Il m'a fallu très longtemps pour trouver de quels personnages parler et encore plus longtemps pour terminer ce chapitre, et j'espère que la suite viendra plus facilement. (J'ai vraiment l'impression d'aller dans tous les sens, et je ne sais toujours pas trop si c'est une bonne chose ou pas… on verra.)
-Tu es sûre d'avoir pris la bonne décision?
-Je ne sais pas, beau-papa. Mais je pense que dans tous les cas, c'était la meilleure chose à faire.
Un peu à l'écart, Liria observait la confrontation avec un regard fasciné. Sa mère ne paraissait pas nerveuse. Son grand-père, si. Il restait debout, le dos bien droit. Son visage ne montrait pas de crainte ou rien et elle ne pouvait pas bien voir ses yeux de là où elle se tenait, mais elle entendait bien l'indécision dans sa voix. Elle avait presque envie de rire. Le grand amiral Dietz, qui avait mené des batailles pendant trente-cinq ans et qui avait encore une influence considérable au sein de la société, était nerveux.
-La meilleure? Yurisha, je…
-J'ai déjà entendu ce que tu vas dire. Et je sais ce qu'il a fait, crois-moi. J'étais là, moi aussi, à l'époque. Mais je maintiens ce que j'ai dit. Ça ne veut pas dire que je ferme les yeux sur ses gestes. J'ai toujours l'intention de le voir refaire ses preuves avant de prendre une autre décision.
Liria se surprit à opiner doucement de la tête et sa mère lui jeta un regard amusé.
-Tu es d'accord avec moi, Liria?
Gul leur jeta un regard surpris et la jeune fille se contenta d'esquisser un geste vague.
-Je ne voulais pas me mêler de votre discussion, fit-elle en se levant.
-Tu as le droit de rester, lui dit son grand-père.
-Je sais, fit Liria en riant.
Sa mère se contenta de sourire. Elle ne demanda même pas où aillait Liria, comme si elle le savait déjà.
…
Nassorie se tenait négligemment dossée contre le mur à côté de la porte, observant les occasionnels passants avec désinvolture. Si elle avait porté autre chose, elle aurait presque pu faire croire qu'elle était là par hasard.
-Je peux entrer? demanda Liria sans préambule, enlevant son chapeau, même si elle savait très bien que la femme l'avait reconnue.
-Qu'est-ce que vous voulez faire?
-Je ne sais pas, admit la jeune fille, spontanément.
Les yeux noirs de Nassorie brillaient.
-Je suis là pour le surveiller, pas pour empêcher quiconque d'entrer.
-Merci.
-Vous voulez que je vienne avec vous?
Liria hésita quelques secondes.
-Non, dit-elle finalement. Ça ira.
La femme acquiesça.
-D'accord. Criez si vous avez besoin d'aide.
Liria opina, sourit, tapa une fois et entra. La porte n'était pas verrouillée. Il se trouvait à l'intérieur, dans son nouvel appartement. Il lui jeta un regard incrédule en la voyant faire, mais ses traits se détendirent quand il la reconnut. Enfin, quand il reconnut Yurisha en elle, manifestement. Il la considéra avec attention une poignée de secondes.
-Laquelle des deux es-tu? Liria ou Aeilia?
-Liria.
-Enchanté de te rencontrer.
Il lui sourit. C'était si drôle à voir. Elle ne l'aurait jamais imaginé comme ça. Familier.
-Alors, qu'es-tu venue faire ici? Tu es venue contempler le spectacle?
-Je voulais vous voir, dit Liria.
Il opina.
-Tu veux t'assoir?
Liria hésita, mais elle finit par accepter. L'appartement ressemblait à un chantier, et il n'avait pas l'air plus à l'aise qu'elle.
-Comment se porte votre nouvelle vie? demanda-t-elle.
Il sourit, simplement.
-J'ai mieux que ce que je mérite.
Puis il lui tendit un verre d'eau qu'elle n'osa pas refuser.
-T'ai-je déjà vue? Il me semble que oui.
-Non.
-Non?
-Non, répéta fermement Liria.
Il hocha la tête, calmement.
-C'est… enfin, tu lui ressembles.
Elle tenait beaucoup de sa mère. Même son sourire et sa gestuelle la faisaient ressembler à Yurisha. Mais elle avait le visage plus mince, et ses yeux appartenaient à quelqu'un d'autre.
-Merci, répondit la jeune fille en souriant.
-Est-ce que tes mères savent que tu es ici?
-Non- mais je ne vois pas pourquoi elles me l'interdiraient.
Elle posa son verre sur la surface plane la plus proche.
-D'où vous connaissez-vous, elle et vous?
-Yurisha? s'étonna-t-il. Ça fait longtemps. Elle t'en a parlé?
-J'ai deviné.
-Je l'ai rencontrée sur Iscandar, longtemps auparavant.
-Longtemps de combien d'années?
Il réfléchit un instant.
-Je devais avoir vingt-deux ans, elle en avait donc huit ou neuf.
-Et vous vous connaissiez bien?
Il hésita, la regarda à nouveau.
-Oui, admit-il. Nous ne nous sommes pas vus si souvent que ça mais j'aimais la compagnie de ses sœurs et elle… Nous n'étions pas… (Il hésita, s'interrompit finalement, mal à l'aise.) Mais j'appréciais être avec elles… toutes les trois… à une certaine époque.
Il sourit, enfin.
-Cela remonte à si longtemps, répéta-t-il en la regardant, intensément.
Il marqua une courte pause, attendant quelques secondes avant de la questionner sur sa mère; pas Yurisha, mais Melda.
-Comment se sont-elles rencontrées?
-Ça vous intéresse?
-C'est si étonnant que ça?
-Elles se sont rencontrées sur le Yamato, révéla Liria après une courte hésitation. Et elles sont revenues peu après son passage sur Iscandar.
-Elle est terron?
-Non! Elle est gamilon. Comme ma sœur. Même si ça ne se voit pas sur moi.
Elle désigna son visage en guise de preuve. Sa peau était beige, sans la moindre trace de bleu, et celle d'Aeilia n'était que bleue. C'était une bizarrerie génétique qui, à la connaissance de Liria, n'existait qu'entre les deux races. Ce n'était pas le cas de Sasha, par exemple, ou ceux de d'autres métisses. Seulement le sien et celui d'Aeilia. Il hocha la tête, calmement.
-Je la connais?
-Je ne crois pas.
Il la regarda encore, comme s'il essayait de voir Melda, et quelque part cela agaça Liria. Elle aillait se lever et partir- elle était restée assez longtemps- quand il rouvrit la bouche.
-Et ta cousine? demanda-t-il soudain.
Liria ne put s'empêcher d'ouvrir des yeux surpris. Elle ne s'y attendait pas, mais pas du tout.
-Sasha, si je me rappelle bien.
-Qu'est-ce que vous voulez savoir?
-Je n'en ai aucune idée.
Voilà ce qui rendait le tout beaucoup plus clair.
-Alors, que suis-je censée dire?
-Quel âge a-t-elle? Est-ce qu'elle ressemble à sa mère? Est-ce que…
Liria leva les mains pour stopper le fouillis de mots qui allait suivre.
-Elle a vingt-quatre ans, et oui, mais elle a le teint plus foncé et les yeux bruns.
Et, à sa grande surprise, elle le vit distinctement tenter de l'imaginer.
-Vous voulez que je trouve une photo? proposa-t-elle, presque amusée, puis elle ajouta, presque railleuse: Histoire que ce soit encore plus bizarre?
Elle laissa passer quelques secondes avant de le questionner à son tour.
-Pourquoi vous voulez savoir ça?
Toutes ses questions sur Yurisha avaient un sens, mais Sasha? Il ne la connaissait même pas.
-J'ai juste… voulu savoir, répliqua-t-il, lui-même un peu mal à l'aise.
-Pourquoi spécifiquement elle?
-Je ne sais pas, admit-il. J'ai juste… c'est juste que tant de choses m'ont échappées.
C'était une réponse incomplète, mais c'était la vérité. Liria inclina la tête.
-De toute manière, elle est sur Terron, maintenant.
-Je sais.
-Elle voulait voir sa famille.
-Tu lui en veux?
-Pourquoi je lui en voudrais?
Il se rétracta d'un geste mais reprit tout de même la parole.
-Parce que tu es de sa famille, toi aussi.
-C'est ce que vous voulez entendre?
-J'ai cru entendre de la colère, répliqua-t-il posément.
-Je ne suis pas fâchée- enfin, plus maintenant. Et d'autres l'ont été plus que moi.
-Qui? ne put-il pas s'empêcher de demander.
-Oh, des membres de notre famille, éluda Liria, frottant le dos de sa main avec son pouce.
Starsha et Essun, surtout. Melda aussi, un peu. Yurisha, elle, avait accueilli la nouvelle avec un calme tout particulier, comme si elle s'y était attendue. Elle releva la tête. Il n'avait pas bougé, la regardant toujours.
-Il m'arrive de penser que je ferai la même chose, confia-t-elle sans réfléchir, stupidement.
Il ne broncha pas.
-Partir? demanda-t-il, doucement.
-Oui, dit Liria, triturant maintenant la peau tendre de sa main. Sur Terre. D'ici… trois ou quatre ans, peut-être. Avant ma majorité.
-Tu la rejoindrais?
-Peut-être. Peut-être pas. Je veux juste être loin de tout ça.
Elle n'avait pas d'autre motif, contrairement à Sasha, et elle n'avait pas de plan. Mais elle n'avait pas non plus l'intention d'y rester éternellement. Un an ou deux, peut-être.
-Peut-être qu'à la fin, Gamilas sera démocratisée pour de bon. Sans roi ou reine. Juste des gens qui ont envie d'être là.
Il eut un drôle de sourire qu'elle aurait pu croire amusé.
-Si c'est ce que tu veux, pourquoi ne serait-ce pas toi qui le ferait?
Elle le dévisagea, les yeux grands ouverts pendant une longue seconde, et il faillit éclater de rire. Cette expression-là appartenait à Melda, il en était certain. Mais elle se ressaisit rapidement, redevenant un peu plus Yurisha. Le regard calme, presque déterminé.
-Je pourrais, murmura-t-elle. Ce n'est pas… une mauvaise idée.
Il sourit.
-N'empêche, si un jour on te pose la question, ne mentionne pas cette discussion.
Elle hocha la tête deux fois, même si elle semblait un peu incertaine. Mais elle souriait, ne disant rien de plus. Elle se leva dans la foulée et il l'arrêta par réflexe.
-Il y a un problème?
-Non! Enfin, c'est juste que…
Sans donner de détails, il tendit vers elle un ordinateur de poche.
-Tu sais ce que c'est?
Liria fronça un sourcil.
-Le titre de propriété.
Il eut l'air gêné, presque honteux.
-Je n'en comprends pas un mot.
Liria lui rendit l'appareil.
-C'est normal. On dirait que tout a été fait pour le rendre incompréhensible.
Il poussa un soupir et parut se ressaisir.
-J'ai une liste longue comme le bras de choses à faire, de produits à me procurer et de papiers à signer, et je… (Il s'arrêta une seconde, et quand il reprit la parole, ce fut visiblement à contrecœur.) Je crois que je vais avoir besoin d'aide.
