– Tu crois qu'elle va bien ?
– Oh j'en suis persuadé, soupire Isaak.
– Non mais je m'inquiète, elle n'allait vraiment pas bien.
– Je t'assure qu'elle allait mal seulement parce qu'elle commençait enfin à aller mieux.
– Oh pitié, quelle connerie, m'exclamé-je. Nilam t'aurait enfoncer son poing dans la gueule pour avoir dit une chose aussi niaise.
– Ta cousine va très bien, Opaline ! Assez en tout cas pour fricoter avec un rejeton Potter derrière le sapin de ton enfance !
Je pose les mains sur les hanches, me rappelant cette indignité, cette profanation…
– Comment a-t-telle pu oser ?
– Le faire avant que nous en ayons tous deux la bonne et excellente idée ? Oui, je me demande bien…, plaisante-t-il.
Le coin droit de ses lèvres se hisse alors qu'il ricane. Devant mon air faussement fâché, il dépose un baiser sur ma tempe et passe une main autour de ma taille, glissant son bras dans mon dos.
– Nilam va très bien, Opaline. Je sais que ça a été dur et compliqué entre vous deux, mais je pense que tu devrais lâcher prise. Tu veux l'aider et qu'elle se sente mieux, je te comprends. Cependant, tu ne peux pas le faire. C'est un chemin qu'on emprunte et qu'on poursuit seul, et tu le sais mieux que personne.
Je me rembrunis.
Nilam et moi, nous ne nous sommes jamais disputées. Jamais.
– Tu ne comprends pas… Lorsque je suis partie de la maison pendant deux ans, Nilam était mon seul lien entre vous et moi, avec le monde magique. Elle ne m'a jamais laissée tomber. Jamais. Elle a toujours été celle qui avait assez de courage pour me balancer les vérités désagréables que je ne voulais pas entendre et qui en même temps… Elle ne m'a jamais rejetée.
– Je ne t'ai…
– Isaak… Tu me regardais à peine quand nous étions ado.
Il se pince l'arrête du nez et se rapproche de moi en me regardant.
– C'est toi, qui ne me regardais pas. Sinon, tu aurais remarqué qu'au contraire, je te regardais bien trop. Assez pour que Colin le remarque en tout cas, frissonne-t-il.
– Vraiment ?
– Comment aurais-tu pu te rendre compte que je ne pouvais pas décoller mes yeux de toi alors que les tiens étaient constamment en train d'admirer tes pieds.
– Menteur.
Il retire mon bonnet en souriant.
– J'ai été le premier à me rendre compte que tu t'étais ouvert le front, juste ici. Un jour, tu l'avais sans qu'on sache comment tu te l'étais faite, murmure-il en faisant courir ses doigts sur la fine cicatrice que j'ai oublié depuis longtemps. De tes dix-sept jusqu'à tes dix-huit ans, tu as décidé de faire un trait d'eye-liner bleu marine sur tes yeux., ajoute-t-il en posant ses lèvres sur mes paupières closes. Tu as arrêté le jour où ta mère a dit qu'elle te trouvait mieux sans. Juste après ça, tu as commencé à ronger tes ongles et tu as teint tes pointes de cheveux en rouge bordeaux, assez sombre. Pas en bleu. En rouge. Ça n'a duré que deux semaines, je crois. Personne ne s'en est rendu compte, parce que c'était très discret. Mais moi je l'ai vu.
J'écarquille les yeux, les joues rouges d'embarras.
– Celle qui ne regardait pas l'autre, c'était toi, marmonne-t-il contre mon front avant de l'embrasser.
Quel petit salopard.
Toujours à vouloir me faire fondre sur place et à me clouer le bec avec ses belles phrases…
– D'ailleurs, tu te l'es faite comment cette cicatrice ? m'interroge-t-il en caressant de nouveau le dessus de mon front.
– Je suis allée au skatepark du quartier.
– Ce qui explique l'espèce de planche rose et verte que tu t'es trimballée un moment sous le bras pendant quelques mois lorsque tu avais quinze ans…
Je rentre un de mes coudes dans ses cotes.
– C'est bon, j'ai compris. T'étais un sacré voyeur obsédé par ma personne, tu connais tout ce qu'i savoir sur mes frasques. Enregistré !
Il étouffe un rire et prend ma main dans la sienne.
– Je devrais te remercier.
Je me fige, la bile me montant soudainement. Isaak effleure mes joues de ses pouces et me souris tendrement.
Mais Ombrage, dans ma tête, me dit merci pour mon crime et je hais ça. Je hais de ne plus être capable d'entendre un merci de la bouche de qui que ce soit sans penser à ce que j'ai fait, sans penser au mal que j'ai fait, sans penser et me replonger dans le cauchemar des Autres.
Isaak penche la tête sur le côté, me regarde curieusement :
– Pour ?
– Pour m'avoir toujours vu telle que j'étais.
– Je devrais te remercier moi aussi.
lLe dire est autres, à Isaak en particulier, est tellement plus simple.
– Pour ?
– Être toi et pas une autre.
Je le déteste.
Vraiment, je le déteste.
Nous sortons de l'hôtel main dans la main, pour nous retrouver dans la capitale italienne recouverte. Hier nous avons visité une boutique d'archimestre, quelques monuments historiques mais nous sommes vite rentrés, Isaak étant trop fatigué. Il a encore des cernes sous les yeux et n'a que quelques jours de repos pour récupérer de ces derniers mois de travail qui ont été très difficiles.
– On devrait peut-être rentrer, murmuré-je.
– Je tiens à voir le coucher de soleil sur le jardin des orangers ! Tu vas adorer !
– J'adorerai tout autant de notre chambre, je te le promets !
– Non, non. Je veux que tu vois ça. Et nous devons aller à la Fontaine de Trévi aussi.
– Nous irons demain. Rome ne s'est pas construite en un jour, elle ne se déconstruira certainement pas en une nuit, Isaak !
Il me tire par la main sans m'écouter, avant de nous faire transplaner à destination. La basilique Saint-Pierre se dresse fièrement devant nous, sublime derrière un ciel qui se teint de rose et d'orangé. Il se serre contre moi et je le laisse faire, heureuse qu'il s'appuie sur mon corps et m'apporte sa chaleur. Le jardin des orangers, située sur la Colline de l'Aventin, est un immense parc qui offre une vue sur toute la ville qu'on ne peut que qualifier de féerique. Les orangers du parc portent jusqu'à nous une odeur qui me fait respirer avec plaisir. Les autres sorciers dans les environs ne font pas attention à nous et poursuivent leurs chemins, partant en direction des limites moldues du parc.
– En printemps, c'est plus joli. Il y a des azalées partout et ça sent… tellement bon !
– Isaak… Nous y retournerons, je lui promets.
Ses yeux brillent de fatigue et de déception.
– Ce n'était pas ce que je voulais.
Je pose une main sur sa joue mal rasée. Je sais qu'il tenait énormément à m'amener ici. Sa grand-mère maternelle est italienne et Isaak a toujours eu beaucoup d'affection pour cette ville. Il en a toujours parlé comme un enfant. Je le soupçonne même d'avoir trafiqué le globe que nous faisons tourner pour décider de nos destinations pour tricher…
– Je voulais que ce voyage soit parfait et au lieu de ça… Je suis une loque. On avait tout un programme Opaline… Toi, moi et le reste du monde pour deux mois. Je n'ai fait que dormir ces derniers jours … Tu mérites…
– Les plans changent, le coupé-je. Ce n'est pas grave.
– Mais on aurait dû visiter Rome en mai dernier et là… Tu aurais vu comme c'est beau.
– C'est déjà très beau ainsi.
J'essuie une larme au bord de ses yeux.
Isaak est un perfectionniste qui adore que tout soit toujours comme il l'entend, l'imprévisible comme le prévisible. Il se fait tant de souci à cause de son travail en tant qu'Auror…
Nous regardons le soleil se coucher paisiblement, Isaak somnole à mes côté, jusqu'à s'endormir contre mon épaule. Je ne le réveille pas. Je lui laisse ce petit répit, ce moment de quiétude qui lui fait du bien. Je caresse ses cheveux jusqu'à ce que la nuit tombe, jusqu'à ce que viennent les premières étoiles. Lorsqu'il se réveille, je lui souris tendrement et lui tend ma main :
– Rentrons.
Il hoche la tête, et nous fait transplaner.
– Ce n'est pas l'hôtel ça...
Il secoue la tête, un sourire malicieux sur le visage et nous fait sortir de la petite ruelle en empruntant un passage sortir dans les pierres de la ville. Après quelques minutes, la Fontaine de Trévi n'est pas si impressionnante que ça. L'édifice est monumental, c'est certain. Le dieu Neptune n'a pu qu'en être flatté étant donnée l'immense statue de lui qui y trône. Il y a tellement de monde que voir quelque chose est compliqué. Les lumières éclairent la fontaine et font ressortir les sculptures qui forment une dentelle de pierre, un paysage figée somptueux.
– Tu connais la légende, Opaline ? glisse Isaak à mon oreille.
Il sort de ses poches trois pièces de monnaie qu'il dispose à plat dans sa paume.
– Il faut les lancer en tournant le dos à la fontaine. Une première pour revenir un jour à Rome.
Il se fraye un chemin entre les différents touristes, avant de lancer une pièce, qui atterit dans l'eau. Je lui souris, attendri.
– Une deuxième pour tomber amoureux.
Il ferme les yeux, alors que j'éclate de rire.
– Merlin nous en préserve, plaisanté-je.
– La deuxième pièce, je l'ai jetée il y a très longtemps, déjà.
Je me hisse sur la pointe des pieds pour l'embrasser. Il se penche, incline la tête et se recule. La deuxième pièce rejoint la première.
– Et la troisième ? demandé-je.
Les mains dans les poches, je frôle l'écrin, m'apprêtant à le sortir pour faire ma demande ici.
– Isaak, je …
Isaak ouvre la bouche, rougit furieusement, les yeux plongés dans les miens. Ce moment est si intime, si suspendu dans le temps que plus rien n'a d'importance autour de nous. Il se penche pour m'embrasser, et m'enlace, me serrant fort contre lui. Je me sens aimée, chérie, précieuse et amoureuse dans ses bras. Il recule soudainement, les sourcils froncés. Des lettres de feu apparaissent devant ses yeux. Son expression change, passant de l'inquiétude, à la surprise et à la joie. Il lance la troisième pièce rapidement, avant de m'entraîner à sa suite pour rebrousser chemin. La ruelle des sorciers est déserte et il nous y fait transplaner en toute hâte.
C'est trop pour mon estomac.
Je me suis peut-être habituée à ce moyen de transport, mais de là à en supporter autant en si peu de temps…
– Isaak ? Que se passe-t-il ?
Nous traversons l'ambassade au pas de course, et Isaak commande un portoloin d'urgence sous l'œil étonné de l'agent du consulat magique italien, qui s'exécute rapidement lorsqu'il lui présente sa plaque d'Auror.
– Isaak ! Que se passe-t-il ? On ne peut pas laisser nos bagages à l'hôtel ! Il y a une urgence ?
– Oui !
– Malgré tout le respect que j'ai pour lui, Potter est un sacré …
J'ai envie de l'étriper. Vraiment. Qu'il soit l'Élu ou peu importe, je m'en contrecarre. J'allais vraiment demander Isaak en mariage, dans l'un de ses endroits préférés, et ça aurait été magique pour nous deux. Ce n'est pas la première fois qu'une de mes tentatives est interrompue à cause de Potter. La dernière fois date de notre voyage en Inde, où j'ai failli mourir piétiner par des éléphants sauvages à cause du patronus de Potter ordonnant à Isaak de rentrer immédiatement en Grande-Bretagne.
– Ce n'est pas pour le travail, chérie.
On nous présente le portoloin, nous indiquant qu'il part dans une minute.
– Ton neveu est né.
Moins d'un quart d'heure plus tard, je tiens Henry Wallergan dans les bras. Clara est exténuée et Colin a un sourire d'imbécile heureux contagieux. Ma mère et celle de Clara pleurent toutes les deux dans les bras l'une de l'autre et mon père prend des photographies du bébé sans cacher ses larmes de joie.
Isaak me regarde avec des yeux si amoureux que je ne peux m'empêcher de sourire. Il s'en va, déposant un baiser sur mes lèvres et le front de son filleul que je berce, avant de quitter la chambre pour organiser le rapatriement de nos affaires restées à l'hôtel. Je câline Henry et réajuste son bonnet d'une main , en continuant de sourire. Je lui murmure :
– Je t'aime déjà de tout mon cœur, mais franchement, t'aurais pu attendre que je demande Isaak en mariage avant de venir nous présenter ta frimousse… Je vais devoir t'apprendre l'art du timing !
