J'attends impatiemment qu'Isaak sorte du Bureau des Aurors. Il y a d'autres familles avec moi, qui attendent également. Colin tient Henry dans ses bras, qui dort paisiblement. Janet se ronge les ongles avec angoisse. C'était la première fois que ses deux frères partaient en mission en même temps.
Tommy est devenu un véritable Auror…
— J'espère qu'il ne leur est rien arrivé !
— C'était une mission de routine ! Je ne suis même pas sûre qu'ils aient eu affaire avec des mages noirs, tenté-je de rassurer Janet.
— Ce ne sont pas les mages noirs qui m'inquiètent.
J'écarquille les yeux sans comprendre.
— Depuis tout petits, ils sont incapables de s'entendre plus de deux minutes. Je suis au moins certaine que l'un a dû blesser l'autre…
Colin éclate de rire alors que Janet le fusille du regard. J'accroche mon bras au sien et tapote sa joue :
— Ils vont bien !
Au même moment, la porte du bureau s'ouvre sur Harry Potter et Petterson, un Auror qu'Isaak n'aime pas beaucoup. Teddy Lupin me lance un clin d'œil amical avant de rejoindre sa femme. Derrière lui, je repère enfin Tommy dont le visage s'illumine dès qu'il aperçoit celui de sa sœur. Il se jette dans ses bras et la serre contre lui, la soulevant du sol.
— J'ai empêché un meurtre, Janet. C'était horrible.
Il tremble contre elle, alors que mon cœur s'affole en constatant qu'Isaak n'est toujours pas là.
— Oh Tommy, je suis désolée…
— Tu as empêché un meurtre ? répété-je. Où est Isaak ? Mais que c'est-il passé ?
— J'ai cru que j'allais le tuer. Je t'assure. J'ai cru que j'allais le tuer ! Mais je ne l'ai pas fait ! J'ai empêché un meurtre ! Mon propre frère ! Je voulais tuer mon propre frère !
Colin éclate franchement de rire, assez pour réveiller son fils qui ouvre les yeux, soudainement curieux de tout. La voix d'Isaak résonne dans le couloir du Ministère à ce moment précis, alors qu'il ronchonne auprès de son supérieur :
— Il a presque failli nous faire repérer ! Il n'est pas prêt ! C'est un gamin !
— Hartley ! gronde Harry Potter en se tournant vers son subalterne. Il est aussi prêt que vous l'étiez à son âge. Ce n'est pas un gamin, c'est votre collègue. Considérez-le comme un Auror et on en sortira tous grandement soulagés plutôt que d'avoir peur d'apprendre que deux de nos meilleurs éléments se sont écharpés alors qu'ils étaient en planque !
Isaak en reste muet et boude dans son coin. Je le rejoins timidement appréhendant son humeur que je devine maussade. Lorsqu'il me voit, il dépose un léger baiser sur mes lèvres avant de me dire que je lui ai terriblement manqué. Je pose une main sur sa joue mal rasée et lui sourit :
— Rentrons.
Il me suit sans faire d'histoires alors que Janet console toujours son frère. Colin nous accompagne, et cède même Henry à Isaak, qui prend son filleul dans ses bras.
— Il grandit trop vite !
— Il sourit beaucoup en ce moment ! fait Colin avec fierté. Clara t'aurait bien accueilli également, mais je n'ai pas osé la réveiller. Vous passerez demain prendre le thé ?
Je secoue la tête, avec un sourire bien plus grand et beau que celui de mon neveu :
— Nous partons demain pour le Japon !
Et cette fois-ci, c'est la bonne ! Devant le mont Fuji, je lui ferai ma demande.
Isaak gazouille quelques mots à Henry tout en me gardant près de lui.
— Demain ? Cela m'étonnerait. Il y a une grève des transports magiques. Poseurs de portoloin et ramoneur magique de cheminées ont déposé un préavis il y a déjà deux jours… La fédération nationale des fabricants de balais s'est même joints à eux pour protester contre les taxes du Ministère sur les zones moldues d'arrivées.
— Putain, la poisse ! m'écrié-je.
— Opaline ! Pas devant Henry ! me reproche Isaak.
— Colin vient de nous annoncer que nos vacances partent à l'eau et toi, tu t'inquiètes des chastes oreilles d'un bébé qui n'a pas encore un cerveau assez développé pour enregistrer ce que je viens de dire ?
Isaak redonne Henry à Colin, qui porte son fils comme un trésor. Derrière moi, Isaak pose une main dans le creux de mes reins et presse le pas, me forçant à presque courir à ses côtés.
— Vous pourrez donc venir demain pour le thé ? nous demande mon frère en haussant la voix. Arrêtez de courir comme ça ! Sérieux, c'est pas cool, j'ai un bébé dans les bras ! Pourquoi vous êtes si pressés ?
— Ça fait trois semaines que je n'ai pas vu ma copine. Je te fais un dessin, Wallergan ?
Je laisse échapper un hoquet outré et le frappe à l'épaule, alors qu'indigné, Colin geint :
— EH ! C'EST MA PETITE SŒUR !
Je glousse. Isaak ricane avant de nous faire emprunter la cheminée. Avant de partir dans les flammes vertes, on entend Colin insister :
— Vous venez demain pour le thé ?
— Certainement pas, on a mieux à faire ! annonce Isaak avant de lâcher sa poignée de poudre à cheminette qui nous ramène chez nous.
Aussitôt à la maison, il me débarrasse de ma veste et mon haut fondant sur mes lèvres avec une avidité qui me donne de la fièvre.
— Faudrait qu'on parle de ce qu'il s'est passé avec ton frère…, marmonné-je entre deux baisers.
— Plus tard, grommelle-t-il.
Il fait glisser ses mains jusqu'à mes hanches, qu'il aligne aux siennes et sème des baisers le long de ma gorge.
— On a deux heures devant nous. Après ça, on sera en retard !
Je l'aide à déboucler la ceinture de son pantalon alors qu'il donne de grands coups de pied pour retirer ses chaussures.
— En retard ? Pour aller où ?
— Surprise.
— Je suis pas très fan des surprises…
— Tu aimeras peut-être celle-ci !
J'embrasse son sourire et ses yeux plein d'espoir se voile d'une joie que j'adore.
Isaak fait se poser le balai sur la terre ferme et je décroche mes bras de sa taille. Je remets de l'ordre dans mes cheveux et resserre les pans de mon manteau. Le mois d'avril est encore très frileux et la brume enveloppe le paysage d'une couverture blanche et mystérieuse.
— Où sommes-nous ?
— Ce n'est ni le Japon, ni l'Égypte, comme on l'avait prévu, mais c'est un endroit qu'on a encore jamais vraiment visité !
— Isaak… On est à trois heures en balai de la maison ! Ça n'a rien d'exotique ou de dépaysant !
Sa mine paniquée me fait fondre.
— Mais ça a l'air très bien !
— Arrête, marmonne-t-il. Lorsque j'ai entendu parler de cette grève, je suis resté muet pendant des heures. Tommy a insisté pour savoir ce qui n'allait pas et…
— Vous vous êtes disputés avec Tommy à cause de nos vacances ?
Je passe une main dans les cheveux d'Isaak et chasse cette éternelle bouclette qui lui tombe entre les deux yeux.
— Il m'a aidé à organiser tout ça en quelques heures seulement. Il a trouvé le cottage ! Tu vas l'adorer, il y a un jardin d'herbes médicinales très riches, j'ai tout de suite pensé à toi !
— C'est adorable de sa part.
— Et de la mienne ?
Il hausse un sourcil en attendant ma réponse. Je reste volontairement muette. Il est bon de ménager un peu son ego déjà si bien préservé.
— Nous sommes à Calton Hill.
C'est bien à trois heures de chez nous…
— Écoute, je sais que ce n'est pas vraiment ce que tu entends par « visiter le monde avec moi ». Mais je sais que tu n'as jamais vu la colline du centre d'Édimbourg. Tu n'as même jamais été dans cette ville ! Alors qu'elle est chez nous, dans notre propre pays.
— Maintenant que tu le dis, j'ai l'impression d'être une très mauvaise patriote, murmuré-je. Pourtant, je bois religieusement de l'earl grey tous les matins…
— Tu verras, c'est magnifique ! Surtout lorsque le soleil se couche !
Il nous guide jusqu'au pied de la colline alors qu'il fait encore jour. Les bâtiments donnent une touche de gris à toute cette verdure. Dans le ciel, plusieurs sorciers font leurs trajets quotidiens en balai.
— Il y a tant de sorciers ici…, marmonné-je.
C'est pour ça que je ne suis jamais allée en Écosse, et que j'ai toujours évité la région. Poudlard s'y trouve. Beaucoup de hameaux sorciers y sont implantés depuis la nuit des temps. C'est généralement dans ce coin ci de Grande-Bretagne que la plupart des sorciers de noble et haute naissance se sont établis. En-dehors de la demeure des Hartley, je n'ai jamais mis les pieds en écosse. Ma famille a déménagé en Cornouailles lorsque j'étais encore petite. Mon père aime trop l'air marin pour y vivre trop loin. Nous grimpons la colline, après qu'Isaak ait confié son balai à un concierge sorcier caché parmi quelques boutiques.
— T'es magnifique, Opaline.
Je dois avoir l'air d'une folle, avec mes cheveux ébouriffés par le vent et mes joues rouges.
— Je n'aime pas quand tu dis ça…, grommelé-je. Parce qu'après, tu me fais souvent une déclaration du genre « je t'ai toujours aimé, mais toi, tu n'as rien vu pendant des années tellement t'es butée et aveugle », ou « souviens toi que tu es merveilleuse et que tout ce que tu es, c'est bien assez et parfait pour moi » et après, moi, je me sens nulle parce que je ne suis pas capable de te dire des choses aussi niaises et ringardes sans vomir…
Il lève les yeux au ciel.
— Ce que tu peux être agaçante !
J'éclate de rire avant de l'embrasser.
— Bien. On visitera l'écosse.
— Tu vas adorer, me promet-il. Parce qu'en bonne patriote, tu dois de connaître ton propre pays.
— Le Japon ou l'Égypte, c'est quand même bien plus chouette.
— On ira.
— Humm…
Mais faire ma demande à Isaak devant une colline plutôt que devant le Mont Fuji, ça n'a pas la même saveur…
— Le monde peut bien nous attendre Opaline.
Je lui souris, posant mes lèvres contre les siennes.
Si je n'avais pas peur d'être trop fleur bleue, je lui dirais que peu importe l'endroit, tant que je suis avec lui…
— Opaline ? Tu es avec moi ?
Le soleil commence à se coucher. Il m'entraîne dans un coin tranquille au sommet de la colline où l'Athènes du nord s'étend en un magnifique panorama.
— Le Nelson Monument a été construit entre 1807 et 1815, et a été érigé en l'honneur du Vice-Amiral Nelson après sa victoire et sa mort dans la Bataille de Trafalgar, fait une guide touristique moldue derrière nous.
— Tu m'as vraiment manquée, ces trois dernières semaines, marmonne-t-il contre moi.
Je me laisse glisser entre ses bras.
— Tu mérites de connaître tous les endroits du monde. Même ceux qui te font peur. Même ceux habités par des gens imbus de leur personne, prétentieux et qui ne savent pas, qui ignorent tout.
— Rappelle moi où est situé le Manoir des Hartley, je te prie ? ricané-je.
— Opaline…, fait-il sérieusement. Que ce soit sur ce continent où ailleurs, j'adore être avec toi lorsque tu découvres quelque chose de nouveau, lorsque tu fais quelque chose de nouveau…
Isaak fouille dans sa poche et c'est là que je sais.
— C'est dommage que tu n'aimes pas mes grandes déclarations, parce que je voudrais te dire que…
Il sort un écrin de sa me pétrifie et me mets à crier :
— Range ça tout de suite !
Il pâlit, et reste immobile.
— Nom d'un boursouf, n'ose même pas ouvrir cette boîte, sinon je te tue ! ajouté-je en le menaçant.
Il est tout simplement hors de question qu'il me demande en mariage alors que ça neuf mois que j'attends de faire la mienne et que tout part en vrille chaque fois que j'essaie.
Le soleil qui se couche, la vue incroyable, la belle déclaration, tout est parfait.
— C'est mon moment, pas le tien !
— Je te demande pardon ?
Je fouille dans la poche de ma propre veste alors qu'il pique un fard, les joues rouges.
— AH NON T'AS PAS LE DROIT !
— Comment ça j'ai pas le droit ? sifflé-je entre mes dents. Sais-tu seulement ce que j'ai dû traverser ces derniers mois pour en arriver là ?
Non mais quel culot il a !
J'ouvre l'écrin, et prend la bague, avant de tenter de la lui enfiler à son majeur gauche. Seulement, elle est trop petite, et alors que je m'acharne, j'articule lentement :
— Tu vas être mignon et mettre cette bague. Et après tu me diras « oui, Opaline, je veux me marier avec toi » et tu me laisseras t'embrasser !
— Opaline …
— Après on ira au restaurant et on ira dans ce cottage.
— Opaline…
— Je veux voir ce jardin de plantes médicinales.
— Opaline….
— Et après, on ira dans la chambre et on fera l'amour.
— Opaline…
— Quoi ?
— C'est ta bague, celle que j'ai choisie pour toi, que tu essaies de me faire mettre.
— Hein ?
Je baisse les yeux jusqu'à ses mains et découvre une alliance, toute simple en or rose, avec un saphir de la couleur exacte des pointes de mes cheveux.
— Non c'est pas possible. J'ai récupéré l'écrin dans le tiroir à chaussettes du bas…
— C'est le mien, le tiroir à chaussettes du bas. Le tien est en haut.
— Non pas du tout ! Je range toujours l'écrin à gauche, dans le tiroir du bas.
— Et moi le mien à droite dans le tiroir du bas, soupire-t-il.
— Attends ça fait combien de temps que tu …
Il ouvre l'écrin qu'il tient encore dans ses mains, et sourit en découvrant sa propre bague de fiançailles. Il la prend et l'examine avec attention.
Ses yeux embués de larmes m'arrachent quelques battements de cœur.
Il me retire des mains la bague que je voulais lui mettre, pour me l'enfiler et j'en fais de même avec celle qu'il regarde comme un trésor. Il me serre contre lui alors que je ris, moi aussi, avec des larmes dans les yeux.
Des larmes de bonheur.
— Du coup, c'est oui ou c'est non ? me demande-t-il.
— Et toi ?
Il me sourit avec espièglerie.
— C'est oui.
— Je serais impolie de décliner, alors…, le taquiné-je.
Tout est parfait.
— Dix mois.
— Pardon ?
— Ça fait dix mois que je prépare ma demande, mais à chaque fois tu te casses la gueule dans une fontaine, tu te fais voler ton sac par un pickpocket, tu finis à l'hôpital moldu, t'es obnubilée par une statue ou tu te fais attaquer par des pies…
— Tu racontes n'importe qu...
Quelques images me reviennent.
C'est vrai qu'il m'est arrivé tout ça…
— T'es pas facile à demander en mariage, tu sais ? me reproche-t-il avant de poser ses lèvres sur mon front.
— Non mais tu te fous de ma gueule ?
Mon premier geste en tant que sa fiancée est de lui asséner un coup à l'épaule assez fort pour le faire grimacer. Le second est de lui chuchoter à l'oreille que j'ai vraiment envie de voir le jardin de plantes médicinales…
— J'ai hâte de découvrir notre prochain voyage, avoué-je sur le chemin du retour.
— Potter m'a affecté à une nouvelle mission qui va durer un certain temps. Je serai en Russie un moment, avec un magizoologiste. Mais j'ai trois mois de permission. Je pense qu'on devrait aller en Colombie. Il y a des traces de magies anciennes et des temples que j'ai toujours voulu visiter et …
Je l'écoute parler jusqu'à ce qu'il s'arrête de lui-même.
— Quoi ?
— Je t'aime.
Je sais que lui aussi, au nombre de fois où il me le répète le soir même en enlevant tous les brins de valérianes que j'ai dans les cheveux après être tombée dans les buissons.
C'est cette vie là, que je vaux. Et pas une autre.
