Chapitre 4

Sam ne retourna pas tout de suite dans sa chambre. Après le moment d'intense égarement qu'il avait vécu, il lui fallut quelques instants pour se calmer et retrouver un peu de clarté d'esprit. Pour ne pas paraître suspect, il s'était forcé à échanger quelques mots polis avec la personne qui l'avait dérangé au pire moment - une employée du motel qui s'était intéressée au ressenti de son séjour sans avoir apparemment rien remarqué - et après lui avoir assuré que tout était parfait il avait gentiment fermé la conversation pour avoir le loisir d'être seul de nouveau et de reboutonner sa braguette en urgence.

Puis il avait lancé la lessive, avait quitté la buanderie et était parti marcher pour respirer un autre air, histoire de s"éclaircir les idées et de repenser à tout ce qui s'était passé au cours des vingt-quatre dernières heures.

Il partit rejoindre son frère près d'une demi-heure plus tard, de nouveau maître de lui. Rendu devant la porte de leur chambre, il hésita néanmoins à entrer de peur d'être percé à jour, comme s'il portait de manière visible la trace de son forfait qu'il ne parvenait pas à regretter, même si son émoi s'était à présent dissipé. Pourquoi avait-il été atteint pas cette fièvre étrange qui l'avait amené à se conduire d'une façon aussi invraisemblable ? Il n'en savait toujours rien, bien qu'il commençât à nourrir quelque soupçon, mais ni son désir de comprendre, ni ses questionnements ne parvenaient à lui faire oublier le frisson qu'il avait éprouvé. Il sentait encore ses narines le picoter, tant il s'était imprégné de l'odeur de Dean, et pour dissiper toute trace de ses agissements il envisagea d'aller reprendre une douche, même s'il craignit que cela éveillât les soupçons de ce dernier plus sûrement que s'il s'en abstenait. Finalement, il abandonna cette idée.

En grande partie parce qu'en dépit de la nature réputée dérangeante de ses actes, il avait envie de conserver le plus longtemps possible sur sa peau la marque olfactive de son frère.

Il passa une main sur son visage, prit une grande inspiration, puis pénétra dans la chambre pour surprendre Dean étendu sur son lit et le voir sursauter à la hâte en pressant frénétiquement les boutons de la télécommande afin de faire taire le téléviseur qui charriait des bruits sans équivoque.

Un silence gêné perdura plusieurs secondes, Dean visant son frère d'un air faussement à l'aise en croisant les mains sur son bas-ventre, et Sam le regardant d'yeux critiques, dépités. Une expression vaguement condescendante passa sur son visage, et face au rictus muet de son aîné, il soupira silencieusement en disant :

- Je t'en prie, t'arrête pas pour moi. Ils ont Casa Erotica, ici aussi ?

Sam se dirigea vers la table, contrarié de sa propre remarque car il s'estimait loin d'avoir le droit de juger Dean après ce qu'il venait de faire. Ce dernier faillit répondre avec un franc sourire aux lèvres, mais se ravisa immédiatement en balbutiant d'une expression neutre :

- C'est... juste que...

Il finit par cesser de chercher ses mots, bien après que son frère se fût installé devant l'ordinateur, et changea totalement de sujet en demandant :

- Tu... as mis longtemps... Il y avait la queue à la laverie ?

- Non, je... Pas vraiment, répondit Sam en tournant seulement les yeux vers lui pendant une fraction de seconde. Je suis juste resté un peu dehors prendre l'air.

Ils firent silence encore un instant, quand refusant d'entretenir davantage le malaise ou de laisser penser à Dean qu'il accordait une quelconque importance au type de film dont il était friand, Sam s'enquit :

- Et toi, du neuf ?

Dean leva la tête, ravi de saisir l'occasion de parler d'autre chose, et en lâchant la télécommande posée sur son pubis il rapporta :

- Non, rien. Pas encore de nouvelles de Cass. J'ai fini par avoir Earl, mais il sèche lui aussi. Il va voir avec ses contacts et nous rappelle, si jamais.

- Hum, acquiesça son frère sans grand espoir. Croisons les doigts pour que quelqu'un ait un tuyau.

Comme il le vit reprendre ses recherches, Dean se leva et alla se placer à la droite de son frère. Debout tout près de lui, il fixa l'écran en semblant chercher à empêcher sa concentration de s'étioler, sans voir que Sam se crispa légèrement du fait de sa si proche présence, et en posant machinalement la main sur l'épaule de son cadet il lui dit :

- Tu avances ? Qu'est-ce que tu voulais vérifier, tout à l'heure ?

En sentant la dureté des muscles de son frère sous ses doigts, Dean voulut d'abord garder pour lui sa surprise mais ne parvint pas à se taire. Il laissa ses doigts se resserrer un peu alors qu'il posa le regard sur le cou de Sam, et de s'exclamer sans retenue :

- Wow, Sammy, tu te fichais de moi tout à l'heure avec la muscu, mais c'est plutôt toi qui a abusé de la fonte ! Tes deltoïdes sont aussi durs que du béton, à quoi tu t'es piqué ? Au plomb liquide ?

La main de Dean sur son épaule tendit Sam comme un jet d'eau froide et, de sa nervosité ou de la vigueur naturelle de sa musculature, difficile de savoir ce qui le rendait si ferme. Son frère était si proche de lui, et la courbure de sa braguette plongeait si directement dans son champ de vision, s'il tentait de tourner la tête, que le cadet sentit de nouveau le frisson lui vriller le ventre. Mais il ne fut pas le seul pour qui ce contact anodin suscita le trouble, car Dean lui aussi, soudain, ressentit une sorte de vertige, et l'image du corps nu de Sam lui revint si violemment en mémoire qu'un voile brillant lui passa devant les yeux. Les deux frères demeurèrent ainsi un instant, immobiles, silencieux et attentistes, chacun s'efforçant de dominer son émoi pour le dissimuler au regard de l'autre tout en cherchant à comprendre pourquoi ce sentiment incompréhensible se manifestait à nouveau si clairement.

Puis Sam, le premier, n'y tint plus et, pour échapper à l'inconfort de la situation, alors même que l'étreinte de Dean lui procurait une sensation aux antipodes, il se leva brusquement et marcha jusqu'à la cafetière, branchée sur un buffet de l'autre côté de la porte.

- Tu... (il se racla la gorge en s'emparant de la carafe) Le café doit être encore chaud, je t'en sers une tasse ?

Dean, l'air un brin ahuri, regarda son frère sans comprendre tout de suite la question, mais il se ressaisit rapidement et répondit :

- Heu... Ouais. Ok, bonne idée...

Les yeux rêveurs, il observa Sam qui lui tournait le dos, suivant la longue ligne que dessinaient ses jambes. D'un imperceptible haussement de sourcils, il enjamba du regard son fessier galbé, idéalement moulé dans son jean, puis plongea dans le creux de ses reins cambrés que laissait deviner le tissu fluide de son t-shirt avant de remonter le long de sa colonne vertébrale, jusqu'à ses omoplates et ses trapèzes d'acier que caressait la pointe de ses cheveux. Il se fit la remarque que son frère disposait réellement d'atouts hors norme, et gagné par un petit sourire de plaisir, se remit à penser à son sexe tel qu'il l'avait vu sous la douche, luisant et dégoulinant d'eau claire, gorgé de force et de vigueur, le pubis sombre et les bourses nues. Il n'en fallut pas plus à Dean pour sentir le creux de son pantalon commencer à se remplir, et c'est la mine blême, un peu catastrophée, qu'il se fit surprendre par Sam, lequel se tourna soudain pour lui tendre sa tasse de café.

Trop occupé lui-même à tenter de retrouver son calme, ce dernier n'y fit pas attention, et il trempa ses lèvres dans sa propre tasse, comme pour y noyer sa fièvre, cependant que Dean se tourna à la hâte pour dissimuler à son cadet le signe de son regain d'excitation. Il fut bien forcé de se rendre à l'évidence : il éprouvait du désir pour son frère, un désir qu'il refusait de qualifier de sexuel, mais comment nier les signes incontestables que lui envoyait son propre corps ? Une main dans la poche, il essaya de calmer ses ardeurs et réalisa combien elles s'étaient emballées ; ce qu'il ressentait cette fois n'avait rien à voir avec les pensées vagabondes et échevelées, sans conséquence, que son cerveau avait parfois pu orchestrées, et ce constat le laissa aussi hébété qu'effrayé. Devait-il ces idées sulfureuses au coup qu'il avait reçu sur la tête ? Il en doutait fortement, sans quoi il aurait sauté sur Sam des dizaines de fois déjà. Il y avait une autre cause à tout cela, c'était certain, et même s'il n'en connaissait pas précisément la nature il doutait de moins en moins de son origine.

- Tu sais, se manifesta alors Sam, l'air sombre et soucieux, j'ai repensé à quelque chose qu'ils ont dit. Pris au dépourvu, Dean se retourna vers son frère, la main toujours enfouie dans sa poche, et tout en faisant de son mieux pour donner le change il s'efforça d'afficher une expression aussi sérieuse qu'attentive.

- De quoi tu parles ?

- Ils ont dit qu'ils nous avaient attirés là-bas sans qu'on s'en rende compte. Tu te souviens ?

Dean laissa dévier son regard un moment, tandis qu'il se rappela vaguement ce que son frère évoquait, et de s'enquérir alors :

- Peut-être, oui. Et après, qu'est-ce que ça peut faire ?

- Ce type, celui avec les cheveux roux, poursuivit Sam en avançant de deux pas et d'un regard qu'intensifiaient ses réflexions. Plus ça va et plus j'ai l'impression qu'on l'a déjà vu avant ça, je me fais peut-être des idées à force de retourner tout ça dans ma tête, mais... L'homme qui nous a renseignés hier, le pompiste. Est-ce qu'il n'était pas roux ?

Dean trouva le raccourci hâtif mais sa mine dubitative vacilla toutefois assez vite.

- Tu penses que c'était lui ? lança-t-il entre suspicion et scepticisme. Il se serait déguisé en pompiste shooté pour pouvoir nous faire son numéro de hippie ?

- J'en sais rien, déclara Sam en secouant la tête. Ça a l'air un peu tiré par les cheveux, d'accord, mais en tout cas, si on ne lui avait pas parlé on ne serait peut-être pas allés enquêter vers le port.

Dean prit bonne note et ne put nier la pertinence de cette dernière remarque. A bien y réfléchir, l'autre homme qui les avait accostés à leur arrivée à Gloucester, qui n'avait pourtant pas eu de véritable raison de venir à leur rencontre et qui, le premier, avait évoqué des « gens bizarres » rôdant sur les quais depuis quelques jours, se trouvait peut-être dans la tranche d'âge des triplés en en ayant aussi la carrure. Et ses cheveux s'étaient révélés d'un noir prononcé, pour peu que Dean s'en souvenait.

Il demeura songeur un instant, et puis tout à coup, galvanisé par cette opportunité de redevenir enfin actif et de fixer son attention sur quelque chose de neuf, adressa à son frère un regard intense en jetant :

- Ok, t'es prêt ?

- P... Prêt ? répéta Sam sans saisir. Prêt pour quoi ?

- Pour aller voir à la station-service si on retrouve notre bonhomme, banane. Allez, en selle.

Et sur ce, il alla ramasser clés, portefeuille et téléphone pour sortir de la chambre en vitesse, laissant Sam, pris de court, lui emboîter maladroitement le pas.

La station où ils avaient fait le plein la veille n'était éloignée que de quelques centaines de mètres, et les deux frères y furent rapidement rendus. Dean gara la voiture sur le parking de la boutique de donuts attenante, puis ils sortirent de voiture, leurs rôles déjà connus. L'ainé irait vérifier parmi le personnel de la station s'il retrouvait le fameux pompiste, tandis que Sam s'occuperait d'interroger à nouveau celui des commerces établis à proximité immédiate. Outre la boutique de douceurs, une autre, face aux pompes à essence, vendait du mobilier estival, et le cadet des Winchester commença par là.

Il était encore tôt mais chacun des deux frères trouva à qui poser ses questions, et en particulier celle qui les intéressait le plus en ce moment : qui était ce pompiste aux cheveux roux d'hygiène douteuse et susceptible d'avoir abusé de quelque substance illicite ? Aucun des commerçants alentour n'eut de réponse tranchée à fournir. Qui indiqua ne pas voir de qui il était question en confiant qu'il était lui-même arrivé depuis peu, qui supposa qu'il s'agissait d'une connaissance appelée en renfort ou, à contrario, d'un sans domicile fixe, en tout cas Sam n'eut aucune confirmation claire de l'existence de l'individu recherché et on lui conseilla presque systématiquement d'aller interroger directement le responsable de la station-service.

Lorsqu'il eut fini sa tournée, il rejoignit l'Impala, où son frère l'attendait, appuyé contre l'aile. Et à voir sa mine contrariée, il n'avait guère eu plus de chance dans ses recherches.

- Hé, dit Sam pour s'annoncer. Alors ?

- Alors, chou blanc, pesta Dean. Le gars est introuvable et son boss jure qu'il ne connaît pas de type aux cheveux roux. À me voir insister, il a dû croire que j'étais un fétichiste ou qu'un rouquin m'avait tapé dans l'œil. Apparemment t'avais raison, Sammy.

- Ouais, possible, abonda-t-il d'un hochement de tête soucieux. Aucun de ceux à qui j'ai parlé n'a eu l'air de reconnaître la description non plus, à croire qu'on a rêvé avoir parlé à ce type.

- Ils se sont bien foutus de nous, ouais ! enragea son frère. Ils nous ont vus arriver de loin et on s'est laissé avoir comme des bleus, et pour quoi ? Pour un tête-à-tête au milieu des caisses de poiscaille ! Ces dieux en toc ont toujours été perchés, mais eux c'est le pompon !

- C'est bizarre, chercha à comprendre Sam, le regard plongé dans les souvenirs qu'il avait de la nuit passée. J'ai essayé de comprendre le sens de leurs paroles ; qu'ils ne veulent pas de mal, et que c'est notre action qui va condamner les gens à être malheureux... ils ont dit être Amour, Dean.

- Ah ouais ? répliqua ce dernier d'un air dédaigneux. Aucun souvenir. Ça devait être au moment où j'étais trop occupé à entendre sonner les cloches.

- Quand tu étais au sol, oui, indiqua son frère en inclinant la tête pour confirmation. Après avoir heurté la vasque. Elle avait trois pieds. Tous les trois à l'effigie de silhouettes ailées.

Dean tiqua.

- Ailées ? lança-t-il interloqué. Comme... avec des ailes ? Et des plumes ? Arrête, Sammy, ce serait quoi... des anges ? des Cupidon ? Sérieusement ?

- J'en n'ai aucune idée. Mais tant qu'on ne sait pas qui ils sont ils peuvent être n'importe quoi.

L'idée ne plut guère à Dean qui poussa un soupir irrité. Tout ce qu'il savait, c'était qu'il avait la désagréable sensation d'avoir été joué par le trio, baladé comme un cabot à la poursuite d'un faisceau laser, et cela lui déplaisait au plus haut point.

- Allez, on se tire, commanda-t-il en remontant en voiture. Ça sert à rien de rester ici plus longtemps.

Le trajet de retour fut tout aussi bref qu'à l'aller mais parut pourtant bien plus long aux Winchester. L'esprit vidé de leur espoir de pouvoir relancer l'enquête, de retour à la case départ, ils renouèrent d'emblée avec leurs nouveaux démons et leur promiscuité dans l'Impala n'arrangea rien. Sam, côté passager, s'était penché contre la vitre et regardait défiler le paysage, comme pour mettre de la distance entre son frère et lui. Il avait hâte d'arriver, de pouvoir s'isoler ou d'aller tout simplement récupérer leurs vêtements lavés, juste pour s'éloigner, car rester trop près de Dean lui faisait craindre d'être démasqué. Dans la voiture, où il avait l'impression de sentir l'odeur de son frère, il ne cessait de repenser au boxer de ce dernier qu'il avait si scandaleusement humé avant de le plonger dans son propre caleçon, et ce souvenir sulfureux avait suffi à rendre son pénis aussi dur qu'un morceau de bois.

Il songeait qu'il aurait dû en éprouver de la honte, ou au moins une gêne tenace, mais ce n'était pas le cas et il était lui-même étonné de découvrir à quel point cela l'indifférait. Était-ce parce qu'il avait toujours nourri une curiosité plus ou moins consciente pour Dean ? Qu'il s'était parfois questionné sur son anatomie, et qu'en certaines occasions, s'était même laissé gagner par la pensée que, s'ils n'avaient été frères, il n'aurait pas nécessairement écarté certaines idées, si l'opportunité s'en était présentée ? Ce qui lui avait toujours semblé constituer des réflexions sans aucun sens, nées de son cerveau peut-être trop productif et si vite oubliées, revêtait à présent un caractère de plus en plus significatif. Mais il n'arrivait résolument pas à s'en émouvoir outre-mesure et était à peu près sûr que cela ne changerait pas.

Il s'inquiétait plutôt de ne rien laisser soupçonner à Dean, en songeant parallèlement que le voyage de retour jusqu'au bunker, à Lebanon, risquait d'être assez délicat s'il ne parvenait pas à fixer son esprit ailleurs.

Il l'ignorait mais son frère n'était pas dans des dispositions différentes. Dean conduisait de façon presque automatique, sans vraiment y penser, comme si sa voiture n'était qu'un prolongement de lui-même, et même s'il n'y avait pas trois minutes qu'ils s'étaient mis en route, son regard s'était tourné vers Sam au moins déjà une dizaine de fois. Réveillé par la proximité de son cadet comme la démangeaison d'une piqûre d'insecte par l'effleurement d'un ongle, le souvenir du corps de son frère sous la douche était revenu titiller Dean et il ne cessait de lorgner du côté de son entrecuisses, que sa position assise, jambes modérément écartées, affichait avantageusement. Même s'il n'avait pas deviné l'érection qui affectait Sam - ce dernier ayant placé son sexe de façon à en dissimuler l'ampleur - le plus âgé des Winchester observait avec persistance la courbe que dessinait la braguette de son frère, et l'image du pénis charnu de celui-ci n'en finissait plus de boucher son champ de vision.

Dean n'avait jamais été physiquement attiré par un autre homme. Son expérience en la matière était proche de zéro, pour ne pas dire inexistante, et pourtant il ne parvenait pas à s'empêcher de penser au corps de Sam, ni à refouler cet emballement des sens que ces images provoquaient chez lui. Il revit encore la splendide nudité de son frère passer devant ses yeux, ses lourdes bourses glabres goutter d'eau chaude, et tandis qu'une minute plus tard, il gara l'Impala devant le bâtiment où ils avaient leur chambre, l'envie d'aborder ce sujet qui l'obsédait inexplicablement, devint plus forte que son désir de la juguler.

Le moteur à peine coupé, Sam ouvrit déjà la portière, un pied dehors, mais incapable de résister davantage, Dean décida de tenter le coup et le retint en se lançant dans l'improvisation la plus totale.

- Au fait, dit-il sur un ton qui se voulut à la fois goguenard et détaché, je t'ai pas raconté... A la station, y'avait deux types qui causaient devant les flacons de mousse à raser. T'imagines pas ce qu'ils se racontaient.

Sam le regarda d'un air attentiste et laissa la portière se refermer tandis qu'il ramena sa jambe droite dans la voiture.

- De quoi ils parlaient ? demanda-t-il bientôt en anticipant vaguement une information peu digne d'intérêt.

Dean, qui cacha son embarras comme il le put à présent qu'il s'était jeté à l'eau, se contenta de hocher la tête d'un air idiot. Les mots eurent du mal à trouver le bon chemin pour sortir, et il n'était plus du tout certain d'avoir eu raison de céder à son envie d'évoquer, même indirectement, les pensées qu'il ressassait, surtout considérant le sujet qu'elles concernaient. Mais la mine de plus en plus perplexe de Sam, qui attendait la suite, le décida finalement à s'exprimer et, en se rappelant ses techniques de bluff au poker, il cacha son incertitude sous un rictus malicieux pour confier :

- Figure-toi que ces deux neuneus étaient en train de se demander s'ils pouvaient se peler les bijoux de famille avec.

Il éclata d'un rire sec, un peu trop forcé, et tenta de rattraper d'une voix plus mesurée :

- Nan, mais t'imagines ? Sûrement des touristes venus de Floride.

Il s'efforça de donner le change en se gaussant avec désinvolture mais appréhendait la réponse de son frère, même si ce dernier était habitué à l'entendre divaguer sur des sujets portant sur le dessous de la ceinture. Sam le visa d'un regard consterné, haussant les sourcils de vague embarras, et demanda avec une pointe de scepticisme :

- Ils avaient cette discussion dans la station ? Assez fort pour que tu les entendes ?

- incroyable, hein ? Ils pensaient parler assez bas, mais tu sais que j'ai l'ouïe fine.

Sam le regarda en arborant un petit sourire indécis, essayant de décrypter l'air un brin narquois sur le visage de son frère, et il demanda :

- Bon, ok... Et après ?

Dean afficha une expression d'étonnement et répliqua en haussant les sourcils à son tour :

- C'est tout l'effet que ça te fait ?

Sam secoua la tête pour exprimer son ignorance de la réponse que son aîné attendait, puis reprit :

- Quel effet tu voudrais que ça me fasse ? On s'en fout, Dean. Chacun fait ce qu'il veut, en quoi c'est un problème ?

- Non, je... Je dirais pas que c'est un problème, rectifia-t-il d'un air détendu. Mais, quand même, Sammy... Je veux bien que les nanas aient ce genre d'idées, et franchement, je trouve même plutôt sympa de voir un ticket de métro au-dessus du petit bouton plutôt qu'une pelouse en friche...

Sam l'interrompit en pouffant de dépit face à la lourdeur de la métaphore.

- Mais nous on est des mecs ! poursuivit son frère avec tout le machisme qui caractérisait souvent ses envolées. T'en connais beaucoup qui s'épilent les valseuses ?

- Ça concerne sûrement bien plus d'hommes que tu le penses, protesta Sam.

- Ouais, fit Dean d'un air entendu. Des gays, pour la plupart.

Sitôt dit, il regretta ces propos qui lui étaient venus dans un excès d'improvisation, et qui firent vivement réagir le cadet des Winchester. Ce dernier fronça les sourcils, pivota sur son siège pour bien regarder son frère en face, et l'air heurté par une remarque si primaire il riposta :

- Quoi ? Mais... C'est n'importe quoi, Dean, t'as ce genre de préjugés ? Vraiment ?

- Je caricature un peu, ok, mais...

- Esthétique, hygiène, confort..., interrompit sèchement Sam. Y'a tout un tas de raisons pour lesquelles un homme, même hétéro, peut avoir envie d'entretenir ces parties-là. Je te croyais plus évolué là-dessus.

Dean fit mine de chercher ses mots pour banaliser son propos, mais face à la difficulté d'y trouver une justification il changea son fusil d'épaule. D'un sourire un peu embarrassé, il regarda Sam et, l'occasion se présentant d'aborder la raison précise pour laquelle il avait lancé pareil sujet, il glissa à son frère sur un ton innocent :

- Dis-donc, t'as l'air vexé... Tu l'as pris pour toi, au quoi ? T'as déjà essayé de te passer les bonbons au rasoir, c'est ça ?

L'image des testicules de Sam, ronds et lisses comme des œufs durs, lui revint si agréablement en mémoire que son sourire revêtit une autre nature, et l'embarras changea de camp. Le plus jeune des Winchester se crispa sensiblement sur son siège, les lèvres serrées, et refusant tout à la fois d'avouer ou de mentir, il finit par retourner à l'adresse de Dean, d'un ton cinglant :

- Si tu permets... Je vais m'occuper de mes couilles moi-même. Je te laisse en faire autant en ce qui te concerne.

Et il sortir de voiture, plantant là son frère qui arrondit tant les yeux que la bouche pour manifester à qui voulait le savoir qu'il avait bien reçu le message.

Le reste de la matinée s'écoula rapidement, entre coups de fil infructueux, recherches incertaines et brèves corvées. Même s'ils échangèrent à plus d'une reprise, notamment sur la confirmation de leur décision d'attendre le lendemain pour retourner à leur quartier général, Sam et Dean restèrent essentiellement concentrés sur les tâches qu'ils s'étaient l'un et l'autre assignées, et le cadet fut presque surpris lorsque l'aîné déposa sur la table, après midi, le repas qu'il était allé chercher.

Mais l'atmosphère demeura bien étrange. Les discussions eurent beau être polies, libres et construites, les deux frères ne purent réellement chasser de leur esprit les pensées troublantes qui y avaient élu domicile et, tout en feignant ne pas s'en apercevoir, ils laissèrent une certaine distanciation s'installer, comme une prudence excessive dans leur façon de s'adresser à l'autre ou dans la manière qu'ils eurent de ne pas rester trop proches l'un de l'autre, préférant instaurer comme une distance de sécurité en conservant un ou deux mètres au moins entre eux deux.

Dean, ainsi, après être allé vérifier les niveaux de sa précieuse Impala et avoir remis de l'ordre dans le coffre en faisant un bref inventaire des armes et substances qui s'y trouvaient encore, était parti s'étendre sur son lit où, chaussures aux pieds et une bière à la main, il tentait de passer un peu le temps devant la télévision. Il avait pris soin de régler le volume au minimum pour ne pas gêner Sam, toujours installé à table, face à son ordinateur portable. Et si l'aîné des Winchester regardait défiler sans les voir les images de la série anonyme sur laquelle il s'était arrêté, il voyait beaucoup mieux le dos de son frère, fluide, ample et solide sous le tissu de son t-shirt.

Les réflexions sans fin qui virevoltaient comme une nuée de papillons dans l'esprit de Dean avaient réussi à le renfrogner. Il ruminait, car de toute évidence le temps qui s'écoulait ne l'aidait pas à passer à autre chose, bien au contraire. Alors qu'il avait cru que la vision inattendue du corps nu de Sam quitterait bien vite ses pensées, il réalisait qu'elle ne faisait en vérité que s'y ancrer de plus en plus, et il s'était mis dans la tête qu'il lui fallait désormais se ressaisir, s'obligeant ainsi à rejeter cet absurde intérêt qu'il ressentait pour la plastique de son cadet.

Pourtant, plus il essayait d'oublier ce qu'il avait vu, et plus ses yeux lorgnaient du côté de l'objet du délit. Il aurait voulu rêver davantage aux seins généreux de la serveuse du troquet où ils avaient déjeuné dernièrement, mais c'était le torse viril de Sam qui hantait surtout sa mémoire. Il aurait préféré sentir son appétit s'aiguiser pour la provocante chute de reins de la demoiselle, alors que c'étaient les parties de son frère qui squattaient ses pensées. Ce qu'il vivait de plus en plus mal, après avoir mésestimé le poids de cette attirance inexplicable qu'il désespérait de voir s'étioler. Le plaisir curieux qu'elle avait suscité jusqu'ici s'était changé en frustration au fil des heures ; il parlait de moins en moins, faisait durer ses silences de plus en plus longtemps, et comme il ne pouvait se retenir de poser sur Sam, à contrecœur, des yeux friands de sa silhouette d'athlète, il se surprenait par moments à nourrir envers lui quelque amertume.

Pour autant, il savait bien que son frère n'y était pour rien. L'identité du coupable - ou plutôt celle des coupables, car ils étaient au moins trois - apparaissait pour Dean de plus en plus difficile à nier, et cela même s'il aurait voulu plus que tout frapper du sceau de l'insignifiance ses opposants de la nuit passée. Entre ce que lui avait rappelé Sam et ce qu'il se souvenait avoir lui-même entendu de la bouche des trois déités autoproclamées, le plus âgé des Winchester essayait de faire le lien avec cet émoi nouveau qui lui tourneboulait les sens, ou plus exactement de ne pas faire ce lien, cherchant une bonne raison d'écarter la probabilité d'une influence des triplés en la matière.

Mais plus il s'évertuait à se convaincre que les deux événements n'avaient pas de rapport, plus il regardait son frère et plus il se persuadait malgré lui du contraire. Il avait fini par braquer un regard si intense sur Sam, qu'il eut soudain l'impression de celui-ci s'était aperçu de quelque chose, à sa façon de chercher une position plus confortable sur sa chaise ou de sembler vouloir tourner la tête sans aller au bout de son geste.

Et lorsqu'il prit vraiment conscience que son attitude de repli risquait de générer un malaise supplémentaire dont il n'avait aucune envie de subir les retombées, il se leva prestement pour couper court à tout cela, laissant sa bière sur le chevet.

- Je... Je vais essayer de rappeler Earl, dit-il sans véritable conviction.

Sam, qui lui tournait le dos, ne fit à nouveau qu'un demi-mouvement accompagné d'un bruit de bouche pour signaler qu'il avait entendu. Ce qui ne fit que prouver à Dean que l'atmosphère s'était dégradée et qu'il valait mieux s'éclipser.

Mais il avait mal interprété l'air fermé de son frère qui, au prix d'une hésitation, lui lança juste avant qu'il ne passât la porte :

- Dean, attends, je... J'ai peut-être trouvé quelque chose.

L'intéressé n'alla pas plus loin et visa Sam avec questionnement, un intérêt nouveau dans le regard.

- Quelque chose sur les frères Wilson ?

Pour toute réponse, Sam tourna l'écran dans sa direction, l'invitant à approcher. Dean s'avança, prit un instant pour consulter le résultat des recherches de son frère, et demanda en réaction à ce qu'il venait de lire :

- Les Érotes ? Qu'est-ce que c'est que ces bestiaux-là ?

Sam inclina la tête en pinçant les lèvres, comme s'il avait longtemps hésité avant de s'exprimer, puis il prit un ton didactique pour exposer brièvement :

- Les Érotes, selon plusieurs mythes, sont les dieux ailés de l'Amour. Le plus souvent ils sont trois et sont censés représenter les différents aspects de l'amour, comme l'affection, ou le désir. On les décrit en général comme des frères, et - écoute ça - dans certains textes ils seraient nés suite à la castration d'Ouranos par... son propre fils. Cronos.

Dean prit une seconde pour capter et replacer ces informations dans un ordre plus conforme à sa manière de comprendre les choses. Il s'efforça d'abord d'évacuer l'image sanglante de l'émasculation et se concentra ensuite sur les occurrences entre le récit de son cadet et les trois personnages auxquels ils avaient été confrontés. La notion d'amour et de désir le fit tiquer, tout comme l'analogie avec une certaine caste d'anges desquels ils étaient familiers. Sam le laissa en tirer les conclusions qui lui semblaient judicieuses, et l'entendit bientôt réagir, l'air perplexe :

- Une minute... Arrête-moi si je me trompe... Cronos a donc castré son père... Ce serait donc comme ça qu'il aurait... fait naître ses fils, ces... dieux de l'Amour...

- Ouranos était le Ciel, narra Sam, et son sang s'est répandu sur la Terre, ce qui aurait engendré de nombreuses créatures, oui...

- Ok, reprit Dean les yeux plissés en joignant le geste à la parole. Donc Cronos a eu... recours à un donneur de sperme et à une mère porteuse, en quelque sorte. La Terre.

- Si... on veut, pensa pouvoir confirmer son frère. Mais c'est un mythe, une... allégorie.

- Et donc, les trois photocopies sont devenues... quoi ? Les dieux de l'Amour ? lâcha Dean sur un drôle de ton. C'était pas le boulot d'Aphrodite, ça ? Ou du môme à poil, là ? Éros ?

- Éros était sûrement l'un des trois, souligna Sam avec un soupçon de gravité.

- Ah génial, il a finalement appris à se saper ? jeta Dean d'un amer sarcasme. C'est quoi, des cousins des Cupidons ? En plus des ailes, ils ont toute la panoplie, arc, flèches ? Ils ont déjà la gueule d'angelot !

- Vois-les plutôt comme... des concurrents des Cupidons, avança-t-il avec mesure. Ce ne sont pas des anges, et ils n'existent pas dans l'unique but d'unir deux personnes censées finir ensemble. Comme tous les dieux païens ils sont la personnification d'un concept dont ils tirent avantage, et même si, par ce qu'ils représentent, ils sont censés avoir une influence plutôt positive sur la vie des hommes, ils ne font sans doute pas que dans la philanthropie.

- Oh, ça on avait compris qu'on n'avait pas affaire aux disciples de Mère Teresa, maugréa Dean d'une voix caverneuse.

- Sur le net, fit Sam d'une moue impuissante, difficile de trouver quelque chose de plus concret. Il n'y a qu'au bunker qu'on pourra vraiment confirmer qui ils sont, comprendre leur façon d'agir et, peut-être découvrir leurs faiblesses. Mais, franchement... entre la paternité qu'ils ont revendiquée, leurs liens de parenté évidents, le fait qu'ils aient proclamé être Amour, et même les ornements sur les braseros... Ça fait beaucoup de points communs.

Dean accusa le coup en hochant mollement la tête, l'esprit traversé de pensées qu'il garda pour lui. Il aurait préféré avoir à affronter des entités moins pernicieuses, plus primaires, mais il obtenait rarement ce qu'il voulait.

- Beau boulot, Sammy, félicita-t-il d'un air sombre, à demi-éteint. Écoute, on... On fait comme on a dit, on prend le temps d'une bonne nuit de repos et on se met en route demain à la première heure, ok ?

Sam acquiesça d'un hochement de tête soucieux et taciturne, miné qu'il était par les questionnements que sa probable découverte avait déclenchés, ou plus exactement amplifiés. Il trouva à son frère un air sonné dont il ne dit rien, et se remit à parcourir les pages qu'il avait déjà maintes fois consultées, comme si une énième lecture pouvait le détromper lorsqu'il songeait au lien de plus en plus manifeste entre ses nouveaux troubles émotionnels et la présence de la Triade.

Sam réfléchit tout l'après-midi à ce qu'il devait penser, dans le cas où les triplés étaient bel et bien les Érotes de la mythologie. Pouvoir bénéficier de soupçons suffisamment solides pour envisager de leur attribuer la responsabilité de l'émoi qui le tiraillait depuis son réveil avait quelque chose de réconfortant, car il aurait alors compris d'où étaient venues ces sensations qui, pour autant loin d'être désagréables, n'avaient rien de normal, mais cela induisait alors une influence surnaturelle proche de la manipulation de l'esprit, et cette idée le faisait tressaillir. Il avait trop souvent été le jouet de forces occultes ou d'entités supérieures pour appréhender cette hypothèse avec sérénité, car il ne savait que trop bien combien la situation pouvait rapidement échapper à tout contrôle. Il lui suffisait de repenser aux crimes violents qui avaient préludé à leur enquête, à ce déchaînement de passion qui avait conduit de simples quidams aux pires extrémités, pour déduire en toute objectivité qu'un élément extérieur y avait sans doute joué un rôle déterminant, et ce refus de se retrouver esclave d'ascendants étrangers à sa conscience avait en grande partie alimenté sa réticence à confier à son frère ses conclusions.

Un certain sentiment de panique, aussi, issu de l'impossibilité de prévoir jusqu'où pourrait mener pareille emprise, commençait à tarauder le plus jeune des Winchester. Mais, porté conjointement par un élan contradictoire, il n'arrivait pourtant pas totalement à faire taire cette petite voix qui lui assurait que tout allait bien et, indépendamment de sa volonté, son intérêt persistant pour Dean demeurait, net et franc.

Les deux frères dînèrent léger et se couchèrent tôt, à la tombée du jour. Le silence un peu trop présent qui avait présidé aux dernières heures avait démontré que tous deux étaient préoccupés, mais ni l'un ni l'autre n'y avait prêté spécialement attention.

La confirmation de l'identité encore incertaine des triplés, et surtout les conséquences possibles de leur rencontre avec eux, était ce qui accaparait le plus leurs pensées...

Cela, mais aussi d'autres choses.

Dean n'arrivait pas à trouver le sommeil. Il tournait sans fin dans son lit, en quête d'une position susceptible de l'aider à s'endormir, mais il sentait bien que le problème venait de sa tête, et non pas de son corps. C'était toutefois partiellement vrai, car l'intense activité cérébrale qui le maintenait éveillé n'était pas sans avoir des répercussions physiques, et plus il tentait de songer à autre chose, plus l'image de Sam en tenue d'Adam emplissait ses pensées, alimentant chez lui, comme un feu nourri de bois sec, une excitation croissante qui lui provoquait une érection de plus en plus importante.

Il y avait quarante-cinq minutes que cela durait. Trois quarts d'heure qu'il tournait et retournait sous les draps, à tenter à tout prix de détourner ses pensées de l'image du sexe de son frère, et à s'évertuer à calmer le sien. Son érection était à présent si forte que son pénis lui faisait mal ; pour le soulager de toute pression superflue, il avait baissé son boxer et ainsi posé la main sur un pieu incandescent, dur comme la pierre et suintant d'un désir incompressible. Il avait déjà essayé d'apaiser le feu à son entrejambe par des caresses inopérantes, ou en serrant ses testicules aussi fermes et lisses que des galets. En se plaçant sur le ventre, ou au contraire en restant sur le dos, jambes à demi pliées pour laisser la fraîcheur s'insinuer. Mais rien n'y faisait. Sous les draps, son sexe se dressait inlassablement avec une vigueur extrême, son gland comme prêt à exploser, et sa respiration rendue sifflante par l'image obsédante de la nudité de Sam face à laquelle il était impuissant, il finit par alerter son frère qui, peinant lui aussi à trouver le sommeil et l'entendant s'agiter depuis un long moment, le pensa peut-être malade.

- Dean ? demanda-t-il doucement d'une voix cotonneuse, en se redressant sur un coude. Est-ce que ça va ?

Comme s'il avait été pris en flagrant délit, Dean sentit des sueurs froides lui parcourir l'échine et, par réflexe, tourna vivement le dos à Sam en remontant les draps jusqu'à ses épaules.

- Ouais, répondit-il d'un jet sec. Ça va, t'inquiète, c'est... j'ai juste du mal à m'endormir.

Sam ne dit rien et s'étendit de nouveau, tournant à son tour le dos à son frère pour faire face à la porte de la salle de bains.

Mais il releva la tête à peine un instant plus tard lorsqu'il vit Dean, vêtu de ses seuls boxer et t-shirt noirs, longer le mur d'en face dans la pénombre de la chambre pour se faufiler d'un pas mécanique vers la salle d'eau en chuchotant :

- Je vais aller me rafraîchir, ça me fera du bien. Tout va bien, dors, t'occupe pas de moi.

Laissé seul, dans le silence, Sam oublia son frère un temps indéfini, juste le temps de fermer les yeux et peut-être s'assoupir, jusqu'au moment où le souvenir de l'odeur du sexe de Dean revint inopinément le titiller. A la fois émoustillé et dépité par le frisson qui le parcourut d'emblée en le réveillant sèchement, alors qu'il sentit ses tétons durcir et son sexe le chatouiller, il soupira face à ce nouvel accès de fièvre, se demandant si cela était voué à cesser un jour ou s'il allait devoir apprendre à gérer ce trouble dénué de sens qui le mettait en émoi comme à sa prime adolescence. Sam regarda vers le lit de son aîné qui était vide, et pensa qu'il avait dû s'endormir l'espace d'une minute ou deux, pas davantage, sans quoi il aurait vu Dean à ses côtés. Combien de temps fallait-il pour se passer un peu d'eau sur le visage ? A bien y réfléchir, si un bandeau de lumière était effectivement visible sous la porte de la salle de bains, aucun bruit d'eau qui coule n'en émanait, et Sam commença à s'interroger sur ce qui se passait dans la pièce. Il s'appuya sur un coude, tendit l'oreille et attendit, mais aucun son ni mouvement particulier ne lui parvint.

Intrigué, d'autant plus que son frère lui avait paru bien étrange, il décida alors de se lever, t-shirt gris et bas de pyjama sur la peau. Il approcha doucement de la porte close et, taisant sa respiration, écouta attentivement. Il y eut un bruit de klaxon dehors, le bruit irrégulier du vent, et en provenance de la salle de bain, l'impression, soudain, d'entendre monter une vague plainte. Sam décida d'en avoir le cœur net et faillit frapper, résolu à s'assurer que Dean allait bien, puis constata que la porte n'était pas tout à fait fermée et qu'il suffisait de la pousser légèrement pour l'entrebâiller. C'est ce qu'il choisit de faire, de crainte d'être mal reçu, peut-être, ou de paraître ridicule s'il n'existait en définitive nul motif d'inquiétude, et lorsqu'il aperçut son frère, debout au-dessus des toilettes, Sam fut confronté à une scène sidérante qui lui fit écarquiller les yeux en le laissant littéralement paralysé.

Dean, le bras gauche appuyé contre le mur, regardait son entrejambe et, de sa main libre, était occupé à se masturber frénétiquement, son boxer descendu jusqu'à mi-cuisse.

Sam eut une violente impression d'asphyxie quand son cœur manqua un battement et que ses poumons se bloquèrent, son diaphragme complètement contracté. Éberlué, il reçut de plein fouet la vision des splendides fesses rondes et charnues de son frère, puis distingua juste après son pénis durci au possible, que Dean faisait coulisser ardemment entre ses doigts. Sam sentit une vague de chaleur sans précédent monter en lui, si puissante qu'il en eut brièvement la nausée et, comme les flots d'un ruisseau en crue, le sang afflua aussitôt dans ses tissus pour rigidifier son propre sexe, lequel se déploya de toute sa vigoureuse jeunesse jusqu'à atteindre une dureté extrême. La plainte qu'il avait crue entendre n'en était pas une ; c'étaient en réalité les gémissements que poussait Dean, tandis que, tout en astiquant énergiquement sa verge plus raide qu'un morceau de bois, il goûtait à ce plaisir indiscutablement extatique qui fit repartir la respiration de son cadet à toute allure. Voir son frère se livrer à un tel acte, pouvoir contempler son fessier d'acier et une bonne partie de son sexe, partiellement dissimulé par sa position mais dont les dimensions flatteuses se devinaient sans difficulté, mit Sam dans un état d'excitation phénoménal et, se collant dos au mur sans lâcher son aîné du regard, il sortit en toute hâte son pénis turgescent pour faire écho à la scène scandaleuse dont il se délectait inexplicablement et entamer à son tour une masturbation débridée. Il empoigna son phallus sans ménagement, se mit à le faire vivement aller et venir entre ses doigts en dévorant Dean du regard, et aurait donné cher à cet instant pour voir ce dernier se tourner et offrir à ses pupilles dilatées la pleine vue de sa virilité.

Sam, toutefois, se contenta avec bonheur de ce qu'il put en apercevoir alors que reflua vers ses narines la mâle senteur de cette partie du corps de son frère ; il prit plaisir à écouter ses gémissements concupiscents, à admirer ses fesses nues qui se contractaient par à-coups, et haletant, la bouche entrouverte, sentit que sa jouissance était sur le point d'atteindre son paroxysme. Y avait-il quelque chose dans l'air à même de produire un effet semblable sur Dean ? En tout cas, l'orgasme approcha dangereusement pour lui aussi et sa manière de porter tout son poids sur son bras gauche en contractant ses hanches nerveuses ne trompa pas. Il passa encore quelques instants à secouer son pénis avec acharnement, des râles de plus en nets s'échappant de sa gorge, clandestinement imité en tous points par son frère qui ne se souvenait pas avoir déjà connu pareil vertige, et puis, parvenant tout à coup au point de libération, il renversa la tête en arrière en réponse à la jouissance extraordinaire qu'il ressentit et se soulagea enfin de la tension phénoménale qu'il avait accumulée. Sous les yeux hallucinés de son cadet, le sexe de Dean se mit à charrier de longues bordées blanches chaque fois ponctuées d'un cri rauque, et en voyant avec quelle force son frère éclaboussa la faïence de la paroi, Sam éjacula à son tour, incapable de tenir plus longtemps, fournissant un effort surhumain pour taire son orgasme.

Les yeux clos, la tête plaquée au mur, il continua d'agiter son phallus pendant tout le temps où son sperme gicla, puis finit par rouvrir les paupières, en sueur, le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine. A moitié sonné, il n'eut que le temps de constater que sa semence avait jailli si fort qu'il avait souillé jusqu'aux draps du lit, un mètre plus loin, et s'obligea à rapidement reprendre ses esprits pour ne pas être surpris dans une posture aussi gênante. Mobilisant réflexes et concentration, il retourna d'un pas jusqu'à son lit, recouvrit la portion de draps souillés et se recoucha sans bruit. Quelques minutes plus tard, c'est Dean qui revint enfin dans la chambre pour s'y recoucher à son tour, et si un silence total s'installa à partir de ce moment-là, aucun des deux frères Winchester ne s'endormit avant longtemps.