Chapitre 29 : Retrouvailles
Walker, tu déchires
Toutes les autres Maisons t'admirent
En l'air, sans pression
Dans le vide tu tournes en rond
Le vif a beau freiner
Il ne fait que t'échapper
Ce soir, la victoire,
Tu la donnes à Gryffondor !
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Nemo n'eut plus aucune vision après ce jour-là. Mojito lui préparait une potion anti crise à prendre tous les jours, sur demande de la guérisseuse. J'avais dû me rendre à l'évidence. Bernadette avait entièrement raison, ces soi-disant visions que nous suivions depuis plusieurs mois n'étaient que des émanations sans queue ni tête du cerveau abîmé de notre camarade après sa possession sauvage par le légillimancien l'an dernier.
Étrangement, Mojito ne nous avait ni retiré de points, ni donné de retenue, et s'était contentée de nous renvoyer à nos dortoirs. Tous, sauf Kathleen, à qui elle avait demandé de l'accompagner, elle et le prof de Runes. Ce que je trouvai d'autant plus louche quand Kathleen avait ensuite été incapable de se souvenir de ce qu'elle avait vu en sortant du tunnel dans la réserve nez à nez avec les deux profs. J'étais certaine d'avoir vu Mojito ranger quelque chose en hâte sous une dalle, et Kathleen avait forcément vu quelque chose puisqu'elle était sortie avant moi. De là à penser qu'elle s'était mangé un sort d'oubliette de la part des deux complices, il n'y avait qu'un pas. Le soir où nous les avions surpris en train de trafiquer la nuit dans les couloirs était encore frais dans ma mémoire. Ces deux-là étaient louches.
Je fus tirée de mes pensées par la voix énervée de Norah Littlerock.
- Réveille-toi, Malany ! C'est pas le moment de rêvasser ! Tacle !
Je me secouai un temps trop tard. Rose Weasley venait de percer ma défense à la vitesse d'un boulet de canon en direction des anneaux. Le présentateur annonça un nouveau but pour Gryffondor. La sœur de Hugo poussa un rugissement victorieux.
L'équipe de Gryffondor était complètement enragée depuis qu'elle avait écrasé Serpentard deux semaines avant. David Taylor avait encore demandé à Kathleen de ne pas attraper le vif d'or s'ils avaient plus de 150 points de retard, et elle avait à regret laissé Lily Potter s'emparer de la balle sous son nez. Cette dernière en avait tiré une fierté tellement démesurée qu'elle avait sans attendre créé une version déformée du chant de victoire de Charybde et Scylla, que tous les supporters de Gryffondor avaient repris sur le chemin du retour du match. Kathleen n'avait pas pleuré sous l'humiliation. Je commençais sincèrement à penser qu'elle en était anatomiquement incapable. Elle avait courbé le dos et serré le manche du vieux balai défoncé de l'école.
Depuis, l'équipe de Gryffondor, menée par leur capitaine James Potter, était persuadée d'être imbattable, ce qui avait déclenché un fou rire à Norah Littlerock, pour qui James Potter était le pire stratège que l'école ait jamais connu. Sa réaction nous avait rassurés avant d'entrer sur le terrain. Maintenant, notre assurance faiblissait un peu. Gonflés par leur certitude d'être les meilleurs, les frères Potter maniaient la batte comme des sauvages depuis le début du match et Zach et Brutus avaient du mal à récupérer la main. Pour couronner le tout, Rose Weasley avait la fâcheuse tendance à me filer entre les doigts comme une savonnette. Et ses rugissements de lion à chaque but marqué pour galvaniser son équipe avaient aussi tendance à nous impressionner.
Nous étions menés, et, clairement, le match nous échappait.
- Soyez patients, nous souffla Norah, Weasley tient le match à elle seule. Elle va se fatiguer. Sois prête à tacler dur quand le moment arrivera. Leurs deux autres poursuiveurs sont nuls.
J'étais prête. Aux premiers signes de fatigue, je fus sans pitié. Norah avait raison. Les deux autres poursuiveurs étaient strictement décoratifs. Louis Weasley se délectait tellement de ses rares prouesses qu'il perdait son attention et il était facile de lui piquer la balle, quand à l'autre poursuiveuse, c'était une des noisettes glousseuses de Tic et Tac, et je me demandais sincèrement ce qu'elle foutait là.
Le rapport de force s'inversa inexorablement. Les frères Potter fatiguaient aussi, et les cognards ne laissait aucun répit à une Rose Weasley déjà au bout du rouleau. Lorsque sonna la sortie du vif d'or, Jake Andersen fila comme une flèche et se saisit presque tendrement de la balle à la barbe de Lily Potter qui se voyait déjà à l'honneur de la prochaine chanson de victoire qu'elle allait créer pour l'événement. Le plus jeune des Andersen fit un tour de terrain en montrant son trophée, avec son habituel sourire adorable qui donnait envie de lui faire des câlins.
Avec les points de ce match et les victoires successives de Joey Andersen et ses dragonneaux, nous passions en finale contre Gryffondor en étant favoris. C'était le plus beau des cadeaux pour la dernière année de Norah Littlerock qui tournoyait de joie en nous embrassant tour à tour.
Dans la liesse qui suivit à l'intérieur des vestiaires, Zach tenta une approche pour me parler mais je réussis à l'esquiver en allant converser avec Steven qui refaisait pour la dixième fois le récit de ses meilleurs actions pendant le match. Depuis plusieurs semaines, il tentait des hameçonnages en vain.
Ce fut lors d'une de mes sorties seule dans le château quelques jours plus tard qu'il parvint à me harponner dans un couloir.
- Hé, Many ! appela la voix de Zach.
Je me morigénai d'être restée seule, ouvrant par là une voie d'approche pour ce faux ami.
Il se mit à ma hauteur et je ne pus l'ignorer plus longtemps.
- Quoi ?
- Tu veux pas me dire pourquoi tu m'évites ? J'ai attendu un peu voir si ça allait te passer tout seul, mais là je crois que ça passera pas. Je sens bien que j'ai dû faire un truc qui t'a blessée, mais j'arrive pas à trouver quoi. Dès que je vois ton regard noir, ça me rend triste, ça me prend la tête et je mouline dans le vide à essayer de comprendre. Cette ambiance pourrie, moi, ça me donne mal au bide. On pourrait pas revenir comme avant ?
Je m'arrêtai pour le dévisager. Est-ce qu'il parlait sérieusement ? Son visage candide affirmait son honnêteté. Comme à de nombreuses reprises ces derniers mois, je ressentis une pointe de doute. Pourquoi je lui en voulais, déjà ?
- Je...
- Attends, m'arrêta-t-il. Viens.
Sa main chaude saisit mon poignet et m'attira dans les couloirs. Il tourna dans l'aile Nord et me fit monter une volée de marches en pierre poreuse. Il pénétra dans une vielle salle de classe abandonnée en poussant une porte de bois rongé. Il me lâcha et courut jusqu'à un gigantesque matelas éventré avant de se jeter dessus dans un gros nuage de poussière.
Il leva une bouille toute souriante vers moi.
- On sera tranquille ici ! Dis-moi tout ! Je suis certain que c'est un bête malentendu !
Son air serein me déconcerta. Un malentendu ? Non, pas du tout, il s'agissait d'une terrible trahison. Des amis qui ne me soutenaient pas lorsque je cherchais à comprendre comment faire arrêter le legilimancien maboul à mes trousses. Quoique, les visions de Nemo s'étaient avérées être un cul-de-sac. Ils avaient peut-être eu raison, au fond. Mais c'était sans compter ces secrets.
Je m'assis prudemment près de lui. D'un bond, il se rapprocha pour entendre ce que j'avais à dire.
- Je vois aucun malentendu, grognai-je.
Son sourire confiant s'évanouit.
- Ah... Ah bon ? J'ai fait quelque chose de mal ?
Ses yeux penauds me firent me sentir coupable.
- Non... Enfin si... Rah ! Tu m'énerves ! Tu vois vraiment pas ?
Il hésita.
- C'est à propos du Quidditch ?
Je levai les yeux au plafond. Il baissa les siens.
- Est-ce que... Est-ce que c'est parce que je suis tout le temps à la ramasse ? Que je suis trop lent à comprendre ?
Sa voix émue me fit de la peine. Je m'adoucis. Ce n'était pas à Zach que j'en voulais le plus.
- Quoi ? Non, pas du tout, je t'en voudrais jamais pour ça, déclarai-je. Je suis pas une flèche non plus, tu sais.
Ses paupières se fermèrent et il poussa un bref soupir soulagé. Je pris un moment pour rassembler mes pensées et me rappeler pourquoi je lui en voulais. C'était à cause des secrets. Tous ces secrets qui m'avaient rendue folle l'été dernier.
- Je t'en veux pas à toi personnellement, mesurai-je mes propos. C'est juste que j'en ai eu assez de tous vos secrets, à toi, Plumeau et Hugo. J'étais toujours la dernière au courant, comme pour les dessins de Plumeau. Ça m'a gavée.
- Quels secrets ? J'ai aucun secret, déclara-t-il.
Un de mes sourcils se haussa plus haut que je l'aurais cru possible. Son air ingénu me laissait muette. Est-ce qu'il avait au moins la moindre idée de ce qu'il s'était passé ?
- Aucun secret ? Et donc tu peux enfin m'expliquer ce que faisait le livre de potions que tu devais offrir à Plumeau empaqueté sur le lit d'Alyss à la Saint Valentin ?
Toutes les couleurs de son visage se fanèrent.
- Hein ?
- Le livre de potions, insistai-je. La Saint Valentin. T'as oublié ?
Sa bouche s'ouvrit et se referma comme celle d'une carpe.
- Je... J'en sais rien. C'était une mauvaise idée. Je sais pas ce qui m'a pris.
- Pourquoi une mauvaise idée ?
Il regarda en biais et se frotta le front.
- Ben...
Ses yeux regardaient à droite et à gauche dans une confusion manifeste. Est-ce qu'il était si sérieusement sourd à lui-même qu'il ne comprenait même pas ses propres sentiments ? J'avais encore envie de croire qu'il me mentait délibérément, mais j'avais de plus en plus forte l'impression qu'il ne se comprenait pas lui-même.
- C'est facile à comprendre, pourtant, m'agaçai-je. Alyss te plaît et tu voulais l'inviter pour la Saint Valentin. C'est facile à dire, non ? Pourquoi tu pouvait pas juste me répondre ça, au lieu de faire semblant de pas comprendre ?
Il battit des paupières comme un automate cassé, et sa bouche s'ouvrit plusieurs fois en vain avant d'arriver à rassembler ses idées en une suite de mots cohérente.
- Hein ?
Son incapacité à faire face termina de me convaincre que j'avais eu faux sur toute la ligne. Il nageait dans le déni le plus complet. Il ne m'avait jamais menti. Il n'avait jamais eu de secret. Est-ce qu'on peut encore appeler un secret quelque chose que même la personne concernée elle-même ignore ? Je me sentis soudain honteuse de ma réaction.
- Je pensais que tu me cachais ton crush sur Alyss, confiai-je, mais on dirait que c'est pas si simple que ça.
Il émit un gémissement et se laissa tomber en arrière sur le matelas, les mains sur la tête. Je le laissai passer lentement ses doigts dans ses cheveux en fixant le plafond avec intensité. Je savais qu'il cherchait la meilleure façon de me faire comprendre ce qu'il ressentait. Je patientai.
- En fait... commença-t-il enfin. Je trouvais Alyss mignon en première année, mais je croyais que c'était parce qu'il ressemblait à une fille. Tu me suis ?
Je restai silencieuse pour l'inviter à poursuivre. Il baissa les yeux en biais.
- Maintenant qu'il a pris des épaules, que le doute est devenu absolument impossible, je le trouve encore plus sexy... Je peux plus faire semblant en trouvant des excuses... Et puis j'aimais bien Plumeau aussi, comment c'est possible ça, comment je suis censé mettre de l'ordre dans ce bazar ?
Ses iris noirs se levèrent vers moi en quête d'une explication miracle.
- Il te suffisait de me confier tout ça et tu te serais senti mieux, lui assurai-je.
Il se redressa brusquement pour planter son visage angoissé face à moi.
- Je pouvais pas te confier quoi que ce soit parce que moi même j'y comprends rien ! Je suis perdu ! Je me comprends pas moi-même !
C'était clair qu'il ne se comprenait pas. Comment pouvait-on ne pas être au courant de ses propres sentiments ? De ce qui se passait dans sa propre tête ?
- Comment tu peux ne pas te comprendre ?
- Je sais pas, haussa-t-il les épaules. Je sais même pas ce que je veux vraiment, ce qui m'attire, ce dont j'ai envie. Il se passe plein de choses dans ma tête auxquelles je capte rien, mon cerveau atrophié décrypte ça à deux à l'heure, et je doute de tout ce que je fais.
- Peut-être qu'en m'expliquant tes idées, je pourrais t'aider à y mettre un peu d'ordre et...
- Non, non, surtout pas, je veux pas que tu m'aides à résoudre mes doutes. J'ai besoin de les laisser mûrir encore un peu.
- Je comprends pas. Tu peux pas rester dans l'indécision indéfiniment.
Son air songeur me laissait entendre qu'il cherchait ses mots. Zach était un véritable moulin à paroles, mais la précision du langage n'était certainement pas son fort. Il se contentait la plupart du temps de laisser libre cours à sa logorrhée sans chercher à y mettre le moindre sens.
- Je crois que j'ai besoin de douter encore un peu, avoua-t-il.
Je ne l'avais jamais vu aussi concentré.
- C'est comme si mes idées étaient encore à l'état de fluide et changeaient de forme tout le temps, tu vois ? J'ai peur d'en faire cristalliser une trop tôt et de tuer toutes les autres sans possibilité de retour en arrière. J'ai pas envie de prendre de décision hâtive et irréfléchie. Laisse-moi mettre de l'ordre dans tout ça à mon rythme, ok ? Je te promets que je te confierai tout ça quand ce sera plus clair.
Je laissai mon esprit déconcerté trouver la paix dans les iris noirs de Zach. On n'y voyait que de la sincérité et j'étais de toute façon persuadée que c'était son seul mode de fonctionnement possible. Finalement, je finis par lâcher prise et décidai de laisser ses secrets au fond de leur abîme. Je me trouvais maintenant embarrassée d'avoir accordé tant d'importance à des idées inachevées et des hésitations sincères.
- Est-ce que tu me trouves irréfléchie ? demandai-je soudain.
Un sourire involontaire dévoila ses dents blanches et je sentis son rire nerveux contenu.
- Irréfléchie comme dans faire la tête à ses amis parce qu'ils ne répondent pas à la seconde et de manière satisfaisante à toutes ses questions ?
Je pouffai avec lui.
- Ok, ça va, j'ai compris le message !
- Mais ça peut avoir des bons côtés, aussi, ajouta-t-il. C'est ce qui rend amusant le fait de traîner avec toi. Quand on fonce sans se poser de question, la vie est toujours pleine de surprises.
- Pas toujours des bonnes, lui accordai-je.
- Tu me fais plus la tête alors ?
Son visage sincèrement heureux me fit éclater de rire.
- Non, et je crois que tu m'as aidée à comprendre un truc important.
- Ah oui ? s'étonna-t-il.
- Je pensais que tout le monde réfléchissait comme moi, avouai-je. Et pour moi, toute cette indécision, c'est incompréhensible. Je prenais ça pour une trahison. Te moques pas, mais je crois je viens de prendre conscience pour la première fois de ma vie que tout le monde fonctionne différemment. En réalité, j'étais juste complètement à côté de la plaque.
- Ouais, tout le monde a pas la tête dure comme la tienne, fit-il. Laisse nous nager dans notre indécision le temps qu'il faut. On te confiera tous nos secrets quand ils seront solides.
- Vu ta propension à te noyer, si j'étais toi, j'attendrais pas trop longtemps avant de solidifier la terre ferme, raillai-je.
- Si c'est le cas, je ferai appel à toi pour m'aider à foncer dans le solide, sourit-il. Tu seras mon joker.
- Ravie d'être ton bouffon, saluai-je d'un signe de tête.
Le soulagement que j'éprouvai me surprit. Je m'étais montée la tête toute seule mais en mon for intérieur je rêvais de retourner avec Zach, Hugo et Plumeau. Mon ego était si occupé à échafauder des scénarios bancals pour me donner raison que je n'en voyais plus ce dont j'avais réellement envie. Ils me manquaient.
Zach s'était allongé sur le matelas et avait passé ses bras derrière la tête. Sur ses lèvres flottait un sourire niais.
- Dis, si on est amis à nouveau, tu voudras bien m'aider à aborder Hendrick Dawson pour pouvoir lui proposer un date ?
Je me redressai d'un bond. Dawson était un cinquième année de Serdaigle revenant souvent dans les rumeurs de couloirs ces derniers mois sous le surnom de Gay Dawson.
- C'est une blague ? Tes idées sont plus cristallisées que du diamant, en fait ! Tu te fous de ma gueule depuis tout à l'heure !
Il avait sursauté à ma réaction, puis il remarqua que je venais d'éclater de rire et me rejoignit.
- C'est cristallisé que dalle, mais il faut bien essayer pour savoir, se justifia-t-il.
Je finis par promettre que je l'aiderais. J'en avais oublié tout mes problèmes et mes mystères idiots. J'étais contente de retrouver Zach. Je calai mes épaules dans le matelas poussiéreux à côté de lui et réfléchis à sa demande.
- Tu veux pas plutôt tenter ton coup avec quelqu'un que tu connais mieux ? fis-je. Nemo, par exemple. Il te plaît pas ?
- Oulà, t'es folle, toi, Nemo et moi, on joue pas dans la même catégorie.
- Comment ça ?
- Il est beau gosse à en faire une syncope, qu'est-ce que tu veux que je fasse à côté, moi ?
- Oh, t'exagères, rigolai-je.
- Tu dis ça parce que tu l'as pas vu se mettre torse poil pendant les cours de gym, j'en ai des bouffées de chaleur à chaque fois.
Je pouffai en le voyant poser une main sur son front pour prendre sa température.
- Te dénigre pas comme ça, le rassurai-je. Lyra fait de toi un vrai athlète depuis qu'elle t'a pris sous son aile. Tu te défends pas mal non plus.
- Tu dis ça pour me faire plaisir.
- Non, je le pense vraiment, on s'est pas vus depuis longtemps alors je vois bien mieux que toi combien t'as changé.
Il fit une exclamation émue et me prit dans ses bras pour poser un bisou sur ma joue.
- Je pense que Plumeau et Hugo sont dans la salle commune, dit-il. Tu voudrais pas m'accompagner leur faire des bisous, par hasard ?
J'eus envie de l'embrasser, tant il voyait clair dans ma tête. Et puis j'eus un doute.
- Tu crois qu'ils vont me pardonner ?
- Bah, ils te haïront probablement jusqu'à-ce que la maladie de l'oubli leur fasse perdre la boule, mais autant essayer, non ?
Je lui envoyai une bourrade dans l'épaule.
- J'étais hyper sérieuse !
- Moi aussi, répondit-il en riant, Plumeau et Hugo sont pas du genre à oublier, contrairement à moi.
Il se pencha vers moi avec un air confidentiel.
- Je suis persuadé que Plumeau oublie jamais, qu'elle tient une liste de toutes les personnes qui lui ont fait des crasses, et qu'un jour elle les alignera toutes au bord d'une falaise pour les y pousser un par un. Toi, tu seras clairement sur la falaise.
- Arrête, tu me fais marcher.
- Et Hugo, ben bon courage, me souhaita-t-il.
Je poussai un soupir excédé en me redressant au bord du lit de fortune.
- Ah, Hugo, il me saoule, de toute façon, à être tout le temps énervé quand je suis avec Tom.
Zach haussa deux sourcils de connaisseur.
- Et tu te demandes pas pourquoi ça l'énerve autant ?
- J'en sais rien, tout et n'importe quoi peut l'énerver sans raison, grommelai-je.
Il eut un petit ricanement amusé.
- Moi, tu me devines direct, mais lui, ça fait déjà un bail qu'il est à fond sur toi et tu captes rien du tout, c'est fou ! Mais maintenant que tu sors plus avec Kindeye, au moins, il arrêtera de faire son jaloux mécontent à longueur de journée.
- Hein ? Tu délires ou quoi ? Hugo est jaloux ?
Mes neurones firent la lumière sur la tirade que je venais d'entendre.
- Ah...
Bizarrement, ça me rendait Hugo encore plus irritant.
- Je sors toujours avec Tom en plus, précisai-je.
- Ah bon ? J'ai du me tromper. Mais comme je l'ai vu hier qui roulait une pelle à Grace, je me suis dit que vous étiez plus ensemble.
- Quoi ?
- Oh... T'étais pas au courant...
Je me laissai tomber à plat sur le matelas poussiéreux et fermai les yeux. Je restai un long moment dans cette position, à faire décanter toutes les pensées contradictoires qui fusaient dans tous les sens à l'intérieur de mon crâne.
Lorsque je rouvris les yeux, mes idées étaient limpides. Je m'étais perdue. Égarée avec Tom Kindeye, égarée à croire que ma place était auprès du groupe de Gryffondor. Alors que ma place, je l'avais déjà trouvée.
Je me levai et avançai. Zach se redressa en sursaut et me suivit avec une exclamation victorieuse.
Je les trouvai dans la salle commune, attablés dans un silence studieux, Plumeau en train de coucher sur un parchemin une probable nouvelle recette de sa fabrication, Hugo au-dessus d'un grimoire poussiéreux, tous deux imperturbables malgré le son electroll qui sortait des enceintes végétales de Steven Andersen. Ils levèrent les yeux ensemble à l'arrivée de Zach, et me dévisagèrent comme s'ils voyaient un esprit frappeur. Je pris mon courage à deux mains.
- Désolée pour tout, j'ai fait n'importe quoi. Zach m'a ouvert les yeux. J'ai vraiment été une amie nulle. Je comprendrai si vous voulez plus de moi.
Ils continuaient tous les deux à me regarder avec perplexité.
- J'ai compris qu'on pouvait être amis et garder son jardin secret, soupirai-je, je vous promets que je vous embêterai plus avec ces histoires de secrets, je serai là si vous voulez vous confier mais je vous laisserai tranquille si vous vous sentez pas prêts.
- Quels secrets ? fit Hugo avec un air méfiant.
A ma plus grande surprise, Plumeau se leva et se fondit en une étreinte autour de moi.
- Pardon, marmonna-t-elle. Pardon de pouvoir rien dire de...
- T'inquiète, la coupai-je, je suis au courant pour ton père, t'as plus à t'en faire pour ça.
Elle se redressa brusquement avec un visage soucieux et devint rouge pivoine.
- Mon père ?
- Rambrandt, lui murmurai-je à l'oreille. Je sais que c'est ton père adoptif, mais j'ai compris qu'il voulait pas que ça se sache, alors je le garde pour moi.
Son expression passa de la profonde inquiétude à un demi-soulagement crispé.
- Ne me refais plus ce coup-là, supplia-t-elle, je te considère vraiment comme une amie, et je comprenais rien à ce qu'il se passait. Je peux te faire confiance ?
Je hochai la tête et murmurai encore une fois que j'étais désolée. Un immense sourire serein revint prendre la place qui lui revenait au milieu du faciès lunaire de Plumeau.
- J'en étais sûre, souriait-t-elle, je savais bien que tu reviendrais. Je t'en veux pas, t'inquiète pas, ça peut arriver d'être un peu perdu en chemin, rien de bien grave. Notre amitié est bien plus solide que ça.
Elle haussa les épaules et une vague de quiétude m'enveloppa à l'idée de retrouver le flegme et la flexibilité mentale de Plumeau. Un roseau sur lequel toutes les tempêtes s'échinaient sans parvenir à faire autre chose que le contorsionner pour mieux revenir à sa forme initiale.
- J'ai jamais eu de secrets, répéta Hugo.
Il n'avait pas bougé de sa place et portait toujours un regard sévère.
- Peu importe, écartai-je le problème, je m'en fiche, maintenant, tu peux les garder pour toi.
- Non, pas peu importe, je suis pas laxiste comme Plumeau, tu nous as lâchés sans raison et tu reviens comme une fleur des mois plus tard. J'ai envie de comprendre.
- J'étais énervée de deviner des secrets dont tu voulais pas parler, c'est tout, c'était stupide, maintenant je regrette de m'être pris la tête pour si peu. C'est pas grave.
- C'est bien ce que je pensais, fit-il avec un sourire en coin qui n'avait rien d'amical. J'ai aucun secret, et si tu as cru que j'en avais, c'est que tu passes tout ton temps à nourrir tes obsessions de mystère et d'aventure sans prendre le temps d'écouter.
Le coup fut violent et je peinai à répondre.
- Mais... tes parents... ta mère...
- L'histoire de mes parents est un secret pour personne, n'importe qui peut la retrouver dans des bouquins historiques, et si tu avais pris le temps, tu aurais trouvé ce que tu cherchais au lieu de venir toujours me harceler sur un sujet qu'il m'est pénible d'aborder.
Je cherchai une assistance chez Plumeau et Zach, mais ils m'envoyèrent des mines désolées pour confirmer ce que Hugo venait de dire. Je laissai échapper un petit rire devant ma bêtise. Je l'accusais de faire de la rétention d'une information qui était en fait publique.
- Je suis vraiment une amie nulle, conclus-je.
Hugo parut regretter son ton accusateur et prit un air penaud. Le bout de ses oreilles rosirent. Il se leva maladroitement de sa chaise et me fit un câlin de réconciliation.
- Je suis content que tu sois revenue. Pardon d'avoir été dur, j'aurais pas dû, c'est sorti tout seul, tu m'as manqué.
Il me serrait un peu trop fort ou un peu trop longtemps et je commençais à ressentir une gêne, mais Zach vint tout planter en enserrant Hugo, Plumeau et moi dans un câlin général.
- A moi aussi tu m'as manqué ! T'as raté de ces trucs cette année, t'aurais vu Hugo faire la leçon à des écharpes blanches de première année, ça n'avait pas de prix.
- Je leur faisais pas la leçon, j'essayais juste de leur faire comprendre que ce qu'ils faisaient avait aucun sens.
- De manière longue et pénible, c'est ça. T'as raison, pas la peine de jouer sur les mots. C'était génial, articula-t-il en muet vers moi et je ne pus me retenir de pouffer. Et Plumeau s'est mise à dealer de la rêveuse, mais ça, garde-le pour toi parce qu'elle risque pas mal d'ennuis si ça arrive dans certaines oreilles.
- Quoi ?
- Mais non, rigola-t-elle, je leur en ai fabriqué qu'une seule fois pour dépanner, tu te souviens de la détresse dans laquelle ils étaient ? Je pouvais pas les laisser dans cet état...
- Je suis trop content de vous retrouver, gloussa Zach, j'ai l'impression d'être une maman oiseau qui a retrouvé ses oisillons, alors qu'il y a en avait un qui était tombé du nid il y a perpète.
- Elle pue ta métaphore, Zach.
- Ah bon ? Pourtant je te jure que je me suis lavé ce matin, j'ai frotté partout et tout...
Plumeau gloussa et Hugo laissa échapper un souffle involontaire.
- Quoi ? J'ai dit une connerie ?
- Non, Zach, le rassurai-je, tout ce qui sort de ta bouche, c'est de l'or en barre.
- Oh, ça c'est parce que tu m'as jamais connu avec la gastro.
Je me joignis à Plumeau et Hugo qui n'arrivaient plus à retrouver leur sérieux. Tous ces mois d'errance en quête vaine de l'amitié idéale et tout ce que j'avais fait c'était tourner en rond pour revenir au point de départ.
- Je sais pas ce qui m'a pris d'aller chercher ma place dans d'autres groupes d'amis, constatai-je, vous êtes les meilleurs des meilleurs, vous m'avez trop manqué, c'est clair que ma place est ici avec vous et je devais vraiment être pas nette le jour où j'ai décidé de vous faire la gueule. Je vous aime trop !
- Waouh... C'est tellement niais que tu nous ferais presque verser une larme, nota Zach.
- J'étais sérieuse !
Il farfouilla mes cheveux en faisant des marmonnements infantilisants. En cet instant, nous étions tous les quatre dans une ronde de bonheur intouchable. Quatre danseurs sur la piste qui jouaient la chorégraphie de l'amitié.
- Au fait, vous avez raté des trucs aussi, j'ai compris où c'était la forêt de pluie et comment y aller, ajoutai-je sur le ton de la confidence, Slyha Fox cherche à y pénétrer, il me suffit de la suivre et me faufiler derrière.
Cette phrase fut mon gros pied allant écraser l'orteil du danseur d'en face.
- Au secours, s'écarta Zach, Many-bulldozer est de retour !
- C'est une blague, j'espère, fit Hugo en fronçant le nez d'un air hésitant.
- Ben oui, s'esclaffa Plumeau, décoincez-vous un peu, elle vous fait marcher, ça se voit.
Les yeux interrogateurs de Hugo étaient des snipers et je sentais leur pointeur laser viser le plus profond de mon âme. Je pouffai à mon tour.
- Bien sûr que je rigole, c'est quoi ces têtes ?
- Aaah, tu m'as fait peur, s'exclama Zach, j'ai cru que tu m'envoyais à nouveau dans un endroit dangereux et humide.
Je ravalai mon idée et ma fierté tout au fond de ma tête. Un bref instant, j'avais cru que j'allais les perdre à nouveau. C'était hors de question. S'il me fallait pour eux sacrifier mes pulsions d'aventure, c'était sans hésitation que je les enterrais. Le sourire de soulagement de Hugo termina de me persuader que ça en valait la peine.
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Ma bonne résolution ne parvint même pas à survivre jusqu'à la fin de l'année. En passant par le Hall de l'école en fin de journée, je ramassai pour la millième fois Féline qui avait pris la désagréable habitude de se faufiler au-dehors de la salle commune pour déambuler librement dans le château et finissait par miauler dans le cellier à quatre heures du matin pour que quelqu'un vienne lui ouvrir. La seule solution pour préserver mon sommeil était de la choper le soir en rentrant vers la salle commune de Poufsouffle pour la remettre à l'intérieur avant la nuit. Comme d'habitude, elle poussa un feulement agacé.
- T'as qu'à pas me réveiller en pleine nuit aussi, grognai-je. Et puis arrête de me pchiter, tu pourrais au moins prendre la peine de t'exprimer normalement.
- Les canapés de la salle commune de Poufsouffle sont plus confortables pour dormir que les bancs de pierre du château, miaula-t-elle.
- Bon, ben alors tu seras contente que je te ramène à l'intérieur.
- Pour nous, les chats, la nuit est faite pour chasser, répondit-elle. C'est le matin que je dors.
- Dans ce cas, t'as qu'à demander à Swan d'installer une chatière dans le cellier.
Elle fit un grondement de mécontentement.
- Quand je pense que je me tue à la tâche toutes les nuits à vérifier que l'autre ne rode pas dans les couloirs du château. Tu es ingrate.
- L'autre ? Franck ?
Un miaulement perplexe s'échappa de sa gueule.
- Qui c'est, celui-là ?
- De qui tu parles ?
- Tu sais bien de qui je parle.
Je fronçai les sourcils, puis mes idées se clarifièrent.
- Ah, oui, acquiesçai-je. Tu parles de Lewis ?
- De qui d'autre je parlerais ?
- Hmm, fis-je avec l'intention de couper court rapidement sur son idée fixe débile.
- Promets-moi que si tu le rencontres, tu dois courir aussi vite que tu peux, me demanda-t-elle pour la millième fois. Ne le laisse surtout pas te parler.
- Oui, oui, je promets, répétai-je avec exaspération.
Je soupirai. Son idée fixe sur Lewis était tenace. Il fallait qu'elle le mentionne à peu près à chaque fois qu'elle daignait utiliser un langage intelligible. J'accordais une attention particulière aux avertissements de Féline depuis qu'ils s'étaient avérés plus que justifiés, mais je ne comprenais toujours pas sa persévérance au sujet de ce prof. Je l'avais eu en cours de Sortilèges à Treehall toute ma première année et son moment le plus menaçant avait été de me promettre un sort d'entrave sur ma langue si je continuais à papoter en cours.
Si Lewis était Franck, il n'était pas très personnellement impliqué dans son projet d'assassinat. Les petits rouages grippés de mon cerveau se mirent en branle au rythme de marche d'un petit vieux plein d'arthrose.
- Dis, demandai-je avec appréhension, toi qui es si bien renseignée au sujet de Lewis, tu saurais pas si c'est un legillimancien, à tout hasard ?
Ses yeux s'ouvrirent et ses pupilles verticales de chat se rétrécirent.
- Comment est-ce que tu sais que...
Je jurai et faillis la lâcher.
Mais quelle idiote. Pourquoi étais-je à ce point bouchée pour que que les avertissements de Féline ne m'aient pas fait réagir plus tôt. Franck ne s'impliquait jamais personnellement dans ses tentatives d'assassinat. C'était son plus clair signe distinctif. Alors avoir eu Lewis en cours pendant une année entière sans qu'il n'ait rien tenté au grand jour contre moi ne l'éliminait absolument pas de la liste des suspects potentiels. Au contraire. Je déposai une chatte furibonde sur un des poufs de la salle commune et m'apprêtai à courir rejoindre Plumeau, Zach et Hugo pour leur faire part de mes découvertes.
En arrivant sur eux, ils m'accordèrent tous leur sourire le plus chaleureux, malgré les saletés dont je les avais gratifiés au cours de l'année, et je fus incapable de prononcer un mot à propos de Franck. Ils ne voulaient plus en entendre parler, et je ne voulais pas les perdre.
Je gardai pour moi mes découvertes.
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Si Féline pensait que Lewis, alias Franck, rôdait dans le château pour me retrouver, je n'avais pas de temps à perdre. Je devais le retrouver en premier et le prendre par surprise pour le livrer aux aurors.
L'attraper par hasard dans le château était hautement improbable. Mais chaque jour qui passait, je me persuadais de plus en plus que la forêt de pluie était une planque de Franck. Ce message en début d'année sur les tracts des écharpes blanches n'avait pas quitté mon esprit depuis. Il me fallait trouver un moyen de pénétrer dans le Ministère pour aller dans la forêt de pluie. Je n'avais aucune idée de comment m'y introduire, mais j'avais une idée très claire du moyen pour y parvenir. Mon moyen s'appelait Slyha Fox.
Lyra avait mentionné son idée fixe sur le Ministère. Et grâce à l'instance des aurors lorsque l'autre élève en divination avait vu la forêt de pluie, j'étais quasiment certaine que la forêt de pluie était un département du Ministère. Et l'obsession de Slyha pour le Ministère avait débuté juste après avoir vu ce message au dos d'un des tracts des écharpes blanches. Tu trouveras ce que tu cherches dans la forêt de pluie. Slyha cherchait à pénétrer dans le Ministère pour s'introduire dans la forêt de pluie.
Son idée fixe sur le Ministère avait certainement abouti à un plan pour y pénétrer. Je n'avais aucun doute sur le fait que le cerveau de Slyha Fox marchait aussi bien sinon mieux que celui de ses deux petites sœurs. Il me suffisait de me faufiler derrière elle le jour où elle décidait de s'y rendre.
Pour ça, j'avais besoin de deux choses. D'abord, d'une sorte d'alarme. Quelque chose, un sort, qui me préviendrait du moment où elle se mettrait en action. Ensuite, il me fallait un allié pour surveiller mes arrières. Je n'étais pas folle au point de me montrer devant Franck toute seule.
Impossible de demander à Plumeau, Hugo et Zach. Je ne voyais plus qu'une personne à qui demander. A la fin du cours d'Histoire de la Magie, je fis mine de vouloir demander quelque chose au prof pour attendre Kathleen. Hugo n'avait pas l'air dupe et fronça les sourcils en se résignant à partir devant avec les deux autres.
Elle rangeait lentement dans son sac délavé ses affaires gondolées par le souvenir de leurs nombreux passages dans les WC. Aucun membre du gang de Philippa n'était en vue. Elle m'adressa un sourire triste en me voyant approcher et me salua. J'allais tout de suite entrer dans le vif du sujet, mais un détail sur sa tenue me donna une brusque sueur froide et je ravalai mes mots.
- Qu'est-ce que tu fabriques avec une écharpe blanche, Kathleen ? demandai-je.
C'était un tissu soyeux et léger, bien au-delà de ses moyens, qu'elle avait passé négligemment par-dessus une épaule. Son sourire triste se ternit comme un mirage et son regard partit vers le bas quand elle haussa mollement les épaules.
- C'est compliqué à expliquer, je sais pas si tu pourrais...
- Non, vas-y, explique-moi, l'encourageai-je.
- Elle me protège, dit-elle en montrant l'écharpe. Toi, tu peux pas comprendre parce que tu as plein d'amis et que personne t'embête. Mais pour moi, c'est le seul moyen que j'aie trouvé pour qu'on me fiche la paix.
- Mais...
- Je suis contente que tu te sois réconciliée avec Plumeau, Zach et Hugo, sincèrement. Et c'est normal que tu aies à nouveau envie d'être tout le temps avec eux. Ils sont gentils, et super drôles, alors que moi je suis plutôt ennuyeuse, ça, je sais. Je comprends. Je t'en veux pas.
Aucune excuse ou justification n'arrivait à faire son chemin dans mes pensées.
- Je sais que tu voudrais pouvoir m'aider, mais tu peux pas toujours être là pour moi. Lyra avait raison, je dois apprendre à me débrouiller. Et lorsque je porte cette écharpe, tous les autres écharpes blanches me considèrent comme une des leurs et me défendent. C'est comme une immense famille, tu vois ?
- Et leur idéologie ?
- Franchement, j'en ai rien à faire. Tout ce que je veux, c'est qu'on me laisse tranquille. Et c'est ce qu'ils font. Même Leda me protège, maintenant. Elle fait partie des écharpes blanches. Philippa et elle se parlent plus du tout à part pour se disputer. Le gang de Philippa a complètement éclaté, c'est fini. Enfin, j'espère.
- Je comprends. Tant que leur idées te montent pas à la tête, ça va.
- T'en fais pas pour ça, sourit-elle.
- Je suis contente de voir que plus personne t'embête.
Elle grimaça.
- Presque. David déteste les écharpes blanches, et on est toujours aussi mauvais au Quidditch, alors ça s'est pas arrangé.
Leur dernier match pour la petite finale s'était terminé en une catastrophe monumentale, même l'équipe de bras cassés de Serdaigle leur avaient mis 300 points et Kathleen avait dû laisser le vif d'or à Mathilda. L'humiliation de Kathleen ne connaissait aucun répit.
- Au moins, remarquai-je, les Serdaigle ont pas repris l'horrible chanson de Lily Potter qu'elle avait déformée de celle de Scylla.
- Oh, ils ont essayé, corrigea-t-elle avec un sourire, mais leur voix a vite été étouffée.
Elle agitait doucement un pan de son écharpe devant moi. Je fronçai les sourcils.
- Serdaigle a vu naître les écharpes blanches, et la communauté y est trop grande pour qu'un des leurs ait la possibilité de s'en prendre à un porteur d'écharpe.
- Serdaigle ? Je croyais que c'était un délire de Serpentard...
- Pas du tout, c'est Slyha qui a initié le mouvement en enchantant son écharpe pour effacer le tableau du cours d'Etude des moldus en début d'année, tu te souviens ?
Je sentis tout mon sang se collecter dans mes orteils.
- Slyha ? On parle bien de Slyha Fox ?
Elle hocha la tête.
Mes espoirs partaient en fumée. Slyha avait donné naissance aux écharpes blanches. Et au milieu de ces écharpes, Kathleen qui venait de s'y enchaîner. J'enterrai définitivement l'idée de lui proposer de m'accompagner. Si je devais suivre Slyha jusque dans le Ministère, j'allais devoir m'y rendre seule.
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Les inscriptions des écharpes blanches sur les murs des couloirs que j'empruntais me rappelaient durement que je ne pouvais plus compter sur Kathleen. Je dépassai un porte torche qui portait encore les traces du dernier coup des justiciers masqués. Les écharpes blanches n'étaient à l'abri nulle part, et j'espérai que Kathleen passerait entre les mailles du filet.
Je trouvai enfin ce que je cherchais. Nemo se tenait assis sur un banc de pierre sous une grande fenêtre à côté de Lyra, ses yeux violets pensifs perdus dans le plafond. Un première année aux mèches blondes séparées par une raie au milieu était assis avec eux, occupé à examiner d'un œil et d'une main scientifiques le contenu d'une boîte de laquelle dépassaient une queue et une patte de souris. Je reconnus Léon, le première année de Gryffondor qui collait aux basques de Lyra depuis la rentrée. Sa voisine me lança un regard noir en biais et leva son livre devant son visage pour indiquer que toute interaction de ma part serait malvenue après son escapade forcée à travers l'aile Ouest. Nemo m'adressa quant à lui un sourire amical.
- Heu... hésitai-je en sortant plusieurs gros livres de mon sac, j'aurais besoin d'aide pour comprendre un truc là-dedans. C'est vraiment compliqué à saisir, j'ai l'impression d'être analphabète quand j'essaie de déchiffrer ça...
Je lui montrai le chapitre en question. Il lut attentivement et haussa les sourcils.
- C'est un enchantement assez avancé, c'est normal que ce soit difficile, me rassura-t-il. Je suis pas certain d'arriver à le lancer moi-même.
Le regard de rapace de Lyra qui pointa du sommet de son livre avait l'énergie de l'écureuil curieux ayant reniflé une noisette. Elle essayait de lire par-dessus l'épaule de Nemo avec discrétion mais son échec était si retentissant que je me forçai à ne pas pouffer.
- C'est bon, je vais te le faire, ça a pas l'air si difficile, fit-elle en faisant glisser le livre des genoux de Nemo vers les siens. C'est pour enchanter qui ?
Je balbutiai quelques mots confus sur le fait que c'était confidentiel.
- Je m'en fous de qui c'est, corrigea-t-elle, je veux juste savoir si c'est quelqu'un qui a deux neurones qui se touchent ou bien un malin qui risque de capter si c'est fait à la va-vite.
- Ah, grimaçai-je. On est dans le top 1 du plus gros cerveau de l'école, je dirais.
Elle plissa les yeux.
- J'espère que c'est pas moi que t'essaies d'enchanter, au moins ? Ce serait relativement stupide de me demander de t'aider dans ce cas, mais avec toi je m'attends à tout.
- T'es pas le top 1 des plus gros cerveaux, lui envoyai-je un sourire provocateur.
- Ça, c'est toi qui le dis, répliqua-t-elle sans lever les yeux des écrits tarabiscotés. La seule personne qui pourrait me mettre en difficulté et détecter l'alarme, ce serait Slyha, mais c'est pas elle ta cible, de toute façon.
Ma réaction ne fut pas convaincante, et elle resta bouche bée. Elle jura et referma le livre.
- Tu veux enchanter ma sœur ?
- C'est juste pour un truc, c'est rien...
Elle me regarda tenter de noyer le poisson en vain, ses yeux perçant au fond de moi avec évidence. Un sourire malin étira doucement son visage de rapace, puis elle poussa avec une lenteur ironique une exclamation d'admiration.
- Je vois. En échange de mon aide, je veux bien que tu me ramènes des photos d'un grimoire qui se trouve dans la bibliothèque du Ministère, requit-elle en dévoilant ses dents de requin. On y accède à partir de l'atrium, tu devrais pas avoir trop de mal à trouver.
- Désolée, mais j'aurai pas le temps de... Attends, comment tu sais que...
Comment avait-elle deviné que je c'était dans le Ministère que je me rendais ?
- Je te parle de l'obsession de Slyha pour le Ministère, et puis d'un coup tu veux une alarme pour pouvoir la pister, je fais que relier les faits, haussa-t-elle les épaules.
J'allais ouvrir ma bouche pour me justifier, mais elle me devança.
- Je m'en fous de savoir pourquoi tu veux y aller, c'est probablement encore un de tes délires de miss intuition, t'as probablement juste envie de mettre ta vie en danger pour l'adrénaline, pour ce que j'en sais. Je veux bien te faire l'alarme en échange des photos de ce livre du Ministère. C'est à prendre ou à laisser. Ah oui, et aussi tu dis à ton pot-de-colle de chat de me lâcher avec ses embrouilles.
Elle tendit sa main ouverte. Je soupirai et y posai la mienne, faisant apparaître ses dents de prédateur en un sourire carnassier à faire peur.
- Je te promets qu'il n'y a rien de malveillant dans ce livre, ajouta-t-elle, c'est juste pour ma culture personnelle.
Je pariais le contraire, mais j'acceptai quand même de lui ramener les photos. Elle me nota les références sur un bout de parchemin.
- Et oublie pas ton chat, elle va me rendre complètement folle à la longue. Dis-lui que si elle persiste je la donne en pâture au démon des cachots. Oh, non, planquez-vous, voilà la police des mœurs.
Elle remonta son livre devant ses yeux et je me retournai. Toute la clique de Gryffondor passait dans le couloir, Grace dans les bras de Tom. Notre rupture s'était imposée sans problème, Tom n'avait pas eu l'air d'en avoir quoi que ce soit à faire. C'était tant mieux. Il me fit un signe de main hypocrite en passant et la belle bouclée de Poufsouffle m'adressa un regard jaloux. Apollo envoya un baiser aérien à Nemo au passage, faisant pouffer les deux Lily et Jess.
- Pourquoi c'est aussi difficile d'être normal ? souffla Nemo quand ils se furent éloignés.
- Fais comme moi, conseilla Lyra en sortant de sa cachette, s'ils voient pas ta tête, ils oublient que tu existes et tout le monde vit dans la joie et l'harmonie.
- J'ai pas envie de me cacher, répondit-il.
- J'aurai au moins réussi à t'éviter les blessures physiques en te musclant un peu, capitula Lyra, mais pour ce qui est des blessures psychologiques, faudra repasser.
- Ils se moquent jamais de Sankhara, pourtant, nota-t-il.
- Bah, ils le respectent parce qu'ils en ont une peur bleue, répliqua-t-elle comme une évidence. Personne a envie de se frotter au dragon de brume.
- C'est ça, acquiesça-t-il d'un air pensif, il me suffit de gagner leur respect.
- Eh ben bon courage, lui envoya Lyra. Si j'étais toi, je me contenterais d'en avoir rien à foutre de leur avis, mais si tu veux te compliquer la vie, fais-toi plaisir.
Le sourire confiant de Nemo valait tout l'or du monde. Je ne doutais pas une seconde de sa capacité à gagner le respect de n'importe qui. Il avait déjà le mien depuis longtemps. Dire que cette année je m'étais crue amie avec ces débiles arrogants et moqueurs de Gryffondor, j'en avais la nausée.
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Lorsque Jake attrapa le vif d'or au nez de Lily Potter, la tribune de Poufsouffle éclata de triomphe, et l'hymne inintelligible jaillit des gradins. De là où j'étais, on n'entendait qu'une bouillie de mots mélangés incompréhensible, mais l'énergie y était. Le « … les blaireaux t'ont mis K.O. ! » se détacha du cri ambiant. Je tapai ma main dans toutes celles de mes coéquipiers sur la descente. A peine les pieds posés sur la pelouse que Zach me soulevait pour sautiller avec des hurlements de joie. Tous les membres de l'équipe vinrent se joindre à notre danse endiablée. Norah Littlerock nous cria qu'elle nous aimait de tout son cœur en pleurant de joie et Zach lui demanda si elle avait pris un coup à la tête. Nous remarquâmes à peine l'équipe de Gryffondor revenir lentement à leur vestiaire avec dépit.
Le professeur Lettriminel déclara solennellement que la coupe de Quidditch revenait à Poufsouffle, et Madame Bibine tendit la coupe à Norah. Notre capitaine eut à peine le temps de l'attraper que Brutus et Steven la soulevaient sur leurs épaules, non sans lui faire remarquer qu'elle pesait un âne mort, pour la conduire sur le chemin du château, parmi la marée de drapeaux noirs et jaunes déversée des tribunes.
La salle commune de Poufsouffle était en liesse. Quelqu'un avait déjà démarré la musique, et le jus de citrouille coulait à flots. Ma vue était bouchée par des dizaines de foulards et drapeaux abeille agités dans les airs.
En retrouvant Plumeau et Hugo, ceux-ci se mirent à sautiller avec nous en criant de joie. Leur visage était tout maquillé de rayures noires et jaunes. Hugo m'attrapa et m'entraîna dans une danse folle au milieu de la foule. La chanson nous déchaîna, et sans comprendre comment, je me retrouvai à la fin collée contre lui. Une fraction de seconde suffit à me faire comprendre que vu le regard qu'il avait dardé sur moi, c'était ma dernière possibilité de fuite avant l'inéluctable. Je le repoussai et attrapai Zach pour danser avec lui. La foule dansante se referma sur Hugo et le coupa à ma vue. Je regrettai mon geste immédiatement. Zach comprit mon trouble et m'adressa un « Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? ». Je lui fis un sourire rassurant et lui assurai qu'il me fallait juste prendre un peu l'air. Je traversai la marée humaine jusqu'à l'entrée de la salle commune.
Une fois sortie, le silence et le frais du cellier me firent du bien. Je m'assis sur un tonneau et m'adossai. Qu'est-ce qui m'avait pris de le repousser comme ça ? Tom m'avait complètement fait perdre la boule. Hugo n'était pas comme lui.
Un miaulement détourna mon attention. Féline venait d'entrer dans le cellier.
- Ah, t'es encore dehors, toi ? Viens là.
Je me remis sur pieds et tentai de l'attraper, en vain. Elle partit vers l'autre pièce. Je soupirai et la suivis. Je la chassai pendant au moins trente minutes exaspérantes dans les recoins des cachots, tout en priant pour que le concierge soit occupé dans les étages. Elle finit par sortir majestueusement de derrière une armure mécontente qu'un animal fasse ses griffes sur ses jambières.
- Ça y est, t'es satisfaite, tu t'es dégourdie les pattes ? T'as fait ton petit tour de nuit ? On rentre, maintenant. Tu m'as fait perdre un bon bout de la soirée, avec ton petit jeu mesquin.
- Je suis satisfaite, oui, miaula-t-elle en se laissant soulever.
Pour retourner dans la salle commune, je devais repasser par le cellier où figurait l'immense tableau ouvrant sur les cuisines.
Slyha Fox était là.
Je me plaquai dans un recoin en espérant qu'elle ne m'avait pas vue. Je ne l'avais aperçue qu'un instant, mais c'était largement suffisant pour que je sois sûre que c'était elle. La longue cascade de cheveux châtains, l'allure fine et délicate, le port altier, il s'agissait de la signature des sœurs Fox. Pourquoi l'alarme ne m'avait pas prévenue que Slyha était de sortie ? De toute évidence, l'enchantement de Lyra n'avait pas fonctionné.
Mes deux neurones firent très rapidement le tour des possibilités. Slyha Fox avait choisi ce soir pour se faufiler hors de l'école et pénétrer dans le Ministère. Je n'aurais pas d'autre opportunité pour la suivre jusque dans la forêt de pluie.
Ma décision était prise avant même d'en prendre conscience.
