souvent les locaux de libres sur le Chemin de Traverse pour trouver celui qui accueillera notre boutique. Enfin, lorsqu'elle n'est pas collé à Albus Potter… Ils sont mignons tous les deux.

Nous retournerons à notre quotidien, que j'aime beaucoup mais qui me laisse peu d'occasions pour faire ma demande… Un mois de vacances, ça a été bien trop court pour nous qui en avions prévu le double. nous avons seulement pu partir ce week-end, essentiellement pour que nos réservations pour le Canada ne se perdent pas.

Notre maison a encore besoin d'être un peu meublée mais nous en avons fait un cocon à notre image, une refuge où les murs sont tapissés des photographies des gens que l'on aime et de nos voyages. Nous l'avons acheté dès notre retour en Grande-Bretagne et déménager a été une source d'angoisse assez incroyable pour moi. Isaak est encore plus bordélique que moi et j'ai bien cru qu'on ne s'y retrouverait jamais.

Isaak pousse un cri d'exclamation presque enfantin qui me sort de mes pensées. Il pointe sur doigt l'horizon.

– J'en vois un !

Je plisse les yeux.

– Je ne vois rien.

Il m'attrape par les épaules et me place devant lui.

Je distingue effectivement quelque chose et sautille avec joie.

– Un chien-glace !

La créature s'est avancée et d'autres l'ont rejoint. Ils sont toujours en meute et ne se déplacent jamais seuls. D'ailleurs à mesure qu'ils évoluent jusqu'à nous, ils forment un tout, une masse uniforme qui marche au pas et en rythme. Ils sont blancs, se devinent à peine dans la neige, mais brillent. Faits de glace, des nuages de buées se lèvent dès qu'ils ouvrent la bouche et leurs corps, couverts de piques de glaces, bougent avec force et précision. Mais le plus impressionnant chez eux, reste leurs longues queues de glace aussi imposantes que des massues.

Les chiens-de-glace s'arrêtent devant le guide et semblent attendre quelque chose.

– Ils sont très gourmands…, fait-il avec affection.

Il pioche dans son sac une poignée de quelque chose qu'il lance dans les airs et les premiers chiens-de-glace les attrapent en jappant gaiement.

– Ce sont des guimauves ! indique-t-il. Vous en avez dans vos sacs. Vous pouvez leur en donner !

Je détache immédiatement mon sac de randonnée et fouille à l'intérieur. Aussitôt, quelques chiens-de-glaces m'ont approché et reniflent mes paumes avec envie. Je fourre quelques guimauves dans mes poches avant de remettre mon sac sur mes épaules, afin de ne pas le perdre dans la neige.

Les créatures magiques aboient, impatients et je me penche à leur hauteur pour leur donner leurs friandises. L'un d'eux lèchent le bout de mon nez et se jette sur moi.

– Viens Isaak ! Donne-leur à manger c'est trop drôle !

Je me relève en riant de bon cœur, la moitié de la meute nous entourant avec les autres sorciers venus visiter la réserve magique du Canada. Je cherche Isaak du regard, qui n'a pas bougé.

Le bout de son nez est bleu.

Pas un bleu normal et habituel. Enfin pas le bleu que son nez prend chaque fois qu'il a froid. Je connais ce bleu-ci.

Cette couleur-là est vraiment inquiétant.

– Isaak ?

Il ne me répond pas. Je m'approche de lui, et les chiens me suivent, attendant que je leur offre de nouvelles guimauves.

– Par Merlin, t'as un énorme bouton bleu sur le nez ! m'exclamé-je.

– Je be sens ba très mien …, articule-t-il avec difficulté.

Ses lèvres sont enflées et se couvrent elles aussi, de boutons bleus. Lorsqu'un chien approche affectueusement sa truffe de ses mains mouflées, le visage d'Isaak, enfin ce que je peux en voir, se couvre un peu plus de boutons.

– T'es allergique… Oh putain Merlin ! T'es allergique !

Isaak s'étrangle incapable de respirer, alors que le guide, alerté par mes cris, accoure vers nous. Dans la précipitation, et pour éloigner la meute, je jette au loin tout le contenus de mes poches. Ils partent par vague, se précipitant sur les guimauves qui filent dans les airs.

Je lâche un cri en voyant un objet brillant se mêler parmi les guimauve.

La bague que j'ai acheté pour Isaak.

Putain.

Je ne vais jamais pouvoir la retrouver. Surtout si l'un des chiens l'a avalé.

Merlin.

J'y ai placé presque la moitié de mes économies.

– Opaline…

Isaak m'appelle faiblement. Le guide a utilisé un sifflet qui a fait s'éloigner la meute entière des chiens-de-glaces. Il attrape une fiole dans son sac et la lui fait boire par petites gorgées. Isaak reprend à moitié conscience, les yeux à peine ouvert.

– Vous ferez mieux de rentrer, nous propose-t-il.

– Mais…

– Opaline… Regarde, le pégase que tu voulais ! JE VAIS TE LE CHERCHER ! UN LASSOT VITE !

Isaak délire, dans un espèce de sommeil conscient. Sa peau est perlée de sueur froide et il tremble de tous ses membres. La potion l'a plongé dans un état léthargique pitoyable.

Je pense à la bague, perdue quelque part.

J'ai un pincement au cœur.

Si j'étais une sorcière, je la retrouverais avec un simple accio

– Opaline… Opaline… Le pégase ne veut pas me suivre !

J'opine et accepte la proposition du guide de rentrer immédiatement au refuge de la réserve. Le portoloin d'urgence nous dépose sur le seuil de l'infirmerie, dont les médicomages prennent immédiatement en charge Isaak. Avant qu'il ne parte, j'attrape le guide par l'épaule :

– Dites, si jamais vous trouvez une bague un jour…

Il me regarde, les yeux écarquillés.

– Enfin, plus une alliance. En or blanc. Avec …

Je bredouille honteuse.

– Je vais vous retrouver ça, sourit-il.

Je lève les deux pouces, soulagée, avant de retourner auprès d'Isaak qui redevient lui-même peu à peu.

– Je…

Je me penche pour mieux l'entendre et lui serre tendrement la main, inquiète.

– Meurs de froid, termine-t-il.

J'éclate de rire et le serre dans mes bras.

S'il savait que j'ai jeté sa bague de fiançailles aux créatures qui ont failli le tuer…

En attendant, je prends une photographie de sa tête couverte de boutons bleus. Il reste encore une place à décorer sur les murs de notre maison…