Chapitre 9

Comme si de rien n'était, Sam avait continué de se doucher pendant un long moment, puis s'était séché consciencieusement avant de retourner dans sa chambre se vêtir de frais. Mais si en apparence, les choses pouvaient paraître tout à fait normales, le vide qui s'était emparé de lui était abyssal, et y faire face lui semblait presque surhumain.

Il était passé d'une félicité impromptue à un tel sentiment d'affliction, qu'il se serait cru revenu au temps de ses pires crises de manque de sang de démon. Il ne parvenait pas à croire que ce qui s'était passé était vraiment arrivé, et pourtant il avait tout à fait conscience que c'était le cas. Paradoxalement, quand il songeait à ce qu'il avait fait, quand il songeait à sa façon de gémir et de cambrer les reins à la manière d'une chatte en chaleur, il avait aussitôt l'impression qu'il s'agissait d'un rêve invraisemblable, ou que cela était arrivé à quelqu'un d'autre que lui, même si son corps était là pour lui rappeler implacablement, si besoin était, qu'il n'avait pas rêvé et qu'il s'était bel et bien fait sodomiser par son propre frère. Son anus, qu'il sentait pulser de façon lancinante, lui renvoyait une sensation de vive chaleur et se révélait sensible au possible ; de surcroît, tout ce qu'il avait ressenti quand le pénis de Dean l'avait pénétré de toute sa longueur - souvenir surréaliste - était encore aussi frais à ses sens que si son frère se trouvait toujours en lui.

La honte le disputant à l'émoi que cette expérience infiniment perturbante continuait de susciter chez lui, Sam ne cessait de se demander comment il avait pu perdre le contrôle à ce point. Sa tête se mettait à tourner et son cœur à s'emballer chaque fois qu'il essayait d'imaginer les conséquences que ses actes allaient produire, ou qu'il ouvrait un regard lucide sur leur portée. Sa conduite était à ce point éloignée de ce qu'il avait toujours été qu'il avait le sentiment d'être devenu étranger à sa propre personne. Cloîtré dans sa chambre, il s'interrogeait également beaucoup sur la vitesse et la brutalité avec lesquelles les choses avaient dérapé, sans crier gare, et la manière quasi bestiale dont Dean et lui avaient cédé à leurs pulsions le laissait comme assommé par le choc en retour. Fantasmer innocemment sur son frère était une chose. Se voir envahi d'émotions non contrôlées à la défaveur d'une influence divine et les évacuer par des moyens peu orthodoxes, passait encore, compte tenu des circonstances. Mais avoir un rapport sexuel l'un avec l'autre ?

Sam ne savait même pas par où commencer pour essayer de repartir après ça. Et imaginer le moment où il lui faudrait se confronter à Dean lui semblait constituer une épreuve impossible, qui l'écrasait sous le poids du désespoir et de la résignation alors que son cœur, pourtant, ne pouvait se résoudre à renier l'expérience qu'ils avaient vécue. Il ne chercha pas à provoquer leur rencontre, il n'en eut pas le courage. Il resta dans sa chambre toute la matinée, puis le début d'après-midi, sans rien entendre qui vînt briser le silence oppressant du bunker, ni bruit de pas, son de voix ou objet déplacé, juste à attendre que, peut-être, Dean se manifeste. Sam ne fut pas surpris qu'il n'en fît rien. Et lorsqu'enfin il décida de sortir de sa chambre, plus en raison de la morne certitude qu'il ne croiserait pas son frère que par espoir de pouvoir s'expliquer avec lui, le plus jeune des Winchester, après un rapide tour des lieux, dut se rendre à l'évidence : il était seul, et une visite au garage leva tous ses doutes sur la question quand il s'aperçut que l'Impala avait elle aussi disparu.

Désabusé, il comprit mieux que d'aucune autre façon dans quel état se trouvait Dean, et finit par lui envoyer ce message par téléphone quand il comprit qu'il ne pourrait pas le contacter autrement :

« On en parlera quand tu seras prêt. Ce n'est pas notre faute. T'en fais pas. »

En lisant ces quelques mots, Dean sentit un soulagement indicible l'envahir, et la terreur qui l'avait tenaillé toute la journée s'évacua si violemment que faillirent lui monter les larmes. Cela ne changeait rien à son incommensurable sentiment de culpabilité, mais déceler dans le message de son frère que ce dernier ne lui vouait nulle haine pour l'acte terrible qu'il avait commis, allégea un peu le fardeau immense qui pesait sur ses épaules.

Il n'était pas loin de dix-sept heures et le néon du motel où il avait trouvé refuge luisait par intermittence à travers sa fenêtre. Peu après les événements, il avait sauté en voiture et, pris de panique, s'était enfui pour rouler il ne savait dans quelle direction, ni pour aller où, jusqu'à s'arrêter dans quelque bar où il avait enchaîné verre après verre avant d'aller cuver son vin dans le motel attenant. Il n'avait pu se résoudre à rentrer, ni à appeler Sam, persuadé que celui-ci, à présent, le maudissait. Ce qu'il avait fait avait plongé Dean dans un désarroi inimaginable, mais plus que cela, c'était la peur viscérale d'avoir perdu son frère qui l'avait impitoyablement rongé des heures durant, tout du moins jusqu'à recevoir ce SMS qu'il ne cessait de lire et relire depuis plusieurs minutes déjà.

Il voulut se raccrocher à l'idée qu'il existait toujours pour Sam. Mais bien qu'il ait repris espoir quant à la pérennité des liens qui les unissaient, les moyens colossaux qu'il pensait devoir mettre en œuvre pour se racheter de son forfait allaient au-delà de son entendement. Dean ne pouvait pas s'arrêter de penser à ce qu'il avait fait à son frère ; les gestes, les sons, les sensations, tout repassait en boucle dans sa tête et c'en était une torture. Si Sam ne le maudissait pas, lui le faisait pour deux, et mortifié, rongé par le remords, il se haïssait autant qu'il haïssait les Érotes.

Comment accepter la nature de ses actes, comment vivre avec la culpabilité infinie qui lui dévorait les boyaux ? Assis misérablement à la petite table ronde de la chambre du motel, les yeux rougis et l'air d'avoir pris dix ans, il avait une main serrée autour d'une bouteille de whisky à moitié vide et l'autre en béquille sur son front, barré de rides. Il avait le sentiment d'être un monstre ; d'avoir commis le péché ultime, une atrocité pire que celles qu'il avait été obligé de perpétrer quand l'Enfer avait fait de lui son bourreau. Il se revoyait sans cesse sortir de la salle de bains, puis sentir ses veines se mettre soudain à bouillir, au point de se mettre à croire que c'était ce que Sam voulait, et asservi par des désirs innommables qu'il avait pourtant tenté de rejeter de toutes ses forces, il se revoyait revenir vers son cadet sous la douche, faire tomber son peignoir et le rejoindre. Ce qu'il avait fait lui donnait envie de vomir. Pour la signification du geste, et pour le plaisir qu'il y avait pris, si intense qu'il en ressentait encore l'écho. Dean s'était déjà jugé et condamné comme profanateur du corps de son frère et fossoyeur des valeurs les plus importantes à ses yeux, comme traître à leurs liens du sang et à la confiance qu'ils se vouaient depuis toujours, il avait l'impression d'être la pire vermine à fouler cette terre, et plus il y pensait, plus il se disait que le message bienveillant de Sam rendait peut-être les choses encore plus insupportables.

Il s'était délivré de la terreur d'avoir perdu son frère, mais une autre, pire encore, vint lui étouffer le cœur, car si Sam s'était mis à lui vouer une haine farouche, au moins aurait-il été épargné d'avoir à croiser son regard.

Il sursauta quand son téléphone se mit brusquement à sonner, tous les poils de son corps hérissés comme ceux d'un chat acculé, mais l'appel ne venait pas de Sam. C'était Castiel.

- Oui, Cass, dit-il d'une voix éraillée en s'efforçant de faire bonne figure, après avoir mis un certain temps à décrocher.

- Dean ? C'est toi ?

- Oui, répondit-il au bout d'une seconde, étouffant un soupir excédé face à cette question inutile. Je t'écoute.

- Dean, c'est Castiel.

Le chasseur faillit mordre dans son téléphone mais parvint à rester calme, peut-être aidé en cela par l'accablement extrême qui était le sien. Il tâcha d'oublier combien parfois, son ami renouait malgré lui avec sa candeur originelle, et répliqua :

- Oui, je sais bien que c'est toi, Cass... Alors, du neuf ?

Dean regrettait déjà d'avoir accepté l'appel. Il avait voulu décrocher, avec l'espoir de recueillir enfin une information utile à la résolution de l'enquête, mais se souvint soudain que même s'il transperçait le cœur des trois déités, rien ne changerait ce qu'il avait fait par leur faute. Il avait cru que parler à Castiel aurait pu dérouter ses pensées du crime qu'il avait commis, mais s'aperçut tout de suite que cela ne faisait au contraire qu'alourdir sa détresse.

- Je n'ai pas de bonnes nouvelles, annonça l'ange. Ma piste en Crête semble ne rien donner.

Dean accusa le coup sans être surpris outre mesure. Depuis le début, tout allait de travers, dans cette affaire, et au point où il en était, il ne voyait pas de raison pour que ça change.
- Ah bon ?

- Hélas oui. J'ai encore quelques détails à vérifier, mais ça ne se passe pas de la façon que j'avais espéré.

- Ok, fit Dean après un soupir silencieux, le ton lourd et la voix chevrotante. Écoute, Cass... Fais au mieux et reviens. Ne prends pas de risques inutiles, surtout. Et merci de... De ce que tu fais.

Castiel, intrigué, tenta de jauger l'état psychologique de son ami qu'il sentait fébrile. Il se tut un instant, puis s'enquit d'un ton soucieux :

- Dean, est-ce que tout va bien ? Tu parais... bouleversé.

L'intéressé, l'espace d'un bref instant, faillit s'épancher. Mais c'était impossible.

- Fais gaffe à tes plumes, ok ? À bientôt.

Et il raccrocha, laissant tomber le téléphone sur la table avant d'enfouir le visage dans ses mains. Qu'allait-il faire, à présent ? Il n'en avait pas la moindre idée, et son désarroi était terrible. Il se fichait même que Castiel n'ait pas trouvé le moyen de faire rendre gorge aux Érotes, car son tracas était ailleurs, désormais. Un abîme lui semblait s'être ouvert devant lui, menaçant de l'engloutir à la moindre tentative d'agir pour remédier à la catastrophe qu'il avait provoquée et qui le plongeait dans un désespoir extrême.

Alors, pour remonter à la surface, reprendre un peu d'air, il fit ce qu'il savait faire. À la faveur d'un coup de fil opportun, issu du hasard ou bien de la providence, Dean fut appelé en renfort, deux heures plus tard, par un autre chasseur lancé sur la piste de vampires, à une centaine de kilomètres de sa position, et il n'hésita pas plus de deux secondes avant d'accepter de lui prêter main forte. Il roula à tombeau ouvert, comme pour tenter d'abandonner derrière lui son insupportable fardeau, et une fois sur place, la destruction du nid malgré la nuit installée fut propre et expéditive. Sur les six vampires attroupés dans la grange abandonnée, Dean en décapita quatre, et rendu à ses instincts premiers il s'acquitta de sa mission sans ciller, louant cet exutoire à ses tourments. Vick, son partenaire éphémère, resta impressionné par sa force qu'il compara à la rage de démon, en précisant tout à trac qu'il fallait y voir un compliment, et ils se quittèrent après avoir partagé une bière sur la capot de la voiture encore tiède.

Dean fut un instant tenté de rester, pourtant. Vick lui avait fait comprendre qu'il n'aurait pas refusé l'associer à d'autres chasses moins avancées qu'il suivait plus ou moins, et l'idée faillit le séduire. C'eût été un moyen facile d'occuper son esprit loin des Érotes, qui l'avaient vaincu, de rester loin du bunker, loin de Sam... mais avait-il envie de s'éloigner de son frère ? Malgré la peur panique qui lui rongeait l'estomac à la pensée de le revoir, et l'attrait que pouvait représenter la fuite, il déclina l'offre timide de Vick. La chasse aux vampires, à défaut d'apaiser ses remords, l'avait au moins convaincu qu'il avait à présent d'âpres démons à exorciser, s'il voulait reprendre un tant soit peu le contrôle de son existence, et qu'il puisse ou non y parvenir, il se devait au moins d'essayer, peu importait ce qu'il lui en coûterait.

Ce fut au petit matin, peu avant l'aube, qu'il décida finalement de rentrer au bunker. Tout à la fois résigné à croiser Sam et espérant pouvoir encore esquiver une confrontation qui, du fait de son propre choix de revenir, devenait inévitable, Dean misa sur le fait qu'il était encore trop tôt, même pour son frère, pour que leurs retrouvailles se fassent dès à présent. Lorsqu'il ouvrit la porte blindée qui grinça sur ses gonds, il renoua avec l'ambiance et les odeurs familières de son foyer, faiblement éclairé par les lampes de veille jalonnant les murs, et c'est en retenant son souffle qu'il descendit l'escalier de fer dans le silence et la pénombre, s'attendant à tout instant à voir Sam surgir devant lui. Il réalisa qu'il y avait près de vingt-quatre heures qu'il avait déserté les lieux, sans un mot, et qu'il n'avait pas une fois donné de ses nouvelles depuis, en dépit des appels rejetés et des messages laissés sans réponse. Sam guettait-il anxieusement son retour ? Où se fichait-il éperdument de savoir ce qu'il devenait ? Dean aurait payé cher pour connaître la réponse mais se réjouit du fait que son frère, visiblement absent, dormait sans doute.

Comme il était couvert de sang et de crasse, il se dirigea tout droit vers la salle de bains sans trouver âme qui vive, cette même salle de bains où il avait commis l'irréparable, et s'y enferma en décidant d'y rester cloîtré autant que possible, en quête d'un refuge mais aussi pour faire pénitence.

Il n'en ressortit qu'une heure après, décapé, et son premier geste fut d'aller s'enfermer de nouveau ; dans sa chambre, cette fois. Remonter le couloir jusqu'à ses quartiers, avec la peur lancinante de croiser Sam avant de parvenir à destination, fut plus éprouvant que bien des combats qu'il avait menés, et lorsqu'il arriva devant sa porte, sans avoir aperçu ni même entendu son frère, il se sentit tellement soulagé et à la fois si mal qu'il partit s'asseoir à même le sol, contre un bord du lit, pour y respirer longuement avant de se relever et de s'étendre lentement de côté sur le matelas. Totalement désemparé il continua de repasser dans sa tête les récents événements, incapable de cesser de penser à ce qu'il avait fait, et son désespoir ne fit que croître, comme l'aggravation d'une infection pour laquelle il n'aurait existé aucun remède.
À un certain moment, le silence assourdissant et le tourbillon de ses idées noires lui furent à ce point insupportables qu'il mit un peu de musique, se contentant d'allumer le transistor sans aucun intérêt pour la nature du son qui s'en échappa. Combien de temps passa-t-il ici, à se flageller intérieurement sans réussir à trouver ne serait-ce qu'un semblant de paix ? Une heure encore ? Davantage ? Poussé par ce sentiment d'étouffement qui lui écrasait le cœur, mille fois il faillit se lever pour aller chercher son frère, et mille fois il se ravisa tant la terreur de plonger les yeux dans les siens le paralysait. Où trouver la force insultante de le regarder en face, quels mots lui dire après ce qui s'était passé ? Dans quel but ?

Dans son analyse épouvantable de la situation, Dean n'était pas capable de concevoir qu'il pût exister une autre façon de réagir à ce qui avait eu lieu la veille, et bien que Sam lui ait tendu la main, il demeurait convaincu que ses liens avec son frère étaient, au mieux, définitivement abîmés, et qu'il n'existait aucun moyen conventionnel de réparer ce qui avait été brisé. Obsédé par ses actes sacrilèges qu'il ne parvenait pas à accepter, il ne fut ainsi pas en mesure de se mettre à la place de Sam, c'est pourquoi il n'anticipa pas une seule seconde le moment où il l'entendit frapper doucement à sa porte.

- Dean...? Je t'ai entendu rentrer, tout à l'heure... Ça va ?

Au son de la voix de son frère, partiellement couverte par le fond sonore, l'aîné des deux hommes fut traversé d'un frisson terrible qui lui coupa la respiration. Tous les poils de son corps hérissés, il se redressa lentement, le cœur battant, et resta assis sans bruit sur le bord du lit, pétrifié. Avec la naïveté de ses craintes d'enfant, il imagina, ou plutôt espéra que s'il restait silencieux, s'il ne répondait rien, alors Sam déciderait de partir et la confrontation qu'il redoutait tant n'aurait pas lieu. Il le crut vraiment, l'espace d'un court moment.

- Dean, répéta bientôt son frère sur un ton aussi apaisé que possible. Je... Je veux juste qu'on parle, toi et moi, je... Je comprends ce que tu ressens mais, ne te renferme pas. S'il te plaît.

Comment Sam aurait-il pu comprendre ? Accablé de remords, Dean eut soudain envie de lui crier que ce n'était pas lui, qui avait abusé de son frère, et qu'en conséquence il ne pouvait guère comprendre, contrairement à ce qu'il affirmait. Dents et poings serrés, il aurait aimé trouver la force de s'excuser, supplier son cadet de lui pardonner son crime, mais il ne réussit qu'à rester là, figé sur son lit, les yeux rougis et les traits creusés par la douleur et le dégoût de lui-même, juste à vouloir de toutes ses forces que Sam s'en aille, même si c'était au fond la dernière chose qu'il désirait vraiment.

- On en a vu d'autres, essaya encore Sam peu après, la voix mal assurée. Pas comme ça, c'est vrai, mais... on a surmonté tellement de trucs, toi et moi, que... Dean, tu m'entends ?

Mais celui-ci ne réussit pas à prendre le dessus sur sa prostration. Renouer le dialogue avec son frère, affronter son regard malgré ses paroles apaisées, était décidément trop demander à l'aîné des Winchester qui, broyé par l'envie d'accepter sans le pouvoir la terrifiante offre de paix de Sam, ne trouva bientôt qu'à augmenter le volume de la radio pour échapper un tant soit peu à la torture que lui infligeait la douceur des mots de son cadet. Sam, alors, ne dit plus rien, et au bout de quelques instants le jeune homme abandonna, s'éloignant en laissant Dean seul face à sa détresse et son envie impossible de lui hurler de revenir.

Ce fut dans la morosité que Sam passa le reste de la journée. Amer et triste de son échec à renouer le dialogue avec Dean, il suivit son exemple et partit s'isoler dans sa chambre pour broyer du noir, non sans garder futilement un œil permanent sur l'écran de son téléphone, songeant avec naïveté que, peut-être, son frère oserait plus facilement lui parler par ce biais. En dehors des fois - innombrables - où Sam réveilla l'appareil pour vérifier la présence hautement improbable d'un appel ou d'un message dont il n'aurait pas été notifié, la brique de plastique et de verre demeura muette. Et le plus jeune des deux hommes en vint à douter très sérieusement que son aîné ait désormais envie de lui adresser à nouveau la parole un jour.

Il aurait pu rester longtemps à nourrir des pensées sombres mais décida de se forcer à bouger, et peu après midi, face au silence obstiné de son frère dont il prit à regret son parti, Sam passa par la cuisine glaner quelque nourriture avant de rejoindre la bibliothèque. Il ramassa l'un des livres dont il s'était servi pour identifier les Érotes, et s'enfonça dans un fauteuil, dans un recoin, en ouvrant l'ouvrage mais en s'interrogeant sur sa responsabilité dans l'acte contre-nature qu'il avait commis avec son frère. Il repensa à sa réaction, sous la douche; à sa façon d'agir, quand il avait laissé sortir la pleine expression de son désir, au moment où il avait senti le corps de Dean contre le sien. C'était cet instant qui, sans doute, avait tout scellé, et il n'avait eu de cesse de se demander, depuis que c'était arrivé, s'il aurait dû agir différemment. S'il agirait différemment, s'il pouvait revenir en arrière. Il eut le sentiment que se poser la question revenait à donner la réponse, malgré le positionnement moral et les convenances établies auxquelles il s'était toujours conformé, et il se sentait relativement en paix avec cela. Il était conscient que les événements qui s'étaient produits n'auraient jamais eu lieu sans cette rencontre avec la triade d'entités divines qu'ils avaient affrontée à Gloucester, mais en dépit de la distance et de la rupture que la situation avait créées entre Dean et lui, Sam, s'il voulait admettre la froide analyse qu'il en faisait, n'était pas à même de décréter avec certitude que c'était une mauvaise chose.

Il resta à y réfléchir longuement et avec tant d'intensité qu'il ne remarqua pas son frère tout de suite, lorsque celui-ci, contre toute attente, arriva d'un pas lent et parfaitement silencieux. Jean sombre sous maillot noir couvert d'une chemise kaki dont il avait retroussé les manches, Dean apparut en affichant une fébrilité impossible à dissimuler, et le désarroi absolu qui lui déformait le regard fut la première chose qui sauta aux yeux de Sam, quand ce dernier vit son aîné planté à quelques mètres de lui, hagard et atrocement accablé. Une vive torsion vrilla l'estomac du cadet de la fratrie, qui avait presque perdu l'espoir de voir se concrétiser un face-à-face, et en se raidissant lentement il resta à viser Dean de grands yeux attentistes et anxieux, n'osant rien dire de crainte d'annihiler cette réponse timide à la main qu'il avait tendue. Dean semblait en proie à une détresse infinie, et ses yeux brillants lançaient à Sam un regard vide, presque désespéré. L'écoulement du temps parut s'interrompre pendant une durée indéfinie, et le silence fut longtemps tout ce qui lia les deux frères. Puis, les lèvres de Dean parurent vouloir s'entrouvrir, laissant croire à Sam qu'il allait enfin lui parler, mais ce fut un soupir de douleur qui s'échappa, et ne pouvant soutenir plus longtemps le regard de son frère, l'aîné se détourna soudain, en gémissant :

- Bon Dieu, je n'arrive même plus à te regarder en face...

Il fit deux pas vers la table d'études et s'y appuya d'une main, le dos tourné. Sam resta muet : la reprise de contact commençait sur une tonalité qu'il avait imaginée moins paisible.

- Comment... tu peux supporter de rester dans la même pièce que moi, après ce que je t'ai fait? reprit bientôt Dean d'une voix éraillée, sans se retourner.

Sam resta à regarder son frère, l'air grave mais sans haine ni colère envers lui.

- Je... Je sais pas ce qui m'a pris, poursuivit Dean, chacune des syllabes qu'il prononçait lui traversant la gorge dans un coup de rasoir. C'était... C'était pas moi, je voulais pas, mais... Je me suis comporté... comme un animal... pire qu'un animal, je... J'ai pas d'excuse. Je sais que j'ai pas le droit de te demander pardon, mais...

Il se tut alors, dans un sanglot étouffé, la gorge tellement nouée que plus aucun son n'en pouvait plus sortir. Sam l'écouta respirer, bruyamment, de façon irrégulière, et sans rien dire il le regarda, son dos voûté, ses poings serrés sur le bois de la table, mesurant toute l'étendue de sa souffrance. Dean paraissait être allé au bout ultime de ses forces pour revenir jusqu'à lui, pour assumer à haute voix ce qui s'était passé, et Sam en avait bien conscience.
- Tu n'as pas à me demander pardon, déclara-t-il alors sur un ton froid mais serein. Ce qui est fait, est fait. Je n'ai rien à te pardonner.

Le son de la voix de son frère, bien moins que la nature de ses propos, provoqua chez Dean un frisson qui le traversa tout entier. Le tonnerre des battements de son cœur l'avait-il empêché de bien comprendre ce que Sam avait dit ? Les traits de son visage déformés par la confusion, il tourna lourdement la tête vers son cadet malgré tout ce que lui coûta le geste et le vit toujours assis dans son fauteuil, pensif, avant que leurs regards ne se croisent quand Sam tourna vers lui des yeux emplis d'une calme résignation.

À ce moment précis, Dean se sentit complètement à nu, exposant ses sentiments de l'instant avec le plus d'authenticité et de sincérité possible, comme la graine d'un fruit dont on aurait épluché toutes les cosses. Il visa Sam d'une expression désemparée, et lui lança, profondément choqué :

- Quoi...? Que... Qu'est-ce que tu racontes, comment tu peux dire un truc pareil ? Bordel, je peux même pas mettre des mots sur ce qui s'est passé, j'y pense en boucle et ça me donne juste envie de dégueuler ! Y'a pas de nom pour ce que j'ai fait ! Et tu me dis que... y'a rien à pardonner ?

Les yeux rouges et les dents aussi serrées que l'étaient ses poings, il fixait Sam avec un mélange de révolte et d'incompréhension, choqué au possible de le voir si passif, si fataliste, presque indifférent à ce qui leur était arrivé. Dean refusait de croire que son frère puisse réellement n'avoir qu'une vague absolution à lui opposer, et en le voyant soudain crisper les mâchoires, il crut bien avoir à affronter son juste courroux. Mais Sam, bien que visiblement contrarié par les paroles de son aîné, n'en avait pas pris ombrage pour les raisons qui semblaient légitimes à ce dernier.

- Et qu'est-ce que tu voudrais que je fasse ? répliqua le plus jeune de la fratrie d'un ton sec en lançant un regard sévère. Que je te casse la gueule ? Que je me mette à péter tout ce qui me tombe sous la main ? Que je te souhaite de crever et que je me tire d'ici pour toujours ?

L'énoncé des réactions possibles heurta Dean, mais il avait imaginé chacune d'elles en les pensant probables, voire inévitables, et l'air effaré il cracha bientôt :

- ...Oui ! Putain, mais... ce serait normal, bon dieu !

Il scruta son frère sans plus battre des cils, guettant, le cœur battant, le moment où Sam daignerait laisser exploser sa fureur, mais celui-ci se contenta de soutenir le regard épouvanté de Dean en remuant les maxillaires, puis se leva et fit quelques pas pour aller poser le livre sur un coin de table, en disant, tourné de trois quarts :

- Ça ne changerait rien à ce qu'on a fait. C'est arrivé, c'est comme ça, il faut faire avec. Tu as dit que tu n'étais pas toi-même, et vu dans quel état tu es je n'ai pas besoin de rajouter une couche à ta peine.

Dean resta défait, complètement abasourdi par l'attitude de son cadet. Un froid intense le pénétrant jusqu'à la moelle des os, il s'imprégna de la morne amertume avec laquelle Sam s'était exprimé et, aussi immobile et fragile qu'un bloc de glace, lui répondit la voix brisée, à la fois dévasté et terrifié de devoir faire un tel constat :

- C'est sûr que toi, t'arrives à gérer ça mieux que moi, on dirait.

Sam reçut la pique sans ciller. Il parut commencer à bouillir, et Dean fut certain, cette fois, qu'il allait le voir s'emporter. Mais de nouveau, Sam n'en fit rien et se borna à affirmer, d'un ton sans concession :

- Écoute. Ce qu'on a fait... Jamais ça ne serait arrivé en temps normal ; c'est évident. Mais si tu avais bien voulu arrêter de faire l'autruche et regarder les choses en face quand on a été obligé d'admettre l'effet qu'a eu notre rencontre avec les Érotes, tu aurais compris que ce qui s'est passé sous cette douche pouvait nous pendre au nez n'importe quand.

Sam vit son frère le fixer d'un regard qu'il n'avait encore jamais connu. Dean, horrifié, parut ne plus reconnaître l'homme debout face à lui et, le visage transfiguré par l'effroi, il livra d'une voix vacillante, comme sortie d'outre-tombe :

- Non. Non, tu ne peux pas... accepter ça.

- Je n'accepte rien, Dean ! s'écria alors Sam. Mais je ne refuse rien non plus ! Parce que je peux pas me payer ce luxe, et toi pas plus que moi !

Dean sembla recevoir ces mots comme un poing en plein visage, et son frère n'aurait su dire s'il allait d'abord le voir s'évanouir ou vomir.

- Enfin, tu ne comprends pas ? tenta de faire entendre le cadet de la fratrie. Ce... ce truc qui te bouffe, ce rejet de ce qu'on a fait... C'est exactement ça, qu'ont ressenti ceux qui ont fini par perdre la tête ! Ils n'ont pas voulu, ou ils n'ont pas pu accepter les conséquences de leurs actes, et le remords les a dévorés jusqu'à la folie !

- Et alors ! tonna Dean dans un brusque regain d'énergie. Qu'est-ce que tu veux que je fasse? Que j'accepte ce qui s'est passé ? Comment tu peux me demander un truc pareil !

- Recontextualise, Dean ! Il y a une raison à ce qui s'est passé ! Si on a fait ça, c'est...

- Arrête de dire ça ! fulmina-t-il avec une fureur que son état d'abattement n'aurait jamais laissé soupçonner. Arrête de parler de ce qu'on a fait, comme si c'était quelque chose qui nous incombait à tous les deux ! C'est moi, le fautif ! C'est MOI, le responsable, t'entends ?!

Et il se frappa la poitrine pour bien se désigner comme unique coupable, quand Sam, faisant trois pas dans sa direction, se mit à hurler deux fois plus fort, le regard en flamme :

- ON L'A FAIT ! TOI ! ET MOI ! Ouvre les yeux ! Arrête de te croire seul en cause parce que c'est faux !

Dean continua d'affronter son frère d'un regard partagé entre fureur et douleur mais, ébranlé, il ne riposta pas. Il était complètement effondré, en quête désespérée d'un moyen de retrouver un peu d'air, et frustré de son impuissance à lui venir en aide, Sam s'avança un peu plus pour tenter tout de même de l'épauler, en le priant d'une voix radoucie et d'yeux compatissants :

- S'il te plaît, il faut que tu arrêtes de te torturer. Ce n'est pas de ta faute, tu comprends ? Tu n'étais pas tout seul ; j'étais là, moi aussi. Et si tu dois être responsable de quelque chose, alors je le suis autant que toi, parce que je n'ai rien fait pour t'arrêter.

Dean se rappela tout à coup le corps conciliant de son frère. La façon dont il l'avait laissé venir contre lui, sa manière d'accompagner et même d'encourager ses mouvements, sa réaction durant l'acte, jusqu'au point culminant du plaisir qu'ils avaient pris tout deux. L'aîné des deux hommes n'avait pas oublié cet aspect de leur union contre-nature, du moins pas complètement. Mais, concentré sur la condamnation par Sam de ses actes, qu'il avait été certain de devoir subir sans qu'elle ait finalement eu lieu, il avait enfoui dans un coin de sa mémoire l'attitude pour le moins troublante de son cadet qui, en plus de n'avoir opposé aucune résistance à ses pulsions, y avait répondu, lui semblait-il confusément, d'une manière tout à fait inattendue. En repassant dans sa tête ces images embrouillées, alors même qu'il sentit dans sa chair l'écho de la jouissance qu'il avait éprouvée, Dean faillit oser se raccrocher à l'idée consolatrice que si son frère avait été soumis autant que lui a cette folle tentation qui les avait vus s'oublier totalement, alors son crime était peut-être un peu moins grave.
Mais à peine cette pensée prit-elle forme dans son esprit, qu'il la rejeta violemment dans un accès d'épouvante.

- Pourquoi tu n'as rien fait pour m'en empêcher, Sam ? lui dit-il d'une voix aussi brisée que son regard, sans pourtant qu'aucun accent de reproche ne transparaisse derrière ses mots.

Sam haussa les épaules en secouant légèrement la tête, une moue désabusée lui étirant la commissure des lèvres.

- Sûrement pour la même raison qui t'a fait revenir sous la douche, répondit-il.

Il n'eut pas besoin d'être plus explicite, et cette confirmation à ses craintes accabla Dean encore davantage. Il émit un long soupir tremblant, se laissa tomber sur le siège le plus proche, et après un long moment de silence passé à viser le vide d'un regard empli de détresse et de désarroi, il gémit d'une façon à peine audible :

- Je sais pas si je vais pouvoir vivre avec ça, Sammy... J'ai l'impression que je vais devenir marteau à force d'y penser, il doit y avoir... un moyen... Un moyen de se le sortir de la tête...

Sans rien dire, Sam alla s'asseoir non loin de lui à la table d'études, laissant une chaise d'écart entre eux deux. Il laissa passer un instant, pesant les mots qu'il allait prononcer pour rester neutre et objectif, et livra finalement d'un air pensif, les mains sur les cuisses et les jambes tendues devant lui :

- C'est ce que je me suis demandé, moi aussi... Mais, quoi ? Tu veux qu'on se concocte une potion d'oubli ou... qu'on se jette un sort d'amnésie ? Ou bien qu'on retourne dans le passé, pour ne jamais s'intéresser à cette affaire ? Ou alors, qu'on... sacrifie nos âmes pour ne plus rien en avoir à faire ?

Au moins l'une de ces hypothèses parut valable à Dean, qui suggéra timidement :
- Oublier que c'est arrivé, c'est une solution qui m'irait bien, moi...

Il sut tout de suite, dès le dernier mot prononcé, que Sam ne l'avait pas bien pris. Ce dernier ne réagit pas verbalement, pas tout de suite, mais Dean connaissait trop le sens du silence lourd et de l'absence du moindre geste qu'afficha son frère, pour en douter.

- Une solution ? répéta-t-il finalement avec amertume. Choisir la lobotomie pour ne pas avoir à affronter une réalité trop lourde à regarder en face ?

- Qu'est-ce qu'il y a d'autre à faire ? scanda Dean en levant des yeux rouges et en cognant sans force du poing sur ta table. Ces gens, qui ont fini par en venir au meurtre ou à se foutre en l'air, ils l'auraient fait s'ils avaient pu !

- Tu ne te flingueras pas, assura Sam. Et tu ne buteras personne non plus. Il te suffit d'accepter ce qui est arrivé, même si ça te semble impossible !

Dean parut en effet incapable de concevoir une telle chose, mais son frère se pencha un peu vers lui pour reprendre fermement :

- Ecoute-moi, je sais que tu t'en veux. Terriblement. Tu te dis que ton boulot a toujours été de veiller sur moi, de me protéger, et que ce que tu as fait est la pire de toutes les trahisons. Je comprends ça, Dean, mais tu te trompes. Ce qui s'est passé ne serait sûrement jamais arrivé si on n'avait pas croisé les Érotes, d'accord, mais ils ne sont pas les seuls fautifs.

Il fit une pause, et prit le temps d'inspirer profondément avant de poursuivre sous le regard anxieux de son aîné :

- Qu'on le veuille ou non, Pothos n'a fait que craquer l'allumette. Je sais que tu refuses d'entendre ça et que ça te heurte à un point inimaginable, mais si au fond de nous, de nous deux, il n'y avait pas eu une once de désir, rien ne serait arrivé.

Sam, après s'être entendu exprimer si clairement son opinion, se sentit à la fois vaseux et plus léger, et il eut besoin de reprendre son souffle, quand Dean, lui, chercha à tâtons le bord de la table d'un bras fébrile pour s'y appuyer et se lever avec raideur.

- Jamais, martela-t-il d'une voix glacée en se tournant vers Sam avec une lenteur extrême. Jamais je n'ai ressenti ça pour toi. Tu m'as bien entendu ?

Quand le regard atterré de Dean se fixa sur lui, Sam prit le temps de considérer sa souffrance avec respect, car personne mieux que lui ne la comprenait et qu'il estimait en être partiellement à l'origine. Il hocha gravement la tête, et sans le quitter des yeux, répondit à son frère en face de lui :

- Jusqu'ici, moi non plus. Pas consciemment.

La nuance fit vaciller le plus âgé des Winchester dont le visage parut se tordre d'effroi.

- Après avoir lu tout ce qu'on a sur eux... c'est la seule explication plausible que j'ai trouvée, déclara Sam en semblant pourtant encore chercher à s'en convaincre réellement. Ils n'ont fait que faire remonter quelque chose..., une ambiguïté, une divagation... un délire d'une seconde, le signe de quelque chose qui était déjà là mais qu'on a préféré oublier ou ignorer, comme si ça n'existait pas. Je me dis qu'après tout, avec la vie qu'on a menée jusqu'ici, tous les trucs inimaginables qu'on a traversés... C'est peut-être pas le pire qui pouvait nous arriver.

Une lourdeur terrible parut alors l'accabler à son tour, et en le sentant profondément ému, à la fois résigné et mélancolique, Dean se retrouva pétrifié de terreur, comme si une nuit éternelle venait de tomber. Si Sam abandonnait le combat, s'il consentait à vivre avec ces idées insensées, alors c'était la fin car, dans cette folie, Dean ne voyait aucune issue.

- Tu disais que c'était pas notre faute, prononça-t-il d'une voix rauque en repensant au SMS qu'il avait relu cent fois. Que ça irait...

Sam releva lentement les yeux et inspira en regardant longuement son frère avant de hocher légèrement la tête.

- Non, ce n'est pas notre faute. Bien sûr que non. Avec ou sans Érotes, personne n'est responsable de ce qu'il éprouve, Dean.

Ce dernier entendit, mais les mots semblèrent atteindre ses tympans et tomber ensuite dans un abîme insondable. Sam laissa passer quelques secondes, sans que ni l'un ni l'autre n'ajoute rien, puis il se leva en tirant sur un côté de sa chemise pour la remettre en place.

- Écoute, je... Quoi qu'il se passe, je veux que tu saches que je ne te laisserai pas tomber, promit-il. Je sais qu'on a connu des situations plus simples à gérer, mais il y en a eu des pires.

- Qui ne nous concernait que nous deux... non, contesta Dean avec affliction. Je crois pas.

Sam hocha la tête une fois de plus, l'œil au sol, avant de reprendre :

- Essaie juste de te pardonner. Ok ? Je ne te reproche rien, et la responsabilité de ce qui s'est passé, on est deux à la porter. Il aurait sûrement mieux valu que ça n'arrive pas, mais c'est arrivé, alors il faut qu'on s'efforce de faire avec.

Il fit deux pas vers son frère et lui dit, droit dans les yeux :

- On va y arriver. Comment, j'en sais rien, mais je suis sûr qu'on va se sortir de ça. Pas de jugement entre nous, pas de honte à avoir, on est dans le même bateau alors on se serre les coudes, peu importe ce qui s'est passé. Tu veux bien tenter le coup ?

Dean, à cet moment, ne se crut pas en mesure d'y parvenir. Au presque opposé de son désespoir, l'étrange optimisme de Sam le laissa perplexe, si toutefois il s'agissait bien d'optimisme et pas de déni. Le déni, lui-même l'avait souvent pratiqué, justement pour ne pas disparaître dans les sables mouvants de l'accablement, mais ce qui s'était produit lui semblait cette fois bien trop grave, bien trop lourd de conséquences sur son identité, sur sa respectabilité et sur ses qualités d'homme, pour pouvoir en faire abstraction. Son sentiment d'être emporté par un tourbillon vers les abysses gardait toute son implacable intensité, et s'il arriva bien le moment où les deux frères se séparèrent en mettant fin à leur discussion, Dean, en y repensant plus tard, allait être bien incapable de se souvenir sur quels mots ils s'étaient quittés.

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