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Réjouissances interrompues
Depuis la plateforme extérieure qui était reliée à ses appartements, Thranduil pouvait apercevoir les elfes qui se démenaient à finir les préparations pour Mereth Iavas en bas de la colline. Des tonneaux de vin, des corbeilles de fruits, du gibier prêt à être grillé ; tous ces mets étaient transportés depuis les celliers de Taurothrond jusqu'à la grande clairière où les elfes allaient se réunir pour célébrer l'arrivée de la saison automnale. Comme à chaque fête, les visages étaient souriants et des rires s'élevaient le long de la haute paroi de la colline. Ces moments étaient toujours grandement attendus par la population d'Eryn Galen, car ils leur rappelaient pourquoi leurs guerriers et guerrières se battaient tous les jours. La forêt les appréciait également. Les arbres et les plantes se nourrissaient des chants, des rires et de la bonne humeur des elfes, et cela leur permettait de ne pas succomber totalement à l'ombre de Dol Guldur.
Mais malgré tout ce rayonnement, le roi avait le cœur lourd. Il n'arrivait pas à savoir ce qui l'inquiétait. Tout avait été fait pour que la célébration se passât bien. La défense intérieure avait patrouillé tous les alentours et aucun nid d'araignées ne se trouvait à moins de cinq lieues de la clairière et de Taurothrond. Peut-être que Thranduil était inquiet pour son fils. Les troupes de Lothuil étaient arrivées à la frontière sud et le nettoyage des montagnes allait pouvoir commencer comme prévu le lendemain. Tout devait bien se passer. Il le fallait.
Thranduil fut dérangé dans sa contemplation par des coups frappés sur la porte de ses appartements, auxquels il répondit d'entrer. Arien était finalement couchée, il était donc temps pour lui de finir ses propres préparatifs. Il tourna alors les talons pour rentrer dans sa chambre et se retrouva face à Seldir, qui le salua en portant une main à son front tandis l'autre tenait un coffret en bois sculpté.
« Eh bien, Seldir ? Je pensais vous avoir congédié hier soir ?
— Cela est vrai, sire, mais j'ai croisé en bas la dame Imlothiel qui m'a remis cela pour vous, répondit le valet en souriant.
— Il me faudra donc la prochaine fois penser à consigner vos congés dans un décret à faire lire aux quatre coins du royaume par un héraut », ironisa d'un ton sérieux Thranduil en levant un sourcil.
Pour toute réponse, Seldir rit et tendit le coffret à son roi qui le prit et l'ouvrit. Dans celui-ci était entreposée une couronne de brindilles entrelacées, ornées de feuilles dorées et enflammées ainsi que de baies rouges, une composition de sa reine. Un sourire se dessina à la commissure de ses lèvres.
« Merci Seldir, reprit le roi. Mais ne deviez-vous pas partir dans le nord pour retourner au village de vos parents ?
— Il ne serait pas prudent de voyager avec ces araignées qui traînent, sire. Nos troupes ont déjà beaucoup à faire pour garantir notre sécurité au plus près de la cité. Ma famille et moi préférons célébrer Mereth Iavas ici. »
Le sourire de Thranduil s'agrandit. Seldir était un elfe dévoué, comme beaucoup de Tawarwaith d'Eryn Galen. Il était à son service depuis près de deux millénaires, et jamais le roi n'avait eu à se plaindre de son travail.
« Dans ce cas, vous feriez mieux de vous presser de retrouver votre famille. Je ne voudrais pas subir le courroux de vos enfants.
— Oh, vous n'avez pas d'inquiétude à avoir, mon seigneur, il semble qu'Elian et Lindivrin aient toutes deux d'autres projets pour Mereth Iavas que de le passer avec leurs parents. Je ne serai pas étonné de les trouver déjà parties commencer la fête avec des camarades.
— La jeunesse attise l'impatience.
— Rien n'est plus vrai, répondit Seldir avec un sourire doux. Y a-t-il quelque chose dont vous auriez besoin ?
— Nenni, vous pouvez vous retirer. »
L'elfe acquiesça et Thranduil l'observa sortir de la chambre sans un bruit. Il posa alors le coffret sur une coiffeuse devant laquelle il vint s'asseoir. Il s'était déjà habillé d'une longue robe de soie dorée, fendue sur le devant et brodée de fil argenté, dont le col et la ceinture étaient ornés d'émeraudes et de gemmes blanches. Sur ses épaules reposait une cape, rouge comme les feuilles d'automne qui allaient bientôt recouvrir les sentiers de la forêt, et dont les revers étaient agrémentés de deux broches scintillantes en forme l'une de feuille de chêne et l'autre de hêtre, reliées par une longue chaînette d'argent. Il prit alors la couronne d'automne qu'Imlothiel avait confectionnée pour lui et vint la poser sur ses cheveux d'or, qui retombaient longuement et librement dans son dos. Il était prêt.
Thranduil se leva alors et s'apprêta à sortir de la pièce. Il s'arrêta cependant, se souvenant de ce qu'il avait oublié. Il se rapprocha du mur sur lequel était entreposé son sceptre en bois de chêne, sculpté en forme de racines entremêlées. Il le prit de sa main droite. Il s'agissait là d'un symbole de royauté, un objet façonné et offert par les elfes des bois lors de son accession au trône, presque trois millénaires plus tôt. Et avant ça, les Tawarwaith en avaient donné un, en hêtre cette fois, à Oropher, son père, quand il fut choisi comme roi d'Eryn Galen, après qu'il eut mené les peuples exilés iathrim et laegrim du Beleriand(L) à l'est des Hithaeglir. Cela lui paraissait si lointain.
Les yeux de Thranduil se posèrent alors sur sa collection d'armes qui était exposée également sur le même mur. Bien que la défense intérieure eût sécurisé le périmètre, il abhorrait être désarmé. Il décrocha alors une dague blanche qu'il noua à l'arrière de sa ceinture, cachée par sa cape. Cette fois-ci, il était vraiment prêt.
Il sortit alors de la pièce, se retrouvant dans la galerie des appartements royaux, qui menait d'un côté à une salle commune, où se trouvaient un salon, une bibliothèque et également une grande table pour les rares moments où les repas étaient passés en privé. Au bout de cette pièce, des portes donnaient sur un jardin suspendu. Du côté opposé, le corridor menait à plusieurs autres appartements et chambres ainsi qu'à la sortie vers l'intérieur de la caverne.
Ce fut ce chemin que Thranduil prit, et quand il passa la porte, il fut salué par deux elfes qui montaient la garde. Ses pas le menèrent alors à travers son palais de roche, descendant des escaliers et longeant des passages serpentants, jusqu'à arriver dans le grand vestibule de Taurothrond. Là, des elfes fourmillaient encore, portant vers l'extérieur des plats de soupes, de salades, de tartes, de fromages, s'arrêtant néanmoins un instant pour admirer et saluer leur roi qui répondait à chacun et chacune d'un gracieux mais presque imperceptible hochement de tête.
Il s'était dans la cohue retrouvé avec Thurindir positionné sans un mot à son flanc droit. Il était l'un des rares elfes qui n'avaient pas revêtu d'habit de fête : il avait la mission de protéger le roi, il portait donc son uniforme de garde et était lourdement armé. Mais il n'était pas le seul. Dans un coin du vestibule, Thranduil aperçut Imlothiel, accompagnée par Galion qui semblait se faire le chef d'orchestre de tout ce semblant de confusion. Et derrière elle se tenait une elfe à la peau plus claire que le bois de frêne et aux cheveux châtains dont les pointes tiraient sur le roux. Il s'agissait de Taurian, qui faisait aussi partie de la garde royale, assignée quant à elle à la protection de la reine. Elle était de petite taille et arborait son air intrépide habituel.
Thranduil se rapprocha de son épouse en demandant :
« Tout est prêt ? »
Imlothiel, qui avait assisté Galion dans la préparation des festivités, sourit. Une couronne de fleurs d'automne était posée sur sa chevelure libre et ondulée, et elle était vêtue d'une robe verte ample dont les manches mi-longues laissaient apparaître ses avant-bras marqués à l'encre d'ornements et de symboles anciens.
« Tout est fin prêt maintenant que le roi nous honore de sa présence », répondit-elle sur un ton joyeux alors que Thranduil lui présentait son bras pour qu'il pût l'escorter. Elle l'accepta et passa avec lui les grandes portes de Taurothrond, les deux gardes à leur suite.
A l'extérieur, des elfes formaient une masse derrière le pont de bois qui joignait les rives du courant d'eau. Ils et elles chantaient et riaient en attendant le couple royal. Thranduil et Imlothiel marchèrent alors à travers le bois, suivant un sentier qui menait à la grande clairière. Les elfes les suivirent gaiement, se déplaçant tantôt dans les arbres, de branches en branches, les accompagnant de leur joie et de leur amour, et toutes et tous finirent par arriver au lieu-dit qui n'était à ce moment éclairé que par des torches suspendues dans le cercle d'arbres.
Le roi s'avança alors au milieu de la clairière et, se retournant pour faire face à son peuple, il écarta ses deux bras, tenant toujours son sceptre. Puis quand il leva ses mains vers les étoiles, les feux de joie s'embrasèrent sous les acclamations des elfes qui s'avancèrent alors, chantant à l'unisson un hymne pour Elbereth, tandis que des artistes commençaient à jouer de leurs instruments. La viande fut grillée, le vin et l'eau de vie coulèrent à foison, les plats circulèrent de mains en mains tandis que les elfes riaient, chantaient, jouaient et dansaient.
Prenant une grande inspiration, Thranduil se fraya rapidement un chemin entre les elfes enthousiastes pour s'éloigner le plus possible des feux étouffants et s'asseoir sur un large tronc aux côtés d'Imlothiel, tandis qu'une timbale du fameux vin de Dorwinion leur fut aussitôt servie par Galion, qui s'empressa également de leur faire goûter toutes les viandes et tous les mets. La reine riait et chantait de bon cœur, tandis que des jeunes elfes s'approchaient d'elle pour venir orner ses cheveux de fleurs ou lui offrir des présents qu'elle acceptait avec des sourires comblés. Au bout d'un temps, Thranduil leva un sourcil en apercevant une petite fille aux cheveux frisés et dont la peau de la couleur du bois de noyer brillait sous la lumière des feux, qui s'avançait timidement vers Imlothiel. Les enfants se faisaient si rares parmi les elfes des bois en ces temps troublés, qu'il était surpris d'en croiser une si jeune. Elle ne devait pas mesurer plus de quatre pieds et il estimait ainsi qu'elle avait à peine vécu plus de vingt printemps. La reine accueillit la petite avec un grand sourire et celle-ci lui donna sans un mot et sans lever les yeux un petit bracelet qui semblait confectionné en cheveux d'elfes tressés.
« Merci, jeune demoiselle », fit Imlothiel de sa voix douce et radieuse tout en passant le bijou à son bras. La petite osa alors lever les yeux pour lui offrir un sourire timide. Cependant ses sourcils se levèrent haut quand ses pupilles se tournèrent vers le roi qui la regardait avec ses yeux bleu-gris et perçants. Contrairement à son épouse, Thranduil donnait toujours l'impression d'être froid et inattingible, et si cela ne semblait pas déranger le peuple des bois, il savait les premières rencontres malaisantes pour qui le croisait. Conscient donc qu'il paraissait intimidant pour l'enfant, il s'empressa d'essayer d'adoucir son visage en lui offrant un vague sourire presque imperceptible.
« Comment t'appelles-tu, mon enfant ? demanda-t-il alors en courbant le dos pour s'abaisser à sa hauteur.
— Droni », répondit-elle de sa petite voix, sans pourtant se départir de son regard interloqué. Thranduil haussa un sourcil à son tour. Doroniel, la fille du chêne. Il lui fit signe alors d'approcher, ce qu'elle fit très lentement, sous le regard attendri d'Imlothiel.
« Droni, j'ai moi aussi un présent pour toi. »
Il dépingla alors l'une des broches de sa cape, celle en forme de feuille de chêne, et la détacha de la chaînette qui la reliait à son double, puis il vint l'accrocher sur la robe de la petite elfe, dont les yeux ronds s'étaient agrandis. Elle baissa la tête pour observer la broche scintillante qui prenait désormais place sur sa poitrine et quand elle la releva, ses yeux également brillaient de fierté. Elle s'inclina alors très bas, jusqu'à ce que ses cheveux touchassent le sol, puis partit en courant pour aller se cacher derrière ses parents qui étaient assises de l'autre côté de la clairière et qui avaient observé l'interaction avec des grands sourires.
« Eh bien Thranduil, tu dois être de bien belle humeur pour distribuer ainsi tes trésors ! » commenta alors un elfe de petite stature qui s'approchait du couple royal, tandis qu'il venait d'entrer dans la clairière. « Est-ce le vin qui t'atteint déjà ? Il est pourtant encore tôt ! »
Il vint alors s'asseoir à côté d'Imlothiel avec qui il partageait les mêmes yeux saillants, bien que d'un vert plus foncé, et le même teint ambré qui était un héritage de leurs origines en partie avar.
« Imladir », soupira Thranduil en plissant les yeux. Le sourire qu'il avait adressé à la petite elfe avait déjà disparu et ses traits avaient repris leur gravité habituelle. Il n'avait pas encore assez bu pour supporter les badineries du frère de sa reine.
« Imladir, où te cachais-tu ? » demanda Imlothiel, alors qu'elle faisait signe à Galion d'apporter de quoi nourrir son frère. Cependant, Thranduil n'entendit pas sa réponse. Des voix s'étaient faites beaucoup plus fortes et insistantes dans son esprit. Les arbres. Les arbres le mettaient en garde.
Étrangers. Intrus. Danger.
Des nains.
Thranduil se leva brusquement tandis qu'une présence étrangère mettait les pieds dans le cercle d'arbres. Et alors, tous les feux s'embrasèrent très haut pendant un court moment avant de s'éteindre dans une pluie de cendre pour laisser la clairière dans le noir de la nuit, éclairée uniquement par les étoiles d'Elbereth. Les chants et les rires s'étaient tus et les elfes avaient figé leurs mouvements, ne comprenant pas ce qu'il s'était passé. Des cris étranges et graves commencèrent alors à s'élever depuis l'endroit où un nain s'était avancé.
A côté de Thranduil, Thurindir avait dégainé, tandis que la commandante Rhovaniel ainsi que Galion se rapprochaient et le roi se mit à leur murmurer ses ordres :
« Escortez tout le monde à Taurothrond. La célébration continuera dans la grande salle.
— Que souhaitez-vous que nous fassions des nains, sire ? demanda Rhovaniel.
— Rien tant que les elfes ne sont pas à l'abri de la forteresse, répondit Thranduil d'un ton sec. Quand ce sera fait cependant, je voudrai savoir pourquoi ils ont pu approcher si près de la clairière sans que quiconque parmi vos gardes ne les aient arrêtés ! »
Thranduil sentait monter la colère en lui et adressa un regard assassin à la commandante avant de lui faire signe de s'exécuter au plus vite. En quelques instants, les elfes se mirent en silence en marche vers Taurothrond, emportant avec eux vins, grillades et plats. Imlothiel se faisait quant à elle tirer par son frère Imladir, tandis qu'elle était suivie de très près par Taurian dont la main restait agrippée à la dague qui pendait à sa ceinture. Le roi resta cependant un moment de plus. Au loin, il entendait encore les cris des nains qui s'appelaient entre eux, rendus aveugles par l'obscurité. Mais il y avait autre chose. Un danger plus grand que quelques nains affamés. Et ce furent encore les arbres qui lui murmurèrent la réponse.
« Les araignées ont dépassé le sentier, commenta-t-il alors que les regards des gardes se tournaient vers lui. Appelez la réserve pour renforcer la sécurité autour de la forteresse. Et quand ce sera fait, vous m'amènerez ce nain. »
Il fit un signe de tête méprisant vers la forme immobile du nain qui était tombé endormi en entrant dans la clairière, puis il se tourna pour se fondre dans le cortège d'elfes qui suivait le chemin vers les cavernes.
Tout avait si bien commencé. Il ne comprenait pas comment ces nains, qui étaient censés être restés sur le sentier, surveillés par les elfes d'Arhaviel, avaient dévié de plus de trois lieues, pour finalement passer les sentinelles de Rhovaniel sans qu'aucune de celles-ci ne les repère. Bien entendu, Laegryn n'était pas là pour gérer ces dysfonctionnements, parti à l'ouest pour célébrer Mereth Iavas avec la famille de son époux.
Alors qu'il arrivait dans le vestibule de Taurothrond, il vit Seldir s'approcher de lui d'un pas rapide et il l'interrogea du regard. A croire que cet elfe n'aimait pas être en congé.
« Sire ! l'interpela alors celui-ci, il semble que les nains n'en sont pas à leur premier coup d'essai.
— Comment cela ? demanda Thranduil en fronçant les sourcils.
— Elian m'a rapporté que les pré-festivités que ses camarades ont organisées ont subi les mêmes interruptions. »
Derrière son père se tenait la dite Elian, une jeune elfe qui n'était pas âgée de plus de quatre în, et qui gardait son regard vers le sol, son visage marqué par la culpabilité. Thranduil soupira. Pour lui, la fête était terminée et il aurait le fin mot de cette histoire.
« Dans mon bureau », grogna-t-il simplement en se mettant lui-même en mouvement à travers les galeries caverneuses. Il fut suivi par Thurindir puis par Seldir qui poussait d'un pas rapide sa fille par les épaules, peu enclin à faire attendre son roi qui semblait déjà d'une humeur fâcheuse. En entrant dans son cabinet, Thranduil traversa la pièce et vint s'appuyer sur son bureau d'un air las, croisant les bras et fixant son regard perçant sur la jeune elfe, qui n'osait toujours pas lever les yeux. Le garde était resté quant à lui dans l'antichambre et Seldir se tint en retrait derrière sa fille qui avait le même visage rond que lui.
« Eh bien ? Que s'est-il passé ? » demanda le roi d'une voix autoritaire. Un moment passa pendant lesquelles Elian sembla réfléchir à la façon de commencer son histoire. Il était clair qu'elle n'avait pas la moindre envie d'être là et que ce n'était que l'insistance de son père qui l'avait amenée jusqu'ici.
« Ma sœur et moi avons retrouvé quelques connaissances avant la tombée de la nuit. Nous avions seulement hâte de commencer la fête. Nous avions ramené un ou deux tonneaux de vin et du gibier à griller…
— Où était-ce ? » la coupa Thranduil sèchement. Elian soupira après avoir retenu son souffle. Elle s'était attendue à ce qu'il eût demandé avec qui elle s'était retrouvée, mais elle ne pouvait pas savoir que cela était bien loin des préoccupations du roi.
« Dans une petite clairière, à environ huit milles au sud.
— A proximité du sentier, commenta le roi.
— Oui. Mais nous ne pensions pas à mal.
— Oh non, vous ne pensiez tout simplement pas, répondit Thranduil d'un ton cassant. Des sentinelles ont été déployées sur plusieurs lieues autour de la grande clairière, et il a fallu que vous alliez vous réunir au seul endroit dépourvu de gardes. »
Elian sembla retenir une grimace et garda le silence. Il n'était de toute façon pas très futé de répondre quoi que ce fût à son roi, surtout quand celui-ci était le roi des elfes au très fameux tempérament.
« Et donc ? Que s'est-il passé ? demanda Thranduil une nouvelle fois.
— Eh bien, quand la nuit fut tombée, nous avons vu surgir dans la clairière une grande troupe de nains. Ils étaient armés, alors nous avons éteint le feu avec hâte et avons fui. Nous avons rejoint une autre clairière un peu plus au nord, en pensant que nous serions cette fois-ci assez loin du sentier. Mais les nains sont revenus ! Cette fois-ci, nous avions demandé aux arbres de nous protéger, alors quand un des nains est entré dans la clairière, ils l'ont assommé avec un enchantement. Nous avons éteint les feux et cette fois-ci, nous avons décidé de rejoindre la grande clairière.
— Et vous n'avez prévenu personne de l'intrusion des nains ? »
Elian ne répondit rien. Non, les elfes n'avaient prévenu personne, car ils et elles n'avaient pas voulu que leur petite festivité se sût. Thranduil avait été jeune un jour, si lointain que cela lui parut, et il avait vécu lui-même toutes les aventures que des elfes de cet âge pouvaient vouloir expérimenter. De ce qu'il soupçonnait, plus d'un ou deux tonneaux avaient été dérobés derrière le dos de Galion, et des substances plus euphorisantes que du vin avaient été consommées. C'était possiblement l'une des raisons pour lesquelles Elian n'avait pas levé les yeux une seule fois. Après tout, il n'était pas difficile de trouver des champignons psychotropes dans la forêt.
Thranduil poussa un soupir silencieux. Elian n'avait prononcé aucun nom. Comme son père, elle était une elfe loyale et semblait vouloir endosser seule la complète responsabilité des erreurs commises par ses acolytes et elle.
« Bien, Elian, vous pouvez disposer », dit alors Thranduil d'une voix plus douce. Ce ne fut qu'à ce moment que la jeune elfe osa enfin lever les yeux vers son roi, portant sa main vers son front et faisant glisser ses doigts jusqu'à son menton avant de sortir sans un bruit du cabinet, laissant son père seul avec lui. Seldir avait suivi la conversation avec un air grave, mais sans jamais prononcer un mot.
« Mon seigneur…
— N'en parlons plus. Des erreurs ont été commises par bien plus que de jeunes elfes et leur insouciance ce soir. J'ai moi-même une part de responsabilité dans cette histoire. »
Une grande part, pensa-t-il. Il avait délibérément repoussé le moment où il devait s'occuper de ces nains. Il eût dû le faire dès leur arrivée dans la forêt.
« Vous pouvez aller profiter du reste des festivités, Seldir.
— N'avez-vous besoin de rien, sire ?
— Cela ira. Mais si vous croisez Rhovaniel ou Arhaviel, envoyez-les-moi ici.
— Bien, mon seigneur. »
Il le salua alors à son tour et sortit du bureau, laissant Thranduil seul avec ses pensées. D'ici, il pouvait entendre les chants et les rires des elfes qui s'élevaient déjà de la grande salle. Si l'intrusion des nains à leur célébration avait affolé les Tawarwaith, ils et elles avaient bien vite mis de côté cet incident et profitaient à présent du mieux possible de la sécurité que Taurothrond leur offrait. Thranduil imaginait qu'Imlothiel était restée parmi son peuple, pour le tranquilliser de ses sourires et de ses mots apaisants. Il la voyait danser également au son des flûtes et des harpes. Elle avait certainement partagé ses premiers pas de la soirée avec Imladir. Habituellement, c'était toujours à Legolas qu'elle offrait les honneurs d'être son premier partenaire. Mais celui-ci était bien loin dans le sud.
Thranduil n'avait toujours pas bougé quand des coups furent frappés sur la porte du cabinet. Il soupira. La nuit, pourtant déjà bien avancée, allait être longue.
« Oui ? »
Ce furent Rhovaniel et Arhaviel qui entrèrent, le saluant simultanément avant de se mettre au garde-à-vous.
« Tout est sécurisé ?
— Oui, sire, répondit Rhovaniel. Mais nous pensons que les araignées ont capturé les nains.
— Combien y en a-t-il ?
— Difficile à estimer avec cette obscurité.
— Je veux une unité prête à l'aube pour mener une attaque.
— Bien, mon seigneur. Nous vous avons ramené le nain qui était dans la clairière. Il semble qu'il s'agisse de Thorin Écu-de-Chêne.
— Faîtes-le entrer, je vais lui parler. »
Rhovaniel tourna son regard vers Arhaviel, comme pour l'interroger silencieusement et celle-ci hocha la tête avant de parler :
« Sire, le nain avait avec lui une arme particulière…
— C'est-à-dire ? »
L'elfe acquiesça et sortit de sous sa cape une épée longue qu'elle présenta au roi dans son fourreau. Celui-ci l'observa avec les sourcils froncés puis tendit les deux mains pour la prendre délicatement. Le pommeau et le fourreau étaient sertis de pierres scintillantes, mais il ne s'agissait pas là d'une épée naine. Attrapant la poignée, il la dégaina lentement et ses yeux s'agrandirent. La lame à un seul tranchant était légèrement incurvée et près de la garde, des runes elfiques étaient gravées.
« Orcrist », lit-il à haute voix. La Pourfendeuse à Orcs. Cette épée ne datait pas de cet âge. Il s'agissait d'une lame forgée par les Noldor du premier âge, dont l'artisanat était le plus réputé parmi les elfes. Comment était-elle arrivée là ? Comment ce nain l'avait-il en sa possession ? Une telle arme ne pouvait pas rester cachée pendant plus de six millénaires pour réapparaître ainsi entre les mains d'un enfant de Belegol(L).
Thranduil s'arracha alors à sa contemplation, rangeant l'épée dans son fourreau. Il se tint droit, la tête haute. Son visage se fit grave et son regard menaçant. Il allait accueillir Thorin Écu-de-Chêne comme il se devait, et si celui-ci ne coopérait pas, il n'allait jamais revoir la lumière d'Arien.
« Faîtes-le entrer. »
Les deux commandantes acquiescèrent puis Arhaviel ouvrit la porte du cabinet derrière laquelle des gardes attendaient, tenant le nain sous ses bras pour le soutenir, car celui-ci était encore plongé dans la torpeur induite par les arbres. Les elfes le firent entrer et le positionnèrent face à leur roi, qui le fixait d'un air grave, concentré à projeter son fae vers le nain pour le libérer de l'enchantement.
Il était à présent sûr qu'il s'agissait de Thorin Écu-de-Chêne. Il n'avait jamais connu le nain à l'époque où celui-ci résidait encore à Erebor, mais il avait rencontré Thrain et il ne pouvait qu'admettre la ressemblance entre le père et le fils. Thorin était grand pour un nain, et ses cheveux grisonnants témoignaient de sa maturité parmi son peuple. Alors que celui-ci reprenait pleine conscience, son regard sombre passa par la confusion et la frayeur avant de se faire hautain et méprisant en découvrant l'environnement dans lequel il se tenait.
Le nain ne dit rien cependant, se contentant d'observer la pièce autour de lui, comme s'il cherchait un moyen de s'échapper, avant de poser ses yeux pleins de défi sur le roi des elfes. Ce dernier haussa un sourcil pour toute réponse, avant de lever l'épée qu'il avait gardé en main et de la retourner entre ses doigts, pour y attirer l'attention d'Écu-de-Chêne.
« C'est une bien belle épée, commenta-t-il dans une langue ponantine(L) lourdement accentuée, mais qu'il est étrange de voir en possession d'un membre du peuple de Durin. »
Thorin fronça les yeux, mais ne répondit pas, fixant durement le roi. Ce dernier comprit qu'il aurait beaucoup de mal à soutirer des réponses de la part de son hôte, mais il lui fallait tenter néanmoins.
« Comment vous l'êtes-vous procurée ? » demanda-t-il sévèrement.
Thranduil crut que Thorin n'allait pas répondre, car le silence se fit dans la pièce pendant un instant, mais le nain se ravisa certainement, car il dit :
« Je l'ai trouvée.
— Trouvée ? Une telle arme n'est pas trouvée par hasard.
— C'est pourtant ce qui s'est passé.
— Vraiment ? Ou peut-être l'avez-vous trouvée, comme vous dites, chez la personne à qui elle appartenait ? »
Thranduil vit les yeux de Thorin s'embraser de colère, et celui-ci sembla se retenir de se jeter sur lui pour le ruer de coups. Il n'y serait cependant point arrivé, car bien qu'il ne fût plus tenu par les gardes qui l'avaient amené ici, il était entouré de toutes parts et Thurindir, qui s'était glissé dans la pièce, se tenait prêt à intervenir. Le nain choisit de ne pas répondre à la provocation du roi, détournant le regard vers la tapisserie suspendue au fond de la pièce, représentant un paysage sylvestre.
Thranduil commençait déjà à perdre patience, sentant la colère monter en lui devant l'arrogance d'Écu-de-Chêne, et il choisit alors d'entrer dans le vif du sujet.
« Eh bien, maître nain, vous avez causé bien du désordre. Pourquoi avez-vous, vos compagnons et vous, tenté par trois fois d'attaquer mon peuple lors de leurs célébrations ? »
Pendant un long moment, Thranduil tenta de soutirer à Thorin la vérité concernant sa présence dans la forêt, mais celui-ci ne flancha pas, ne lâchant pas un mot sur le voyage qu'il avait entrepris avec ses compagnons, ce qui irrita grandement le roi, qui finit par ordonner aux gardes de l'emmener.
Il se retint de laisser court à sa colère cependant, car Arhaviel et Rhovaniel étaient encore présentes, toutes deux attendant d'être congédiées. Thranduil posa alors son regard tranchant sur les deux commandantes.
« Vous avez une journée pour me trouver ces nains et abattre les araignées, et vous m'expliquerez alors comment de telles défaillances ont pu se produire. Je ne tolèrerai plus aucun manquement. »
D'un geste vif, il leur fit comprendre qu'elles étaient congédiées. Rhovaniel, dont l'inquiétude se lisait sur son visage, s'exécuta promptement, le saluant avant d'ouvrir la porte et de sortir du cabinet. Arhaviel resta quant à elle immobile un instant, semblant hésiter à parler, mais choisissant finalement de s'abstenir. Elle suivit sa collègue d'un pas plus lent, avant de refermer la porte derrière elle.
Une fois seul, Thranduil ferma les yeux un temps, inspirant profondément, avant de souffler lentement toute l'air que contenaient ses poumons. Il contourna alors son bureau pour se servir une timbale de vin, et la goûtant, soupira de frustration en se rendant compte qu'il ne s'agissait pas du Dorwinion. Il se laissa alors tomber sur sa chaise, reposant sa tête sur son dossier.
Il s'en voulait. Il s'en voulait d'avoir tardé à s'occuper de la nuisance qu'était Thorin Écu-de-Chêne, d'avoir ainsi mis en danger son peuple et gâché ses réjouissances tant attendues. Il s'en voulait également de s'être emporté si facilement. Sa colère n'avait fait que le desservir, l'empêchant de prendre le dessus sur le nain. En outre, Arhaviel et Rhovaniel n'avaient pas mérité de faire face à son courroux. Toutes deux étaient très compétentes et elles n'étaient certainement pas responsables des erreurs que les elfes sous leurs ordres avaient pu commettre. Et puis, elles n'avaient pas à subir le mécontentement qu'il éprouvait en partie contre lui-même. Il soupira.
LEXIQUE :
- Beleriand : Ancienne région de Terre du Milieu, qui était situé à l'ouest des Havre Gris et des Montagnes bleues, où se situait notamment Doriath. Cette région a été engloutie sous la mer suite à la Guerre du Courroux contre Morgoth à la fin du premier âge.
- Belegol : Nom Sindarin du Vala Aulë, qui a créé les nains.
- Ponantin : Ma traduction en français de westron, que j'ai préféré à toutes les traductions officielles « occidentalien » ou « ouistrain ».
