Je lis le courrier du jour et découvre une adorable photographie de Henry, qui fête ses cinq mois. Clara l'a habillé d'une petite robe d'été adorable.

Je termine mon thé en observant le paysage.

On a avancé notre voyage en France. Je n'étais jamais venue à Paris. En fait, je ne suis jamais allée nulle part. Mes parents étaient toujours très pris par leurs emplois respectifs et une fois adolescente, j'ai toujours refusé de quitter ma chambre plus de trois heures de suite, ne supportant pas les regards des autres. Maintenant que je suis tristement célèbre auprès de la population magique comme étant « la Cracmole la plus cool depuis Isaac Newton », les regards ont changé. Je suis la Cracmole qui a protégé les sorciers de la folie des Autres. Certains restent toujours un peu méfiants et dégoûtés, mais la plupart sont bienveillants.

Peut-être est-ce à cause d'Isaak, qui montre les dents chaque fois qu'un visage trop fermé s'intéresse de trop près au mien.

Je ne comprends pas pourquoi tout le monde adore Paris.

J'adore Paris.

Dans les films et dans les livres.

Parce que dans les films et dans les livres, on ne sent pas la pollution et on n'entend pas les voitures klaxonner et vrombir à toute allure dans des rues trop étroites.

Par contre, sur le papier et à travers l'écran, on ne sent pas l'odeur des croissants qui sortent du four de la boulangerie d'en face, et les scintillements de la Tour Eiffel sont indescriptibles. C'est bien dommage.

Peut-être que j'aime bien Paris finalement… Je devrais acheter un béret à Isaak quand il reviendra de sa mission. Et je me demande comment j'ai pu survivre jusqu'ici sans manger du pain à tous les repas…

Je repose mon courrier et termine de me préparer.

Isaak mène en ce moment une enquête en France. Il a obtenu une autorisation d'installation temporaire et de « regroupement familial ». Je gère les derniers papiers de la vente de la boutique au Chemin de Traverse. Elle est très bien située, pas très loin de la boutique de Fortarôme, que Poesy, la dernière représentante de sa famille, a repris il y a peu. Nilam est encore en stage chez une vieille apothicaire magique située à Liverpool, mais elle aura bientôt terminé ses études et nous savons tous qu'elle validera sa licence sans aucun problème. La seule difficulté que nous avons rencontré jusqu'à maintenant est celle de savoir si on peindra la façade en violet, comme je le désire, ou en noir, comme l'exige Nilam… J'ai hâte.

J'ai toujours été une perdante.

Quand on naît Cracmole, c'est assez difficile de se considérer autrement, surtout lorsqu'on est enfant et qu'on grandit dans un monde secret où la magie est reine. C'est plus facile d'être un enfant moldu et de découvrir une merveille, plutôt que d'être un enfant vivant dans le merveilleux et de se découvrir finalement ordinaire.

Tout le monde veut avoir des pouvoirs magiques.

Moi, je pensais qu'ils m'étaient dus.

Aujourd'hui, je me rends compte de ce que j'ai gagné avec le temps. L'amour de mes parents, de mon frère, de Justin, de mon filleul, Isaak… Mon père avait peut-être raison finalement : l'opaline est la pierre de l'amour véritable.

Je n'ai jamais voulu être celle qui ferait changer les choses. Cette responsabilité me paraissait trop lourde à porter. Et pourtant…

Je referme la Gazette du sorcier sans sourciller. Les Autres ont encore fait des leurs en Algérie, où ils ont chassé plusieurs nundus. Je ne sais pas à quoi ils jouent, ni même quels sont les plans d'Ed Richards, mais tout ça ne signifie rien de bon.

Je reste contemplative devant mes chaussures.

Je considère les personnes qui parviennent à marcher avec des talons dans des rues pavées méritent l'ordre de Merlin première classe ainsi que le respect éternel. Je dédaigne la paire vernie et noire que j'ai emmené et lui préfère mes baskets blanches, qui se marient curieusement avec ma robe noire. Je termine de sécher mes cheveux et m'en vais en direction de mon rendez-vous avec Isaak.

Il a réservé une table dans un restaurant hier, sur lequel je louche depuis trois jours. Il avait l'air si fier de lui lorsqu'il a parlé au maître d'hôtel en français pour prendre une table… Il a dû répéter au moins quatre fois sa phrase, mais ça a fonctionné !

À l'intérieur, une mélodie jouée au piano me berce. Les fleurs fraîches embaument l'espace et j'attends dans le hall en me balançant d'un pied sur l'autre, tout en faisant attention à ce que personne ne remarque mes baskets blanches qui jurent avec ma robe. La lumière tamisée est douce. Paris est assez chouette quand on apprend à la connaître. Les musées, les jardins, les arts ici et là qui se cachent partout dans la ville … Il y a énormément à découvrir lorsqu'on se balade.

– Tu es magnifique, souffle une voix à mon oreille en français.

Je voudrais le remercier mais la bouche d'Isaak fond sur la mienne. On nous emmène à une table un peu à l'écart des autres, et Isaak se marre lorsque je lui montre mes chaussures sous ma longue robe.

Il n'a plus l'air aussi fatigué que ces derniers mois, mais je sais que ce n'est qu'un leurre. Il dort mieux, certes. Cependant, je sais que ses cauchemars sont de retours. Ses yeux bleus sont préoccupés.

– Ta journée ? me demande-t-il.

Je le sens anxieux et tendu.

– Je suis allée visiter le quartier magique. Tu savais qu'ils avaient inventé un piano-cocktail magique ? Quand tu en joues, chaque note correspond à un liquide et chaque mélodie a son cocktail. C'est un certain Boris Vian qui en est l'auteur. Les moldus aiment beaucoup ses romans. J'en ai acheté un, d'ailleurs. Oh, et il faut absolument que tu viennes avec moi demain voir les mimes de l'avenue des illusionnistes ! Ils pratiquent tous parfaitement l'art de la magie muette, je n'avais jamais vu ça Isaak ! C'est impressionnant !

Un sourire naît au coin de ses lèvres et il chasse d'un coup de tête sa bouclette qui lui tombe entre les deux yeux.

– Je voudrais bien voir ça !

– J'ai cru t'apercevoir aussi, murmuré-je faiblement.

Il soupire bruyamment et enlève son manteau, faisant rouler ses endolories.

– Je sais.

Je sais qu'il sait. Nos regards se sont croisés et il s'est figé, sa baguette dans les mains. Il a marmonné quelque chose avant de disparaître. Probablement un juron ou une indication à son partenaire. Je sais que Teddy est ici également.

Nous nous taisons, gardant silencieuse un moment l'autre vérité que nous fait mal.

– Et je l'ai vue.

– Opaline…

– Tais-toi. Je t'en prie… Tais-toi.

Il serre son couteau dans sa main. Je la recouvre de la mienne et ses sourcils se défroncent.

– Tu n'es pas en colère ?

– Pas contre toi, le rassuré-je.

– Je suis désolé. Je ne savais pas qu'elle pouvait être ici. Nos dernières sources parlaient de la Finlande. J'ai déjà demandé à ce qu'on te prépare un portoloin pour demain. Je refuse que tu sois près d'elle.

– Polly ne me fera jamais de mal.

Dans la rue des mimes, j'ai seulement vu ses mèches blondes s'enfuir derrière une boutique. Nos regards aussi se sont accrochés peut-être une seconde.

– Ça fait plus d'un an maintenant que les Autres l'ont libérée d'Azkaban.

– Opaline… Si Polly est ici, c'est que les Autres ne sont pas loin.

– C'est pour ça que tu es ici ? Pour traquer les Autres ?

– Penses-tu vraiment que je t'aurais emmené avec moi si cela était le cas ? grogne-t-il en haussant un sourcil. Je ne prendrai jamais ce risque-là Opaline. De toute façon, notre enquête ne donne rien. Nous rentrerons dans deux jours.

– C'est quoi cette mission, à la fin ?

Isaak ne parle jamais vraiment de son travail. Encore moins quand il concerne les Autres. Il veut me protéger. C'est idiot de sa part. Me maintenir dans l'ignorance n'arrange en rien mon angoisse. Pourtant, il répond :

– Une disparition inquiétante.

J'écarquille les yeux en attendant qu'il en dévoile plus.

– Allénore Rameaux.

– Oh.

L'amie de Nilam aux longs cheveux et aux yeux chocolat. La gamine qui m'a demandé pardon un jour. Un pardon qui puait la culpabilité, les mensonges et la peur.

– Potter nous a demandé de creuser un peu, mais il n'y a rien à trouver. Elle a complètement disparu de la surface de la Terre.

– Quand on disparaît de la sorte, c'est qu'on le veut, Isaak. Cette fille ne veut pas qu'on la retrouve. Sinon, vous auriez trouver des indices depuis longtemps…

– Mais c'est étrange… Elle n'avait aucune raison de vouloir disparaître. Elle avait des amis, une carrière prometteuse, un petit-ami, un appartement, tout… Elle avait tout, Opaline !

– J'avais tout, moi aussi.

Il se tait et porte sa main libre jusqu'à ses lèvres, commençant à grignoter ses ongles avec nervosité.

– Dès fois, les gens ont besoin de partir pour se construire et se rendre compte qu'ils méritent tout ce qu'ils ont. Les gens ont des secrets. C'est à eux de décider s'ils préfèrent les confier ou disparaître avec eux.

Il me sourit soudainement, retirant ses doigts de sa bouche. Son pied tressaute sous la table. Mon pouce dessine des cercles sur sa paume ouverte qui se resserre petit à petit autour de ma main.

– Je t'aime.

Ses yeux détaillent mon visage alors que le sien s'illumine.

– Demain, nous passerons la journée ensemble.

– C'était chouette. Ces deux dernières semaines ont été merveilleuses Isaak… Je sais que tu as tout fait pour quelles le soient pour moi.

Le moment est peut-être mal choisi. Mais notre relation n'est pas toujours paisible et sereine. Elle est parsemée de quelques chaos et désordres que nous rangeons seuls de nos côtés, ou tous les deux en s'épaulant l'un l'autre. Elle est belle, parce qu'on s'aime.

– Détends-toi. Je t'assure que tout va bien…

Mais les yeux d'Isaak furètent partout.

– Est-ce que tu veux qu'on rentre ?

– Non, non, refuse-t-il précipitamment.

Sa jambe qui tressaute continue de faire trembler la table.

– Tu es crevé et quelque chose ne va pas…

– Non, s'il te plaît. Restons. Le gâteau à la fraise est à tomber, tu vas l'adorer ! Tu rêves de venir ici depuis des jours !

« L'Opaline apporte l'amour véritable » disait mon père.

C'est Isaak l'amour véritable. C'est ses sourcils froncés d'inquiétude. Lui qui demande un portoloin d'urgence parce qu'il sait que l'idée même d'être dans la même ville que Polly me rend triste. C'est lui qui me demande d'emménager dans la maison qui nous fait rêver. C'est lui qui me réveille quand je fais un mauvais rêves. C'est lui qui me dit quand je vais trop loin. C'est lui qui me dit d'arrêter de râler, pour lui, râler encore plus fort.

C'est nous, l'amour véritable.

Alors peut-être que la cadre n'est pas aussi magique que je l'aurais souhaité, que j'aurais mieux fait de lui demander sa main au pont des amoureux ou aux pieds de la Tour Eiffel. Entre deux baisers, et deux sourires, deux taquineries et deux regards. Mais ça, cet Isaak anxieux et tendu, c'est aussi celui dont je suis tombée amoureuse.

Je cherche dans mon sac l'écrin, le cœur battant la chamade.

Si cette soirée est notre dernière ici, je veux que l'on s'en souvienne pour une bonne raison, une qui nous fera sourire.

Un serveur arrive derrière Isaak. Il passe devant nous et jette un œil curieux dans mon sac et voit l'écrin. Sa bouche forme un « o » émerveillé et il me lance un clin d'œil. Mes joues rougissent alors que je me redresse sur ma chaise. Je replace ma serviette sur mes genoux, pour me donner un peu de courage.

La langue d'Isaak claque contre son palais. J'ai à peine le temps de me redresser, qu'Isaak s'est levé, a plaqué le serveur contre la table, la tête dans l'assiette, et pointe sa baguette sur sa tempe.

– ISAAK !

– QUI ES-TU ?

Tout le monde nous regarde dans le restaurant. La chaise d'Isaak s'est renversée et il maintient fermement le serveur à moitié couché sur la table. Il baragouine des mots en français que nous ne comprenons pas. Le maître d'hôtel s'approche, véhément et passablement en colère. Il nous demande de sortir et je tente de calmer le jeu, en secouant les épaules d'Isaak, qui se dégage à chaque fois. Ses muscles sont bandés, son visage est fermé et je l'ai déjà vu ainsi.

Lorsqu'il est en mission. Lorsqu'il porte sa casquette d'Auror.

– Eloigne-toi !

– Isaak… Ce n'est qu'un garçon de table !

– Il a fait un geste brusque !

– Pour te servir du vin ! m'écrié-je en désignant la bouteille qu'il a lâché des mains et qui s'est cassée sur le sol.

Je me penche en me contorsionnant pour qu'Isaak me regarde.

– Tout va bien… Lâche ce garçon !

– Je…

Il écarquille les yeux, se détendant petit à petit. Il renifle péniblement et me regarde, l'air piteux. Il éclate en sanglot dans mes bras et je le console comme je peux. Sa baguette lui glisse des doigts.

– Tout va bien…, je répète.

Il est si fatigué… Je ne sais pas combien de temps il reste dans mes bras. Longtemps. Les murmures se taisent petit à petit. Je fais signe au maître d'hôtel, un téléphone à la main, qu'il n'y a pas besoin d'appeler la police. Malheureusement, il ne m'écoute pas et les gyrophares ne tardent pas à illuminer le restaurant de rouge et de bleu.

– Oh misère…, marmonné-je.

– Opaline ?

– Tout va bien…, répété-je en lui caressant les cheveux et en replongeant sa tête dans mon cou.

Quand les policiers l'arrachent à moi pour l'emmener au poste, je récupère la baguette d'Isaak et la range discrètement dans ma poche. Ils veulent m'embarquer moi aussi, pour m'interroger… Je soupire, en me pinçant l'arrête du nez. Parfait…

Nous voilà bien…

Je prie le ciel pour que Teddy soit rapidement mis au courant de l'arrestation d'Isaak et pour qu'il intervienne au plus vite et fasse en sorte que les Brigades des oubliators effacent les mémoires des moldus qui ont vu un fou furieux pointer un bout de bois sur la tempe d'un malheureux serveur…

– Tu crois qu'on en rira dans plusieurs années ? me demande Isaak en baillant et encadré de deux policiers.

– Non, grommelé-je.

– Je croyais que c'était un Autre ! Il te regardait étrangement !

– Crétin…

Ce ne sera jamais que la cinquième fois que l'un de nous se fait arrêter par les autorités moldues après tout… Il faudra que je pense à faire une croix dans notre tableau des arrestations accroché sur le frigo d'ailleurs.