Alors, la dernière partie de celui-ci était en réalité écrite depuis longtemps, mais j'en avais effacé une partie par accident et ai dû la réécrire de mémoire. Je crois que l'essentiel est là, même si certaines répliques peuvent sembler bizarres. La première partie, avant leur rencontre, a été rajoutée par la suite, d'où la transition que je trouve abrupte.
Une petite précision à propos de Celestella qui me semblait importante: son âge n'est jamais donné, mais pour moi, en 2199, elle avait autour de vingt-cinq ans.
Hyss l'accueillit avec plaisir, lorsque Midelia remit le pied sur Gamilas. Jakob était là, lui aussi, les cheveux longs mieux coiffés que quand son père s'en occupait et avec des jolis vêtements encore propres malgré l'heure tardive de la journée. Apparemment, avoir un adulte pour s'occuper de lui tout seul lui avait été bénéfique.
-Grand-papa m'a obligé, bougonna le petit monstre.
Midelia retint un sourire.
-Tu es très beau.
Il avait presque l'air sage, surtout. Mais il sourit en l'entendant, et ses dents manquantes lui donnèrent à nouveau l'air espiègle. Midelia ne put s'empêcher de rire.
-Oh, dit-elle en le serrant dans ses bras. Tu m'avais manqué.
Son fils passa ses bras autour de sa taille.
-Je suis puni?
-On en reparlera.
-D'accord, dit Jakob avec un air résigné. Est-ce que papa est là?
-Il arrive.
-Seul? s'étonna son fils.
-Mariele est restée avec son groupe, et Luka et Caci avec votre tante.
Il eut une moue déçue. Il savait déjà, pour Mariele, mais il avait tout de même espéré revoir Cacilia plus tôt.
-J'imagine que nous n'allons pas rester trop longtemps, tenta-t-il, incertain.
Son frère ainé pouvait se débrouiller seul, mais Cacilia avait quatre ans. Est-ce que c'était une bonne idée, de confier une enfant de quatre ans à Neredia? Sa mère lui adressa un regard amusé.
-Son amie est avec elle, et je leur fais confiance, à elle et à ton frère. Luka l'empêchera de découvrir des secrets gênants et elle, elle s'assurera qu'ils prennent une douche tous les jours et qu'ils mangent à leur faim. Ils survivront quelques jours, dit-elle, évitant soigneusement de fixer une date, parce que visiblement, elle n'en savait rien.
Elle recula d'un pas et alla plutôt serrer dans ses bras Hyss, qui attendait à quelques pas.
-Merci, chuchota-t-elle simplement.
Il sourit avec douceur.
-Tu es toujours la bienvenue ici, Midelia. Et lui aussi, ajouta-t-il avec amusement en désignant son fils, qui lui répondit par un petit sourire contrit.
Elle aillait le remercier, encore une fois, quand il posa la main sur son bras.
-Tu peux rester, si tu veux.
Midelia aillait décliner par réflexe mais elle se retint juste à temps. Il la connaissait bien. Il savait sûrement ce qu'elle s'apprêtait à faire. Pourquoi ne pas profiter de sa présence, avant? Par nostalgie, peut-être, du temps où elle vivait sous son toit, ou pour se- ou lui- rappeler qu'ils faisaient partie de la même famille, maintenant.
-J'en serais heureuse.
Ce ne fut qu'une fois installée et Fomto avec elle, ravi d'avoir retrouvé leur fils, qu'on osa lui poser la question frontalement. Jakob semblait aussi curieux que Luka de savoir, et encore moins discret.
-Tu devrais te focaliser sur autre chose, lui conseilla Fomto, un peu sèchement, visiblement toujours un peu fâché. Laisse ta mère tranquille.
Il ne ressentait peut-être pas l'anxiété de Midi aussi bien qu'elle aurait pu le faire elle-même, mais après plusieurs années, il avait développé une certaine sensibilité à son pouvoir. Jakob fit la moue, bouda pour un instant, oublia très vite lorsqu'Hyss laissa entendre qu'il y avait du gâteau.
-J'espère que tu as nourri mon fils d'autre chose que de sucre, fit Midelia en riant mais en prenant une part, elle aussi.
Hyss nia avec un sourire. Durant le reste de la soirée, Midelia évita le sujet du mieux qu'elle le put, observant sa famille. Elle ne voulait pas dénier à Hyss sa place dans sa vie. Mais elle avait tout de même besoin de savoir.
Il remarqua en premier sa chevelure blonde. Cela lui paraitrait idiot, par la suite, parce qu'il y avait tant d'éléments en elle qui auraient pu lui sauter aux yeux à la place. Mais elle avait de longs cheveux, aussi blonds que les siens, qui descendaient en vagues souples sur son dos et ses reins.
Elle était là, à le regarder comme si elle l'attendait. Si elle avait peur de lui, rien ne le laissait supposer. Elle était vêtue de couleurs pâles, sa tenue sans distinction particulière, mais si elle semblait gamilon, sa peau était grisâtre. Était-elle malade? se demanda-t-il brièvement. Ou était-ce l'éclairage? Elle lui était familière, mais ce ne fut que lorsqu'il fit un pas vers elle qu'il comprit en quoi. Elle lui ressemblait. Elle lui ressemblait! se répéta-t-il. C'était étrange et terrifiant et… presque attendu à la fois.
-Tu ressembles à… murmura-t-il donc, machinalement.
Il était trop tard pour dire "à moi", mais elle ressemblait tout aussi bien à sa mère. Il fit un pas de plus, et elle franchit l'espace qui les séparait pour venir se jeter spontanément dans ses bras, comme si elle avait senti qu'il l'y autoriserait… ce qui devait être le cas, tout compte fait. L'étreinte ne dura qu'une seconde. Elle recula, tout aussi mal à l'aise que lui, mais elle releva la tête et lui sourit, toujours sans un mot.
Ils étaient assis sur le rebord d'une esplanade, leurs pieds à quelques centimètres du sol- ceux de Midelia, plutôt, constata-t-elle lorsqu'elle vit le bout de ses bottes effleurer le plancher tandis que les siennes ne s'en approchaient même pas. Il était bizarre d'avoir à se comparer à lui- il était devenu réel lorsqu'elle avait appris son existence, puis sa survie, et voilà que face à elle, il l'était de nouveau.
Il ne reprit la parole qu'au bout d'un moment.
-Tu as grandi ici? Sur Gamilas?
-Non.
-Tu étais heureuse?
-Oui.
Il esquissa un sourire.
-Je sais que c'est une question étrange, mais… comment t'appelles-tu?
Midelia ne put s'empêcher de rire. Il la dévisagea une seconde, surpris.
-Midelia Ciel, répondit-elle.
-Pourquoi Ciel et pas Celestella?
Une pause, puis:
-Est-ce que parce que tu lui en veux, à elle aussi?
Je ne vous en veux pas, faillit répondre Midelia, mais elle se retint à la dernière seconde, parce qu'elle n'était pas entièrement certaine que ce soit bien vrai.
-Non. Je ne l'ai pas connue plus que vous. C'est parce que c'était plus pratique. Et je ne vous déteste pas.
Il eut un sourire, comme s'il ne la croyait pas.
-Pourtant, tu le pourrais.
-Pourquoi devrais-je vous détester? J'ai eu une belle vie.
-Je ne sais pas. Je suis sûr que tu aurais pu trouver des dizaines de raisons de le faire.
-Tu regrettes? demanda-t-elle, ne prenant même pas la peine de préciser en quoi.
Il fronça les sourcils.
-Quoi? Non! On ne peut pas reprocher à un enfant d'être né. Mais je pense quand même que tu es venue au monde dans la mauvaise famille.
-Est-ce que ce serait plus facile?
Il eut un sourire, visiblement désarmé.
-Je ne te déteste pas, répéta Midelia.
Son expression se fit un peu plus moqueuse.
-Tu n'es pas née dans la bonne famille, Midelia.
-Je l'ai toujours un peu pensé, confessa la femme en riant.
Il se retourna vers elle en souriant.
-Au fait, tu ne m'as pas encore parlé de toi. De ta vie.
Et à sa grande surprise, il la vit soudain le dévisager, méfiante. Comme l'inconnu qu'il était, en somme.
-Ma vie? Que veux-tu que je te dise?
-Ça ira, si tu ne veux pas.
-Ce n'est pas ça, se défendit Midelia.
Elle posa ses mains sur ses genoux.
-Tu sais, je ne vis plus ici. Et à la base, je ne suis même pas venue pour toi.
Sans relever les yeux, elle le sentit curieux, intrigué même.
-Alors, pourquoi es-tu ici?
-Pour mon fils.
Elle laissa passer un instant tandis qu'il accusait le coup- elle avait un fils. Un autre enfant qui lui ressemblait peut-être.
-Quel âge a-t-il?
Elle-même paraissait plus vieille qu'il aurait pu le supposer. Elle semblait avoir autour de quarante ans- alors qu'elle devait être née… vingt-cinq, vingt-six ans plus tôt?
-Dix ans. Et il ne tient pas en place.
Quand elle releva les yeux, elle vit qu'il riait.
-Il veut partir à l'aventure. Tous les enfants sont un peu comme ça, non?
-Non, pas tous. Mais c'est particulièrement marqué chez lui.
Elle laissa passer un court moment avant de demander:
-Et toi?
-Quoi, moi?
-Qu'est-ce qui s'est passé, entre elle et toi?
Ses yeux s'assombrirent.
-Une erreur.
-Est-ce que tu savais que j'existais?
-Non.
-Pourtant, tu n'étais pas surpris.
-Comment tu… s'étonna-t-il. Oh. Tu es comme elle.
Il détourna les yeux, comme si cela aurait pu le protéger alors qu'elle le sentait bien conscient qu'elle écoutait. Il parla, tout doucement, évoquant ses souvenirs et répondant à son pouvoir comme Fomto le faisait parfois. Il parla tout d'abord des deux fillettes, rescapées de Leptapoda où elles n'avaient pas leur place. Il leur avait donné un foyer et une éducation, les regardant grandir, plus ou moins loin d'elles. Un peu comme ses filles, peut-être. Elles étaient toutes les deux très intelligentes, mais Miezella, l'ainée, se montrait beaucoup plus déterminée que Mirenel. Plus ambitieuse. Il n'avait jamais su, cependant, si elle agissait par conviction personnelle ou par fidélité envers lui. Et finalement, elle était devenue une de ses ministres, alors qu'elle n'avait qu'une vingtaine d'années. La fierté qu'il éprouve est réelle.
Ce qui s'est passé entre eux, cependant, il l'évoque avec une certaine honte. Il a toujours su ce qu'elle éprouvait pour lui, cet amour qu'elle avait pour lui, mais il n'a jamais rien fait pour la détromper, parce qu'elle lui était tellement utile. Peu importe ce qui arriverait, il aurait au moins quelqu'un à ses côtés. Et puis il y a eu ce jour… Ce souvenir-là est confus. Mêlé de honte, de tristesse et de regrets, suffisamment pour refuser de l'évoquer, surtout à elle. Tout ce qu'elle arrive à en tirer est qu'ils n'en ont jamais reparlés par la suite, et qu'il n'a jamais su qu'elle attendait un enfant.
-Quand es-tu née?
-Quelques semaines avant son départ de Gamilas.
Il hocha la tête.
-Elle est morte… environ deux mois plus tard.
Ce souvenir aussi était terrible. Ils s'étaient revus sur le Yamato, et il l'avait blessée, sur les nerfs et effrayé. Il s'était aperçu trop tard de ce qu'il venait juste de faire. Elle l'avait toujours soutenu, elle ne méritait pas ça. L'instant d'après, Celestella ripostait, et ses gardes avaient ouvert le feu. La scène était horrible, mais elle l'était tout aussi pour lui, alors Midelia continua à regarder. Il ne l'avait jamais vue mourir… mais elle ne pouvait pas avoir survécu. Il l'avait laissée là, sur le Yamato, sans avoir la moindre occasion de récupérer son corps, sans avoir même essayé. De toute manière, après ce qui s'était passé, elle serait probablement mieux loin de lui.
-Il y avait longtemps que tu trainais cette histoire avec toi, pas vrai?
Il ne répondit pas, affichant un drôle de sourire.
-Je te repose la question: est-ce que tu m'en veux?
-Non, dit Midelia. J'ai eu une vie sans toi, et je vais continuer à la vivre. Mais, poursuivit-elle, je suis contente de t'avoir rencontré. D'avoir parlé avec toi.
-Est-ce que… Est-ce que ça te dérangerait, si j'avais envie de te revoir?
Sa fille lui adressa un sourire. Elle n'était pas prête à l'inclure dans sa vie, du moins pas encore. Mais s'il voulait qu'elle reste dans la sienne… ça, elle pouvait.
-Non, répondit-elle. Ça m'irait très bien.
