Chapitre 2
- Sam ? Sam, allez, debout. Hé, tu m'entends ? Sammy ! Debout !
Dean avait lui-même bien du mal à mettre en pratique l'injonction faite à son frère, étendu sur le flanc non loin de lui. Nauséeux, la migraine lui martelant la tête et l'esprit plus embrumé qu'au lendemain de ses plus mémorables beuveries, il restait assis sur le sol en béton, jambes tendues, ne semblant plus vraiment se rappeler la marche à suivre pour se remettre sur ses pieds. Dans un grognement sourd, aussi éteint que celui qu'il avait poussé une minute plus tôt, Sam se mit toutefois à remuer un peu plus vivement, et à force d'efforts il réussit péniblement à se redresser, le buste à quarante-cinq degrés, un bras en béquille et l'autre main pressée contre sa tête qui lui faisait un bruit de cloches.
- D...Dean ? fit-il les yeux presque clos, comme au réveil d'une nuit bien trop courte.
- Qui tu veux que ce soit ? tança son frère avec le soulagement de le voir reprendre conscience. Le Prince Charmant ? Allez, Blanche-Neige : c'est l'heure de se lever.
Il donna l'exemple en s'efforçant lui-même de se relever, mais une fois debout il eut besoin de reprendre son souffle car la pièce se mit à tourner dangereusement. Il se sentait vaseux, comme en sevrage de quelque substance étrangère, mais il était entier, ils l'étaient tous les deux, et pour l'heure c'était le plus important. D'un regard inquiet et désorienté, Sam se releva péniblement à son tour, et lorsqu'il réalisa que son frère et lui se trouvaient toujours dans l'atelier du port, dont les deux bateaux et la barque en réfection dévoilaient à présent des détails insoupçonnés sous l'action de la lumière du petit jour qui pénétrait par le toit de verre, il demanda :
- Tout est redevenu normal... Tu crois qu'ils sont partis ? Ah, j'ai l'impression d'avoir fait un rêve sous acide...
Dean lui adressa un regard étonné et, tout en le voyant se masser les tempes, lança d'un ton aux échos moqueurs :
- Dis-donc, c'est à Stanford que t'as goûté à ça ? Tu ne m'as pas tout dit sur ton passage là-bas, on dirait... Ça va ?
Sam lui rendit son regard et hocha la tête, le front barré de rides d'inquiétude.
- Ça va, assura-t-il. Et toi ? Ta tête ?
- T'en fais pas, minimisa-t-il d'une moue de dédain en tamponnant du bout des doigts sa plaie croûtée. Un pansement et ce sera réglé.
Sam hocha la tête en se promettant de jeter un œil plus tard à la blessure de son frère, qui reprit :
- En tout cas on dirait bien qu'on est tout seuls, oui... Bordel, mais sur qui on est tombé ? Je suis même pas sûr de ce qui nous est arrivé ! T'as compris quelque chose, toi ?
Le mouvement de tête confus qu'eut son cadet montra à Dean qu'il partageait son incompréhension, mais aussi qu'il cherchait déjà à trouver la solution de l'énigme.
Chose que manifestement, il ne pourrait faire ici.
- Ok, suggéra l'aîné des Winchester d'un air renfrogné en misant bien davantage sur l'intellect de Sam que sur les indices qu'ils ne trouveraient pas parmi outils et pots de peinture. Y'a plus rien pour nous, ici. Tirons-nous avant que les gens d'ici rappliquent...
(Une vague odeur d'ammoniac lui agressa soudain les narines, l'incitant à renifler sa manche.)
- ... ou qu'on retombe dans les pommes à cause de ces odeurs de dissolvant, finit-il en haussant les sourcils d'un air marri.
En arrivant à Gloucester, la veille, Sam et Dean avaient pris une chambre au Sea Lion Motel, un établissement agréablement situé qui étaient loin de compter parmi les pires qu'ils avaient visités. La partie la plus select de l'endroit offrait même l'usage d'une vaste piscine tournée vers l'océan, et Dean s'était plaint de se trouver ici à cette époque de l'année, lorsqu'il avait vu le bassin. Pour l'heure, cependant, la piscine lui était totalement indifférente, car c'était d'un bac bien plus petit dont il avait besoin. Quelques minutes après leur départ du port, il gara l'Impala devant le bâtiment oblong où ils logeaient, et entra directement dans la chambre qu'ils occupaient, au rez-de-chaussée, passant devant son frère en jetant ses clés de voiture sur la petite table près de l'entrée, pour dire sur un ton impérieux :
- Je fonce prendre une douche, je ne peux pas tenir une minute de plus.
Il ôta son blouson avant de le lancer dans un coin de la pièce, sur une chaise, et pesta ostensiblement :
- C'est quoi, les produits qu'ils mettent sur ces bateaux ? Du concentré de cancer en pot ? Ça empeste pire que le cul d'une goule !
- Vas-y, va te doucher, dit Sam en fermant la porte derrière lui. De mon côté, je vais...
Il ne termina pas sa phrase et, pris d'un soudain étourdissement, partit s'asseoir au pied d'un des deux lits disposés côte à côte au centre de la pièce. Dean l'observa un instant, l'air inquiet, et en le voyant cligner étrangement des yeux il s'enquit prudemment :
- Hé, ça va ?
Sam, les épaules voûtées, hocha la tête.
- Ça va, t'inquiète pas, rassura-t-il. J'ai... juste la tête qui tourne encore un peu, mais ça va passer.
Sans être tout à fait certain qu'il pouvait le croire, Dean opina légèrement du chef, acquiesçant d'un silence soucieux.
- Je suis à côté, reprit-il au bout d'un instant. Appelle-moi si ça ne va pas.
Sam hocha de nouveau la tête puis son frère gagna la salle de bain, au fond de la pièce.
Ce fut un Dean tout neuf qui en ressortit près d'une demi-heure après. Ses cheveux courts encore humides, un simple t-shirt blanc et un jean propre pour tous vêtements, il portait à bout de bras son paquet de linge sale comme le cadavre d'un putois décomposé. Il fut soulagé de voir que son frère avait apparemment repris du poil de la bête, puisqu'il le trouva assis devant la table, le nez dans son ordinateur. Dean ne put réprimer un petit sourire de contentement, et lança en revenant dans la chambre :
- Je crois bien que j'ai dû éponger au moins un litre de détergent quand Poil de Carotte m'a envoyé valser. Je te préviens, si la laverie n'arrive pas à faire disparaître cette puanteur de mes fringues, je fais un malheur. En tout cas, la douche est du tonnerre.
Sam, qui avait repris des couleurs, leva les yeux pour observer son frère qui alla entasser ses affaires près de la porte, en vue d'un départ imminent pour le nettoyage. Dean, le coin du front désormais marqué d'une petite plaie propre, croisa son regard en se retournant et, d'un geste du menton, lui demanda :
- Comment tu te sens ? Ça va mieux ?
Il alla prendre place à table à côté de Sam, tournant la chaise vers lui, et tandis qu'il s'y assit dans un soupir lourd, affalant son coude sur le plateau, son cadet répondit :
- Bien mieux, oui. C'est ton odeur qui a dû me monter à la tête, alors... laisse pas ça ici trop longtemps, ok ?
Son trait d'humour lui valut un regard réprobateur et la royale ignorance de Dean, qui ne pipa mot.
- Tiens, je suis allé chercher de quoi manger, enchaîna Sam en désignant le sac en papier posé derrière son écran. Ça devrait être à ton goût.
- Le petit-déjeuner, se réjouit Dean en posant un regard joyeux sur le sachet. Enfin une bonne nouvelle.
Il se saisit du sac et, les yeux ronds de gourmandise, eut l'insigne plaisir d'y trouver quatre gros beignets, ainsi qu'une généreuse part de tarte qui lui fit esquisser un sourire de bonheur. Il ne se sentait pas d'un appétit féroce mais, pouvoir encore savourer le goût des choses simples, après la peur qu'ils s'étaient fait tous les deux, avait quelque chose de réconfortant et de nécessaire à l'apaisement.
- Tu cherches des infos sur les Jonas Brothers ? s'enquit Dean après la deuxième bouchée, l'air déjà plus tendu et avec un dédain affiché, tout en sachant bien que c'était ce que son frère était en train de faire. Tu as quelque chose ? Balance tout ce que t'as, Sammy, parce que franchement... J'en suis encore à me demander ce qui s'est passé.
Les bras croisés sur la table, lèvres pincées et front soucieux, Sam secoua légèrement la tête puis, avoua à regret :
- Non, je... Rien encore, j'en ai peur. Je... J'essaie de recouper le peu d'infos qu'ils nous ont données, de chercher dans la descendance de Cronos qui ils pourraient être mais...
Il eut un soupir nasal sec et bref, dépité, avant de poursuivre :
- La variété des mythes est au moins égale au nombre d'enfants qu'il est censé avoir engendrés.
- Ok, fit Dean d'un hochement de tête contrarié. Autant dire que c'est mal parti... Qu'est-ce qu'on peut faire, alors, de quelle façon on peut les retrouver ?
- Les retrouver ? Dean, on n'a même pas la moindre idée de qui ils sont. Si on se fie à la mythologie classique, indiqua-t-il en regardant l'écran de son ordinateur portable, en plus des dieux les plus connus du panthéon grec comme Poseidon, Zeus ou...
- Celui-là, coupa Dean en levant le doigt, il a eu son compte.
- Zeus n'est pas le seul descendant du Titan, Dean. Il existe à coup sûr d'autres dieux aussi retors que lui, sans parler de toutes les divinités ou demi-dieux, ou même des créatures fabuleuses dont Cronos est censé être le père, comme le centaure Chiron, le mentor d'Achille.
Dean arrondit les yeux et se fendit d'une de ces observations dont il avait le secret :
- Achille... Celui de Brad Pitt ?
Sam lui adressa un regard moralisateur et répliqua :
- Dean, je suis sérieux. A part le fait qu'ils soient apparemment frères et qu'ils se soient désignés comme étant... fils de Cronos, les indices sont minces. Et on ne sait même pas s'ils nous ont dit la vérité, alors pour ce qui est de les retrouver je ne vois comment tu veux qu'on s'y prenne.
- Je ne sais pas s'ils nous ont dit la vérité mais, vu leur arrogance, je leur donne leur médaille de dieu coincé du cul sans problème ! s'exclama Dean avec mépris. Et comment on va s'y prendre, je vais te le dire : à l'ancienne, comme on l'a toujours fait. En enquêtant, en fouillant dans des vieux bouquins et en faisant marcher le réseau. Y'a forcément quelqu'un qui connaît ces types ou qui sait où trouver l'info, y'a forcément un moyen de les piéger et de les tuer. On a déjà connu ça avant.
Sam recula un peu sur son siège pour caler son dos dans le dossier et ouvrit un instant les bras en signe de bonne volonté, avant de consentir :
- Ok, faisons ça... Ça coûte rien d'essayer, ça me va. Je vais continuer de chercher, et toi tu...
Il se tut subitement, fixant son regard au-dessus des yeux de Dean, qui l'observa un moment avant de lancer :
- Quoi, qu'est-ce qui y'a ?
- Ta plaie, répondit son frère en se levant. Elle s'est rouverte. Attends, bouge pas, je m'en occupe.
Dean retira deux doigts rougis de son front tandis que Sam partit chercher la trousse de premiers secours en entendant son frère protester que la blessure n'était qu'une simple égratignure. Muni de ce dont il avait besoin, Sam revint ensuite jusqu'à lui en rétorquant :
- Ce n'est pas parce que ce n'est pas grave qu'il faut laisser saigner.
Il déplaça légèrement sa chaise pour pouvoir s'asseoir bien en face du blessé, puis imbiba une compresse d'alcool pour tamponner la plaie.
- Hé, maman, je suis assez grand pour le faire tout seul, si tu n'as pas remarqué, bougonna l'aîné des Winchester.
- Apparemment tu ne t'y es pas pris aussi bien qu'il l'aurait fallu, puisque ça s'est rouvert... Regarde ton épaule, elle est toute tachée.
Dean tira le tissu pour voir son t-shirt effectivement maculé de deux grosses gouttes de sang frais et ne répondit rien, se contentant d'afficher une moue agacée. Il laissa son frère nettoyer et couvrir l'estafilade d'un pansement épais, ce qui ne prit qu'une minute, puis se leva en requérant :
- Passe-moi une chemise, tu veux ? Quitte à rentabiliser le prix de la nuit, leur machine à laver va tourner pleins gaz.
Il se débarrassa de son maillot souillé pendant que Sam alla attraper une chemise à carreaux sur le haut du sac que son frère avait laissé au pied de son lit. Il se retourna ensuite pour effectuer le chemin en sens inverse et vit Dean, torse nu, occupé à lâcher négligemment son t-shirt sur la pile de linge sale. Sans même y réfléchir, Sam se fit aussitôt la remarque que son frère paraissait être dans une forme éblouissante ; dans un silence attentiste, le cadet approcha doucement, histoire de laisser à son aîné le temps de lui réclamer sa chemise et, pendant plusieurs secondes, Sam maintint sur Dean un regard insistant par lequel il sembla le détailler consciencieusement.
- Merci, fit ce dernier en prenant la chemise pour la passer aussitôt.
Par paresse d'en défaire les quelques boutons fermés, il l'enfila par le haut, plaça ses bras dans les manches, et l'ajusta de quelques gestes rapides. Toujours sous le regard de Sam qui n'avait pas bougé.
- Bon, je vais porter tout ça à la laverie et en profiter pour passer quelques coups de fil. Tu as du linge à laver ?
C'est le regard insistant de son frère qui fit réagir Sam, l'air figé et distrait.
- Je... Non, dit-il en se raclant la gorge, cherchant à paraître tout à fait naturel, je... Je dois prendre une douche, d'abord.
Dean le regarda un court instant, notant sans mot dire qu'il semblait un peu ailleurs, avant de décider :
- Bon, bah c'est toi qui apportera notre linge à la laverie, dans ce cas.
Et, d'ajouter en s'emparant du sac de beignets et de ses clés de voiture :
- Je vais téléphoner, au cas où on aurait de la chance pour savoir qui sont les trois guignols. Et vérifier qu'on a bien laissé les vitres de mon bébé ouvertes, pour éviter que l'odeur de poisson crevé fasse cailler les sièges. Tu as fini ?
Comme Dean levait le sac en papier, Sam comprit qu'il l'interrogeait sur sa part du petit-déjeuner.
- Non, c'est bon, tu... J'ai mangé, tu peux finir, confirma-t-il d'une mine un peu pincée.
- Ok, fit son frère, non sans satisfaction. A tout de suite.
- Dean, attends.
Celui-ci lâcha la poignée de la porte sitôt saisie et se retourna vers Sam qui le visait d'un regard empreint d'une certaine curiosité. Il patienta un moment, en vain, que son cadet poursuive, puis lui demanda :
- Quoi ?
Sam ouvrit la bouche pour former un mot mais s'arrêta d'emblée. Il plissa un peu les yeux, paraissant scruter ceux de son frère avec suspicion, et finit par lancer :
- Dis-moi, tu... Tu as repris la muscu, récemment ?
L'étonnement fut tel que le visage de Dean parut s'affaisser. Il afficha une mine cocasse, et répéta :
- Quoi ?
- Je sais pas, reprit Sam d'un petit sourire intrigué. Tu as l'air... plus large d'épaules qu'avant, un peu plus... massif.
Le visage brièvement éclairé par le compliment, Dean baissa discrètement et instinctivement les yeux, comme s'il pouvait s'admirer à travers le tissu de sa chemise. Sans même s'en rendre compte il se redressa, raidissant son dos, et alors qu'il s'apprêta à répondre en prenant la remarque au pied de la lettre, son sourire flatté fit soudain place à une mine déconfite.
- Très drôle, Sammy, cracha-t-il d'un regard outré. C'est à cause des beignets, c'est ça ? C'est ta façon de me dire que je dois faire attention à ma ligne ?
L'air endeuillé, il visa le sachet et fit deux pas pour le lâcher au-dessus de la table, non sans omettre de décocher à son frère un regard aussi réprobateur que théâtral.
Sur ce, il sortit de la chambre sans ajouter un mot, tournant ostensiblement le dos à un Sam décontenancé... puis revint en trombe, à peine la porte fermée, pour aller plonger la main dans le sac en papier et en ressortir le beignet le plus gros qu'il se fourra dans la bouche.
Dean reparut une vingtaine de minutes plus tard, sa vexation oubliée et remplacée par la déception de n'avoir pu joindre les chasseurs près desquels il avait espéré pouvoir obtenir quelque piste immédiate. Il avait même essayé d'entrer en contact avec Castiel, mais l'ange s'était montré sourd à son appel. Sortilège d'invocation, prison mystique, arme déicide, tout aurait pourtant été bon à prendre, et s'il était encore réticent à quitter la région, au cas où subsistait toujours une chance de coincer les triplés dans les parages et de les empêcher de nuire à nouveau, il commençait à accepter l'idée qu'un retour au bunker pour de plus solides et plus longues recherches allait sans doute s'imposer.
Lorsqu'il revint dans la chambre, il jeta ses clés sur la table comme il l'avait fait plus tôt et constata que la pièce était vide. L'eau coulait dans la salle de bain, et il en déduisit que Sam était sous la douche. Supposition confirmée par les vêtements que le plus jeune des Winchester avait laissés au pied de son lit, et qu'il avait pris soin de plier sommairement même s'il s'agissait de linge sale. La coquetterie fit hausser les sourcils de son frère, qui comprenait mal l'utilité du geste ; il pénétra plus avant dans la chambre, atteignant et dépassant son propre lit pour stagner devant celui de Sam, et outre la chemise et le jean que ce dernier avait retirés, il remarqua un caleçon sombre roulé en boule.
Pendant une seconde, l'esprit de Dean parut divaguer, l'œil fixé sur le sous-vêtement et traversé d'idées bizarres, mais bien vite il s'en désintéressa de lui-même quand, l'air dédaigneux, il revint à lui.
Il pivota pour revenir sur ses pas et aller s'étendre un peu sur son lit mais, au moment où la porte de la salle de bains passa dans son champ de vision, le hasard lui fit remarquer qu'elle n'était pas totalement fermée. Resté entrouvert, le panneau de bois blanc laissait en effet apercevoir un mince bandeau de ce qui se trouvait à l'intérieur ; c'était par cet interstice que se propageait clairement le bruit de l'eau qui coulait, mais aussi par lui que l'œil de chasseur de Dean perçut une série de mouvements. Sans réfléchir ni évaluer la nécessité de son geste, il s'approcha un peu pour mieux voir et, l'angle de vision se modifiant ainsi pour placer sous son regard la cabine de douche, il vit presque immédiatement son frère qui, derrière la vitre, frictionnait son corps nu pour en chasser la sueur et la poussière de la nuit passée.
Du fait de leur promiscuité permanente, les Winchester avaient déjà eu l'occasion de s'apercevoir dans le plus simple appareil, ou presque. Ils s'étaient également surpris, à l'occasion, en galante compagnie, et s'étaient même dévêtus mutuellement lorsqu'il avait été nécessaire, parfois, de s'occuper dans l'urgence des blessures de l'autre, qu'ils avaient tous deux collectionnées par dizaines. Aussi, face à cette vision du corps dénudé de Sam, Dean se serait habituellement détourné dans l'indifférence, le laissant à ses ablutions... mais, pour une raison qui lui échappa - et à laquelle, de fait, il ne songea même pas - il en fut cette fois tout autrement.
Non, cette fois, Dean s'immobilisa complètement et laissa l'image de Sam verrouiller son regard. Les pupilles dilatées, il balaya le corps de son frère des pieds à la tête, à l'exception de ses parties intimes opportunément occultées par la large poignée de la porte en verre placée à une hauteur stratégique, et le sang circulant avec davantage de vigueur dans ses veines, il fut aussitôt frappé par la forme olympique qu'entretenait son cadet. Dean savait depuis longtemps que Sam était une force de la nature, taillé comme un athlète de l'antiquité avec sa haute taille et sa solide musculature et, pour ne rien gâcher, doté d'un charme et d'un sex-appeal ravageurs. Mais en le voyant se doucher avec vigueur, l'aîné des Winchester ressentit une sorte de trouble, une fierté latente, comme la soudaine prise de conscience que la beauté de son frère, qu'il avait vue s'amplifier année après année, était encore plus grande que ce qu'il avait entrevu jusqu'ici.
Il passa ainsi un temps indéfini à détailler ses longs bras épais, dont les biceps massifs roulaient sous la peau mouillée. Il observa les larges épaules de Sam, qui se mouvaient pour dévoiler de temps en temps ses aisselles sombres, quand le cadet levait les bras pour chasser l'eau de ses cheveux mi-longs, et agrandit son regard lorsqu'il vit le poitrail de son frère de pleine face, ses puissants pectoraux, aux tétons bruns et pointus, luisant d'une eau chaude qui en avait assombri la pilosité modérée. Lorsqu'il se retourna, c'est ensuite son dos bien charpenté que Sam offrit à la vue de Dean, qui garda le regard braqué sur les muscles marqués ondulant avec grâce. Sam pivota encore, permettant cette fois à son frère de s'attarder, l'œil vitreux, sur la musculature extraordinairement ferme de son abdomen, puis il ferma subitement les robinets, ouvrit la porte en verre de la cabine et laissa les yeux de Dean plonger littéralement sur son sexe désormais parfaitement visible.
Le plus âgé des Winchester avait toujours estimé que Mère Nature s'était montrée des plus généreuses à son endroit, mais force était de constater qu'elle n'avait pas voulu désavantager l'un des frères au profit de l'autre. Sa respiration provisoirement suspendue, Dean accrocha son regard au large pénis de Sam qui trônait sous sa toison rase, notant le sillage que décrivaient les plus grosses veines à la surface du membre souple et charnu, et il ne put s'empêcher de remarquer, avec un étonnement complaisant, que la peau lisse des bourses opulentes de son frère, aussi rondes qu'elles semblaient lourdes, était totalement dénuée du moindre poil.
Un tressaillement inattendu fit soudain frémir l'entrejambe de Dean, et y réagissant aussi sèchement que s'il avait ressenti la piqûre d'un insecte, il jeta un regard effaré sur sa braguette. Poussé à reprendre pied par cette réaction totalement imprévue, il s'éloigna alors en catastrophe de l'embrasure de la porte de la salle de bain et alla se jeter sur son lit, à demi couché, jambes tendues et mains croisées sur son bas-ventre. Que lui était-il donc passé par la tête pour se laisser ainsi aller à rêvasser sur la plastique de son propre frère ? Pourquoi avait-il d'ailleurs tant tardé à tourner les talons ? Ces questions étaient tellement prégnantes qu'elles semblaient tourbillonner dans ses yeux écarquillés, et l'air choqué qu'il affichait aurait même pu faire sourire Castiel, tant ses traits caricaturaient son expression habituelle.
Bientôt, il sentit sa physiologie revenir à un état normal, et en éprouva un soulagement certain, alors que Sam était probablement en train de se sécher et de se vêtir. Dean laissa ses yeux glisser doucement vers la petite porte blanche, et sans crier gare s'imposèrent à lui ces nouvelles questions : Sam était-il vraiment déjà habillé ? Ou bien encore occupé à éponger l'eau qui faisait luire son corps ? Avait-il couvert son torse ciselé ? Caché ses deux belles bourses glabres ? Comme si ces pensées, aussi fugaces et insidieuses qu'un début d'endormissement, l'avaient lentement fait glisser vers une torpeur vaporeuse, Dean se sentit en train d'esquisser un sourire malgré lui et, d'un seul coup, se raidit de tout son être pour bondir tel un diable sorti d'une boîte.
- Oh allez, c'est bon, là !
- Dean ? appela Sam depuis l'autre pièce. Qu'est-ce qui se passe ? Tout va bien ?
L'aîné des Winchester sursauta de panique et manqua de renverser la lampe posée sur le chevet, qu'il ne rattrapa qu'au prix d'une périlleuse acrobatie. Et d'une voix qu'il s'efforça de faire paraître la plus naturelle possible, il lança à son frère :
- Ca... Ça va, Sammy, tout baigne !
Puis, deux tons plus bas :
- Ouais, tout baigne...
