J'ai écrit la moitié du chapitre d'une seule traite, donc peut-être que le dialogue entre les deux concernés va sembler trop flou ou bizarre ou je ne sais pas quoi (ou carrément invraisemblable), mais même après révision, une journée après, je ne trouve rien à redire, donc avant de me juger trop durement, je vais attendre de voir ce que vous en pensez.

La chambre dont il avait hérité était franchement spartiate. Il ne s'était pas attendu à retrouver ses anciens appartements, cela dit: on se demandait dans son dos s'il était fou, mais il ne l'était certainement pas à ce point. La pièce était néanmoins suffisante à son confort, pour l'instant. Il avait à sa disposition une salle d'eau et quelqu'un qu'il n'avait jamais vu venait régulièrement lui laisser ses repas à la porte. Curieusement, il n'était pas prisonnier. Il y avait bien quelques femmes en vestes et pantalons gris qu'il croisait régulièrement, mais elles n'étaient là pour le retenir- même s'il sentait instinctivement une limite à ne pas franchir. Elles ne l'aimaient évidemment pas. Il avait essayé de retrouver un visage familier parmi elles et n'en avait vu aucun. Ce n'était plus les mêmes- elles n'étaient toujours que des femmes, mais toutes très différentes, et certaines n'étaient même pas gamilons. Il aurait dû le prévoir, encore une fois. Les clones de la Garde impériale avaient mis beaucoup de gens mal à l'aise, à l'époque.

En face de lui se trouvait la princesse Yurisha d'Iscandar. La reine, se corrigea-t-il aussitôt. Il peinait à s'y habituer mais il aurait dû s'y attendre. Yurisha avait toujours été une grande optimiste… et ses raisonnements étaient souvent bien plus sages que l'on pouvait s'y attendre. Elle le fixait, vêtue d'une de ces tenues typiques d'Iscandar, brodées de pierres précieuses et de perles auxquelles elle n'avait manifestement jamais renoncé, à moins qu'elle ne l'ait enfilée que pour les circonstances. Elle attendait visiblement qu'il prenne la parole le premier, mais il n'arrivait pas à trouver quoi dire en premier. C'était déjà la deuxième fois qu'elle lui rendait visite, à vrai dire. La première fois, elle n'était pas seule et s'était comportée comme une reine, froide et distante. Ensuite s'étaient succédés des militaires et des fonctionnaires, certains qu'il avait connus et d'autres non, mais toujours avec les mêmes questions. Ses intentions. Le Yamato. Gatlantis. Ce qu'il avait vécu entretemps.

Cette fois, cependant, il n'y avait que Yurisha. Pas la princesse ou la reine, non. Celle qu'il avait connu toute petite. Et c'était déstabilisant. Il n'avait même pas été certain qu'il la reverrait un jour.

-Bonjour, tenta-t-il néanmoins, en désespoir de cause.

Elle se mit à rire.

-C'est tout ce que tu as trouvé à dire?

Il en resta ébahi. Elle ressemblait presque à la petite fille qu'il avait connu, il n'y avait pas si longtemps. Écoutant son rire, il mit définitivement de côté la mince possibilité- qu'il avait néanmoins réellement craint- que ce soit cette usurpatrice qui serait restée et aurait appris les usages assez longtemps pour donner le change. Ce ne pouvait être qu'elle.

-Qu'aurais-je dû dire?

-Je ne sais pas.

Elle marqua une brève pause et ajouta;

-Tu es certainement plus… j'aillais dire bavard, mais je crois que grandiloquent t'irait mieux. C'est bizarre de te voir comme ça, pris au dépourvu.

Il sourit simplement. Peut-être avait-il changé. Yurisha l'étudia avec grand sérieux, la tête légèrement inclinée.

-Pourquoi as-tu choisi cette place? lui demanda-t-il soudain.

Elle sourit.

-Gamilas était désœuvrée. Et il se trouvait que j'étais là.

Son visage se détendit.

-Cette planète a vécu beaucoup de bouleversements, depuis, mais même après tout ce temps, je suis encore là.

-Pour quelles raisons? l'interrogea-t-il, peu convaincu.

-Je suis moins tyrannique, pour commencer.

-J'ai entendu dire que tu avais une famille, enchaina-t-il sans la laisser continuer.

C'était un peu trop brusque à son goût. Yurisha parut contrariée.

-Oui, dit-elle lentement. C'est vrai.

-À quoi ressemblent-ils?

-Elles, rectifia-t-elle. Ce sont toutes des femmes… sauf mon beau-père, bien sûr, mais je ne suis pas autorisée à l'appeler ainsi en public.

-Qui est-il?

Elle sourit. Il devint évident qu'elle ne dirait rien et il se demanda s'il le connaissait.

-Mon épouse s'appelle Melda. Nos filles, Liria et Aeilia.

-On m'a dit qu'elles étaient trois, releva-t-il.

Et apparemment, on l'avait bien informé. Yurisha ne put retenir un geste nerveux.

-J'en ai deux. La troisième est… Mon ainée est en réalité ma nièce. Elle a... Il y a trois ans, elle a décidé de son plein gré de vivre quelques mois sur Terron, avec l'entourage de son défunt père. Elle n'en est toujours pas revenue.

Il acquiesça en silence. Les terrons ressemblaient tellement aux iscandariens, il n'arrivait pas à être surpris.

-Ta nièce… est-elle la fille de ta sœur Sasha?

La probabilité était mince, encore une fois, mais cela aurait pu arriver: Sasha, traitée en héroïne sur cette planète et jugeant qu'Iscandar n'avait de toute façon plus d'avenir, aurait préféré rester, aurait uni sa vie à celle d'un terron et fondé une famille avec lui. Elle l'aurait bien mérité, cette vie tranquille qu'il lui imagina quelques secondes. Mais quand il vit le regard de Yurisha, il comprit aussitôt que c'était bel et bien ce qu'il redoutait.

-Elle est la fille de Starsha, dit-il lentement, assimilant la nouvelle.

Elle posa ses mains sur ses genoux.

-Oui. Sasha, ma nièce, est la fille de ma sœur Starsha. J'en suis désolée, ajouta-t-elle aussitôt après, comme si elle avait pu atténuer son sentiment.

À quoi s'attendait-il donc? Elle l'avait rejeté. Elle l'avait clairement rejeté, le jour-même de son départ, à peine quelques heures avant.

-Et toi? lui demanda-t-elle avec une certaine prudence. Tu as…?

-Non, répliqua-t-il clairement.

Si, dans un sens. Il avait de nombreuses fois trompé la solitude, au fil des années, avec les femmes et occasionnellement les hommes qui voulaient bien de lui, mais avec chacun d'entre eux il avait eu du mal à se considérer comme en couple. Et il n'avait jamais eu d'enfant- jamais à sa connaissance, du moins. Il aurait eu du mal avec l'idée de faire naitre un enfant et préférait se dire que c'était mieux ainsi. Son neveu était mort et lui-même n'aurait pas de descendants. Personne n'aurait à vivre avec le même fardeau. Et ce nom à lequel on avait tant accordé d'importance, que ce soit en bien ou en mal, disparaitrait avec lui.

C'était mieux ainsi.

Néanmoins, Yurisha paraissait déçue.

-Es-tu vraiment resté seul pendant tout ce temps?

-Pas exactement, admit-il après quelques secondes, incapable de lui mentir.

Il observa ses yeux violets, d'une teinte plus chaude que les siens.

-Sommes-nous écoutés?

Elle fit signe que non. Alors, il osa parler davantage… parler des moments où, loin de Gamilas, il s'était senti quelqu'un d'autre. Où il avait cru pouvoir être quelqu'un d'autre… ou faire semblant, du moins. Si la peau bleue des gamilons étaient unique, d'autres peuples en avaient des semblables, et il se disait parfois, qu'il pourrait rester. Recommencer. Mais systématiquement, la réalité le rattrapait. Il ne serait jamais personne d'autre qu'Abelt Dessler. Yurisha l'écouta en silence, sans l'interrompre.

-Est-ce pour cette raison que tu es revenu? Par fatalité?

-Je n'ai pas l'intention de laisser mourir mon peuple.

Il la regarda à nouveau. Il avait pensé ne jamais revenir, mourir dans l'espace, seul si ceux qui l'avaient suivi auraient changé d'idée en chemin… mais il n'avait pu s'y résoudre. Elle devrait comprendre. Elle était reine, maintenant, et Gamilas était son pays. Elle devait comprendre.

-Et si tu n'avais trouvé personne? l'interrogea Yurisha.

-Alors j'aurais su que vous aviez réussis et j'aurais été libre.

Libre de quoi? s'étonna Yurisha sans avoir le temps de lui demander.

-Mais vous ne l'avez pas fait, poursuivit-il en la dévisageant. Ce n'est pas ce qui se passe. Vous vous séparez.

-C'était le meilleur choix, répliqua tranquillement Yurisha.

Il secoua la tête.

-Nous deviendrons des vagabonds, sans monde-mère.

-Je ne le crois pas. Même séparés physiquement, nous serons toujours un même peuple.

Elle sourit encore, ajouta:

-Mais quoi qu'il arrivera, ce sera parce que ça devait arriver.

Il se surprit à hocher la tête. Yurisha était beaucoup trop jeune pour avoir connu l'empire d'Iscandar, mais elle avait été élevée principalement par ses sœurs, marquées par leur histoire. Elle ferait tout ce qu'elle pourrait pour garder son peuple en vie. Ce qu'était Gamilas ne lui importait pas- pas autant, du moins. Le silence flotta entre eux, un court instant- ou un long. Il n'aurait pas su le dire. Ça lui sembla court, en tout cas.

-Les gens oublient, lâcha finalement Yurisha.

Il se retourna vers elle, l'air inquisiteur. Elle sourit, fit un geste de la main. Elle avait encore, quelque part, l'allure d'une enfant. Bizarrement, c'était presque pénible à voir.

-Les gens oublient, répéta-t-elle. N'est-ce pas ce que tu désires… L'oubli?

-Oui, mais je ne comprends pas.

-Le temps a passé, Abelt.

Entendre son prénom lui fit un effet étrange.

-Et tu as tenté de te racheter, ajouta-t-elle. J'ai appris de ceux du Yamato.

-Que peux-tu savoir de mes intentions?

Elle pouffa de rire.

-Les gestes ne mentent pas. Peu importe ce qu'on tente de faire croire à soi et aux autres, la vérité ressortira toujours. Notre vraie nature ne peut longtemps rester cachée.

Et elle souriait en le disant. Elle était belle, ne put-il pas s'empêcher de remarquer. Pas attirante, du moins pas à ses yeux, mais belle, il ne pouvait le nier. Et forte, certainement. Comment avait-elle fait pour conserver cette conviction, cette… cette espèce de droiture presque innocente après vingt-cinq ans passés sur le trône de Gamilas?

-Tu crois vraiment en moi, fit-il.

Yurisha croisa ses mains, se penchant légèrement vers l'avant.

-Pas toi?

Il sourit comme toute réponse. Il ne savait que répondre, encore moins sous ce regard qui indiquait qu'elle ne prendrait pas une vérité toute faite.

-Je sais aussi, reprit-elle, pourquoi tu as fait tout ça.

-Qui s'en soucie?

-Moi. Et je sais aussi que tu pourrais recommencer. Continuer à bien faire.

Il la considéra avec un sourire. Il aurait dû s'y attendre.

-Que dois-je en comprendre ?

Elle lui adressa un regard qu'il aurait pu croire innocent.

-En ce moment, je prendrais toute l'aide que je peux, y compris celle d'un homme qui m'a précédée et qui a dû voir des choses que je n'ai jamais connues durant ses années d'errance.

Il lui fallut quelques secondes pour réaliser. Était-elle sérieuse? Et surtout, pensait-elle qu'il avait encore sa place?

-Nous le verrions bien, répondit Yurisha en haussant les épaules. Sauf si, bien sûr, tu souhaites toujours disparaître.

Et, l'observant, elle attendit une réponse, mais il ne répondit rien.

-Tu as peut-être besoin d'y penser, fit-elle simplement, se levant.

Il fit simplement un geste pour dire oui, ne cherchant pas à la retenir. Elle s'éloigna en silence, mais avant de franchir la porte, elle se retourna vers lui. Elle reviendrait bientôt, affirma-t-elle. Et s'il prenait sa décision avant, il saurait où la trouver.