Bonjour ! J'ai modifié un peu la présentation des notes, et les ai numérotées au lieu de juste les marquer d'un (L).

J'espère que ce chapitre vous plaira ! Plus que huit !


Désolations

A son arrivée, le roi fut accueilli par Legolas et le seigneur Radion, l'ambassadeur du royaume, et ils étaient accompagnés d'un homme de grande taille et d'embonpoint emmitouflé dans un long et épais manteau d'hiver, ainsi que de plusieurs autres villageois qui au contraire étaient dépouillés de tout survêtement. Ils n'avaient pas l'air d'avoir froid, nota cependant le roi, et il comprit bientôt qu'ils faisaient partis de ceux qui avaient œuvré depuis cinq journées, cherchant dans les décombres nourriture et couvertures pour leurs compatriotes, puis guidant les elfes à leur arrivée, et les aidant à la construction des baraques.

« Sire, fit Radion en langue commune tout en saluant le roi et Laegryn à la manière des Tawarwaith. Voici le maître de la ville du lac, ainsi que Bard, l'occiseur du dragon. »

Il désigna en premier l'homme vêtu du long manteau qui fit une révérence très basse et démonstrative, tandis que le deuxième, l'un des villageois qui arborait un visage grave et sinistre, se contenta de courber la tête tout en imitant maladroitement le salut de l'elfe.

« Ô grand roi des elfes, clama alors le maître de la ville en restant courbé, nous sommes honorés de recevoir votre très majestueuse présence. Nous désespérions mais n'attendions pas votre précieuse aide si vite et si nombreuse. »

Thranduil haussa un sourcil face à ce discours démonstratif. C'était la première fois qu'il rencontrait l'actuel maître d'Esgaroth, mais Radion lui avait dit maintes choses sur lui, et il n'était pas certain de vouloir traiter avec une telle personne.

« Mon armée était en chemin vers la montagne quand vos messagers l'ont trouvée, fit-il alors remarquer d'un ton froid, et elle reprendra sa route une fois qu'elle sera assurée de la bonne survie de votre peuple. »

Le maître de la ville se répandit alors en remerciements écumeux, mais Thranduil n'y prêta pas attention et fixa plutôt ses yeux perçants sur Bard, l'archer, qui le regardait avec méfiance de son regard sombre.

« Il s'agit toujours d'une prouesse de tuer un cracheur de feu et d'y survivre, Bard, occiseur de dragon, dit alors le roi. Et vous avez rendu là un grand service à tous les peuples résidant dans les terres sauvages.

— C'que j'ai fait, je n'l'ai fait que pour la survie des gens d'la ville du lac, contredit l'archer d'un ton sec.

— Et néanmoins, vous avez ma gratitude et celle de la forêt. »

Thranduil ne parlait pas seulement de la part des Tawarwaith, mais de celle des arbres, des animaux et de tous les autres êtres qui peuplaient Eryn Galen, car le feu du dragon eût été beaucoup plus destructeur qu'une invasion d'araignées ou même d'orcs.

« Dans c'cas, cette gratitude a été r'payée, répondit alors Bard d'un ton plus humble, car l'aide et les r'ssources qu'vos gens nous ont apportées sont précieuses.

— Toutefois, il y a encore beaucoup à faire, sire, parla alors Legolas d'un air inquiet, ces personnes ont besoin d'abris ou nombre d'entre elles n'auront pas la chance de voir passer l'hiver. »

Le roi acquiesça mais fut surpris de constater que son fils semblait sans grand mal comprendre la façon qu'avait l'archer humain de parler, qui était similaire à celle des messagers qui étaient venus à leur rencontre. Legolas avait très tôt appris la langue commune mais il n'avait jusque-là que très peu eu l'occasion de la parler. Aux oreilles de Thranduil, celle-ci évoluait trop rapidement, sonnant différemment à chaque nouvelle génération des peuples humains.

Il se tourna alors pour faire signe à Laegryn, qui se tenait en retrait derrière lui, de s'approcher. La maréchal avait quant à lui depuis bien longtemps arrêté de suivre l'évolution de la langue ponantine et n'en comprenait certainement plus que des bribes, alors Thranduil parla en thindren :

« Nous ferons camp autour de celui des gens du lac pendant une semaine.

— Comme tu le souhaites, répondit Laegryn avec indifférence.

— Où est ton oncle ? » demanda alors le roi à son fils. Imladir était arrivé à Esgaroth avec Legolas par la rivière. Le frère de la reine n'était pas un guerrier, bien qu'il sût, comme tout Tawarwaith, manier l'arc avec talent et qu'il eût répondu à l'appel de son roi. Il était un garde-forestier respecté parmi les elfes des bois, et il était également maître dans l'art de la charpenterie.

« Il travaille avec les hommes à la construction d'une baraque », répondit Legolas. Thranduil acquiesça puis s'adressa à Laegryn :

« Fais rechercher des spécialistes de la charpenterie parmi les réservistes et dépêche-les vers Imladir, puis quand les tours de garde seront définis, envoie chaque elfe libre à la recherche de bois de charpente. Nous devons également contacter Taurothrond, car nous aurons besoin de nos réserves de provision ainsi que du bois, beaucoup de bois. »

Le maréchal hocha la tête puis se retira pour donner ses ordres, mais Legolas fronça les sourcils.

« Je peux dépêcher Gwelim à la forteresse, sire, dit-il en utilisant la langue commune, mais Imladir pense que même nos stocks de bois de chêne ne seront pas suffisants pour reconstruire solidement la ville. »

Il ne fit pas attention aux airs confus des hommes du lac qui se demandaient comment il pouvait être difficile de manquer de bois dans une forêt. Mais ils ignoraient que les elfes des bois s'abstenaient de couper les arbres et se contentaient toujours de ne prendre uniquement que ce qui leur était absolument nécessaire.

« Il le faudra néanmoins », répondit le roi en lui faisant signe qu'il pouvait disposer. Legolas acquiesça alors puis portant ses doigts à son front pour saluer le roi et les hommes, il se retira pour trouver sa courrière.

« J'vous prie d'pardonner ma prudence, sire, dit alors Bard avec un regard sombre, mais nous n'avons point les r'ssources pour honorer l'prix d'ce bois. »

Il était rare mais pas insolite pour le royaume de la forêt de vendre son bois de charpente à travers le Rhovanion et même jusqu'au Dorwinion, car celui-ci était réputé être d'une grande qualité et d'une forte résistance, ainsi le prix que les elfes en tiraient ordinairement était élevé. Mais alors qu'il allait répondre, Thranduil vit les yeux du maître d'Esgaroth se plisser de mépris et celui-ci se hâta de prendre la parole pour ne pas laisser le sinistre tueur de dragon continuer :

« Mais bien entendu, le peuple du lac sera ravi de répondre à toutes les demandes que votre majesté pourra faire en retour de notre gratitude. »

Et pour montrer sa bonne volonté, le maître s'inclina une nouvelle fois sous le regard désabusé du roi des elfes, qui se contenta de poser ses yeux impénétrables sur l'archer, l'observant un instant avant de demander :

« Avez-vous des enfants, maître Bard ?

— Oui, mon seigneur, répondit l'homme en fronçant ses épais sourcils, mais…

— Dans ce cas, ne souhaiteriez-vous pas qu'ils ou elles passent l'hiver au chaud entre des murs et sous un toit, profitant de vêtements chauds et propres ?

— Certes, mon seigneur, mais…

— Je comprends ce que vous craignez, maître Bard. Vous ne souhaitez pas négocier l'avenir de votre peuple et de vos enfants, et les contraindre à des marchés qui n'auraient pas été acceptés avant la venue du dragon. Mais pour leur donner un futur, vous devez d'abord leur garantir de vivre. »

Bard ne répondit rien cette fois-ci, mais son regard restait sombre et il semblait continuer à débattre intérieurement.

« Et vous, mon seigneur, avez-vous des enfants ? » demanda-t-il alors d'un ton défiant, en ignorant le coup de coude qu'un de ses camarades lui assena.

Thranduil fronça les sourcils à cette question, avant de tourner un regard éberlué vers Radion. Celui-ci se figea pendant un instant puis détourna les yeux en déglutissant. Le roi soupira en secouant la tête d'incrédulité. Legolas avait été envoyé en avance comme messager, mais à aucun moment il ne s'était présenté comme le fils du roi. Ah, Legolas, quand cesseras-tu cette absurdité ? se demanda Thranduil en reposant ses yeux perçants sur les hommes qui semblaient mal à l'aise face à sa réaction. Le maître de la ville quant à lui avait le visage rouge de colère et assassinait Bard de son regard.

« En effet, répondit alors Thranduil, il me semble d'ailleurs que vous avez passé la journée à travailler aux côtés de mon fils.

— Votre…fils ? »

A présent, les hommes du lac étaient simplement mortifiés et même Bard sembla pâlir. Thranduil sentit la commissure de ses lèvres s'étirer.

« A présent, veuillez m'excuser, car il me faut sans tarder rédiger des correspondances. Cependant, le seigneur Radion reste à votre entière disposition. »

Il se tourna en adressant un regard sévère à l'elfe, puis se retira vers le camp qui commençait à s'installer. Thranduil savait que Legolas avait dû expressément demander à l'ambassadeur de ne pas révéler son lien de parenté avec le roi, mais Radion n'eût pas dû écouter son humeur. Les gens du lac n'étaient point des ennemis qui eussent pu se servir de cette information pour porter un coup au souverain du royaume sylvestre en attaquant son fils. D'autre part, les êtres humains plaçaient la hiérarchie au centre de leurs relations avec les autres, et pour eux, la visite du fils d'un roi était beaucoup plus estimée que celle d'un simple ambassadeur. Ils eussent pu se sentir insultés de se voir dissimuler une telle information. Radion savait pourtant tout cela. Heureusement, la présence du roi des elfes était pour le peuple d'Esgaroth un honneur tel que l'incident serait vite oublié.

Pendant les cinq jours qui suivirent, les elfes de la forêt travaillèrent aux côtés des hommes du lac à construire des huttes et des baraques pour y loger le peuple survivant d'Esgaroth, sous les directives d'Imladir. Gwelim fut envoyée vers la forteresse du roi, et alors que l'armée de Thranduil se préparait à reprendre sa route vers le nord et la montagne, des provisions ainsi qu'une première livraison de bois arrivèrent par la rivière, que la reine avait fait acheminer. Dans une lettre adressée au roi, elle fit la promesse que d'autres allaient suivre, car en apprenant la détresse du peuple du lac, nombre de Tawarwaith avaient exprimé le souhait de partager leurs ressources avec celui-ci.

Il fut alors décidé qu'Imladir et une centaine d'elfes resteraient pour aider le maître à commencer la construction de la nouvelle ville du lac et également s'assurer que les ressources fournies par le roi des elfes étaient distribuées en toute impartialité.

Car Thranduil avait observé pendant ces quelques jours comment les hommes et femmes d'Esgaroth géraient leur communauté et il était plus que méfiant de l'habilité de leur maître à être un bon gouvernant. L'homme dirigeait par le sophisme et les diverses manipulations. Il s'était de plus empressé de s'approprier la première hutte construite par son peuple avec l'aide des elfes et il se baladait parmi le camp chaudement et richement vêtu quand des enfants se promenaient pieds nus dans l'air froid de Firith(1).

Au contraire, il vit en Bard, l'occiseur de dragon, un meneur naturel, que les femmes et les hommes du lac suivaient avec confiance, et non pas seulement parce qu'il avait sauvé leur peuple d'une mort certaine. C'était Bard qui avait organisé le camp au bord des rives du lac, c'était lui encore qui avait pris l'initiative d'envoyer des messagers quérir l'aide du roi. Depuis la destruction d'Esgaroth, il travaillait lui-même aux côtés de ses concitoyens et des elfes pour construire les huttes qui allaient les abriter de l'hiver.

Et pendant ce temps, son esprit ruminait, pensant à l'avenir de son peuple et à celui de ses enfants. Il ne mit pas longtemps à venir voir le roi pour lui parler de son désir de marcher lui aussi vers la montagne, pour y récupérer la part de trésor qui avait appartenu au peuple de Dale avant que le dragon détruisît la cité. De cette façon, il espérait dans un premier temps pouvoir reconstruire Esgaroth, payant les elfes pour leur bois et pour les provisions qui leur avait été données. Dans un second temps, il envisageait de rebâtir la ville de Dale, et de s'y établir, avec les hommes et les femmes qui accepteraient de le suivre.

« La rumeur de la mort de Smaug s'est déjà répandue sur plus de mille lieues à la ronde, lui dit alors Thranduil. Beaucoup convoitent déjà ce trésor. Il ne sera peut-être pas aisé de récupérer votre dû. Mais je vous aiderai, maître Bard, descendant de Girion, car le royaume de la forêt aura beaucoup à gagner à avoir comme alliée la cité de Dale.

— Je comprends les risques, mon seigneur, et vous suis reconnaissant de votre soutien, répondit l'archer en s'inclinant.

— Mon armée se remettra en marche dans deux jours. Combien d'hommes pouvez-vous rassembler ?

— Trois cents hommes me suivraient, sire, mais peu d'entre eux sont formés aux arts de la guerre, et nous n'avons pas d'armes ou d'armures.

— Dans ce cas, mes elfes veilleront à ce qu'ils soient préparés. »

C'est ainsi qu'au neuvième jour après la chute du dragon, l'armée des elfes de la forêt et des hommes du lac se mit en marche vers Erebor, longeant le long lac en direction du nord. Le roi Thranduil chevauchait toujours en tête, en compagnie de son maréchal, de son ambassadeur et de ses gardes royaux, mais cette fois-ci, il avait invité Bard à cheminer à ses côtés. La compagnie d'hommes marchait juste derrière eux, puis de part et d'autre de celle-ci chevauchait la garde montée en deux rangs, comme deux murs de protection.

A l'arrière suivait le reste de l'armée des elfes, et parmi celle-ci, les chants ne cessaient jamais, tantôt joyeux, tantôt nostalgiques, parfois graves. De temps en temps, quelques elfes se plaisaient à clamer des vers maladroits en langue commune pour le bénéfice de leurs voisins du lac, et quand la première journée de marche fut passée, un chant à la gloire de l'occiseur de dragon fut composé, narrant l'attaque de Smaug sur Esgaroth et sa chute de la flèche du descendant de Girion.

Mais si l'ambiance parmi l'armée elfique pouvait paraître détendue pour Bard et ses hommes, Thranduil savait qu'il en était autrement. Il voyait l'appréhension de ses elfes, qui ne voyageaient que rarement en dehors de leurs bois tant aimés et qui se retrouvaient à présent à peut-être marcher vers une guerre dont ils et elles ne savaient rien. Et il ressentait tout particulièrement la langueur dans le cœur de son fils, malgré sa jovialité naturelle. Aux abords du lac, les arbres étaient jeunes et endormis. Ils ne répondaient pas aux chants des elfes et semblaient au contraire les craindre.

Mais bientôt, la végétation se fit moins dense et les arbres plus rares jusqu'à ce qu'au onzième jour depuis la chute de Smaug, l'armée atteignit la porte du lac. Et arrivé au sommet d'une colline qui lui avait jusque-là caché la vue de la montagne, le roi s'arrêta.

« Par Ivann », murmura-t-il, contemplant de ses yeux brillants ce qui était désormais appelé la désolation de Smaug.

« Mon seigneur ? s'enquerra Bard en posant un regard inquiet sur lui.

— La montagne et ses vallées étaient autrefois peuplées de pins, répondit Thranduil après un moment. Ils étaient pleins de vie et nombre de créatures s'y réfugiaient. »

Il ne restait plus rien de ces bois. Les flancs de la montagne étaient désormais dénudés de toute vie, stériles et noircis par endroits, là où le feu du dragon avait rugi. Seules entre ses bras et entourées à l'est par la rivière coulante, les ruines de la cité de Dale s'élevaient, immobiles et silencieuses. Car bien que quelqu'oiseaux fussent retournés sur la montagne, rien ne bougeait et rien ne se faisait entendre dans cette désolation.

« J'aurais aimé voir cette vallée comme vous la dépeignez, dit alors Bard. Même avec la mort du dragon, il faudra beaucoup de temps pour que la vie revienne sur ces terres. »

Thranduil haussa un sourcil avant de sourire. Pour un homme, la croissance d'un arbre devait paraître bien lente. Pourtant, pour des elfes, la nature semblait presqu'aussi éphémère qu'une vie mortelle.

L'armée fit une courte pause à cet endroit, pour permettre à la compagnie d'hommes de se reposer, ceux-ci étant las et leurs jambes peu habituées à les porter sur de telles distances. Bard et Thranduil laissèrent leurs montures aux soins de Seldir qui les conduisit à la rivière pour étancher leur soif, et tandis que l'homme en profitait pour aller voir ses concitoyens, Thranduil resta sur la colline à contempler Erebor et ses vallées, se remémorant les quelques fois où il s'était rendu dans la région.

La dernière fois qu'il était venu, Dale lui avait semblé être en effervescence, remplie d'hommes, de femmes, d'enfants, et même d'elfes et de nains en visite dans la cité. Des caravanes marchandes y avaient voyagé depuis les confins du Dorwinion ou du Gondor. Dans ses marchés s'étaient vendus des jouets, artisanat de la cité, ainsi que les bijoux et les fines lames provenant des forges d'Erebor, tandis que les elfes y avaient apporté soie, bois, viande de chasse ou instruments, et que les marchands des contrées de l'est avaient amené du vin et des épices. Tout avait disparu avec l'arrivée du dragon et tout le commerce de la région avait dû être réorganisé.

« Père ? » Thranduil se tourna vers son fils qui s'était approché de sa foulée silencieuse et lui tendait une pile de parchemins cachetés. Felanor et Taurian l'accompagnaient mais avaient stoppé leurs pas au niveau d'Aglarorn pour discuter avec lui. Le roi était satisfait de voir que la jeune garde semblait s'être bien acclimatée à sa charge et que son fils n'avait pas essayé de rendre sa mission plus difficile.

« Gwelim est revenue de Taurothrond », expliqua Legolas. Le roi se contenta d'acquiescer en prenant le courrier et en le détaillant. Des rapports de ses ministres ainsi qu'une lettre d'Imlothiel. Les allées et venues de la courrière entre la forêt et l'armée étaient incessantes, ce qui permettait au roi d'être tenu au courant de tout ce qui se passait au sein du royaume.

Il releva les yeux pour voir que Legolas fixait la montagne comme lui-même l'avait fait un moment plus tôt.

« C'est un triste tableau, commenta-t-il.

— En effet », répondit Thranduil. Il laissa passer un instant, puis ajouta :

« Je me souviens encore de ma première venue ici. Mon père venait de s'établir à Amon Lanc(2) et je voulais découvrir chaque recoin de la forêt, rencontrer chaque personne qui l'habitait. Elle s'étendait encore bien au-delà à l'est et Erebor faisait partie intégrante d'Eryn Galen. C'était bien avant l'arrivée des hommes et des nains dans cette région, et certaines tribus Avarrim vivaient encore aux abords de la Celduin. Elles ne la quittèrent que quand nous eûmes vent de l'installation de Gorthaur en Mordor, pour migrer plus à l'ouest et se mêler aux Denrim. »

Pour toute réponse, le rire cristallin de Legolas se fit entendre et Thranduil haussa un sourcil, se demandant ce qui avait pu amuser son fils dans son discours.

« Pardonnez-moi, cher père, mais vous me faites me sentir si jeune à me parler d'histoires si anciennes, alors que les quelques jours que j'ai passés avec les gens du lac m'ont donné l'impression d'être si vieux.

— Ah, les mortels ont cette propension à nous faire nous sentir ainsi, répondit Thranduil avant de marquer une pause. Je vois d'ailleurs que tu apprécies leur compagnie, mais je ne puis que te conseiller de ne pas t'y habituer. Les hommes ne sont que de passage sur cette terre, et se lier à eux n'apporte au premier peuple né(3) que chagrin et lassitude. Je ne connais qu'un elfe sur Ennor qui ait pu se lier aux destins des hommes sans y succomber, et c'est parce que lui-même l'a été pendant un temps(NDLA : Elrond/4).

— Et vous voilà à parler d'un temps encore plus lointain, fit remarquer Legolas alors que ses yeux brillaient d'une lueur d'amusement.

— J'aurais au moins réussi à égayer ton esprit.

— Alors je vous en sais gré, car il est vrai que mon cœur se languit de se trouver si loin de la forêt. Mais je dois retrouver ma compagnie, car le temps de notre départ approche. »

Thranduil acquiesça et l'elfe, prenant congé, salua Bard que ses pas croisèrent et qui revenait prendre sa place près du roi en attendant que leurs montures leur fussent amenées. Le silence s'installa pendant un temps, tandis que le roi ouvrait les quelques missives qu'il avait reçues pour les parcourir très promptement, mais son attention se porta sur l'archer qui semblait vouloir parler, et il lui adressa un regard pressant pour l'encourager à prendre la parole, ce que l'homme fit après une certaine hésitation :

« Votre fils, il… Il n'est pas…

— Il n'est pas ce que vous expecteriez qu'un fils de roi soit ? » compléta Thranduil alors qu'un sourire se dessinait au coin de ses lèvres. Bard acquiesça et sembla se détendre en voyant que l'elfe ne paraissait pas offensé par la remarque.

« Il paraît si humble, développa l'homme.

— Il l'est. Legolas est un elfe sylvestre avant d'être le fils du roi.

— N'a-t-il pas l'statut d'prince ?

— Je suppose que pour les peuples humains et les elfes de l'ouest, il serait considéré comme tel. Mais dans la forêt, les titres se méritent, et comme Legolas nous l'a fait comprendre, ils se refusent également(5).

— Pourquoi cela ?

— Parce qu'accepter un statut de prince ou de seigneur le placerait en position de pouvoir et d'ascendance sur ses compatriotes, et cela n'est pas son désir. Legolas est un des capitaines de mon armée, et il n'accepte pas même des elfes de sa compagnie de l'appeler par le titre que son rang lui confère.

— Mais n'est-il pas votre héritier ? On m'a dit qu'avant vous, votre propre père régnait sur la forêt.

— On vous a dit vrai. Mon père périt lors d'une grande bataille qui prit place il y a trois millénaires sur les plaines de Dagorlad(6). Et pendant sept ans, je tins le siège du Mordor avec le tiers restant de notre armée. Et quand finalement nous rentrâmes dans la forêt, notre peuple n'avait plus rien. Chaque elfe avait perdu plus d'un proche dans cette guerre, nous n'avions plus de roi et plus de ressources. Je tentais alors d'oublier mon chagrin en faisant ce qui m'était possible de faire pour relever notre royaume jusqu'au jour où les elfes des bois décidèrent de me couronner. En tant qu'elfe, je n'avais jamais imaginé devenir roi, car je n'aurais jamais souhaité la mort de mon père. Et je sais que cela ne sera jamais quelque chose que voudrait mon fils. Si je venais à mourir et que notre peuple souhaitait le couronner, il n'accepterait pas.

— Je vois », répondit doucement Bard quand Thranduil se fut tu. Il paraissait confus et mille questions semblaient être perchées au bout de sa langue. Mais déjà, Seldir revenait avec leurs montures et l'heure du départ fut sonnée. Thranduil était prêt à répondre à toutes les curiosités que l'homme pouvait avoir, mais ils auraient le temps de discuter d'avantage plus tard.

L'armée se remit alors en marche, se dirigeant maintenant vers la cité perdue. La désolation leur prit encore une journée à traverser, et cette fois-ci, les chants ne résonnèrent point, car personne n'avait plus le cœur à briser le silence qui les entourait. Finalement, hommes et elfes arrivèrent pendant la nuit dans le val faisant face à là où devait se tenir la grande porte d'Erebor, et le roi ordonna que le camp fut disposé de part et d'autre de la Celduin, juste derrière l'ancienne cité de Dale.

Alors que les guerriers et guerrières se préparaient à passer la nuit, les capitaines se réunirent autour de leur roi et du maréchal pour parler de ce qui allait suivre. Celondir, Radion ainsi que quelques seigneurs et dames du royaume étaient là, de même que Bard et plusieurs de ses camarades qu'il avait nommés capitaines du fait de leur expérience en tant que gardes de la ville du lac. Les dispositions du campement furent discutées jusqu'à ce qu'Arhaviel les rejoignît. La commandante, après être allée constater la mort de Smaug, avait été envoyée vers la montagne pour essayer d'apprendre ce qui était arrivé à la compagnie des nains et elle était restée depuis dans la désolation.

« Thorin Écu-de-Chêne a survécu, annonça-t-elle en ponantin, de même que ses treize compagnons. Ils semblent avoir été informés de la chute du dragon, car ils se sont terrés dans la montagne depuis. Ils ont également pu récupérer des vivres pour deux semaines tout au plus.

— Et qu'ont-ils fait depuis ? » demanda le maréchal qui paraissait irrité d'apprendre que les nains avaient survécu à Smaug. Il avait parlé en thindren, car si sa compréhension de la langue commune semblait meilleure après une semaine passée avec Bard, il n'arrivait à la parler que dans un dialecte archaïque. Arhaviel mit un instant à répondre, réfléchissant certainement à quelle langue utiliser pour se faire comprendre de tout le monde, car beaucoup parmi les elfes de la forêt ne parlaient pas la langue humaine. Cependant, tout comme Thranduil, elle remarqua que Legolas s'était placé près de l'archer et de ses capitaines et qu'il leur faisait la traduction dans un murmure. Elle continua alors en tawarram :

« Je pense qu'ils ont été mis au courant de notre venue, mon seigneur. J'ai aperçu plusieurs oiseaux, des grives et des corbeaux, tourner et s'engouffrer dans la montagne. De plus, les nains ont entrepris de boucher la grande entrée avec des rochers.

— Y a-t-il eu du mouvement au nord ou à l'est ?

— Non, mon seigneur, la région est déserte et silencieuse. Seuls quelques oiseaux ont osé revenir, mais aucune autre créature n'est entrée dans cette désolation. »

Thranduil acquiesça. Les nains avaient survécu. Ainsi, il avait vu juste, il n'avait jamais été question pour Thorin Écu-de-chêne de tuer le dragon, seulement de le voler. Et de cette manière, il avait réveillé Smaug et l'avait lâché sur les pauvres gens d'Esgaroth, alors que lui-même en avait réchappé, certainement en se terrant dans un des tunnels de la montagne. Et il comprenait mieux la présence du perian dans cette compagnie. Si l'être avait réussi à s'immiscer dans les cavernes du roi et libérer ses hôtes dans son dos, il avait pu espérer passer sous le nez du dragon sans se faire voir. Mais les cracheurs de feu sentaient plus qu'ils ne voyaient et c'était peut-être ce qui avait trahi leur présence.

« Il est heureux d'apprendre la survie de Thorin », commenta alors Bard une fois que Legolas eût fini de lui traduire l'échange. L'homme garda un instant ses yeux sombres posés sur l'ombre de la montagne.

« Cependant, cela ne vous aidera pas dans votre quête, maître Bard, lui répondit le roi, les nains sont aussi possessifs de leur or qu'un dragon, et ils vous feront la guerre avant de vous céder une seule pièce.

— Je n'cherche pas à m'enrichir, il y a dans cette montagne plus que c'que Smaug a volé aux nains. Les biens d'mon ancêtre Girion y ont été amassés, et c'est c'la que j'souhaite récupérer.

— Et nous vous soutiendrons, affirma Thranduil, mais Écu-de-chêne ne verra pas d'un bon œil d'avoir l'armée de la forêt à sa porte. Prenons le temps de réfléchir à ce qu'il convient de faire. »

Quand Bard s'était mis à parler, le seigneur Radion avait entrepris de traduire l'échange, car en tant qu'ambassadeur, il connaissait maintes langues, vivantes ou oubliées.

« Commençons par envoyer quelques elfes en reconnaissance à l'aube, proposa alors Laegryn.

— Pas seulement des elfes, contredit Thranduil, cela nuirait aux revendications des gens du lac.

— Dans c'cas, j'irai et emmèn'rai avec moi dix hommes, lança Bard.

— Bien. Et Legolas vous accompagnera avec dix elfes de sa compagnie.

— Entendu, mon seigneur », répondit l'intéressé en acquiesçant.

Depuis l'arrivée des elfes à Esgaroth, Thranduil avait remarqué que le tueur de dragon et son fils avaient réussi à passer outre leurs différences raciales et culturelles pour travailler ensemble à la construction du campement des gens du lac. Et pourtant, rares étaient les elfes à s'acclimater aux hommes, car peu parmi les Tawarwaith connaissaient la langue commune et beaucoup préféraient garder leurs distances. Mais Legolas avait coopéré étroitement avec Bard, lui apportant plus qu'un soutien matériel. Ils avaient conféré, échangé savoirs et idées. Ainsi, il paraissait judicieux au roi d'apparier ces deux-là sur une mission où la coopération entre elfes et hommes devait paraître évidente.

« Dans ce cas, nous ferons donc un point demain à votre retour, fit alors Laegryn. Vous pouvez disposer. »

Les elfes et les hommes se dispersèrent dans le camp. Thranduil et le maréchal restèrent néanmoins, leurs regards posés sur la montagne. Treize nains ne pouvaient espérer résister longtemps face à une armée de deux milles elfes, mais le roi savait à quel point Thorin Écu-de-chêne pouvait être opiniâtre. Celui-ci n'avait pas soufflé un mot lors de son séjour à Taurothrond et Thranduil en eût été admiratif s'il ne craignait pas le temps que le nain lui ferait perdre. Celui-ci ne capitulerait jamais avant d'avoir épuisé ses provisions, et même après cela, il n'ouvrirait pas les portes d'Erebor pendant quelques jours. A côté de lui, Thranduil entendit son ami soupirer et comprit que son esprit faisait le même cheminement que le sien.

Ainsi, l'armée de la forêt allait rester stationnée devant la montagne pendant trois longues semaines. C'était trop, beaucoup trop. Ses elfes ne comprenaient déjà pas la raison de leur présence ici alors que le dragon avait déjà été abattu, mais le roi avait néanmoins leur loyauté et leur confiance. Cependant, s'il s'avérait qu'un siège de plusieurs semaines devait être tenu pour de l'or, Thranduil n'était pas sûr de pouvoir les garder dociles.

Mais le roi avait donné sa parole à Bard, et il ne pouvait plus revenir en arrière. Et quand bien même, quelque chose lui disait qu'il devait être là. Que son armée devait se tenir prête. Il ne savait pas ce qu'il craignait, mais son instinct ne lui avait jamais fait défaut. Quelque chose allait se passer au pied de cette montagne maudite.


NOTES :

1 – Firith (sindarin, canon) : nom d'une saison entre l'automne et l'hiver, qu'on pourrait traduire comme « le déclin » en français, qui couvre les mois d'octobre et de novembre.

2 – Amon Lanc (sindarin, canon) : Colline dénudée. Il s'agissait du nom de la première cité établie par Oropher, le père de Thranduil, quand il a conduit les elfes sindar et laegrim dans le Vertbois. Elle était située dans le sud ouest de la forêt, assez proche de la Lothlorien. Il l'a par la suite quittée pour s'installer au sud des Emyn Duir. Abandonnée, Sauron s'y est finalement établi vers l'an 1050 du 3ème âge et y a construit sa forteresse, Dol Guldur.

3 – Premier peuple né/Premiers Nés (canon) : Dans le légendaire, les elfes et les hommes sont considérés comme les « Enfants d'Iluvatar », Iluvatar/Eru étant le Créateur, en d'autres termes, Dieu. Les elfes sont apparus en premiers, et sont donc appelés les Premiers nés (First born en anglais) tandis que les hommes sont les deuxièmes. Les nains ont quant à eux été créés par le Vala Aulë contre la volonté d'Iluvatar, mais celui-ci leur a donné leur libre arbitre et les a « adopté ». Les Hobbit sont en fait une race descendante de la race humaine.

4 – Elrond Demi-Elfe (canon) : Les enfants nés de l'union d'un elfe et d'un humain sont automatiquement mortels, et Elrond l'était d'autant plus car ses deux parents (Elwing et Ëarendil) étaient eux-mêmes des demi-elfes. Cependant, Elwing et Ëarendil ayant défié les océans pour trouver les Valar et leur demander d'aider les elfes et les hommes à lutter contre Morgoth, Manwë, le roi des Valar leur a donné, à eux et leurs enfants, le choix de vivre comme des elfes ou comme des hommes. Elrond a ainsi choisi d'être compté parmi les elfes, et est devenu immortel, tandis que son frère Elros a choisi de rester mortel et il est devenu roi de Númenor. Dans le Seigneur des Anneaux, Aragorn est donc le dernier descendant d'Elros.

5 – Dans les livres du Seigneur des Anneaux, Legolas n'est absolument jamais appelé prince, ou considéré comme autre chose que juste un elfe et sa relation de parenté avec Thranduil est rarement mentionnée.

6 – Dagorlad (canon) : c'est sur cette plaine que s'est tenue la bataille de Dagorlad, devant la Porte Noire, lors de la Guerre de la Dernière Alliance à la fin du 2ème Âge, qui a permis de repousser Sauron en Mordor. S'en est ensuivi un siège de 7 ans après le quel Sauron a été vaincu.