Bonne lecture ! 3
Chapitre 10
« Tu peux me passer les yeux, s'te-plait ? »
Je continue de prendre mon temps pour recopier la recette que Slug a inscrit au tableau avec son écriture chaloupée qui est super agréable et lisible, comparée à celles des autres professeurs de Poudlard. Non, franchement, s'il y a bien un compliment que je devrais faire à Slug, c'est qu'il écrit bien ! Les autres ne font aucun effort ! Je crois même qu'ils font des efforts pour écrire comme des gros trolls tout dégoûtants ! Et encore, s'ils étaient vraiment des trolls, leurs cours seraient quand même vachement plus intéressants mais, non, ils n'en ont que l'écriture…
« Les yeux, Cath ! »
Bon, c'est vrai aussi que c'est dur d'écrire avec une craie mais ils le font avec leur baguette ! Un coup de poignet, et ça y est, la craie fait tout le travail alors j'aimerais bien savoir comment ils font pour écrire comme ça ! C'est sûr qu'ils le font exprès, il n'y a pas d'autres solutions…
Réginald passe son bras brutalement sous mon nez, provoquant une rature sur mon parchemin, et attrape le bocal des yeux de grenouille. Je lève un regard d'outrage teinté de colère vers lui qui est debout alors que je suis assise sur mon tabouret.
« J'te parle et tu m'ignores ! m'accuse-t-il. Depuis le début de l'heure, tu me fous des vents !
-Je parle pas aux cons, j'aime pas ça, décrété-je.
-Aux cons ?! D'où je suis con ? »
Il pose sèchement le bocal de son côté de la table et je plisse les lèvres, l'envie soudaine de lui sauter au cou comme l'un des fous de Stephen King pour l'étrangler. Ce n'est qu'un faux-jeton, un hypocrite et un imposteur. Je l'ai toujours porté haut dans mon estime, Réginald, l'un des plus proches amis de mon frère et puis, réfléchi et sympa. Je ne l'ai jamais cru capable d'être un tel connard. Depuis le début de l'année, j'ai passé toutes mes heures de potion –et croyez-moi, nous, pauvres apprentis sorciers, on en a des heures de potion dans la semaine !- assise juste à côté de lui, les mains parfois plongées dans le corps d'un poisson à tentacules des Caraïbes, en le prenant pour le prince charmant de ma meilleure amie. Celui qui pouvait faire des miracles, celui qui la comprenait si bien dans ses lettres. Alors que depuis le début, c'était qu'une imposture. Il a juste lu la première lettre, la déclaration d'amour d'une pauvre inconnue malchanceuse et l'a passé à sa copine pour se moquer d'elle.
« Bah j'sais pas, dis-je avec agressivité. Tu te trouves gentil, toi ? Freddy t'aimait !
-Ah ouais, d'accord, c'est à propos de ça, s'agace-t-il. Ecoute, Cath, j'ai rien fait, moi, ok ? C'est Susan qui a fait tout ça, moi j'étais même pas au courant jusqu'à ce que, en effet, l'affaire s'ébruite.
-C'est ta copine qui l'a « ébruitée », ça s'est pas fait tout seul, hein !
-Et en quoi, tout à coup, c'est moi le méchant de l'affaire ?
-Tu m'énerves, ça sert à rien de parler avec quelqu'un comme toi qui fait semblant d'être un ange, lâché-je en retournant à mon parchemin. Maintenant, en tout cas, je sais que tu es un con et je veux plus te parler. J'ai demandé à Slug en début de cours si je pouvais changer de partenaire mais il a refusé.
-C'est vraiment très mature comme attitude.
-Pas plus que de donner la lettre d'une fille amoureuse à sa copine.
-Tu me soules, à la fin ! s'emporte-t-il. Elle le savait, ta copine, que j'étais pas célibataire, non ? Faut arrêter de se foutre du monde ! C'est elle qui est assez stupide pour se faire des films ! »
Je bondis de ma chaise en lui criant à la figure :
« ELLE EST PAS STUPIDE ! C'EST TOI ET TA COPINE QUI ÊTES STUPIDES !
-Mis Morland ! s'indigne Slug de sa position, près d'une table devant. Enfin, qu'est-ce donc que ces cris ?! Allons bon, calmez-vous, jeune fille ! »
Je continue de fusiller Réginald du regard pendant quelques secondes avant de me rassoir et de récupérer ma plume pour continuer mon recopiage. Bouillonnant de l'intérieur. Il m'emmerde, cet abruti ! Vraiment, je vais m'énerver, là ! Je lui fais juste la gueule et il me cherche tout ça parce que je ne veux pas lui passer ces bons dieux d'yeux de grenouille ? Je suis en droit de lui en vouloir à mort et ce, à vie. Et c'est tout. Je ne traite pas avec des gens de son espèce.
De toute façon, depuis le début de l'année, pensé-je en le voyant triturer les yeux avec une minutie irritante, il n'en fait qu'à sa tête. Je lui dis de faire ça et ça pour qu'on tente des trucs sympas, et est-ce qu'il m'a une seule fois écoutée ? Bah tiens, jamais ! Parle à ma tête, mes fesses sont malades ! Tu parles d'un partenaire qui ne prend pas en compte mes avis. Je devais me douter que ce n'était pas quelqu'un de recommandable.
J'observe la rangée d'ingrédients farfelus en face de moi en tapotant la pointe de ma plume sur mon parchemin. J'ai entendu dire que les yeux de grenouille pétaradaient au contact du sang de sirène. Mauvaise alchimie, tout ça, tout ça. Je lance un regard à Régi qui m'en jette un noir, pour la route, avant de prendre un couteau et de couper son œil. Je me saisis donc du flacon d'hémoglobine de sirène et le verse dans le chaudron. Je me rassois ensuite et reprends avec bonne humeur mon recopiage.
J'aurais au moins eu mon chaudron qui explose.
xOxOxOxO
« Mais tu le connais, au moins, un peu ?
-Qui ?
-Bah ce Serpentard !
-Ah, David ! dis-je en ouvrant la porte de l'infirmerie. Non, pas trop.
-Tu crois qu'il va apprécier qu'on vienne le voir alors qu'on lui a jamais parlé avant ? »
Je regarde Fred qui a une mine gênée sur la figure, faisant courir son regard sur les lits de l'infirmerie. Elle a plutôt bien essuyé l'immense déception que lui a fait subir ce couple dégoûtant que forment Susan et Réginald, et même si je sais qu'elle est majoritairement triste, elle tient bon, ce qui est tout à fait admirable. Elle a refusé d'en reparler après la première fois, et je pense qu'elle est en quelque sorte en train de faire le deuil de la relation qu'elle avait cru réelle avec Régi. Et je pense qu'elle se débrouille bien.
« Cath ? me rappelle-t-elle à notre conversation.
-Hum ? »
J'ai quand même besoin de quelques indices. On en était où, déjà ?
« T'es sûre que c'est une bonne idée d'aller le voir ?
-David ? Bah oui ! Il est tout seul et blessé, il doit s'ennuyer à mourir ! Viens, j'le vois là-bas ! »
J'attrape la main de Fred et marche droit vers le Serpentard à la tête blonde qui est allongé dans un lit. Je le connaîtrais mieux peut-être que son visage mutilé me dirait quelque chose mais avec les marques bleues et les boursouflures, j'ai l'impression que c'est un parfait inconnu. Tout ce que je sais sur lui, c'est que c'est un Serpentard de notre classe et qu'il s'appelle David. Même son nom de famille, je ne m'en souviens plus, je sais juste qu'il est imprononçable.
« Salut, David ! Moi, c'est Cath ! Et elle, c'est ma meilleure amie, Fred ! nous présenté-je toutes les deux.
-Bonjour, David…
-Salut, les filles, nous répond-il. Merci de passer, ça fait plaisir ! »
Je lui offre un grand sourire, lançant un clin d'œil à Fred qui paraît étonnée d'un tel accueil. Pour ma part, je suis surtout surprise que sa voix soit si claire alors que sa mâchoire est sacrément marquée. L'infirmière est fortiche, y'a pas à dire !
« T'as mal comment ? demandé-je.
-Oh, j'ai plus mal du tout ! Pompom est géniale ! nous apprend-il avec enthousiasme. La fée Morgane des médocs ! J'sais que j'ai la gueule d'un scrout à pétard mais je pète la forme, je me fais surtout chier ici, j'aimerais bien sortir… »
Je ris mais fixe ses mains qui triturent sa couverture maculée. Dans les livres, les victimes ont souvent ce type de tic nerveux, post-traumatiques. Alors, à mon avis, il fait juste semblant d'aller aussi bien. Je me rapproche de la tête de lit, en observant sa jambe gauche qui est recouverte d'une mixture rouge qui ressemble à du sang séché en plus clair. Ce qui est assez captivant et glauque.
« Ca s'est passé comment ? attaqué-je. C'était où, dans un couloir ? Lequel ? »
Il me regarde puis fixe Fred qui est encore près de ses pieds avant de reporter ses yeux sur moi. Je lui souris et lui indique :
« Ca nous intéresse vraiment, on veut découvrir qui c'est !
-C'est pas un bon plan, les filles, oubliez ça...
-Tu veux vraiment qu'on oublie ça ? m'indigné-je en désignant son état.
-Je dirai rien ou ils vont revenir. »
Je fronce les sourcils et l'observe. C'est pas possible !
« Comment ça ?
-Cath, intervient Fred. C'est bon, vaut mieux qu'on s'en aille…
-Ils t'ont parlé ? Tu sais c'est qui ? Ils avaient pas la tête floutée ?
-Catherine ! s'écrie Fred.
-Ah ça, ouais, ils m'ont parlé ! fait-il d'un rire jaune. Et pourquoi la tête floutée ? »
Je le dévisage et plaque une main sur ma bouche, clouée sur place. Il m'observe sans comprendre qu'il vient de m'avouer qu'il y a d'autres gars qui tabassent les gens que les floutés.
« Oh, merlin, oh merlin ! finis-je par lâcher. Merci, David ! Faut que j'y aille mais t'es au top, merci ! Repose-toi bien !
-Ah bah de rien, c'était cool de vous par…
-Je repasserai avec des bonbons ! promis-je avant de courir vers Fred et de lui dire : J'vais voir Jamie, reste avec David !
-Quoi mais… ?
-A ce soir ! »
Et je me rue vers la sortie, affolée et surexcitée, à la fois. Si ça c'est pas un dénouement renversant, j'ai jamais lu d'Agatha Christie !
xOxOxO
« Ca devient n'imp, Cathouille.
-Quoi ?! m'acharné-je, éberluée qu'il ne m'écoute même pas. Mais non ! »
Jamie soupire avec agacement, échangeant un regard avec Dylan qui est aussi là. Après ne pas avoir trouvé mon frère ni au terrain de Quidditch, ni dans la salle-commune, j'ai compris qu'il devait être ici, dans la salle-commune. C'est de toute manière ici qu'il passe le plus clair de son temps, en ce moment, avec les autres à parler des floutés et de comment les débusquer, et rendre justice. J'y suis venue de temps en temps, surtout pour que Jamie soit content, mais certainement pas pour mon propre plaisir parce que c'est encore pire que la description que me font Fred et Chris des regroupements du Club de Slug. Ils n'arrêtent pas de rabâcher la même chose, de raconter les mêmes histoires et ils comparent les profiles des Serpentard. Ca ne ressemble en rien à une enquête criminelle !
Moi, j'y suis retournée, au couloir où les floutés m'ont trouvé et j'ai refait tout le chemin jusqu'à l'infirmerie durant lequel ils m'ont coursé ! Moi, j'ai cherché des cheveux, des empreintes ! J'ai demandé aux tableaux et aux armures, aux fantômes, et je continue de le faire ! Eux, ils font que parler, je me demande bien à quoi ça peut servir…
Jamie me pousse pour aller voir Henry et Réginald mais je cours pour me remettre sur son chemin.
« Jamie ! C'est pas eux qui ont tapé David, c'en est d'autres !
-Parce qu'ils lui ont parlé et qu'ils étaient pas floutés, c'est ça ? répète-t-il en roulant des yeux. Putain, Cathouille, c'est qui qui t'a dit ça, hein ? Un Serpentard ! Tu veux prendre pour comptant tout ce qu'il dit alors qu'ya toutes les chances pour qu'ils soient dans la confidence ?
-Dans la confidence de quoi ? m'énervé-je. Il s'est fait TABASSER ! C'est pas un complice, c'est une victime !
-Qu'est-ce qui te fait dire ça ? Arrête de gober tout ce qu'on te débite ! s'exaspère-t-il Il les a peut-être déçu ou trahi, énervé pour j'sais pas quelle raison et ils l'ont passé à tabac ! Et pourquoi ils se déguiseraient et se la fermeraient alors qu'il sait déjà tout, hum ?
-Et pourquoi ce serait si facile ?! » éclaté-je en écartant les bras.
Jamie souffle par le nez en posant ses deux mains sur mes épaules et je croise les bras sur ma poitrine, sachant déjà qu'un sermon pointe le bout de son nez. Je fais la moue. Je lui présente un indice incroyable qui peut nous ouvrir la bonne piste et il n'en veut même pas… Il se penche vers moi et me fixe de ses yeux vert olive.
« C'est pas un bouquin, Cathouille… c'est des connards qui traumatisent des élèves pour se venger, c'est des mecs dangereux et méchants, me dit-il. C'est pas une question de trouver l'histoire la plus intéressante à raconter à nos enfants plus tard.
-Mais Jamie…
-Non, Cath, j'plaisante pas là, on joue pas à Inspecteur Gadget, me coupe-t-il. Ca peut nous péter à la gueule très vite. »
Je me mordille la lèvre parce qu'il a quand même un peu raison et que je me sens un peu coupable. Peut-être que je prends ça pour un jeu alors que c'est la réalité, alors que David est bel et bien blessé et qu'il avait l'air d'aller vraiment mal. Mais ça ne change rien au fait que je sais, je le sais que ce n'est pas aussi simple ! Je le sens que ça ne peut pas être ça, qu'il y a quelque chose que Jamie ne veut pas même envisager parce qu'il diabolise les Serpentard !
« D'accord mais je sais que j'ai raison.
-Cathouille, merde ! Ok ? Merde ! Tu me fais chier ! lâche-t-il en se redressant puis, fouille dans sa poche et m'en ressors une lettre, Et tiens, une lettre de Didie ! Va la lire ailleurs ! »
Il me la colle dans les mains et je lui fais une grimace, mais il s'en va. Qu'est-ce qu'il m'énerve, parfois ! Je sais ce que je dis, quand même ! Je me rends alors compte que Dylan me fixe et il me sourit dès que je croise son regard.
« Il a un caractère de merde, ça doit pas être facile tous les jours, rit-il. Mais c'est aussi parce qu'il a peur qu'il t'arrive des bricoles.
-Oui, je sais, répondé-je avec un sourire. Je vais lire la lettre de ma sœur, à plus tard !
-Salut, Cath. »
Il part vers mon frère et je vais m'assoir au pied du mur le plus proche pour déplier ma lettre. Les autres se sont regroupés au centre de la salle pour discuter de tout sauf mon hypothèse, j'en suis sûre et ça a quand même le don de m'irriter.
« Coucou, ma grande sœur !
Maman est en train de gueuler après moi parce que je suis sortie avec Tim, hier, et il paraitrait qu'il est trop vieux pour moi… quelle hypocrisie, je te jure ! Genre, elle a pas sept ans de moins que Papa ! Mais bien sûr, c'est pas pareille et blablabla ! Mais je suis sûre qu'elle est surtout jalouse parce qu'elle est jamais sortie avec un mec aussi sexy et cool que Tim quand elle avait mon âge !
Et, OMG, Réginald est vraiment un connard ! Et un vrai soumis ! Depuis quand on fait lire ses lettres à sa copine ! Je suis TELLEMENT dégoutée ! Il a tout gâché ! Faut que Fred se venge ! J'ai pleins d'idées, d'ailleurs ! Par exemple, vous venez la nuit pour l'épiler INTEGRALEMENT et vous faites circuler les photos ! Ou alors, vous faites une de vos potions chelou pour le rendre précoce ! A chaque fois qu'il coucherait avec une fille, il devrait repenser à la fois où il a brisé le cœur d'une autre et ce que ça lui a coûté, à ce goujat ! J'étais sûre que c'était l'amour de sa vie ! En plus, maintenant, comment va faire Fred ? Les premiers amours sont les plus importants et les plus précieux, je suis tellement triste pour elle… et si elle n'aimait plus jamais comme ça ? C'est si… »
Horrible. C'est si horrible. Je n'y avais jamais pensé mais, Merlin, est-ce vraiment possible ? Y-a-t-il une réelle chance pour que Fred n'aime plus jamais comme elle a aimé Réginald ? Ca ne peut pas être vrai, c'est tellement pétrifiant. Un seul amour, une seule chance et c'est tout. Mais c'est vrai qu'il y a cette mer de tristesse dans ses yeux là où il y avait avant une source inépuisable d'espoir et de bonheur à la seule vue d'une lettre de Régi –enfin de Susan-Réginifiée. Et maintenant, tout est fichu, ruiné. Perdu.
Ma gorge est sèche et je ne sais trop comment, mais la voix d'Isabelle me revient en tête lorsqu'elle me disait combien son frère m'aimait, combien je l'avais blessé et que j'avais tout gâché. Et si j'étais le Réginald de John ? Et s'il était le seul homme qui ne m'aimerait jamais comme ça ? C'était bien ça qu'elle m'avait dit. Et comment je pourrais savoir, moi ? Je n'ai jamais aimé aucun garçon.
Je lève les yeux et vois John au milieu de groupe, sérieux et impliqué. Et mon cœur cogne très fort, alors peut-être est-ce que je l'aime. En tout cas, il me manque un peu et je suis triste qu'il m'en veuille. Et ce serait vraiment horrible si jamais plus aucun garçon ne m'aimait un jour. Si je me rendais compte plus tard que j'ai tout gâché comme ma sœur voudrait qu'il arrive à Réginald.
John tourne alors sa tête vers moi et mon souffle s'accroche dans ma gorge, angoissée et hypnotisée par tout ce qu'il pourrait représenter. Je me lève avec empressement et me dirige vers la sortie.
« J'étais sûre que c'était l'amour de sa vie ! »
Je range la lettre dans ma poche même si je ne l'ai pas encore terminée. Maintenant, je comprends comment on peut pleurer devant un film d'amour. Parce que c'est vraiment terrifiant cette perspective de ne pouvoir aimer qu'une fois.
xOxOxO
Je fixe la silhouette de John par l'une des fenêtres. Il est dans le parc avec quelques garçons, même s'il fait particulièrement moche, et je me demande de quoi ils parlent. Peut-être du bal qui approche. Je pense à la lettre de ma sœur dans mon sac et je fronce des sourcils quand la pensée qu'il ait déjà une partenaire pour le bal me vient. Imaginons qu'il soit déjà bien trop tard et que je n'ai même pas le temps de réfléchir si c'est une bonne idée ou non, d'essayer avec John ! Merlin, c'est carrément angoissant !
Une main se pose sur mon épaule et je sursaute pour me tourner vers Fred qui m'inspecte d'un œil inquiet, elle prononce mon prénom avant qu'apparaisse la tête de Chris, derrière son épaule.
« T'as l'air bizarre, fait-il. Tu regardais quoi comme ça ?
-Je pense au bal ! m'écrié-je, dramatique. Vous savez qu'il ne reste plus qu'un mois ? Et aucun de nous n'a de cavalier ! AUCUN ! C'est HORRIBLE ! Et si c'était le reflet de notre vie toute entière ?!
-Euh… ça m'étonnerait, Cath, me réconforte Fred.
-C'est la perspective du cours de Divination qui te perturbe, ou quoi ? me lance Chris avec une grimace incrédule. Parce que c'est bidon, tout ça. Il y a pas des signes comme ça, dans la vraie vie… On vit pas dans une tasse de thé, je te rassure.
-Oui, voilà, ça ne veut rien dire, » appuie Fred.
Embêtée, je les observe. Les pauvres, ils ne peuvent pas comprendre. Ils ne savent pas qu'on n'a pas le droit à l'erreur. Fred a déjà le cœur brisé, je ne peux pas lui dire qu'il est possible qu'elle n'aime plus jamais personne de sa vie. Il faut que j'arrange notre situation avant qu'il ne soit trop tard !
« Chris, tu sais pour ta cavalière, j'ai pensé à Eliza, lui appris-je. Ca se voit que tu lui plais !
-Eliza Elton ? La Sixième année ? s'étonne-t-il. J'avais jamais pensé à elle… »
Oulà. Je retiens une grimace et lance un coup d'œil à Fred qui me sourit, visiblement confiante. Et en effet, Chris finit par me dire :
« Mais pourquoi pas, elle a l'air sympathique ! Et puis, je voudrais pas tenter le destin en n'ayant pas de cavalière à ce bal si… décisif pour mon futur. »
Il me décoche un sourire moqueur et je ris, soulagée qu'il ne soit pas opposé d'y aller avec Eliza. La prof arrive alors et Chris marche déjà vers l'entrée de la salle mais je me saisis du bras de Fred pour la retenir quelques secondes, le temps de lui proposer quelque chose qui m'a occupée l'esprit depuis l'histoire avec Réginald. Et surtout depuis les derniers jours.
« Dis, Freddy… Tu veux que je t'aide à trouver un cavalier ? » demandé-je.
Parce qu'elle est jolie, et gentille, et brillante, et elle n'en aurait aucun mal à en trouver pleins mais elle ne cherche pas, et je ne sais même pas si elle y a pensé, d'en trouver un qui ne serait pas Régi. Et que je trouve ça trop triste et trop déprimant, tellement fataliste. Moi, je ne veux pas que Régi soit l'amour de sa vie, ni l'amour d'une de ses vies parallèles. Parce que je la veux heureuse dans n'importe quel univers parallèle dans lequel elle existerait. Et que je peux peut-être l'aider à essayer.
Un sourire grandit sur ses lèvres et elle hoche de la tête. J'acquiesce à mon tour, en lançant un joyeux « D'acc » et on entre en cours, les dernières, fermant la porte derrière nous.
Je sais pas si le bal serait vraiment le reflet de notre vie future mais, honnêtement, je ne veux pas prendre de risque.
xOxOxO
Je porte mon regard au réveil qui trône sur ma table de chevet et une vague de soulagement se déferle en moi quand je me rends compte qu'il est enfin sept heures et demie, c'est-à-dire une heure convenable pour se lever. Je viens de me réveiller mais la dernière fois que je me suis endormie, il était quatre heures et demi, et avant ça, je ne dormais pas trente minutes d'affilée sans me réveiller. Autant dire que j'ai vraiment passé une mauvaise nuit. J'ai essayé de dessiner des ombres inquiétantes dans le noir, d'imaginer un vampire près de moi ou une présence démoniaque, sous mon lit, mais rien n'y faisait, je n'arrivais pas à concentrer mes pensées plus de quelques secondes là-dessus. Je n'arrivais pas à avoir le cœur qui battait et la peur qui me donnait ses frissons si agréables, je ne pensais qu'à Isabelle, à John, à Cindy. A Fred et Réginald, à Chris avec Marianne. Même à Isabelle à nouveau mais vis-à-vis de mon frère. Et c'est vrai. C'est vrai qu'aucun d'eux – ni Fred, ni Chris, ni Jamie, ni Isa, ni même John, de ce que j'en sais- ne se sont remis de leur déception amoureuse, alors, je me demande si Cindy et Isa n'ont pas raison. Et au fond, j'ai toujours voulu être amoureuse, savoir ce que ça faisait mais je ne me suis jamais donnée les moyens, pas vrai ?
Je me lève, fatiguée mais alerte, et je farfouille dans mon armoire pour en prendre un slim gris, un débardeur à dentelle et un gilet brun, des chaussettes et des sous-vêtements, et me dirige vers la salle-de-bain. Il est sept heures et c'est le week-end, et pourtant, je suis debout en train de m'habiller… Je soupire, me lance un vague coup d'œil dans le miroir et reprends mon habillage.
Une fois habillée, je sors de la salle-de-bain puis de mon dortoir. Maintenant que j'y réfléchis, j'ai sans doute raison de me sentir coupable vis-à-vis de John. Il était mon ami et quand il m'a avouée ce qu'il ressentait, je ne lui ai pas même laissée une chance, même pas un « peut-être » ou un « je sais pas… », je n'ai même pas envisagé. Et pourtant, ce n'était pas comme si j'étais déjà avec quelqu'un, comme Réginald… c'est pas vraiment une façon de traiter un ami, hein ?
Je traverse la salle-commune quasi déserte et la quitte, en le temps d'à peine une minute, puis prends la direction de la Grande Salle, même si je n'ai pas faim. Il a dit que je faisais semblant de ne pas voir ses signaux, est-ce que c'est vrai ? Est-ce que je me forçais à les oblitérer de mes pensées ? Est-ce que c'est seulement possible de se convaincre d'être aveugle ? Je crois bien me rappeler qu'une fois, Fred elle-même m'en avait parlé, qu'elle le pensait intéressé par moi mais je n'y ai tout simplement pas prêté attention…
Je monte les quelques marches qui mènent au Hall qui est déjà plus habité que l'était ma salle-commune, mais je passe mon chemin et passe les portes de la Grande Salle où seulement une quinzaine de personnes sont là. Mais bon, il n'est que dans les environs de huit heures et pour un samedi matin, c'est vachement tôt.
J'allais me rendre à ma table quand je vois John à celle des Gryffondor. Je me crispe et hésite. Je ne sais pas trop ce qu'il pense de moi, maintenant. S'il m'en veut comme je sais que Chris en veut à Marianne de ne pas même l'avoir considéré une seconde. Mais, après tout, on a le droit de changer d'avis ! Plus encore quand on est ado !
Je hoche la tête et sers le poing pour me donner du courage ; oui ! je ne vais pas me laisser abattre comme ça ! Je vais au moins essayer et on verra bien ce que ça fait ! John est peut-être l'homme de ma vie, l'amour de ma vie, celui que je présenterai à Cindy aux prochaines vacances ! Et s'il m'aime autant que le prétend sa sœur, alors je veux savoir ce que ça fait.
Je marche donc droit vers lui et il se tourne pour me regarder avec étonnement quand je m'assois à côté de lui. Mais son visage prend les traits de l'animosité après quelques secondes et il m'aboie :
« Tu fous quoi, là ?! Ca fait deux mois que tu me calcules plus !
-Non ! protesté-je, accusatrice. C'est toi qui m'as fait la gueule parce que je t'ai mis un rateau !
-Putain ! jure-t-il. Tu viens te foutre de ma gueule ?
-Quoi ? m'étonné-je avant de secouer les mains pour lui assurer : Mais non ! Au contraire, je viens parce que tu me manques ! Et que je suis désolée ! »
Il me regarde, la bouche entrouverte, puis il devient suspicieux et s'enquit :
« Sérieux ?
-Oui, affirmé-je. Et… j'aimerais savoir si tu serais d'accord pour aller au bal avec moi ?
-T'es pas croyable ! » fait-il en m'attrapant le visage des deux mains.
Je ferme les yeux par réflexe, m'attendant qu'il me colle un coup de boule pour l'outrage, mais je sens ensuite ses lèvres plaquées contre les miennes et bientôt, sa langue s'infiltre entre les miennes. Et c'est chaud et humide, et mon ventre réagit comme si on me racontait une bien bonne histoire d'horreur, et je ne sais pas trop si c'est parce que j'ai peur, ou impressionnée, ou dégoûtée, ou excitée, ou prise de court. A vrai dire, et c'est bizarre, mais je pense que c'est un peu tout à la fois. Il s'éloigne enfin et je me passe la langue sur ma lèvre en le regardant me sourire pour la première fois depuis ce qui me parait une éternité. Il a l'air tellement heureux ! Alors, tous mes doutes s'évaporent.
« J'y vais avec toi si t'acceptes d'être ma copine !
-Tu viens de m'embrasser, alors je suis ta copine, non ? »
Il éclate de rire avant de me caresser la joue et de me lâcher le visage. Il se sert du bacon, s'en met un dans la bouche et me répond :
« Tu connais vraiment rien aux mecs, hein, chérie ? T'inquiète, ça va venir. »
Je m'accoude à la table et souris en le regardant mâchouiller son bacon. Je lui en pique un morceau et il me lance un clin d'œil. Je ne sais pas ce qui va venir mais je suis préparée au pire.
A vrai dire, pire c'est, mieux c'est !
