Chapitre 6 : reconstitution
Carlos tremblait alors que Judd garait la voiture devant son immeuble. Les dépositions au bureau des Texas Rangers s'étaient bien passées, mais elles avaient été longues et éprouvantes, Washington et Makula avaient repris chaque élément, chaque déclaration avec minutie. Ils étaient revenus sur chaque élément de preuve prélevé par Humpfrey et Gordon, qu'ils avaient tous renvoyé à analyse avec des nouvelles consignes, auxquels ils en avaient ajouté des nouveaux comme l'enregistrement de la caméra de son véhicule de patrouille. Si celui-ci n'était pas suffisant pour le disculper, il permettait d'invalider la géolocalisation téléphonique puisqu'il n'avait pas pu être à son appartement et dans la voiture en même temps. À présent, il avait connaissance de l'ensemble des preuves à son encontre : son t-shirt et son jogging pleins de sang et avec son ADN dessus, la géolocalisation de son téléphone, des empreintes de semelles dans le sang de TK, une casserole recouverte de sang avec ses empreintes digitales imprimées dessus. Il y avait aussi le fait que la porte du loft était fermée à clé et que les voisins prétendaient les avoir entendus se disputer. Carlos ne comprenait pas comment ses empreintes avaient pu être retrouvées dans le sang de TK, mais il espérait qu'il aurait bientôt une explication cohérente.
Carlos ne pouvait empêcher son corps de trembler alors qu'il descendait de la voiture et qu'accompagné de Paul, Makula et Washington, il entrait dans l'ascenseur de son immeuble. Son père et Judd, n'ayant pas eu de rôle dans ce qu'il s'était passé au loft, ne pouvaient pas venir avec eux. Les scellés jaunes et noirs devant sa porte lui mirent les larmes aux yeux, mais il les ravala, ce n'était pas le moment d'être débordé par ses sentiments, c'était le moment d'être fort et de chercher des indices.
Tous mirent des gants et les inspecteurs en charge de l'enquête lui demandèrent de rester à l'entrée pendant que Paul rejouait son arrivée sur place et la découverte du blessé. Carlos regarda donc son ami frapper à la porte, essayer d'appeler le téléphone de TK, préciser qu'il l'avait entendu sonner à l'intérieur puis utiliser sa clé pour ouvrir.
La vision de son appartement, dont le sang avait été lavé et remplacé par de trop nombreuses feuilles rouges, faillit le rendre malade. Paul expliqua que TK était inconscient quand il était entré et qu'il lui avait tout de suite prodigué les premiers soins tout en appelant les secours. Il décrivit les plaies de TK, leurs formes, leurs profondeurs, leur nombre, les bleus, les os cassés et le sang, partout, au sol, sur le jeune homme, sur les meubles, au plafond. Cette fois Carlos ne put retenir ses larmes devant cette description si précise, il s'en voulait de ne pas avoir été là pour son fiancé lorsqu'il avait eu besoin de lui.
Lorsque Paul eut terminé, il vint prendre son ami dans ses bras et le serra fort contre lui jusqu'à ce que ses larmes tarissent.
"Merci d'être arrivé à temps." lui chuchota le policier alors qu'il reprenait le contrôle de ses émotions.
Ces dernières restaient à fleur de peau, mais au moins, il pouvait réfléchir et observer la scène sans qu'elles ne le débordent. Paul pressa son épaule et Carlos suivit Makula à l'intérieur du loft pour qu'il recherche le moindre objet manquant ou qui ne serait pas à sa place. Le jeune homme repéra que certaines photos n'étaient pas à leur place ainsi que certains ustensiles de cuisine. Dans leur chambre manquait son téléphone qui aurait dû être sur la table de chevet où il l'avait oublié. Soudain, un souvenir des photos qui lui avaient été montrées lui revint et il se tourna vers Paul.
"Est-ce que TK avait sa chaîne sur lui quand tu l'as trouvé ?"
Le pompier réfléchit quelques secondes avant de faire non de la tête.
"Son agresseur a dû lui prendre, il ne s'en sépare jamais."
Paul chercha alors une photo dans son téléphone sur laquelle on pouvait voir TK avec la chaîne en question et sa pièce de sobriété au bout.
"Est-ce qu'une analyse de drogue a été faite ?
- Je vais confirmer ça avec l'hôpital, répondit Washington en prenant des notes dans son carnet. Autre chose ?"
Carlos fit non de la tête et demanda s'il pouvait prendre quelques affaires avant de partir. Les inspecteurs acquiescèrent à condition qu'ils puissent lister et vérifier tout ce qu'il emmenait : quelques vêtements, des affaires de sport, des t-shirts et une écharpe appartenant à TK ainsi que son parfum.
Epuisé, il resta silencieux pendant le trajet le ramenant chez ses parents, hanté par la scène décrite par Paul, il imaginait TK l'appelant à l'aide sous les coups d'un homme armé d'une casserole. Il ne participa pas aux conversations du repas auquel assistaient pourtant Paul et Judd, ni à celles autour d'un café pour terminer la soirée, trop perdu dans ses pensées. Il resta dans ce brouillard où son homme l'appelait à l'aide sous une pluie de coups, où sa voix se brisait d'avoir trop hurlé de douleur, où ses yeux se fermaient trop fatigués d'avoir lutté contre la souffrance, où son sang s'échappait de ses blessures, emmenant la vie avec lui jusqu'à ce que le bip du cardiogramme soit un long sifflement continue.
Carlos se réveilla en sursaut sur le canapé du salon, il avait dû s'y endormir d'épuisement pendant la soirée. La pièce était plongée dans le noir, l'horloge indiquait deux heures du matin, tout était calme, sauf le cœur du jeune homme qui battait à tout rompre. Une angoisse intense qu'il ne pouvait expliquer lui tordait l'estomac et le faisait trembler. Instable sur ses pieds, il se leva et rejoignit sa chambre où il se saisit d'un des t-shirts de TK qu'il avait récupéré et se coucha dans son lit, l'odeur l'apaisant un peu. Entouré par le parfum de son fiancé, il se remémora les souvenirs des bons moments qu'ils avaient partagés et bercés par eux glissa sur les berges du sommeil. Un sommeil perturbé par des cauchemars et la crainte que celui qui s'en était pris à TK n'aille l'achever.
