Merci aux quelques personnes qui me lisez dans l'ombre. J'espère que cela vous plaît. ;)
Je pense publier un chapitre environ toutes les deux semaines pour me laisser le temps de faire toutes les corrections nécessaires et de travailler sur d'autres projets.
Esprit gourmand
Au deuxième jour d'iavath, les compagnons de Thorin Écu-de-Chêne furent à leur tour capturés et emmenés devant le roi des elfes, mais comme avec leur chef, il n'obtint pas plus de réponses à ses questions, aucun ne se résignant à avouer l'objet de leur voyage. Cela irrita Thranduil pendant des jours et il se demanda longuement ce qu'il pouvait faire pour leur soutirer la vérité. Il ne pouvait décemment pas les affamer ou les maltraiter. Il avait la possibilité de les libérer et de les faire suivre par Arhaviel pour connaître leur destination, mais c'était quelque chose qu'il ne souhaitait pas risquer.
Les nains occupèrent ainsi son esprit pendant deux semaines, avant que le roi reçût une nouvelle importante apportée par une grande corneille envoyée par Æwellon. Subséquemment, il se mit à la recherche de Laegryn pour se concerter avec lui, mais celui-ci n'était pas dans son cabinet et les gardes qu'il croisa lui indiquèrent que le maréchal se trouvait dans le hall d'entraînement. Il préféra s'y rendre lui-même plutôt que d'envoyer quelqu'un le chercher, se souvenant qu'il n'avait pas mis les pieds dans cette salle depuis de longues semaines. Il s'attendait à y trouver son ami examiner une troupe faire ses exercices, mais il était en fait celui qui combattait, en plein corps à corps avec Thurindir.
Thranduil les observa pendant un moment. Quelques gardes assistaient également à cet entraînement, le dos appuyé contre un des murs du grand hall et commentant avec entrain les techniques utilisées, tandis qu'à l'autre bout de la salle, maître Celondir se trouvait en pleine séance avec des jeunes recrues. Laegryn employait des attaques directes, cherchant à rester fermement sur ses pieds et utilisant ses mains, coudes, genoux, pieds pour frapper son adversaire à des endroits stratégiques. Thurindir se concentrait à esquiver ses attaques en essayant de l'attraper pour le faire basculer et le plaquer au sol. Il avait plus d'amplitude dans ses mouvements, ce qui lui permettait de reprendre appui plus facilement, tandis que Laegryn était plus limité, malgré ses gestes vifs et efficaces. Les techniques utilisées par le garde et le maréchal étaient différentes car fortement influencées par les cultures dans lesquelles ils avaient grandi, mais aucune ne prévalait sur l'autre, et les deux guerriers devaient user de ruse pour déstabiliser l'autre.
Thranduil les eût bien observés encore un temps, mais la nouvelle qu'il devait adresser à Laegryn ne pouvait attendre, donc il profita d'un instant où celui-ci menait une contre-attaque qui déséquilibra le garde royal pour s'avancer de quelques pas vers eux et ainsi faire connaître sa présence. Les duellistes interrompirent alors aussitôt leur combat, se séparant l'un de l'autre en portant leurs mains à leur front.
Ils se tournèrent alors vers le roi, tous deux essoufflés, et le saluèrent, tandis que Taurian, qui avait assisté au duel, s'approchait d'eux pour leur distribuer des outres d'eau. Laegryn ne s'attarda pas, cependant, se dirigeant d'un pas pressé vers son ami tandis qu'un nouveau combat se mettait en place au centre du hall.
« Cela doit être important », constata le maréchal, ouvrant l'outre pour la boire. Mais il afficha un air confus quand seules quelques gouttes d'eau en sortirent, ne suffisant pas à étancher sa soif.
Thranduil haussa un sourcil et pour toute réponse tourna les talons, faisant comprendre à son ami de le suivre. Ils sortirent ainsi du hall en prenant l'ouverture qui menait vers l'armurerie qui était déserte à ce moment-là, puis Thranduil tendit le courrier qu'il avait reçu plus tôt à Laegryn qui le prit et le déplia avant de commencer à le lire.
Le pli était écrit de la main du seigneur Celeborn qui indiquait que Dol Guldur avait été attaquée par des troupes de la Lórien. Le Nécromancien venait d'être chassé par le conseil blanc et il n'y avait à présent plus de doute sur sa véritable identité. Cependant, comme Thranduil l'avait si bien prédit, les créatures qui peuplaient la forteresse n'avaient pas toutes été décimées et nombreux étaient les orcs et les loups qui avaient réussi à s'enfuir dans la forêt, en direction du nord.
« Cela est fâcheux, commenta le maréchal en soupirant, il était prévu que les troupes de Lothuil soient revenues avant la fin de semaine, maintenant qu'elles ont passé les montagnes au peigne fin, mais la garde-frontière ne sera pas apte à gérer cette situation seule.
— En effet. Il serait préférable de rallonger leur mission.
— Oui, je vais envoyer Gwelim prévenir Lothuil. Mais nous avons encore quelques elfes en réserve qui vont pouvoir relever la troupe qui était initialement partie en même temps que Legolas. Elle est sur le terrain depuis trop longtemps. Cependant il va me falloir toute la nuit pour préparer leur départ. »
Thranduil ne manqua point l'air désabusé qui marquait le visage de son ami.
« Qu'y a-t-il ? demanda-t-il, haussant un sourcil.
— Branion arrive ce soir. »
La compréhension s'afficha sur le visage du roi et il ne put empêcher un sourire se dessiner à la commissure de ses lèvres. Branion était l'époux de Laegryn, mais celui-ci vivait à l'ouest du royaume, dans un village où s'était installée sa famille après la migration causée par l'arrivée du Nécromancien, préférant la vie simple et calme que Taurothrond ne pouvait lui offrir. Les deux elfes se rendaient visite régulièrement cependant, trouvant là un compromis qui leur convenait.
« Eh bien, ne tardons pas. A deux, nous pourrons avoir fini le plus important pour que tu puisses l'accueillir comme il se doit à son arrivée.
— N'as-tu point de rendez-vous ce soir ?
— Seldir les décalera. »
Laegryn allait protester, mais Thranduil était déjà sorti de la salle, alors il fut obligé de le suivre. Les deux passèrent ainsi la fin de l'après-midi et le début de soirée à envoyer des pages aux quatre coins du palais pour préparer le départ de la troupe qui devait partir à midi le lendemain avec le capitaine Lergelir, et quand l'arrivée de Branion approcha, le roi chassa Laegryn de son bureau. Il savait que leur dernière réunion lors de Mereth Iavath avait été écourtée, du fait de l'irruption des araignées au nord du sentier, et il ne pouvait qu'imaginer la frustration de son ami à chaque nouvelle séparation. Thranduil passa ainsi une partie de la nuit à faire en sorte que tout fût prêt pour le lendemain. La troupe devait partir au plus tôt de façon à arriver à temps à la frontière sud pour relever Legolas et les elfes ayant quitté Taurothrond avec lui.
Mais à leur retour, quelques jours plus tard, Thranduil ne fut pas surpris de découvrir que Legolas avait choisi de rester dans le sud et d'apporter son soutien à Lothuil. Cet elfe était définitivement beaucoup trop dévoué pour son propre bien. Et cet elfe était son propre fils, donc cela ne l'arrangeait pas le moins du monde.
Le roi continua de suivre avec attention la situation à la frontière pendant les semaines qui suivirent. Selon les rapports journaliers qui étaient envoyés à Taurothrond, des loups furent aperçus à l'ouest des montagnes et dispersés par les troupes d'archerie. Thranduil espérait que ce serait là les seules créatures qui oseraient s'aventurer aussi près de son royaume. Mais ce qu'il espérait était rarement ce qui se passait réellement.
Un matin, alors qu'il était encore tôt et qu'il petit-déjeunait en silence, assis à côté d'Imlothiel dans la grande salle, il laissa son regard se promener entre les tables où elfes de tous bords se saluaient, riaient et mangeaient. Si frivoles. Si amènes.
Mais parfois si pénibles, pensa-t-il également en soupirant. Il attrapa sa timbale de vin. A une table, un elfe aux cheveux coupés aux épaules s'était levé brusquement et accusait de vive voix de lui dérober son déjeuner ses camarades qui se contentaient de se moquer de lui, riant et plaisantant.
« Il semble que notre esprit gourmand ait encore frappé, rit alors un elfe vêtu de la livrée des gardes du palais.
— Mais pourquoi un esprit volerait de la nourriture ? demanda la victime, qui portait quant à elle la tenue des écuries.
— La question est plutôt : pourquoi un esprit ne volerait pas ta nourriture ! rétorqua son ami. Je comprends sa tentation à essayer de t'importuner !
— Tu admets donc ta culpabilité, Deron ?
— Non certes ! »
Thranduil fronça les sourcils. Il n'y eût pas porté son attention deux semaines plus tôt, mais ce type d'échanges était devenu événement courant depuis. Des elfes se plaignaient régulièrement que leur nourriture ou leur vin disparaissait, mais aucun voleur n'avait été démasqué. Il ne devait s'agir que d'une farce, mais cela commençait sérieusement à échauffer les esprits des elfes des bois, habituellement si pacifistes et magnanimes. Il arrivait même que des insultes et des menaces fussent échangées, et les gardes du palais avaient une fois dû intervenir pour séparer et faire sortir deux personnes qui allaient se bagarrer en plein diner. Tout cela était grotesque.
Le roi entreprit alors de boire une gorgée de son vin. Mais celle-ci n'atteignit jamais son gosier. Sa timbale était vide. Il était pourtant sûr de l'avoir laissée à moitié pleine. Il l'observa d'un air contrit. Il se passait des choses bien étranges à Taurothrond. Lui fallait-il mettre la garde civile sur l'affaire ? Cela irait bien jusque-là si les vols ne cessaient et que les Tawarwaith finissaient par demander la tête du coupable. Ou du moins son identité pour pouvoir à leur tour se venger des humiliations subies.
« Sire, fut-il alors coupé dans ses réflexions par Seldir qui s'était penché près de son oreille, le seigneur Laegryn vous fait quérir une courrière vient d'arriver portant un message de la commandante Lothuil. »
Il ne se fit pas prier plus longtemps, se levant promptement. Imlothiel posa des yeux inquiets sur lui auxquels il répondit en posant une main réconfortante sur son épaule. Si le message avait concerné le bien-être de Legolas, Seldir leur en eût parlé. Elle acquiesça alors silencieusement et Thranduil la laissa là, contournant la table et traversant à grands pas la salle. Il se retrouva bientôt dans le vestibule de Taurothrond, puis s'enfonça dans la galerie qui menait aux quartiers militaires, passant devant de nombreuses cavernes, avant d'arriver devant le cabinet de Laegryn, dont il ouvrit la porte sans toquer et sans attendre que le garde qui se tenait d'un côté l'annonçât.
« Quelles nouvelles ? » demanda-t-il alors en traversant la pièce où se tenait la messagère ainsi que le maréchal, qui le saluèrent promptement. Laegryn affichait une mine agacée, sûrement exaspéré de son manque de courtoisie, mais Thranduil n'y fit pas attention, n'étant pas d'humeur à ajouter de la fioriture à ses demandes ou ses gestes, et fixa plutôt son regard sur la courrière, Gwelim, une elfe de grande taille et à la mâchoire anguleuse.
« Sire, des orcs ont essayé de franchir la frontière à l'ouest des Emyn Duir, il y a deux jours, déclara-t-elle de sa voix grave.
— Combien ?
— Une cinquantaine, mais les troupes de la commandante Lothuil les ont aisément abattus. Il semble que les créatures essayaient de fuir le combat plutôt que de l'engager.
— Des pertes ?
— Non, une dizaine d'elfes ont reçu des blessures incapacitantes, mais rien que celles et ceux qui sont sur place ne peuvent gérer.
— Autre chose ?
— Un des orcs a pu être gardé en vie, sire. Je suis partie avant que la commandante et les capitaines aient pu le faire parler, mais on m'a informée que Leg… le capitaine Legolas le ramènerait à Taurothrond en même temps que les troupes congédiées et les personnes blessées.
— Quand est prévue la relève ?
— La relève est sortie il y a deux jours, répondit le maréchal alors que Thranduil acquiesçait.
— Bien, je veux être tenu au courant de toute nouvelle attaque… et je veux être prévenu de l'approche de Legolas à moins de trois lieues de Taurothrond. L'orc n'entrera pas dans la forteresse. »
Il avait prévu cette invasion. Une cinquantaine d'orcs n'était pas grand-chose, mais les elfes ne pouvaient prédire si d'autres suivraient. Il était fort probable que ces créatures cherchassent à fuir la forêt complètement. Cependant, cela les mènerait vers les montagnes et le chemin le plus sûr pour elles était donc de traverser les bois dans l'ombre des arbres jusqu'aux Ered Mithrin(L), au nord-ouest d'Eryn Galen, évitant ainsi les plaines ensoleillées du Rhovanion. Il n'avait pas besoin d'interroger un de ces orcs pour deviner ça. Ces créatures avaient toujours été trop prévisibles.
Thranduil s'apprêta à sortir, mais une pensée lui vint en tête à ce moment et il refixa son attention et son regard sur Laegryn pour lui demander :
« Aucun des nains n'est toujours décidé à parler ?
— Le capitaine Nelorn pense qu'Écu-de-Chêne semble sur le point de changer d'avis. Les gardes disent qu'il demande quotidiennement si ses compagnons ont été aperçus, mais il n'a toujours pas été mis au courant de leur capture.
— Ce serait intéressant s'il était le premier à parler. Et y a-t-il des nouvelles du perian qui voyageait avec les nains ?
— Non, toujours rien selon Rhovaniel. Ni mort, ni vIvannt. C'est comme s'il avait disparu. Et la garde-frontière orientale n'a rien vu non plus, donc il est peu probable qu'il ait quitté la forêt. »
Thranduil acquiesça puis sortit pour suive le corridor en sens inverse, prêtant peu attention aux guerriers et guerrières qui croisaient son chemin et le saluaient vivement. Cette histoire était fort étrange. Les elfes avaient facilement capturé les douze nains qui accompagnaient Thorin Écu-de-Chêne. Ils s'étaient apparemment laissés prendre, exténués, malades et affamés qu'ils étaient, mais aucune trace n'avait été retrouvée du perian. Lui-même ne connaissait pas grand-chose de cette race qui était apparue à l'orée du troisième âge, mais qui s'était vite enfuie des vallées du Rhovanion quand le Nécromancien avait infesté la forêt et les régions alentours de son ombre.
Ses pas menèrent alors le roi hors de l'aile militaire jusqu'à la galerie où se trouvait son propre cabinet. Il se figea cependant avant d'y arriver, sentant la présence d'un fae étranger derrière son dos. Il se retourna promptement, mais se retrouva face à un couloir vide et il ne vit qu'une ombre s'évanouissant au niveau du sol. Il fronça les sourcils. Qu'était-ce ? Il se passait des choses bien curieuses dans les cavernes. Ce n'était pas la première fois qu'il ressentait une telle présence durant les dernières semaines, mais elle n'apparaissait jamais à ses yeux. Il commençait à se demander si un esprit avait vraiment pu se mettre à hanter les galeries de Taurothrond. Après tout, cela pouvait avoir un rapport avec la libération de Dol Guldur. Le Nécromancien n'avait pas acquis son nom par hasard, il était maître en l'art de corrompre les esprits des morts, et peut-être que l'un d'entre eux avait fui jusqu'ici, comme avaient essayé de le faire les orcs.
Mais il y avait sûrement une explication plus simple et rationnelle. Un animal peut-être ? Il était déjà arrivé qu'une bête de la forêt se fût retrouvée bloquée derrière les portes fermées de la forteresse. Oui, c'était sûrement cela.
Thranduil reprit alors son chemin et arriva bientôt dans l'antichambre de son cabinet dans lequel il fut accueilli par Seldir, ainsi que Galion et Beleg, qui firent glisser leurs mains sur leurs visages à son approche. Thranduil avait oublié qu'un conseil devait se tenir ce matin-là.
« Sire, dame Imlothiel vous attend dans votre cabinet », lui annonça le valet.
Il acquiesça pour toute réponse, et s'apprêta à entrer dans la pièce, mais se ravisa et se tourna vers Galion, lui disant :
« Il semble qu'une pauvre bête se soit fait enfermée dans la forteresse. Sûrement un renard. Faites-la chercher par vos elfes pour lui permettre de retrouver la forêt. Peut-être que cela réglera nos problèmes de nourriture volée.
— Bien, sire », répondit l'intendant avec un air circonspect.
Il passa alors la porte du cabinet. Imlothiel était assise dans l'un des sièges qui faisaient face à son bureau. Elle tourna les yeux vers lui quand il entra et l'interrogea du regard. Thranduil lui adressa un sourire rassurant et vint prendre place sur le deuxième siège à côté d'elle.
« Legolas sera rentré dans une semaine tout au plus, Melloth. Des orcs ont essayé de passer la frontière, comme nous le craignions. Il escortera une dizaine de blessés. Et non, nous n'avons pas essuyé de pertes.
— Merci Elbereth.
— Mais d'autres attaques sont à prévoir, je le crains.
— Il est toujours plus difficile de repousser des attaques surprises. Nos guerriers et guerrières se tiennent sur leur garde. Tout se passera bien, Thranduil.
— Après la catastrophe de Mereth Iavas, je doute que nos troupes soient suffisamment sur leur garde, répondit Thranduil d'un air déconfit.
— C'était une circonstance très particulière. Après tout, les nains étaient déjà sur le sentier.
— Grâce à la garde-frontière.
— Ou par la grâce d'Ivann.
— Qu'est-ce qu'Ivann a à voir dans cette affaire ? demanda Thranduil en fronçant les sourcils.
— Les gardes n'ont-ils pas dit avoir été attirés par des bruits à l'opposé de là où se trouvaient les nains ?
— Des bruits certainement causés par le même esprit qui hante la grande salle et vole la nourriture de nos elfes, grogna-t-il. Si nos gardes ne savent pas reconnaître un renard d'un nain, je ne vois pas comment leur trouver des excuses. »
A cette réponse, Imlothiel se contenta de secouer la tête en souriant légèrement.
« En parlant de nains, sais-tu ce que tu comptes faire de nos treize invités ? Tu ne peux pas les garder éternellement dans nos cachots. L'hiver approche et nous avons besoin de ces celliers pour entreposer les récoltes.
— Je ne compte certainement pas les garder éternellement. Nous avons assez d'elfes à nourrir et Galion se plaint que ces nains mangent beaucoup trop.
— Qu'attends-tu alors ?
— Des réponses à mes questions. Et si ces nains continuent de refuser de coopérer, je les garderai au moins jusqu'à ce que leur cher ami Mithrandir vienne plaider leur cause. »
Imlothiel soupira. Le roi était beaucoup trop obstiné et fier pour son propre bien et le fait que ces prisonniers fussent des nains n'arrangeait rien à leur affaire. Il était de notoriété publique que le roi des elfes n'avait aucun amour pour ce peuple. Car après tout, Thranduil avait été un elfe de Doriath, et comme tout elfe ayant survécu à la disparition de cet ancien royaume du premier âge, il ne pouvait qu'accorder sa méfiance à ce peuple.
« Que crains-tu ? » demanda alors la reine, n'espérant qu'à moitié une réponse. Elle sentait dans son fae que quelque chose le tracassait, mais peut-être n'était-il pas prêt à mettre des mots sur ses inquiétudes. Cependant, il ne lâcha jamais son regard et sans même une hésitation lui répondit :
« Le feu du dragon.
— Le dragon ? Smaug ? Tu penses que les nains veulent le chasser ? »
Il acquiesça en soupirant tandis que les yeux d'Imlothiel brillèrent de compréhension. Il y avait beaucoup de choses que Thranduil haïssait du fait de sa longue vie passée à fuir ou à combattre les dangers. Il détestait les nains qui, par leur avidité, avaient amorcé la chute de Doriath, causant la mort de son roi Elu Thingol et le départ de sa protectrice Melian. Il abhorrait les Noldor, qui avaient massacré son peuple par deux fois pour assouvir leur serment dévastateur, lui arrachant son foyer et sa famille. Sa sœur. Sa mère. Il exécrait Gorthaur et ses minions qui répandaient la mort et le désespoir depuis plus d'un âge et cherchaient encore à détruire la seule et dernière demeure de son peuple.
Et il craignait le feu du dragon, qui avait pris la vie de nombre de ses camarades durant la Guerre du Courroux et qui l'avait enveloppé de son souffle ardent. Il se souvenait de l'odeur de sa peau brûlée. Il se souvenait de la sensation de chaleur perpétuelle qui ne l'avait pas quitté pendant des saisons. Il se souvenait de la souffrance insoutenable et de ses cris effroyables. C'était il y avait si longtemps et son corps n'en montrait plus une trace, mais il se souvenait aussi clairement que si cela s'était produit la veille. Et c'était pour cela qu'à l'arrivée des dragons dans les Ered Mithrin, il avait guetté mais n'avait pas agi. C'était pour cela que quand Smaug avait pris Erebor, il n'avait rien fait. Il s'était contenté d'envoyer des provisions ainsi que des volontaires à la ville du lac, pour venir en aide au peuple de Dale qui s'y était réfugié.
Thranduil soupira puis reprit la parole, laissant de côté ces terribles souvenirs :
« Thorin Écu-de-Chêne est le petit-fils de Thror. Il est l'héritier légitime du trône sous la Montagne. S'il réussissait à tuer le dragon, il rallierait tous les nains des Ered Luin(L) jusqu'aux Emyn Angren.
— Mais comment peut-il espérer vaincre Smaug ? Il est réputé aussi puissant que les cracheurs du premier âge.
— C'est là mon questionnement et mon inquiétude. Je ne peux décemment pas prendre le risque de les laisser le provoquer, sans garantie de le voir mort. »
Imlothiel ne répondit rien. Elle voyait bien la complexité de la situation. Malgré la méfiance de Thranduil envers les nains, ce n'était pas cette inimitié qui le menait à les garder prisonniers. Il avait bien trop conscience des enjeux diplomatiques pour cela et son dernier souhait était de déclencher une guerre contre eux. Mais son premier désir était d'éviter une bataille contre un dragon.
« Bien, reprit alors Thranduil en souriant tristement, je crois qu'on nous attend. »
Imlothiel acquiesça et les deux se levèrent. Les ministres s'étaient en effet déjà tous et toutes réunies dans la salle de conseil, et les elfes saluèrent leur roi et leur reine à leur entrée dans la pièce. Thranduil vint se tenir devant le siège qui lui était attribué tandis qu'Imlothiel prit place à sa droite. Il fit signe à l'assemblée de s'asseoir, et annonça, en fixant son regard sur Berethuil, la sénéchale du royaume :
« Nous pouvons commencer.
— Bien, sire », répondit l'elfe avant de lister les différents sujets du jour et de lancer le premier d'entre eux, concernant les récoltes d'automne, leur répartition et leur emmagasinage pour l'hiver. Après des heures de discussion, quand tout le monde eût parlé et que des décisions furent prises, le conseil continua sur d'autres sujets moins importants, et enfin, la sénéchale reprit la parole :
« Si nous sommes d'accord, nous pouvons clore ce sujet, fit-elle. Y a-t-il autre chose que quelqu'un souhaite évoquer aujourd'hui ? »
Les elfes secouèrent la tête et la sénéchale tourna alors son regard clair vers le roi pour lui signifier que la parole lui était retournée. Celui-ci resta silencieux quelques instants, puis posa ses yeux sur Celondir, qui était le maître des armes du royaume, ayant la charge à la fois de la formation des jeunes guerriers et guerrières ainsi que de l'armurerie de l'armée. Il demanda :
« Maître Celondir, quel est l'état des réserves de l'armurerie ?
— Elles sont suffisantes pour permettre à nos elfes sur le terrain de défendre le royaume pour plusieurs hivers, mon seigneur.
— De la précision, Celondir, sermonna Thranduil. Combien d'armures avons-nous ? »
L'elfe allait répondre, mais il se retint finalement, se mettant à fouiller parmi la pile de parchemins qui était étalée devant lui, avant de trouver celui qu'il cherchait et de le lire.
« Nous avons environ mille armures de métal, répondit-il, comprenant hauberts, heaumes, canons d'avant-bras, gantelets, et le double de cette quantité en cuir.
— Boucliers ?
— Cinq cents pavois et mille rondaches.
— C'est peu, remarqua le roi tandis que les elfes de l'assemblée froncèrent les sourcils. Les armes ?
— Sans compter celles qui sont déjà déployées, nous avons de quoi armer cinq cents piquiers, mais seulement trois cents épéistes, et nous n'avons pas plus d'un couteau ou dague par armure disponible.
— Et qu'en est-il de la commande d'armes que nous avions faite aux forgerons d'Imladris le cycle dernier ?
— Nous avons eu mot que la commande est prête depuis laer, mais avec l'invasion des araignées, nous n'avons pas pu envoyer d'unité pour la récupérer. Et le souci du paiement n'avait pas été réglé.
— Il me semble que la garde montée est disponible, Laegryn ?
— En effet. Il nous est possible d'envoyer la capitaine Gaerwen.
— Très bien. A combien s'élève la commande ?
— Mille cinq cents livres, répondit Celondir.
— Seigneur Radion, vous partirez dès demain pour faire une proposition au seigneur Erestor, commanda Thranduil à son ambassadeur. Dame Ivriniel, combien avons-nous récolté de soie suite à la destruction des nids d'araignées ?
— Pour le moment, trois cent livres, répondit l'elfe qui était la maîtresse de l'artisanat du royaume, de quoi tisser trois mille cinq cents pieds de tissu. Mais le nettoyage des montagnes a dû être interrompu suite à la menace des orcs, donc plus sont à prévoir.
— Bien. Il faut que le maximum d'étoffes soit prêt d'ici deux semaines pour partir avec la garde montée.
— Bien, sire, répondit Ivriniel en réprimant une grimace, je vais en informer les tisserands.
— Galion, reprit Thranduil en se tournant vers son intendant, avons-nous réceptionné la cargaison du Dorwinion ?
— En effet. Des épices, des herbes alimentaires et médicinales, quarante tonneaux d'huile et trois cents tonneaux de vin, dont cinquante du nouveau millésime.
— Mettez de côté vingt de ces tonneaux pour le seigneur Elrond, fit le roi tandis que le visage de Galion devenait blême. Le seigneur Radion lui demandera s'il a besoin de certaines herbes également. Le reste sera payé en or.
— Sire, sauf votre respect, cela ne suffira pas, commenta alors Beleg, le trésorier.
— Eh bien nous paierons le reste plus tard, Beleg, mais il nous faut la totalité de cette commande d'armes au plus tard au premier jour de Firith.
— Bien, sire », répondit l'elfe en affichant néanmoins un air confus.
Voyant qu'il n'était pas le seul à être interdit par cette déclaration, Thranduil soupira, s'apprêtant à s'expliquer. Mais ce fut Laegryn qui prit la parole, d'un ton désabusé :
« Nous avons récemment fait face à des hordes d'araignées géantes, et nos troupes ont dû combattre des orcs il y a de çà deux jours. De plus, je vous laisse également imaginer la réaction du seigneur Dáin quand il apprendra que son cousin est retenu dans nos cachots. Notre armée a besoin de ces armes. »
Thranduil adressa un regard satisfait à Laegryn. Les elfes semblèrent encore sceptiques de la nécessité d'acquérir ces armes, mais seul Beleg afficha sur son visage un air renfrogné, ce qui n'inquiéta pas le roi. Il était le trésorier du royaume, il était de son devoir de ne pas laisser les coffres se vider, encore plus quand l'hiver approchait à grand pas.
« Bien, nous reparlerons de ce sujet lors du prochain conseil, ce sera tout pour aujourd'hui », fit alors Thranduil en se levant, marquant ainsi la fin du conseil. Les ministres se levèrent alors, saluant tour à tour leur roi puis sortirent de la salle, certaines s'engageant dans des discussions concernant les sujets abordés ce jour, d'autres s'empressant de retrouver leurs cabinets respectifs pour se remettre au travail. Quand finalement il se retrouva seul et que même Imlothiel l'eût quitté pour retourner dans le hall de guérison, il passa la porte qui menait à son bureau et la referma derrière lui.
Il poussa alors un long soupir et commença à arpenter la pièce, plongé dans ses réflexions. L'armée d'Eryn Galen manquait cruellement d'équipement. Des armures en métal ou en cuire ne protégeraient guère les elfes du feu du dragon, si celui-ci venait à attaquer, et les réserves d'armes étaient bien trop faibles, et cela même si la garde montée pouvait effectivement récupérer celles qui avaient été commandées aux elfes d'Elrond. Et comme Beleg l'avait mentionné, les coffres du royaume étaient trop peu remplis. Il ne doutait pas que le seigneur d'Imladris leur permettrait un retard de paiement, mais il abhorrait devoir s'endetter auprès de Noldor.
Dans tous les cas, il devait s'assurer que Smaug resterait endormi. Mais s'il pouvait empêcher Thorin Écu-de-Chêne de le réveiller en le retenant captif, rien ne lui garantissait que les nains des Emyn Angren n'eussent pour projet de lui porter assistance. Il lui fallait des réponses au plus tôt.
« Seldir ! » appela-t-il alors avant de voir s'ouvrir la porte du cabinet sur son valet.
« Mon seigneur ?
— Faîtes trouver le capitaine Melorn et dites-lui de me ramener le nain Écu-de-Chêne.
— Bien, sire. »
Seldir se retira et Thranduil passa derrière son bureau pour se servir un gobelet de vin qu'il se mit à siroter après s'être laissé tomber dans son fauteuil. Il espérait qu'après ces quelques semaines à croupir dans les cachots, le nain se déciderait à parler. Il n'eut pas à attendre longtemps avant que le capitaine Melorn frappât à la porte, demandant s'il pouvait faire entrer Thorin Écu-de-Chêne dans le cabinet. Le roi acquiesça puis se leva, prêt à l'accueillir de toute sa hauteur.
Quand le nain mit les pieds dans la pièce, il n'avait pas les mains liées, car c'était là l'ordre que les elfes avaient reçu de Thranduil quand il avait été capturé. Cependant, il était entouré de deux autres gardes en plus du capitaine, mais le roi les congédia du regard.
« Heureuse rencontre », dit alors Thranduil en langue commune avec une parfaite prononciation, bien que toujours très accentuée. Il posa en même temps un regard perçant sur le nain, mais comme il s'y attendait, il n'eut aucune réponse de sa part. Celui-ci le fixait avec des yeux emplis de dédain et il gardait la tête haute et une posture presque royale. Il avait bien meilleure mine que la dernière fois qu'il avait fait face à Thranduil. Nelorn et Galion s'étaient assurés que Thorin et ses compagnons fussent bien nourris, et des bassines d'eau propre étaient quotidiennement amenées dans leurs cellules pour qu'ils pussent faire leur toilette.
« Avez-vous mangé, maître nain ? » demanda alors Thranduil, mais cette fois encore, ce fut le silence qui lui répondit. Il leva alors les yeux vers le capitaine qui se tenait encore derrière le nain, et celui-ci secoua la tête pour signifier que Thorin n'avait pas eu son repas.
« Bien, laissez-nous, capitaine, et faites-nous apporter un repas. »
Nelorn sembla hésiter à laisser le nain seul avec son roi, mais le regard sévère que celui-ci lui lança le retint de protester. Il hocha la tête puis sortit du cabinet en refermant la porte derrière lui.
Thranduil fit alors signe au nain de s'asseoir sur l'une des chaises qui faisaient face à son bureau, puis il se tourna vers la console pour servir une deuxième timbale de vin. Il vint ensuite la déposer face au siège qu'il avait désigné à Thorin, mais celui-ci n'avait pas bougé d'un pied et se tenait toujours droit au milieu de la pièce, avec le même regard froid et assassin.
Thranduil se rassit alors sur sa chaise, se contentant pendant un moment de siroter son propre vin.
« Eh bien, maître nain, commença-t-il alors, on m'a rapporté que vous vous inquiétiez pour vos compagnons. »
Thranduil marqua un silence pour laisser le temps à Thorin de réagir, mais celui-ci ne fit que plisser les yeux, alors il continua :
« Je puis alléger votre tourment : vos amis sont tout comme vous hôtes dans ma demeure. »
Comme il s'y attendait, le terme qu'il utilisa fit exploser le nain qui répondit d'un ton plein de rage :
« Hôtes ? Si telle est la façon pour le roi des elfes du Bois Glauque(L) d'accueillir ses hôtes, je me demande bien comment sont traités ses prisonniers !
— Les elfes du Bois Glauque, comme vous dites, n'ont pas pour habitude de faire des créatures qui envahissent leur territoire leurs prisonnières. Mais ils et elles rencontrent plus régulièrement des araignées, des orcs ou des wargs, plutôt que des nains. »
Thranduil n'eut pas fini sa réponse que déjà, Seldir toquait à la porte. Il entra alors, portant sur son bras deux plateaux en bois que le roi lui fit poser sur son bureau. L'elfe jeta un regard curieux au nain, faisant attention à ne pas s'approcher trop près de lui en traversant le cabinet. Sur chaque plateau était posé un bol rempli d'une potée de légumes d'automne et de viande de lièvre, ainsi qu'un bout de pain et du fromage. Seldir ressortit sans un bruit.
« Asseyez-vous et mangez, maître nain, fit Thranduil en voyant que Thorin n'était toujours pas décidé à bouger. Soyez assuré que vos compagnons sont tout autant nourris que vous et moi. »
Le nain ne répondit rien et observa le roi attraper son morceau de pain et croquer dedans. Puis après quelques instants, il s'avança vers le bureau, où était posé le repas qui lui était destiné. Il haussa un sourcil en découvrant la composition identique des deux plateaux, mais il ne dit mot et vint s'asseoir sur la chaise qui lui avait été désignée précédemment, commençant à manger sous le regard attentif de Thranduil.
« Ce menu vous surprend-il ? Ou ne vous convient-il point ? »
Thorin haussa les épaules sans lever les yeux de son bol de légumes. Il répondit néanmoins :
« Cela semble un maigre repas pour le fameux roi des elfes.
— Le roi des elfes partage le repas de son peuple. Cela vous paraît-il saugrenu, petit-fils de Thror ? »
A cette mention, Thorin se figea, comprenant qu'il avait été démasqué. Il posa alors la cuillère qu'il tenait, puis leva ses yeux froids vers Thranduil.
« Que voulez-vous, ô roi ? demanda le nain d'un ton narquois.
— Vous n'avez pas apporté de réponses à mes questions, Thorin Écu-de-Chêne.
— Et pourquoi vous devrais-je des réponses ?
— Vous vous trouvez dans mon royaume. Ne me demanderiez-vous pas d'explications si je m'introduisais dans l'une de vos montagnes sans que j'y aie été convié ?
— Vous n'arriveriez pas à y entrer.
— Tout comme vous n'arriverez pas à sortir de ces cavernes si vous persistez dans votre silence.
— Je ne vous dois rien ! » s'écria alors Thorin en se mettant sur ses pieds. Il fusilla Thranduil du regard, et en retour, celui-ci poussa un rire moqueur.
« Sans mes elfes, vous n'auriez jamais retrouvé le sentier après l'avoir quitté. Et sans mes elfes, vous seriez mort de faim et de soif avant d'atteindre l'orée de la forêt. »
La rage se lisait ouvertement sur le visage du nain. Il ne répondit pas cependant, et attrapant la boule de pain qui trônait sur son plateau, il se tourna et traversa d'un pas rapide le cabinet du roi, frappant son poing trois fois sur la porte en bois qui s'ouvrit sur le capitaine des gardes qui avait attendu dans l'antichambre.
Celui-ci fronça les sourcils en voyant le visage du nain déformé par la colère, puis il leva les yeux vers son roi qui, d'un signe de tête, lui ordonna de ramener Thorin à son cachot. L'elfe le salua alors et referma la porte derrière le nain.
Thranduil soupira et but le reste de son vin d'une traite. Il n'allait pas réussir à soutirer d'informations à ces nains en perdant son sang-froid de cette façon. Il était certain qu'ils cherchaient à retourner à Erebor, mais il lui fallait savoir ce qu'ils pensaient faire de Smaug. Même les treize meilleurs guerriers nains ne pouvaient espérer vaincre un dragon de feu volant sans une once de chance. Avaient-ils prévu une armée ? Pensaient-ils pouvoir négocier avec la bête ? Attendaient-ils que Mithrandir réapparût pour le laisser s'en occuper ? Thranduil n'était pas même sûr que l'ithron eût le pouvoir de la tuer sans y laisser la vie.
LEXIQUE :
- Ered Mithrin (canon) : Montagnes grises, situées au nord de la forêt
- Ered Luin (canon) : Montagnes bleues, situées à l'ouest de la Comté.
- Bois Glauque (traduit) : ma propre traduction de Mirkwood, car je n'aime ni Forêt Noire ni Grand'Peur. Je ne pense d'ailleurs pas que les elfes des bois utilisent ce nom.
