Dean ressentit subitement le besoin d'aller prendre un grand bol d'air frais et quitta précipitamment la chambre en ramassant ses clés de voiture. Il souffla un grand coup, en laissant le vent marin lui caresser le visage, et passant la main dans ses cheveux rendus humides par les sueurs froides qui l'avaient saisi il choisit ensuite d'aller se réfugier dans l'Impala, où il s'assit derrière volant en claquant sèchement la portière.

Là, il se sentit en sécurité et au calme pour repenser froidement à ce qui venait de se passer. S'il voulait être honnête avec lui-même, et reconnaître comme les siens certains arpents de son jardin secret, il avait déjà pensé à Sam, volontairement ou non, en des termes autres que strictement fraternels. Des rêves étranges sans forme clairement délimitée, des pensées incontrôlées parties comme elles étaient venues, des fantasmes fugaces suggérés par de trop lourdes ivresses, s'étaient manifestés en quelque occasion mais de manière inoffensive, presque à son insu, comme un résidu de pensée qui aurait aléatoirement pris cette forme. Comme un sous-produit dénué de signification de son activité cérébrale. Vivre avec son frère vingt-quatre heures sur vingt-quatre, dans les conditions et les circonstances invraisemblables qui composaient leur quotidien, lui avait toujours paru constituer une explication logique aux égarements de tous types de son esprit et il vivait très bien avec ça.

Seulement, les choses avaient cette fois été moins abstraites ; pris des contours plus nets qu'il n'avait pas anticipés, et puis il y avait bien longtemps qu'il ne s'était plus surpris à divaguer de la sorte. Balayant en un instant l'éventualité de s'auto-psychanalyser, il décida qu'il avait juste besoin d'un moment pour digérer l'émoi inattendu qu'avait éveillé la nudité de Sam, car il admettait à part lui, en conscience, que ce qu'il avait éprouvé, ainsi que les images qu'il avait surprises, ne lui étaient guère désagréables. Il ne lui en fallut pas plus pour revoir défiler devant ses yeux le torse musclé de son frère, son dos large aux flancs plongeants sur le cambré de ses reins, son sexe charnu dont l'extrémité du gland à demi-découvert semblait encore lui piqueter la rétine et, pour ne pas s'égarer à nouveau, Dean souffla profondément. Il plaqua les deux mains sur son visage, se frictionna joues et paupières tout en poussant une sorte de borborygme incantatoire, et dès qu'il rouvrit les yeux il sursauta d'une terreur sans nom, manquant de se fracasser le crâne sur la vitre à demi levée lorsqu'il vit Castiel assis immobile à ses côtés, à la place du passager.
- Bordel, Cass...! Tu sais que j'ai perdu l'habitude que tu te pointes comme ça sans prévenir ?!
- Bonjour, Dean, fit l'ange en imperméable, du regard et sur le ton presque inexpressifs qu'on lui connaissait habituellement.
Dean s'accorda un moment pour reprendre son souffle en toisant son acolyte de biais. Puis, l'effet de surprise se dissipant, il reprit d'une voix passablement rassérénée :
- Non, vraiment, faut que tu arrêtes de jouer les Houdini, c'est pas bon du tout pour le cœur, tu sais ?
L'œil perçant, Castiel l'observa un court instant, sans rien dire, avant de laisser son regard se fixer à travers le pare-brise sur un groupe d'arbres qui, plus loin, se balançait au gré du vent.
- J'ai cru que tu ne m'avais pas entendu, fit alors Dean. Il y a au moins une demi-heure que je t'ai appelé.
- Je sais. Je suis venu dès que j'ai pu, j'étais... indisponible.
- Indisponible ? répéta-t-il en le regardant avec perplexité. Je ne t'ai pas appelé sans raison, tu sais, je peux savoir à quoi tu étais occupé ?
Castiel tourna la tête vers lui en affichant une mine qu'on aurait pu qualifier de guindée, s'il n'avait de toute façon pas déjà l'air affecté en permanence. L'ange eut un petit geste du menton, parut chercher ses mots, puis décida d'aller au plus simple et à l'essentiel, comme toujours, en avouant sobrement :
- J'étais... aux toilettes.
Il dodelina tout doucement de la tête en regardant Dean qui le dévisagea d'un air consterné. Le temps parut suspendu, les deux hommes l'un face et l'autre, jusqu'à ce que l'aîné des Winchester, totalement désarmé, levât les yeux au ciel en se demandant pourquoi il avait posé cette question.
- Ok. Je veux pas en savoir plus, fit-il.
- J'ai eu envie... de goûter une paella, tenta tout de même de justifier Castiel pour dissiper le malaise. J'ai trouvé le goût très... plaisant, alors j'ai demandé plusieurs assiettes, mais... je crois que ça a un peu perturbé le fonctionnement interne de mon corps.
- J'ai dit que je voulais pas en savoir plus, ok ? vitupéra Dean, déconfit, en levant une main en un signe sans équivoque.
Son ami prit acte et se tut. Le chasseur secoua la tête de stupéfaction, le coude sur la portière et le menton entre ses doigts, avant d'entendre Castiel lui demander d'un ton prudent :
- Enfin... je suis là, maintenant. Tu as besoin de mon aide ?
Dean fit glisser son regard dans sa direction, et au terme de quelques secondes, exposa succinctement :
- Avec Sam on est tombé sur un os, hier soir. Un gros, gros os. On a besoin de tes lumières, oui, parce qu'on s'est pris une sacrée déculottée. Des triplés en costard, un blond, un brun, un roux... qui te balancent à travers la pièce ou qui font apparaître des... flammes, ou des torches, ou qui arrivent et repartent dans un brouillard noir... Ça te dit quelque chose ?
Castiel riva un regard scrutateur sur Dean et sembla fournir un effort inhabituel pour tenter de décrypter les propos qu'il venait d'entendre.
- Peux-tu... répéter ce que tu viens de dire ? pria-t-il.
- On s'est retrouvé en face de ces trois types et on s'est fait balayer, ok ? s'agaça Dean dont la patience avait connu des jours meilleurs.
- Les... triplés ? Le blond, le brun et le roux ? s'assura Castiel.
- Ils ont prétendu être des dieux, soupira Dean. Les fils de Cronos.
- Le Dieu du Temps ?
- Non, l'autre Cronos ! Le Titan. Le père de Zeus, Zeus à qui on a bien mis la misère, d'ailleurs. Est-ce que tu es courant de quelque chose à propos d'eux ? Qui ils sont ? Comment on les zigouille ?
Castiel hocha la tête d'un air pensif. Il n'était pas certain d'avoir parfaitement compris ce que son ami lui avait raconté mais il pensait avoir cerné l'essentiel, et répondit :
- Ça ne me dit rien... Mais je vais chercher. Quant à trouver un moyen de les tuer, les dieux païens sont en général sensibles à des matériaux sacrés, que j'aurais sans doute moins de mal à trouver que vous. Pour ça aussi je vais me renseigner.
Dean se sentit soulagé. Il inclina la tête, et donna une tape fraternelle sur l'épaule de Castiel, qui accueillit le geste avec perplexité.
- Merci, Cass. Je ne peux pas t'en dire beaucoup plus, ils ne nous ont pas donné de nom, ils n'ont pas dit non plus ce qu'ils faisaient dans le coin... Ils sont juste apparus au milieu de trois barbecues pour raconter qu'ils rendaient service aux humains et qu'ils apprécieraient qu'on les laisse faire leur boulot.
- Sam va bien ?
Dean lança par réflexe un coup d'œil vers l'ange, puis confirma :
- Oui, il va bien.
- C'est en les combattant que tu t'es blessé ? demanda Castiel en posant l'index sur le pansement qui couvrait le front de son camarade.
Une vive lumière blanchit brièvement la tempe de Dean qui sentit les élancements provoqués par sa blessure disparaître instantanément.
- C'est guéri, reprit Castiel.
- Hé bah, merci, fit Dean en décollant le pansement. Oh, Cass, heu...
Il prit un sourire un peu gêné avant de poursuivre :
- Sans vouloir abuser, et puisque tu es là... Avec ce coup sur le crâne, j'ai l'impression de... d'avoir un peu les idées embrouillées, tu vois... T'as rien vu d'anormal ? Tout... Tout est en ordre, là-dedans ?
Castiel observa son ami d'yeux plissés, semblant s'interroger sur la vraie raison de cette demande alors même qu'il était incapable de voir malice. En toute sincérité et de façon la plus factuelle possible, il déclara :
- Il n'y a rien dans ta tête qui ne soit pas à sa place habituelle, Dean.
- D'accord, ok, remercia celui-ci d'un petit rire balourd. C'était juste pour être sûr.
- Je te laisse, si tu n'as rien d'autre à me dire. Je te tiendrai informé lorsque j'aurai découvert quelque chose. Salue Sam de ma part.
Il disparut alors aussi brusquement qu'il était arrivé et laissa Dean bouche bée, les mots qu'il avait pensé dire lui restant dans la gorge maintenant que plus personne n'était là pour les entendre.

C'est toutefois l'esprit quelque peu apaisé, réconforté par le soutien de Castiel, que Dean retourna dans la chambre qu'il partageait avec son frère. Sam était occupé à remettre de l'ordre dans son sac d'un air distrait, debout près de son lit comme s'il s'attendait à devoir s'interrompre soudainement, et en voyant son frère reparaître c'est ce qu'il fit, faisant deux pas dans sa direction en l'interrogeant :
- Qu'est-ce qui se passe, tout va bien ? Je t'ai entendu râler, et le temps que je sorte de la douche tu n'étais plus là.
L'ainé des deux frères avisa son cadet d'un mouvement de tête, approchant d'un pas plus ou moins détendu. Il constata que Sam, jean sombre et t-shirt pourpre sur le dos, s'était totalement revêtu.
- Non, c'est rien, ça va, c'est... J'ai réussi à dégoter un peu d'aide, Cass est sur le coup. Il te passe le bonjour... et tu ne devineras jamais où il a passé la dernière demi-heure.
- Cass ? s'étonna Sam en écarquillant les yeux, sans prêter attention au reste du message. Il était là ?
Sam n'attendit pas la réponse à la question qu'il avait posée et avança jusqu'à Dean, remarquant subitement que sa blessure avait complètement disparu.
- Petit cadeau de notre ami à plumes, expliqua l'intéressé.
Comme Sam lui frotta le coin du front du bout du pouce, presque par instinct, son frère fit grise mine et le chassa d'un geste, plus brusque qu'il ne l'avait voulu.
- Pas la peine de me tripoter, ça va, je te dis.
Sam prit acte et, l'air vaguement embarrassé, mit ses mains dans ses poches, comme s'il venait de les surprendre à un endroit où elles n'auraient rien eu à faire.
- Bon, et qu'est-ce qu'il a dit ? demanda-t-il. Il est au courant de quelque chose ?
- Il va se renseigner, fit Dean en allant s'asseoir sur le bord de son lit, tourné vers Sam et vers l'intérieur de la pièce. Donc, en attendant, il faut qu'on décide de ce qu'on fait de notre côté. T'as une idée ?
Sam retroussa la lèvre inférieure en haussant les épaules.
- Je vais continuer à chercher des infos, mais ce qu'on peut faire est limité, ici. Avec l'accès aux bouquins du bunker, ce serait autre chose. Mais...
- Ouais, enchaîna Dean d'un air contrarié, qui avait bien conscience du problème. Pas loin de vingt-quatre heures de route pour rentrer. Je voulais rester un peu, pour ne pas rater l'occasion de coincer les trois pingouins, mais si on n'a aucune piste...
- Si on part du principe qu'ils sont bien ce qu'ils ont dit être, analysa Sam en s'asseyant sur son propre lit face à son frère, et qu'ils ont fait ce qu'ils ont dit, il y a de toute façon une possibilité pour qu'ils ne soient plus dans les environs. On pourrait peut-être attendre un peu, d'ici demain, histoire de se reposer, de rester vigilants à ce qui se passe autour de nous et de voir si Cass trouve quelque chose... Sinon, on rentre.
Dean hocha ostensiblement la tête, l'air d'évaluer positivement le bien-fondé de la conclusion.
- Ouais, t'as raison. Si tu savais à quel point ça me frustre, de ne pas pouvoir leur courir après et d'effacer leur petit sourire supérieur...
- Oui, je te comprends, dit Sam d'un air soucieux. Tu sais, j'ai essayé de me repasser le film de ce qui s'est passé et... même si certains détails restent un peu confus, je me demande à qui on a vraiment eu affaire. Dean observa son frère d'yeux quelque peu perplexes, avant de lancer, flairant que la réponse risquait de ne pas lui plaire :
- Normal que tu te le demandes. Ils n'ont fait que s'écouter parler, à part leur pedigree on n'a rien. Pas de noms, rien ! Et si finalement t'as compris quelque chose à leur charabia hésite pas à me mettre au parfum.
- Non, justement, c'est... Dean, tenta d'expliquer Sam en se penchant un peu vers lui, je ne sais pas si tu as remarqué mais ils n'ont pas agi comme on est habitués à ce que ça se passe la plupart du temps. Ils nous ont désarmés, menacés... essayé de nous intimider, mais ils ne se sont pas montrés si dangereux que ça.
- On voit que c'est pas ta tête qui a servi de marteau de gong, rappela Dean d'un sarcasme amer.
- Non, d'accord, mais... Ce que je veux dire c'est que s'ils avaient voulu nous tuer, ils n'auraient eu aucune difficulté à le faire. Ils nous ont forcés à lâcher nos armes sans lever le petit doigt, ils ont... fait tomber cette espèce de brume et déployé leur scène comme par magie, ils t'ont envoyé valser sans...
Sam s'arrêta brusquement et fronça plus fortement les sourcils alors que son regard se perdit dans les flux intenses de sa réflexion. Il venait de penser à quelque chose, Dean le comprit d'emblée, et s'ensuit avec impatience :
- Quoi ? Qu'est-ce qui y'a, Sam, à quoi tu penses ?
Ce dernier leva les yeux vers son frère puis les laissa dévier de nouveau, alors que son cerveau s'employait manifestement à faire quelque rapprochement ou à soudain regarder les choses sous un autre angle.
- J'en sais rien encore, c'est peut-être juste un détail... Un truc qui me revient. Il faut que je vérifie quelque chose.
Il se leva prestement mais, chancela presque aussitôt. Pris de court par le brusque vertige qui assaillit son cadet, Dean eut tout juste le temps de se dresser sur ses pieds pour le soutenir en lui encerclant les épaules et, inquiet, lui dit :
- Hé, hé, hé ! Sammy, qu'est-ce que t'as ? Assieds-toi, assieds-toi. Doucement, vas-y, assieds-toi.
Sam s'agrippa aux bras de son frère et se laissa lentement couler sur le lit, secouant la tête pour dissiper l'étourdissement, qui parut s'apaiser aussi vite qu'il était survenu. Il prit quelques rapides goulées d'air, les doigts serrés autour des biceps de Dean, qu'il tarda à lâcher.
- Ça va mieux ? demanda ce dernier d'yeux anxieux.
- Ça va mieux, assura Sam, plus pâle.
- T'en es bien sûr ? insista son frère, toujours penché sur lui. T'as pas vraiment bonne mine, frangin.
- C'est... C'est rien, je... Je me sens un peu bizarre depuis la nuit dernière, mais ça va aller, t'en fais pas.
Dean choisit de lui faire confiance en dépit de son inquiétude et recula d'un pas, laissant Sam se relever lentement lorsqu'il s'en sentit la force. Après tout, lui-même ne se sentait pas nécessairement tout à fait comme d'habitude, et il accepta de laisser son frère gérer la situation comme il l'entendait.
- Laisse tomber les recherches pour le moment, conseilla-t-il. Repose-toi, ça vaut mieux.
- Ok, concéda Sam d'un bref hochement de la tête. Je vais aller prendre un peu l'air, et... je vais en profiter pour faire la lessive. Ça me dégourdira les jambes.
- Ça marche. Appelle si t'as besoin, ou... Enfin, je suis pas loin.
La sollicitude et l'expression soucieuse de son frère firent plaisir au cadet, qui l'assura d'un sourire et d'une franche tape sur l'épaule qu'il n'avait pas besoin de s'en faire. Ils échangèrent un long regard complice, puis Sam soulagea du poids de sa main l'épaule de Dean, qui le regarda ramasser le linge et sortir de la chambre en l'accompagnant d'un petit sourire bienveillant.

De fait, s'aérer le corps et l'esprit sembla constituer le traitement idéal pour Sam, qui se sentit revivre dès les premières secondes où il remit le nez dehors. Le fond de l'air marin chargé d'embruns parut agir comme un baume lorsqu'il le respira à pleins poumons, et en parcourant du regard les alentours il prit le temps d'observer la végétation qui alternait avec les petits bâtiments attenants. Le ciel, jusqu'ici plombé, tendait à s'éclaircir un peu, et après avoir jeté un coup d'œil à l'Impala dont il vit les vitres entrouvertes, Sam profita de croiser un autre résident pour lui demander aimablement la direction de la laverie, qui était toute proche. Son linge sous le bras, il se dirigea ainsi vers le lieu indiqué tout en se faisant la remarque qu'en effet, les lieux étaient bien plus cossus et agréables que les endroits qu'ils fréquentaient d'ordinaire. L'attrait touristique des baleines proches, notamment, n'y était évidemment pas étranger, et même si Sam n'aurait pas refusé de profiter d'un tel spectacle, il ne perdait pas de vue que son frère et lui étaient là pour de tout autres motifs qu'un tour en bateau ou la visite du mémorial de pêche.

Il ne faisait pas bien chaud, mais le jeune homme avait pourtant l'impression de s'être remis à transpirer, malgré le fait qu'il ne portait qu'un t-shirt, lequel mettait d'ailleurs très en valeur la robustesse du haut de son corps et la platitude totale de son ventre. Il se sentait un peu vaseux, bien que bien plus réveillé que tout à l'heure, mais c'était comme si, en écho aux étourdissements qui le tourmentaient depuis l'aube, il peinait à conserver les idées claires et à empêcher ses pensées de divaguer. Il aurait aimé retrouver toute sa concentration et sa clarté d'esprit pour affronter le plus efficacement possible la problématique qui se posait à Dean et lui, mais d'autres sollicitations, bourdonnantes comme un bruit de fond, avaient tendance à parasiter ses réflexions et à l'accaparer sur des sujets qui n'avaient pas grand chose à voir avec leur affaire.
Des sujets où son frère occupait la plus grande place, pour ne pas dire la seule.
Le fait de l'avoir aperçu torse nu tout à l'heure avait fait tout resurgir, sans violence mais avec la même intensité que celle qui avait accompagné certaines de ses plus vives pensées. Aussi loin qu'il pouvait s'en souvenir, il avait toujours voué à son frère un respect et une admiration sans failles ; d'abord, chaque fois que Dean avait veillé sur lui lorsqu'ils étaient tout jeunes et séparés de leur père, parfois pendant des jours, par le modèle de rage de vivre et d'optimisme, ensuite, souvent feint mais réconfortant, quand l'adolescence avait changé l'un avant de commencer à regarder vers l'autre, et par cette image de force et de bravoure, enfin, que l'aîné avait maintes fois déployée dans l'adversité, sur le terrain d'affrontement, y compris face à des situations à priori désespérées. Toutes ces années passées auprès de son frère, à arpenter les routes pour protéger leurs semblables de périls inconnus du commun des mortels, n'avaient pas toujours été faciles. C'était un doux euphémisme. Mais chaque crise surmontée ensemble, chaque danger contrecarré côte à côte, avait rendu leurs liens, déjà indéfectibles, quasiment fusionnels. Pour autant, l'amour que Sam vouait à Dean n'avait jamais confiné à idolâtrie, car comme il avait conscience des qualités et des forces de son aîné, le plus jeune des Winchester savait aussi ses failles et ses faiblesses.
Mais il aurait menti en niant qu'il lui était déjà arriver d'imaginer, à l'occasion, partager avec Dean davantage qu'un voyage sans fin, qu'une bataille éperdue, ou qu'un périple entre Enfer et Paradis, au-delà même de la mort, du tourment éternel ou de la résurrection. Laissant parfois son esprit folâtrer sans brides, il avait ponctuellement bravé la morale en se voyant franchir par l'imaginaire des limites proscrites, juste le temps d'un battement de cil, sans savoir pourquoi ni envisager pour autant un seul instant de voir la concrétisation des idées absurdes qui avaient pu spontanément germer dans sa tête sous l'action de quelque indéfinissable stimulus, mais c'était arrivé, même si ces pensées secrètes n'avaient fait que lui traverser l'esprit, comme en défiance à la bien-pensance. Il ignorait le nombre de fois où cela s'était produit, cependant il y avait déjà bien des années qu'il était parfaitement au fait du pouvoir de séduction de Dean, ce qui ne le gênait aucunement car il savait pouvoir en avoir conscience sans que cela ne revête une signification particulière. Sam ne doutait plus de lui depuis longtemps ; il avait sa part d'ombre et ses secrets, comme tout être humain, mais n'était pas gouverné par eux. Il savait qui il était, proclamait son hétérosexualité sans hypocrisie, bien que moralement ouvert à toute inclination, et n'avait pas étudié pour ignorer combien la psychologie humaine était infiniment complexe. Alors, que dire de ceux qui avaient été envoûtés, possédés, torturés, tués, ressuscités et confrontés aux pires cauchemars hantant le monde ? Si de tels hommes n'étaient pas déjà devenus fous, il ne le seraient jamais ; ça n'était pas ce qui préoccupait Sam.

Non, ce qui le préoccupait, ce n'était pas de savoir si certaines pensées irrationnelles, presque oniriques, dont il avait toujours tu l'existence, s'imposaient à lui en raison de quelque cassure de l'esprit ; il savait mieux que personne combien son expérience avec Lucifer l'avait armé, de ce côté-là. Ce qui lui posait actuellement question, c'était plutôt la vigueur avec laquelle ces pensées inconséquentes lui étaient revenues, et pourquoi elles semblaient cette fois s'obstiner à lui rester attachées alors qu'elles n'avaient toujours été qu'un flash éphémère, sporadique, tantôt aussi brillantes que l'éclair ou d'un éclat plus doux que celui des étoiles d'hiver.

Arrivé à la laverie, il croisa une jeune femme qui venait de terminer sa lessive et qui lui adressa un chaleureux merci tandis qu'il lui tint la porte. Resté seul dans la petite pièce où s'alignaient plusieurs machines, il posa sa pile de vêtements sur l'une d'elles et plongea la main dans sa poche, espérant y avoir laissé quelques pièces et se reprochant de ne pas y avoir pensé avant lorsqu'il vit les fentes destinées à recueillir la monnaie nécessaire à la mise en marche des appareils. L'odeur de savon qui emplissait l'atmosphère était très prononcée, et Sam vit que l'endroit ne manquait pas de détergents de toutes sortes ; il trouva dans sa poche arrière les cents qui lui étaient utiles, commença par vider vestes et pantalons avant de les jeter dans l'un des tambours puis, ses finances étant suffisantes, il décida de laver le reste des vêtements dans la machine d'à côté. Chemises, t-shirt, chaussettes... Il envoya chaque pièce une à une dans le second lave-linge, puis mit la main sur le maillot taché de sang de Dean et se figea un court instant, l'image du torse glabre et dessiné de ce dernier lui revenant puissamment en mémoire. Sam revit les muscles souples et fluides de son frère se mouvoir comme s'il l'avait devant les yeux, et en s'efforçant de chasser ce souvenir troublant il enfouit le maillot blanc tout au fond du tambour, espérant y abandonner aussi les fourmillements qui lui chatouillaient le ventre, même si la sensation ne lui était pas vraiment désagréable.
C'est alors qu'il s'apprêta à ajouter le seul vêtement qu'il lui restait, mais quand ses yeux en reconnurent la nature, il sembla pétrifié.

La pièce de tissu noir était pourtant d'une totale banalité. Sauf qu'il s'agissait du boxer de Dean. Il était posé là, sur le sommet du lave-linge, sous le regard fixe de Sam qui l'encadrait de ses mains crispées qu'il paraissait ne plus parvenir à bouger, et il n'aurait pas cru pouvoir se sentir ébranlé à ce point par un simple sous-vêtement. Alors que son estomac eut l'air de se contacter jusqu'à se réduire à la taille d'une noix, Sam sentit son rythme cardiaque s'accélérer fortement et une vive chaleur lui envahir le cou. Fébrile, sa main droite consentit la première à lui obéir de nouveau, et la gorge serrée il se saisit de l'objet par un bord, aussi précautionneusement que s'il avait dû désamorcer une bombe ou déplacer un serpent à sonnettes. L'étoffe apparut particulièrement souple, flasque, presque élastique, caractéristique des fibres déjà portées et détendues par la chaleur et l'humidité corporelles. Le souffle fébrile, Sam la déplia d'un geste lent et, plus il lui rendit sa forme anatomique, plus il sentit la chaleur le gagner jusqu'à la racine des cheveux. Il ne lui fallut qu'un instant pour rendre au sous-vêtement de son frère son aspect basique, et c'est sans vergogne qu'une fois mis à plat, il en apprécia la largeur de hanche à hanche, observa les surpiqûres à la taille ou sur la passe des deux cuisses, et surtout la poche centrale qui lui crevait les yeux. Une tension inédite agitant chacune de ses fibres musculaires, Sam se saisit alors du boxer avec davantage de fermeté ; il assura sa prise de la main droite sur la cuisse gauche du vêtement, fit de même de l'autre main sur la cuisse droite, et la sensation de fraîcheur qui lui picota les doigts l'émoustilla plus encore. Il vissa littéralement ses yeux dardés sur la bosse creuse en s'imaginant le sexe de son frère la remplir à ras bord ; les poings fermés sur le tissu et les avant-bras contractés au possible, il souleva doucement le sous-vêtement et le rapprocha lentement de lui, en se posant mille questions que son esprit, soudain, ne filtra plus du tout. Dean avait-il eu une érection dans cette toile noire ? S'y sentait-il à l'aise ? Quelle taille pouvait bien faire son pénis, une fois au summum de sa rigidité ? Combien de fois s'était-il gratté les bourses en buvant sa bière ? Pendant combien de temps l'avait-il porté avant de le retirer ? Un jour ? Deux? Peut-être même plus ? Sam était en train de perdre pied et il en avait conscience. Mais cela lui était égal car l'excitation qu'il éprouvait était source d'un bien-être suffisamment profond pour le dispenser d'y réfléchir. Il fut alors pris d'une pulsion soudaine, irrésistible, dont il ne comprit pas l'origine, et en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, il porta le boxer de Dean à son visage, sans hésiter ni même y penser, le plaquant contre sa bouche pour en respirer les effluves.

C'est ainsi qu'il découvrit l'odeur de son frère, légèrement musquée, âpre et viril mélange de poivre et cannelle. Pénétré par la fragrance tenace qui lui piqueta la gorge, il sentit son pénis durcir immédiatement, et la sensation fut tellement plaisante qu'il ne put réprimer un sourire conquis derrière le tissu dont il humait le creux moulé où avaient logé les parties de Dean. Avec avidité, aussi excité qu'au moment de l'acte sexuel, Sam respira le parfum du sexe de son aîné, et son érection fut telle qu'il fut rapidement contraint de soulager la pression en ouvrant sa braguette à la hâte, permettant ainsi à son phallus de se déployer pleinement dans son propre caleçon. De sa main gauche, il maintint fermement le boxer contre son nez pour continuer à le sentir méticuleusement, résolu à imprimer dans sa mémoire olfactive l'empreinte de cette odeur nouvelle et, incapable de résister au désir ardent qui s'empara de lui, il se mit à utiliser sa main libre pour commencer à se masturber à travers ses sous-vêtements, sans penser une fraction de seconde à ceux qui pouvaient débarquer dans la pièce à tout moment. Le cœur de Sam s'emballa, à l'instar de sa respiration qui fit ainsi entrer de plus en plus des effluves de Dean dans ses poumons, et bientôt, n'y tenant plus, il plongea le boxer de son frère dans son caleçon pour en frotter vigoureusement son sexe aux abois. Sam n'avait aucune idée de la raison pour laquelle il se conduisait de la sorte, mais plus les secondes passaient, plus il s'en moquait. Il ne vivait que pour profiter de ses sensations inouïes qui lui hérissaient tous les poils du corps, excité comme rarement il l'avait été dans sa vie, et il aurait éjaculé si la porte du réduit ne s'était pas ouverte soudainement. En catastrophe, il dut s'interrompre, plaquant son bassin contre le lave-linge pour dissimuler son état, se redressant en feignant d'effectuer la programmation de la machine, et la réponse qu'il donna à la femme qui le salua traduisit à ce point sa nervosité et son embarras qu'il lança un bonjour pratiquement incompréhensible.