Hei vit trop tard le jeune policier tirer. Il évita la balle mais relâcha sa prise. Un grand sourire s'étalait sur le visage au teint crayeux de FG-302 qui en avait profité pour se ruer vers l'entrée durant la fraction de seconde ayant suivi sa libération.

- Dommage pour toi ! Avant qu'Hei ait pu faire quoi que ce soit, FG-302 avait posé une main sur le mur. Bye bye BK-201 !

L'aura bleue du synchrotron l'entoura tandis qu'une lumière rouge illuminait ses yeux clairs, et dans un bruit d'explosion tout s'effondra.

Hei lança son câble vers les balustrades en hauteur, avant que l'enfer ne fonde sur lui. Il sentit le sol se dérober sous ses pieds alors que la chute commençait. Après ce qui sembla être une éternité, son câble se tendit brutalement, signe qu'il était parvenu à se coincer à quelque chose, ce qui lui permit de ne pas heurter le sol de plein fouet. Rétabli sur un sol stable, il se mit à l'abri sous une colonne de gaz à demi-arrachée pour se protéger des débris tombant du ciel, espérant qu'elle tiendrait le coup.

Quelques secondes plus tard, tout était devenu silencieux. Hei pointa prudemment un nez hors de sa cachette. Il se trouvait plusieurs étages en bas, mais il lui était pour le moment impossible de dire de combien de mètres il avait chuté. Une partie des gravats avait été arrêtée par des poutres en métal entrecroisées au-dessus de lui, seule structure qui maintenait intacte l'endroit dans lequel il se trouvait mais qui croulait déjà sous le poids des décombres de l'immeuble qu'elle menaçait de laisser tomber plus bas. Il faisait sombre, la lumière étant presque totalement obstruée par les diverses couches de matière s'accumulant au-dessus de lui. Le seul son audible, un léger grésillement, provenait de son oreillette : sous plusieurs tonnes de béton, il était peine perdue de tenter de contacter ses coéquipiers à l'extérieur. Et pas la moindre trace d'eau en vue. En somme, il n'avait pas d'autre choix que d'évacuer ce qui restait du bâtiment au plus vite.

Parvenu à cette conclusion implacable, le pactisant se tint immobile afin d'analyser son environnement et de trouver une échappatoire. Une odeur de renfermée flottait dans les airs. Les moyens de remonter à la surface s'avéraient quasi-inexistants à première vue, mis à part des blocs de béton, des câbles électriques en tous genres, il ne voyait rien qui lui permette de se sortir de cette situation. Plissant les yeux, il aperçut soudain un mince filet de lumière provenant d'une zone sombre quelque part en face de lui. Il se munit d'une petite lampe de poche issue de la doublure de son manteau noir et, prêtant attention au moindre petit signe d'instabilité, se déplaça rapidement vers l'endroit d'où filtrait la lumière. Il contourna un imposant bloc de béton et s'accroupit, pour passer sa main dans le coin lumineux en bas. Un courant d'air. Il y avait probablement un passage derrière, mais il était impossible d'y avoir accès, à moins de trouver le moyen de soulever le bloc qui en entravait l'accès. Le bloc reposait lui-même sur une poutre métallique oblique, dont il ne parvenait pas à voir l'extrémité qui se perdait ensuite en hauteur dans les décombres. S'il parvenait à la bouger ne serait-ce qu'un peu, la voie pourrait être dégagée. Malheureusement cela requérait plus que sa seule force. Hei se releva, et inspecta les alentours, espérant trouver une autre idée.

C'est alors qu'il remarqua deux corps étendus sur le sol.

Les officiers de police. Ils semblaient inconscients. Il y avait peu de chance pour qu'ils soient en vie après une telle chute. S'approchant silencieusement, Hei se pencha vers eux lorsqu'il arriva à leur niveau. Ils avaient tous les deux un pouls, et respiraient. Impossible de savoir à quoi ou à qui ils devaient leur salut. A présent qu'il était assez près, il s'aperçut qu'il les connaissait : ils faisaient partie de l'équipe de la cheffe de police, Misaki Kirihara, qu'il avait rencontrée deux semaines plus tôt alors qu'il était sous couverture durant la fête d'anniversaire d'Alice Wang. Le pactisant ne connaissait pas le nom du plus jeune policier blond à la veste rouge, mais avait déjà croisé Saito, également sous couverture il y a deux semaines. Saito avait une plaie ouverte au niveau du front, mais il n'avait aucune idée de l'intensité du choc l'ayant causée. La plaie saignait méchamment et un hématome commençait à se former. Une inspection rapide de l'homme ne révéla aucune autre blessure apparente.

- Recule !

Un revolver était braqué sur lui. Il se redressa lentement. Le jeune policier se redressa également en titubant. Hei s'exécuta, les mains en évidence, afin de montrer qu'il n'avait pas de mauvaise intention. Le tenant toujours en joue, Kouno vérifia le pouls de son partenaire et s'attarda à son tour sur la blessure à la tête. L'air peu rassuré, son regard fit ensuite le tour des environs, avant de revenir au Pactisant. Ce dernier, muni d'une lampe de poche qu'il braquait vers le haut, s'éloignait dans l'obscurité.

- Hé, ne bouge plus ! lui intima-t-il en le suivant avec le canon de son révolver.

Cela n'eut pas l'effet escompté. Insensible à la menace, l'autre gravit un tas de blocs de pierre.

- Je te parle ! Je ne plaisante pas, BK-201 !

Le masque blanc se tourna un instant vers lui puis reporta son attention sur un point dans les hauteurs sans un mot. Finalement une voix calme et monotone retentit.

- Ça ne te sera pas très utile.

Hésitant, Kouno maintint son arme brandie devant lui. Il n'y pouvait rien, même s'il réalisait que dans leur situation, le pactisant avait raison, cela le rassurait. Peut-être pourrait-il au moins protéger Saito en cas d'attaque ?

- Pourquoi devrais-je croire que tu n'en profiteras pas pour nous tuer à la minute où tu en auras l'opportunité ?

- Vous tuer ne me serait pas très utile non plus. Je ne pourrai pas quitter cet endroit seul.

- Espèce de…

- Et toi non plus.

Cela cloua le bec au jeune policier qui ne parvint à trouver aucun argument pour lui prouver le contraire. Il n'avait absolument aucune idée de la façon de revenir à la surface avec Saito.

BK-201 se tenait là, debout, et son étrange masque blanc ne laissait échapper aucun indice sur ce qu'il pouvait bien penser.

- On dirait que tu vas devoir me faire confiance, conclut-il finalement, sa voix ne dégageant aucune émotion, comme si elle énonçait simplement la conclusion à laquelle il était arrivé après avoir analysé froidement les faits.

Kouno laissa échapper un ricanement amer, avant de ranger son arme à contrecœur.

- Effectivement, par la force extrême des choses…

Sa remarque ne déclencha toujours aucune réaction. Le policier jeta un regard inquiet vers Saito. S'accroupissant près de lui, il déchira un large morceau de son t-shirt pour éponger le sang frais coulant du front et l'arrangea pour en faire une sorte de protection dont il s'assura qu'elle tenait bien en place avant de se lever. Cette situation était ubuesque, si on lui avait dit une heure auparavant qu'il allait devoir faire équipe avec le célèbre Pactisant, il se serait probablement étouffé de rire.

- Tu as trouvé un moyen de nous faire sortir de là ? Demanda-t-il en évitant soigneusement de croiser le regard du pactisant qu'il pouvait sentir braqué sur lui à travers le masque.

BK-201 lui désigna une poutre métallique sur laquelle reposait un bloc de béton massif.

- Je pense qu'il y a un passage derrière. Si nous pouvons le faire bouger en utilisant la poutre, nous pourrons peut-être y avoir accès.

- Comment sais-tu qu'il y a un passage derrière ?

- Notre deuxième option est de passer par ici, poursuivit BK-201 en ignorant sa question – il désigna un autre endroit en l'air à l'endroit où le sol s'était effondré, laissant une étroite crevasse apparaitre entre deux morceaux de béton, eux-mêmes soutenus par un amas de poutres et pans de mur – mais c'est très instable et plus risqué.

Kouno serra les dents. Si cette partie-là s'effondrait, il ne donnait pas cher de leur peau à tous les trois. Le plan pourrait fonctionner, mais il y avait quand même un hic.

- Mais si nous bougeons cette poutre, ça pourrait quand même nous tomber dessus.

- Tout s'effondrera de toute façon si nous restons ici, ce n'est qu'une question de temps.

Il avait sans doute raison, mais le jeune policier demeurait méfiant. Il n'était pas du tout à l'aise avec le fait d'accorder ne serait-ce que provisoirement sa confiance à l'homme que son équipe et lui pourchassaient depuis plusieurs mois. A cela s'ajoutait un sentiment de trahison et de dégoût qui lui tenaillait les tripes à l'idée de s'associer avec ce criminel notoire. N'essaierait-il pas de le tromper d'une façon ou d'une autre ? BK-201 ne risquait-il pas de les laisser seuls à la minute où il n'aurait plus besoin d'eux ? Percevant probablement son hésitation, le pactisant pencha légèrement la tête, et comme s'il avait lu dans ses pensées :

- Comme tu l'as dit tout à l'heure : c'est par la force extrême des choses.

De son côté, Hei observait prudemment le jeune policier. Il avait à peu près le même âge que lui, mais probablement pas la même expérience. Il supposait qu'il y avait une différence en la théorie et la pratique en école de police. Sa peur et son indécision se diffusaient autour de lui comme un sachet de thé en train d'infuser. Étant donné qu'il faisait partie de l'équipe de Misaki Kirihara, il était habitué à côtoyer des pactisants, et il ne pouvait pas lui reprocher sa réticence manifeste à faire équipe avec lui. Autre élément d'importance donc : il était possible que leurs chemins se croisent encore à l'avenir. Il devait se montrer extrêmement vigilant et ne laisser échapper aucun indice pouvant compromettre sa couverture et trahir son identité. D'autant que le policier serait très certainement à l'affut du moindre faux pas.

- Bon, d'accord, fit Kouno en soupirant, il laissait tomber les questions existentielles, que dois-je faire ?

BK-201 ôta son manteau noir, et le posa à terre. Il positionna sa lampe de poche dans un trou apparent, de façon à ce que son faisceau lumineux reste braqué sur le potentiel point de passage.

- Enlevons déjà tout ce que nous pouvons.

Et ils commencèrent. Aucun des deux ne disait un mot pendant qu'ils déblayaient. Bien que Kouno fasse preuve d'efforts admirables pour être le plus discret possible, Hei sentait parfaitement ses yeux s'attarder sur lui. Comme il s'y attendait, malgré la situation délicate dans laquelle ils se trouvaient, le policier avait retrouvé un peu de sang-froid et avait manifestement l'intention de saisir l'opportunité unique de côtoyer le pactisant pour soutirer des indices concernant son identité. Malheureusement pour lui, il ne trouva aucun signe distinctif à se mettre sous la dent, offrant la possibilité de déterminer l'âge ou l'apparence physique du pactisant. Le policier faisait aussi de fréquents allers-retours pour voir comment allait Saito, toujours inconscient. Leur travail était ponctué par des grincements peu engageants au-dessus d'eux. Le coin supérieur de ce qui semblait être une bouche d'aération apparue enfin derrière les gravats. Quand ils eurent enlevé tous les débris qu'ils pouvaient, BK-201 attacha son câble autour de la poutre. Il s'assura qu'il était solidement attaché, et tendit l'extrémité du câble à Kouno.

- Qu'est-ce que tu vas faire ? Demanda ce dernier d'un air suspicieux

- Je vais grimper dessus.

Comprenant où il voulait en venir, Kouno saisit le câble et renforça ses appuis en pliant légèrement les genoux, prêt à tirer, tandis que Hei grimpait sur la poutre.

- Prêt ?

- Oui.

Kouno commença à tirer le câble, en y mettant progressivement de plus en plus de force. La poutre commençait à bouger un peu, mais pas suffisamment. Hei poussait également sur ses pieds tout en surveillant les hauteurs. Les grincements au-dessus d'eux s'intensifièrent. De l'endroit où il se trouvait, il s'aperçut qu'un pan de mur bien plus important que ce qu'il avait estimé reposait quasiment en intégralité sur une partie de la poutre. On ne va pas y arriver, pensa-t-il. Il y avait un risque énorme que le mur entier finisse par s'effondrer, emportant avec lui le reste du « plafond ». Il fit un geste de la main pour indiquer à Kouno d'interrompre son effort.

- Le bloc de pierre n'est pas le seul problème. On va devoir envisager la deuxième option.

- Je pensais que la première option était la moins dangereuse, protesta Kouno

- C'était le cas.

Grimper au mur opposé semblait inconcevable étant donné la fragilité de la structure. Ils allaient devoir se tracter en haut tous les deux. Hei chercha un endroit où accrocher son câble. Il remarqua une petite pièce de métal qui sortait d'un endroit partiellement intact du plafond, pièce qui était passée inaperçue jusqu'alors.

- Là, indiqua-t-il d'un mouvement de tête

Kouno avait l'air peu convaincu.

- Il n'y a pas de troisième option.

Le policier était bien au courant de cela, néanmoins il faisait bien peu confiance à ce petit bout de métal pour résister à leur poids. Il maudit intérieurement Saito de repousser continuellement le fameux régime alimentaire dont il parlait depuis trois mois.

- J'y vais en premier. Hei jeta son câble qui vint s'accrocher à la cible en métal.

- Pas question, j'y vais en premier !

Le masque blanc le fixa. C'était étrange. Un frisson parcourut le policier.

Kouno ne voulait certainement pas laisser l'opportunité au pactisant le plus recherché de Tokyo de se faire la malle sitôt arrivé en haut et de les laisser en plan derrière lui.

BK-201 lui tendit le bout du câble qui pendait verticalement des hauteurs. Kouno s'en saisit, s'attacha avec au niveau de la hanche, juste au cas où, et s'y agrippa à deux mains. Après un hochement de tête indiquant qu'il était prêt, il se concentra. Les deux hommes étaient à présent liés chacun par un bout du câble. Autrement dit : une fois dans les airs, sa vie dépendrait uniquement du bon vouloir du pactisant, et bien que cette situation ne lui plaise pas du tout, il devait lui faire confiance pour ne pas lâcher, et le laisser se crasher sur le sol.

- Quand tu seras en haut, trouve quelque chose de plus solide pour attacher le câble, je monterai ensuite, lui dit le pactisant. Il commença à le tracter.

Le câble métallique lui sciait littéralement la hanche mais Kouno s'y agrippa aussi fort qu'il put. Son cœur battait de plus en plus vite, à mesure qu'il voyait le sol s'éloigner de lui. Il pria pour que le petit bout de métal ne se brise pas... Et pour que BK-201 ne change pas d'avis et n'ait pas la sombre idée de l'électrocuter en cours de route. Non, ça ne serait pas rationnel.

Finalement, il parvint en haut et se faufila tant bien que mal dans la crevasse en prenant appui sur les parois pour progresser à l'intérieur. Le trou n'était pas large, et il ne pouvait pas voir sur quoi il débouchait, mais il y avait vraiment un passage.

- J'y suis ! cria-t-il en se détachant après qu'il soit sûr de s'être suffisamment engagé dans le conduit pour ne pas tomber, je renvoie le câble pour que tu attaches mon co-équipier.

N'entendant aucune réponse, son cœur fit un bond dans sa poitrine. Pourquoi n'y avait-il aucune réponse ? Il n'avait plus aucune visibilité sur ce qui se passait en bas. Qu'est-ce que BK-201 était en train de faire à Saito ? Était-ce son plan depuis le début, de l'éloigner, de tuer son collègue en situation de vulnérabilité, de prendre la fuite par un chemin plus sûr qu'il avait peut-être repéré sans le lui avoir dit, et de le laisser là, mourir enseveli sous une pile de gravas ? Les pensées s'emballaient à une allure furieuse dans son crâne.

- Nous devrions le laisser ici, répondit finalement BK-201 d'une voix basse, il va nous ralentir et pourrait nous faire tuer tous les deux.

- Tu plaisantes ? Je ne pars pas d'ici sans lui !

- C'est la chose la plus rationnelle à faire.

- Je ne suis PAS un maudit pactisant ! rugit Kouno furieux, soit tu m'aides à le monter, soit je te promets que je ne te laisserai pas grimper ici.

Laisser un membre de son équipe mourir ici n'était pas envisageable. En plus, si par miracle il parvenait à s'extirper des décombres en laissant Saito derrière, il serait certainement étripé de façon beaucoup plus douloureuse par la cheffe.

Kouno eut l'impression d'entendre un soupir. Il y avait du mouvement.

- Qu'est-ce que tu fabriques ? demanda-t-il en essayant de camoufler les traces de panique dans sa voix.

- Je le monte.

Le policier vit bientôt apparaitre la tête de Saito. Il le récupéra, le fit monter le plus qu'il put dans le conduit et, lorsqu'il fut certain qu'il ne glisserait pas, il le détacha. Il eut pendant une fraction de seconde la tentative de laisser BK-201 se débrouiller seul avec son câble, mais il devait bien avouer qu'il n'avait pas tellement envie de se retrouver seul, dans le noir, avec un Saito inconscient à porter. Il y avait un risque non-négligeable qu'ils ne puissent pas aller bien loin sans lui. Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, la présence d'un être qui n'était pas en proie à ses émotions comme BK-201 le rassurait à présent. Il repéra un conduit d'eau ou de gaz qui dépassait et semblait toujours bien fixé au mur, et attacha le câble.

- C'est bon, c'est attaché.

Il eut l'impression d'avoir à peine le temps de finir sa phrase que BK-201 faisait déjà son apparition, sans que cela ait eu l'air de lui coûter le moindre effort physique ou mental. Il avait récupéré son manteau noir et la lampe de poche au passage.

Hei détacha le câble. Il jeta à la dérobée un rapide coup d'œil à Saito, qui avait l'air d'être dans un état stable. Le jeune policier surprit son regard et fronça les sourcils, l'air dissuasif. Soudain, le sol se mit à trembler, ils entendirent un bruit tonitruant près d'eux, et un nuage de poussière fit irruption dans la cavité. La lumière s'obscurcit. Kouno se mit à tousser.

- Que s'est-il passé ?

- Je t'avais dit que ça finirait par s'effondrer. Nous devons avancer.

Le policier sentit une goutte de sueur faire lentement son chemin entre ses deux omoplates. Ils devaient vraiment avancer.

Ils se mirent à ramper dans le tunnel. Kouno était devant, et tirait Saito aussi vite qu'il le pouvait mais le rythme de leur progression était lent. BK-201 suivait silencieusement. Le policier s'arrêta tout à coup, respirant bruyamment. Il était en sueur. L'atmosphère était lourde.

- Est-ce que c'est moi ou ça devient plus difficile de respirer ?

Hei réfléchissait à toute vitesse. Si le plafond s'était effondré à l'endroit où ils se trouvaient, il avait peut-être condamné le seul passage d'air qui existait et il n'y avait peut-être pas d'autre source d'oxygène à l'endroit où ils se rendaient. Allaient-ils déboucher sur une voie sans issue ? Le jeune policier était probablement arrivé à la même conclusion, son visage pâlit.

- Il faut avancer, répéta Hei implacable

Kouno déglutit, comment diable faisait-il pour rester aussi imperturbable ? Il n'était pas humain ou quoi ? Il se corrigea mentalement, non il n'est pas humain, c'est un pactisant. Finalement, contrairement à ce qu'il avait pensé au début, il se dit que Saito avait peut-être la situation la plus avantageuse, il aurait bien voulu lui aussi, rester dans la douce ignorance de leur situation critique. Il reprit sa progression.

- Je vois de la lumière ! s'écria-t-il alors que son visage s'illuminait aussi

Et en effet, il y avait progressivement plus de lumière. Mais étonnamment, alors qu'ils atteignaient la source de cette lumière, l'air ne devenait pas du tout plus respirable.

Kouno s'étrangla.

Le tunnel débouchait sur une petite poche d'air dans laquelle ils ne pouvaient même plus se redresser. La lumière qu'ils avaient perçue provenait d'un néon, miraculeusement resté intact, dont l'intensité lumineuse fluctuait avec des cliquetis irréguliers. Hei inspecta les masses de pierres qui les entouraient. Derrière les pierres, plus de pierres, à ce qu'il semblait. C'était bien la fin du chemin. Il repartit rapidement en sens inverse, pendant que Kouno installait Saito en position assise pour l'aider à respirer, et prenait place à côté de lui. La fin du tunnel était à présent complètement condamnée. Hei n'avait plus la moindre idée de ce qu'ils pouvaient faire. Alors qu'il revenait, Kouno l'interrogea du regard.

- Pas d'issue, dit-il, et il s'assit

Le jeune policier expirait doucement, la bouche entrouverte. Hei se demanda s'il manquait réellement d'air ou s'il s'agissait d'une tentative pour regagner le dessus sur sa respiration et son calme.

Ils demeurèrent silencieux. Le pactisant se mit à explorer mentalement d'autres alternatives pour sortir des décombres mais pour le moment, aucune des solutions envisagée ne semblait vraiment satisfaisante. Kouno s'était mis à le dévisager ouvertement alors qu'il le voyait perdu dans ses pensées et laissa soudain échapper un petit rire qui le fit reprendre contact avec la réalité. Pour une fois, même si elle n'était pas verbalisée, le policier pouvait sentir la question derrière le masque.

- Je ne m'attendais pas à passer mes derniers moments en compagnie du célèbre BK-201, expliqua-t-il amèrement

- Tu n'es pas encore mort.

- La situation n'est pas spécialement bien engagée.

Hei pouvait sentir le désespoir de l'homme qui lui faisait face, qui se mordillait les lèvres et essayait de garder contenance. La mort pouvait être effrayante. Ai-je peur ? se demanda-t-il. Non. Il s'était trouvé dans des situations plus délicates. Il n'avait pas encore abandonné. Peut-être pouvait-il utiliser ses lames pour enlever une partie des pierres et creuser un tunnel progressivement ? Huang devait sûrement être en train de faire des pieds et des mains pour l'extirper de là ? De même que l'équipe de police pour Saito et le jeune policier ? Étant donné la quantité actuelle d'oxygène, ils ne disposaient probablement pas plus de trente minutes, peut-être une heure. Plus s'il les éliminait tous les deux.

- Peut-être que tu pourrais… Abandonner le coup du masque maintenant ? Tu ne crois pas ?

Cela semblait plus relever de la prière que de la question. Kouno était pâle, en sueur, et respirait rapidement. Il semblait être sur le point de faire une attaque de panique, et cherchait probablement une source de réconfort humaine, préférable à celle de l'être fantomatique se trouvant à ses côtés.

- Je pourrais... Mais je devrais te tuer ensuite.

Était-ce… de l'humour ? Du même type que celui de November 11, le pactisant blond avec lequel ils avaient été amenés à faire équipe récemment.

Kouno n'avait pas prévu de mourir aujourd'hui, encore moins aux côtés du pactisant qu'il pourchassait, étant qu'à faire, il aurait aussi préféré mourir d'une autre manière, l'option d'étouffer lentement et de finir asphyxié sous 6 mètres de gravas le tentant assez peu. Mais bon sang, si cela devait se passer ainsi, il devait au moins voir ce visage.

- Kouno, fit-il en tendant une main. La Pactisant sembla hésiter une fraction de seconde, avant de serrer la main tendue.

- BK-201.

Il se payait vraiment sa tête.

- Je suppose que cela signifie que ça n'est pas aujourd'hui que je verrai ton visage, fit-il sarcastique. Il se rendit compte que, même s'il n'avait pas réellement espéré que le pactisant lui montre son visage, il lui en voulait vraiment de garder son masque. Ce masque au sourire dérangeant en face duquel il allait mourir. A présent il avait une furieuse envie de dégobiller. Il aurait dû rappeler cette fille de l'autre soir, il n'aurait plus jamais l'occasion de lui dire qu'elle lui plaisait. Il n'avait pas non plus répondu à sa mère qui lui avait laissé un message il y a deux jours. Et qui allait nourrir son chat ?

Que BK-201 ait remarqué la déception du policier, ou qu'il n'en ait cure, le pactisant gardait à présent le regard fixé vers l'entrée du tunnel d'où ils provenaient. Il prit soudain la lame accrochée à sa cuisse, et, sans un mot, se mit à tailler quelque chose dans un mince interstice entre deux blocs de pierre.

- Que fais-tu ? demanda Kouno, sortant de ses élucubrations sur les regrets de sa vie

BK-201 ne prit même pas la peine de répondre, et poursuivit son étrange travail. Kouno remarqua alors un mince filet d'eau qui coulait de l'endroit où le Pactisant était en train de creuser. Plus il creusait avec la pointe de son couteau, plus le filet d'eau grandissait. Il s'arrêta tout à coup, attrapa son câble métallique, et l'attacha à quelque chose. Le masque se tourna vers lui.

- Es-tu prêt à me faire encore confiance ?

- Que ça soit clair, je ne te ferai JAMAIS confiance… Mais… Je pense que si tu voulais nous tuer, tu aurais déjà eu plusieurs occasions de le faire, alors...

- Si nous tirons là-dessus, l'endroit où nous nous trouvons va être enseveli. Mais la couche au-dessus de nous est assez mince et il y a de l'air après. Nous devrions pouvoir regagner la surface.

Kouno voulut demander d'où provenaient tout à coup toutes ces informations, mais il renonça, à quoi bon poser des questions qui resteraient une fois de plus sans réponse ? BK-201 semblait sûr de lui, et avait eu raison tout du long. Il se positionna au-dessus de Saito pour le protéger, et saisit l'extrémité du câble.

- A trois ?

- Un… Deux… Trois !

Le ciel s'effondra, et tout devint noir. Hei baissa la tête et la protégea avec ses deux bras. Une vive douleur au niveau de son épaule lui fit serrer les dents. Il entendit Kouno jurer, un bruit assourdissant, puis plus rien. L'obscurité était à présent totale, et il était difficile de se mouvoir, alors que le pactisant se sentait emmuré de toute part par le béton. Un poids lui écrasait la poitrine mais en se contorsionnant, il parvint à s'en libérer. Les mouvements étaient plus faciles à présent, tout comme la respiration. Il poussa de toutes ses forces sur ses jambes, parvint à hisser les bras au-dessus de lui, laissa ses mains se faufiler entre les débris, et les écarta. De la lumière, de l'air ! Il inspira profondément, ce qui lui déclencha une toux salvatrice. Son épaule le lançait mais il pouvait encore bouger le bras sans trop d'encombre. Tournant la tête, il ne vit personne autour de lui, exceptée la forme spectrale de Yin, émergeant d'une flaque d'eau. Merci, articula-t-il silencieusement entre ses lèvres. Où étaient les deux policiers ? Tout à coup, un tas de pierres se mit à bouger près de lui. Une main apparut. Sans réfléchir, il la saisit, et la tira des décombres. Kouno était là, et tenait fermement Saito. Les deux étaient en vie. Hei les aida à se dégager tout à fait et à se remettre debout. S'apercevant que la main gantée qui le tenait fermement était la sienne, Kouno lui jeta un regard surpris, et Hei se demanda pourquoi. Instinctivement, il vérifia rapidement son masque qu'il trouva fendillé sur le côté mais qui était par miracle globalement resté intact. Le jeune policier grimaça lorsqu'il remarqua une large plaie sur sa main. Rien de trop sérieux cependant.

Ils se trouvaient dans une pièce plus grande, et avaient de l'air. Des lumières dansaient derrière d'imposants conduits et blocs entassés devant eux.

- Est-ce qu'il y a quelqu'un ? cria une voix non loin d'eux. Est-ce que quelqu'un m'entend ? Les lumières qu'ils voyaient était celle d'une lampe torche. Probablement les secours.

- Les avez-vous trouvés ? demanda une voix féminine tendue et légèrement déformée par le talkie-walkie

- Cheffe… murmura Kouno

- Pas encore.

- NOUS SOMMES LA ! cria-t-il, DERRIERE !

- Nous… Nous les avons Madame ! Restez là, ne vous approchez pas du mur, nous allons vous dégager de là, compris ?

- Compris !

Hei et Kouno les entendirent se réunir de l'autre côté du mur, et sortir les instruments qui allaient leur servir à creuser. Si les secours étaient là, il ne fallait pas se faire d'illusion, cela signifiait que la police entourait l'immeuble. Le pactisant se mit à scanner la pièce où ils se trouvaient à la recherche d'une autre issue, ce que Kouno remarqua. Il réfléchit.

BK-201… Ils lui devaient la vie…

Ils ne découvriraient pas son identité aujourd'hui. Pas de cette façon du moins.

- Dès qu'ils seront là, j'irai avec mon co-équipier, dit Kouno, toi tu… tu pourras rester ici un peu et partir quand il n'y aura plus personne…

Le pactisant tressaillit. Était-ce un tressaillement de… Surprise ?

- Je te laisse un peu d'avance, expliqua Kouno, qui éprouva une inexplicable satisfaction d'avoir produit cet effet chez le pactisant. Sa voix laissa tout de même percevoir une note de regret, mais ne te fais pas de fausses idées, nous finirons bien par te mettre la main dessus.

Le jeune policier lui jeta un sourire, sûr de lui.

Hei lui fit un signe de tête pour lui signifier qu'il avait compris, tandis qu'un vague sentiment de confusion l'envahissait.

Il ne s'attendait certainement pas à ça.