Chapitre 1: Le choix

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Cette créature n'était pas Satan. Il ne s'agissait tout au plus que d'une grossière caricature. Comment Crowley avait pu se laisser berner ainsi ? Toutes ces années à manigancer, à essayer d'empêcher Armageddon. Toute cette peur de voir un jour le monde détruit pour au final se retrouver à lutter contre un simple golem. Le démon siffla de frustration. Il devait à tout prix se remémorer le mode d'emploi pour tuer une entité mineure.

Les golems étaient des êtres construit à partir d'argile. Celui-ci répondait certainement à distance aux ordres de celui qui l'avait façonné. Crowley se souvenait que pour donner vie à un tel monstre, il était nécessaire d'inscrire les lettres , אמת sur le front de la créature. Cette inscription signifiait : « vérité » en hébreu. Cependant, si Crowley parvenait à effacer la lettre א, l'inscription signifierait alors « Mort » dans la langue hébraïque, et le monstre serait anéantis. Encore fallait-il pouvoir atteindre le front du géant d'argile !

« Aziraphale ! » S'écria-t-il à l'attention de son ami, « Ce n'ai pas Lucifer ! Seulement un Golem. J'ai besoin que tu le distrait un moment, j'ai une idée ! »

Le visage de l'ange passa par tout un panel d'émotions. Crowley pu d'abord y lire la surprise, puis le soulagement et enfin la détermination.

« Je te fais confiance » S'écria Aziraphale en plongeant vers leur adversaire, épée brandit.

Pendant que Crowley se métamorphosait en serpent, l'ange fit de son mieux pour détourner l'attention du monstre. Il tournoyait autour du géant d'argile, aussi gênant qu'un parasite. Les larges mains de la bête tentaient de le chasser, mais en vain. L'épée de l'ange se cogna alors brutalement sur la peau rocailleuse du Golem. La créature paraissait cependant insensible à la douleur.

Crowley choisi ce moment pour se cramponner au dos de leur ennemi. Le géant essaya de l'attraper, mais le démon était difficile à saisir. Le monstre n'arrivait pas à passer ses bras derrière lui pour déloger son asseyant. Le géant tenta alors de se rouler au sol, mais l'étau du serpent ne fit que se resserrer.

« Azzziraphale » Siffla Crowley tout en tentant de maintenir le golem immobile. « La vérité se cache dans la nuance ! »

Un éclair de compréhension passa dans les yeux de l'ange. L'intelligence d'Aziraphale n'avait jamais cesser d'épater Crowley. La principauté brandit l'épée au dessus de sa tête et par le divin de sa lame, il raya la lettre א sur le front de la créature. Dans un long cris d'agonie, le géant redevint poussière.

Crowley chercha dans les décombres le mantra qui avait permis d'invoquer le démon. Il trouva finalement un petit parchemin sur lequel était inscrit le nom de Dieu. L'invocateur du golem était donc d'origine céleste. Il fit passer le morceau de papier à Aziraphale pour que ce dernier prenne connaissance de la situation.

« Les Salauds ! » s'écria Aziraphale en déchirant rageusement le parchemin.

Crowley eut un hoquet de surprise. Jamais encore il n'avait entendu le blond jurer. Le démon savait cependant que si son ami était dans un tel état, c'était parce qu'il était en colère contre lui même. Aziraphale avait toujours eu une confiance aveugle envers ses supérieurs hiérarchiques. L'ange était cependant en train de prendre conscience, avec un peu de retard, que le monde n'était pas tout noir ou tout blanc. Gabriel avait certainement orchestré cette guerre dans l'unique but de régler ses griefs avec Belzébuth.

Crowley posa une main réconfortante sur l'épaule du blond. Leurs regards se croisèrent alors et le démon se serait volontiers noyé dans l'azure des yeux de son ami. Il sentit Aziraphale se détendre peu à peu pour finalement le gratifier d'un sourire navré.

« Vous aviez raison mon cher ». Soupira-t-il. « Il n'y a pas d'enfer ou de paradis. Il n'y a que nous. »

Si le cœur de Crowley avait été une bougie, les paroles de l'ange venaient d'en enflammer la mèche. Une douce lueurs d'espoirs se répandit dans les yeux du démon et ce dernier se sentit fondre comme si il avait été fait de cire.

OO

La suite des événements se passa dans un flou indistinct pour Crowley. Adam et ses amis étaient repartit à Tadfield. Aziraphale et lui avaient quant à eux du se résoudre à prendre un bus, faute de Bentley.

Assis côte à côte durant le trajet du retour, les deux amis regardaient défiler le paysage dans un silence apaisé. Crowley se fit la réflexion qu'il pourrait très vite s'habituer à cette proximité avec l'ange. Il pouvait sentir l'eau de Cologne d'Aziraphale mêlée à la sueurs de son combat avec le golem. Le démon aurait voulu poser sa tête sur cette épaule bénite et dormir durant les prochains mois à venir. Il se retint toutefois de céder à une telle tentation.

« Il ne reste plus qu'une seule prophétie. » Annonça l'ange en fixant d'un œil distrait Les Belles et Bonnes Prophéties d'Agnès Barge entre ses mains.

« Et que dit-elle ? » S'enquit Crowley, inquiet que l'apocalypse redémarre à tout instant.

D'une voix douce et clair, l'ange lui lu les dernières lignes qu'avait écrit la sorcière :

« Les contraires s'attirent, mais qui se ressemble s'assemble.

L'un plonge dans le néant, l'autre s'élève vers l'éther

Deux sangs froids s'unissent pour que la rancœur périsse.

Deux serpents enlacés pour qu'apparaisse un caducée

Le jour d'avant acceptent de vivre parmi leurs semblables

La nuit d'après deviendront des êtres bien aimables. »

« Tu penses que la prophétie parle de nous ? Demanda Crowley, à présent plus curieux qu'inquiet. « Elle fait référence à deux serpents non ? »

« Je ne suis pas un serpent Crowley. » Répondit brusquement Aziraphale.

« Après ta petite rébellion contre le paradis, tu mériterais pourtant d'être considérer comme tel. » Le taquina Crowley.

« Qu'essayes-tu d'insinuer Crowley ? S'énerva Aziraphale. « Que je mérite le courroux divin pour avoir contrecarrer les plans de Gabriel ? »

Crowley se fustigea d'avoir énervé l'ange deux heures seulement après qu'ils aient sauvé le monde.

« Tu serais déjà tombé si c'était le cas mon ange. » Tenta-t-il de se rattraper. «Je pense au contraire que nous méritons tout les deux d'être récompensé pour avoir déjoué les plans de nos patrons. »

« Je me demande ce que vont devenir Gabriel et les autres... » Soupira Aziraphale en s'avachissant sur son siège. « Pas que je me soucis encore de lui ou de ses perfides de sous-fifres, mais Dieu n'a certainement pas toléré leurs manigances... »

« Je n'ose pas imaginer la punition du Seigneur des Mouches pour avoir fourni un Golem à Gabriel. » Frissonna Crowley en songeant à toutes les tortures dont l'enfer était capable. « Satan doit être furieux...»

« A ton avis, qui est le véritable géniteur d'Adam si ce n'est pas Lucifer ? » Demanda l'ange, la mine songeuse.

« Certainement une entité mineur des enfers. » Songea Crowley. « J'ai entendu dire que les Djinns était très doués pour créer des illusions. Cela ne m'étonnerai pas que Adam soit le rejetons d'une de ces créatures. »

« Il est possible que nous ne le sachions jamais. ». Conclu Aziraphale d'une voix lointaine.

« Nous n'avons plus à nous en préoccuper. » Raisonna Crowley. « Le principal et de constater que tout est revenu à la normal. »

« C'est vraiment ce que tu espères ? » Demanda l'ange, se redressant soudainement sur son siège pour mieux croiser le regard du démon. « Que nos vies redeviennent comme elles l'ont toujours été ? »

Le démon sentit son cœur faire des acrobaties dans sa poitrine. Était-ce la manière pour Aziraphale de lui dire qu'il voulait que la situation change ? Que leur relation évolue ? Qu'il acceptait enfin le démon dans sa vie au lieu de renier leur amitié ? A présent que l'ange avait reconnu qu'ils étaient dans leur propre camp, Crowley ne pouvait plus s'empêcher d'espérer.

« Tout dépend de la vitesse à laquelle tu veux que les choses évolues mon ange. » Avoua-t-il dans un murmure à peine audible.

« Et bien je...Je pensais que... » Bégaya l'ange, se tortillant nerveusement sur son siège.

« Oui ? » L'encouragea Crowley.

« Que...Que je devrais peut-être prendre ma retraite. » Termina le blond dans un souffle.

« Votre retraite ? » S'étrangla Crowley, ne pouvant cacher sa déception.

« Oui ma retraite d'ange. » Confirma Aziraphale, l'air soudain déterminé à éviter le regard du démon fixé sur lui. « Je doute d'avoir encore ma place au paradis... Et puis, la librairie est en ruine à présent. Je peux peut-être commencer une nouvelle vie une maison de campagne par exemple ? ».

« Cela ressemble à un projet tout à fait réalisable ». Parvint à se reprendre le démon. « Ce sera peut-être l'occasion d'organiser ce fameux pique-nique que je vous ai promis il y a longtemps ? »

Aziraphale lui lança un regard à la fois étonné et appréciateur.

« Ne vous sentez pas obligé envers moi, mon cher. J'ai proposé ce pique-nique par hasard. J'étais juste effrayé de ce que vous alliez faire avec cette eau bénite... »

Crowley ne savait quoi faire de cet aveu. L'ange venait à la fois de décliner son invitation tout en lui avouant qu'il s'était inquiété pour lui. Le démon choisi de rassurer l'ange au lieu de s'acharner sur l'idée d'organiser ce stupide pique-nique.

« Je te l'ai dit Angelo, c'était juste un moyen de me protéger d'Hastur...Il était constamment en train surveiller mon dos. Une vraie plaie d'Égypte ! »

« Et qu'est devenu ce pauvre bougre ? » Demanda le blond .

Il est condamné à danser sur Time Waits For No One pour l'éternité. Résuma Crowley avec un sourire mutin aux lèvres.

Au regard interrogateur de l'ange, il se permis de préciser :

« Je l'ai coincé dans une cassette de Freddie Mercury. »

Les sourcils de Aziraphale se haussèrent de manière comique. Crowley ne pu s'empêcher glousser face à l'expression de l'ange. Le rire d'Aziraphale s'ajouta bientôt au sien et le bus fut rempli de leurs ricanements.

« Un jour, il faudra que tu m'expliques comment tu parviens à arrêter le temps et à bloquer tes ennemis dans des cassettes... » Déclara le blond entre deux hoquets de rire.

Crowley aurait voulu lui répondre tout de suite. Lui expliquer qui il était, pourquoi il était doté d'une telle puissance. Cependant, la révélation de son identité aurait réveillé une douleur sourde dans le cœur de l'ange. Crowley n'était pas prêt à lui imposer une telle souffrance. Il ne le serait sans doute jamais... A la place, le démon aurait préféré déclamer tout l'amour qu'il éprouvait pour l'être merveilleux assis à ses côtés. Il aurait voulu vomir les même vers qui encombre la langue des poètes.

Mais les mots s'étouffèrent dans la gorge du démon alors que le bus ralentissait. Crowley ne se rendit compte que trop tard qu'ils venaient de s'arrêter devant la librairie d'Aziraphale.

Voyant l'ange se préparer à sortir, Crowley parvint à lui saisir le bras. Il sentait son cœur échouer dans sa poitrine à l'idée que que l'ange n'entendent pas tout les mots qu'il voulait lui offrir en bouquet. Cependant, la bouche du démon s'ouvrait et se fermait sans qu'un traite son n'en sorte.

Ses doigts étaient accrochés comme des serres au manteau de son ami. Aziraphale lui lança un regard interrogateur.

« La librairie doit être dans un sale état. »Parvint finalement à croasser le rouquin. « Tu peux venir chez moi si tu veux... »

Les yeux d'Aziraphale s'illuminèrent, mais si brièvement que Crowley cru l'avoir imaginé. Les traits de son ami se tordirent alors dans une moue désespéré.

« M...Merci pour l'invitation Crowley, mais je préfère aller évaluer les dégâts de la librairie. » Bredouilla l'ange, son visage prenant une légère teinte rosé. « De plus, je dois vérifier si il ne reste pas un ou deux livres à sauver... »

Crowley se laissa hypnotiser par la rougeur s'étendant sur les joues de l'ange. Était-ce lui qui avait provoqué une telle réaction ?

« Ne peux-tu pas attendre demain ? » Demanda le rouquin.

Aziraphale le couva un instant du regard tout en se tordant nerveusement les mains.

« Essayes de te reposer d'accord ? » Finit-il par répondre d'une voix tremblante. « Ce n'est pas tout les jours qu'on empêche l'apocalypse. Tu mérites une bonne nuit de sommeil... »

« Aziraphale... » Supplia le démon dans un souffle.

Mais l'ange c'était déjà levé de son siège. Ce dernier trébucha vers la sortie et ne se retourna qu'une fois arrivé à la porte du bus.

« Bonne soirée Crowley. » Le salua-t-il d'une voix chevrotante.

Mais Crowley refusait de le laisser fuir. Il le rejoignit en une enjambé, empêchant la porte automatique de se refermer sur lui.

« Te laisserais-tu tenter par un dîner au Ritz ? Demain 18H ?

Aziraphale semblait tétanisé face à l'insistance du démon. Toutefois, il eut l'air de reprendre ses esprits car il lâcha un : « Tentation accomplie » avant que la porte du bus ne se referme.

Un sourire irrépressible se dessina sur les lèvres du rouquin, mais avant qu'il ne pu savourer correctement sa victoire, une voix sensuelle susurra à son oreille :

« Je vois que je ne suis pas la seule à craquer pour un petit chérubin... ».

~ OOO ~

Sentant la présence démoniaque dans son dos, Crowley se retourna vivement pour faire face à son ennemie. La créature avait la forme d'une belle et sombre jeune femme, entièrement vêtue de cuire. A la lumière des néons, Crowley pu toutefois remarquer que le côté gauche de son visage semblait horriblement marqué et mutilé.

« Qui êtes-vous ? » Demanda-t-il, les dents serrées d'anticipation.

« Mon nom est Mazikeen, mais tu peux m'appeler Maze. » Répondit la femme en le gratifiant d'un sourire tapageur.

« Le bras droit de Lucifer... » Comprit Crowley, prit de panique.

D'après les rumeurs, Mazikeen était une succube à l'ambition démesuré qui était arrivé à monter en grade en à peine quelques siècles. Maze était l'un des tortionnaires les plus décorés des enfers. Crowley allait devoir redoubler de prudence et d'ingéniosité pour échapper à cette diablesse.

« Dans le mille. » Confirma la jeune femme en le gratifiant d'un clin d'œil coquin. « On peut dire que tu as tapé dans l'œil du grand patron mon mignon. Tes petits tours de passe-passe ne sont pas passé inaperçu en bas ».

« Que me voulez-vous ? Grinça Crowley, déjà prêt à utiliser le réseau téléphonique de son portable pour fuir.

« Du calme mon poulain. » Tenta de le rassurer Maze en s'adossant à la barre du bus comme le ferait une danseuse de Pole-danse. « Je suis juste venu t'offrir une promotion ».

« Une promotion ? » S'étrangla le démon, oubliant momentanément ses projet d'évasion.

« Lucifer serait ravi d'avoir un démon comme toi à ses côtés. Et qui sait ? Nous pourrions devenir des amis proches tout les deux...A moins que ton intérêt ne se porte que sur les anges rondelets ? »

Crowley avala avec difficulté sa salive. Son cerveau travaillait à plein régime pour décliner l'offre de la démone sans subir les flammes de l'enfer en punition. Cependant, la colère brûlait en lui comme un feu ardent et il se sentait incapable d'avoir une seule pensée cohérente.

« Cela fait plus de 6000 ans que je traîne ma carcasse sur terre et jamais Lucifer n'a daigné m'accorder la moindre considération. » Répondit finalement le démon, ponctuant chacun de ses mots de tout le venin et la rancœur dont il était rempli. « J'ai pris ma retraite de démon au moment même ou j'ai désobéit aux ordres de Belzébuth. Tu t'ai déplacé pour rien Mazikeen. »

En un éclair, la démone s'était précipité sur lui pour le tenir d'une main par le col de sa veste.

« Parce que tu penses réellement pouvoir renier ta propre nature sans contre partie ? » S'impatienta la jeune femme. « Tu es naïf petit serpent... »

« C'est une menace ? » Siffla Crowley, à moitié étouffé par les mains griffues de la créature.

Le brun caverneux et le l'or reptilien de leurs yeux s'affrontèrent un moment avant que la succube ne relâche son emprise sur sa gorge.

« Juste un avertissement. » Annonça Maze d'un ton amère. « Prends le temps de penser à ma proposition. Tu es un démon Crowley. Nous tirons notre force du pouvoir de Lucifer. Sans lui, les années vont finir par te rattraper et tu tomberas en poussière avant même d'avoir pu profiter de la vie aux côtés de ton joli blondinet. »

« Ma réponse sera toujours la même ! » Explosa Crowley, tremblant de rage.

Le rouquin était terrifié à l'idée que la démone puisse connaître l'affection qu'il portait à l'ange. Elle allait certainement utiliser cette information pour le faire chanter.

Un silence pesant s'abattit entre eux. Maze avait l'air d'évaluer si elle devait le tuer maintenant ou attendre un peu afin de lui préparer un joli assortiment de tortures. Les lèvres de la diablesse finirent toutefois à se dresser en un sombre rictus, peu semblable au sourire enjôleur qu'elle avait eut un instant plus tôt.

« Je te donne une semaine pour que tu reviennes à la raison Crowley. » Le prévint-elle. « Si tu t'obstines à renier l'autorité de Satan, je te conseil de mettre de l'ordre dans tes affaires, car tes jours seront alors comptés... »

Et sur ces mots, la démone disparue.

Crowley parcourue le chemin jusqu'à son appartement tel un automate. Tourmenté, épuisé, blessé, il n'arrivait plus à penser clairement. En une soirée, il avait empêché la fin du monde, fait un premier pas pour conquérir l'amour de sa vie et obtenue une promotion. Cette enchaînement d'événements n'avait absolument aucun sens.

Sa fatigue était telle qu'il ignora le tressaillement de ses plantes lorsqu'il pénétra dans l'ambiance calfeutrée de sa chambre. Un lit aux couvertures de satin noire l'y attendait.

Crowley se dévêtit entièrement, heureux de se défaire du cuire étouffant qui lui moulait le corps. Il déplia alors lentement ses ailes avec un soupir de soulagement. Jamais il n'avait montré à Aziraphale ce cauchemar de plumes noirs, à moitié désossé. Il ne lui restait de sa chute que son aile supérieur droite et son intermédiaire gauche. Le reste n'était plus que moignons , os et chaires déchiquetés. Le miroir de sa penderie lui imposa la vision de sa silhouette déséquilibré dans l'obscurité. Jetant dans un coin de la chambre ses lunettes, Crowley se glissa dans la douceur de ses draps. Avant de sombrer dans les bras de Morphée, le démon se jura intérieurement qu'il ne laisserait pas l'enfer le reprendre. Il n'appartiendrait jamais qu'à une seule créature sur terre, et cette personne, ce n'était ni Dieu, ni Satan.


Raphaël voguait dans l'espace, ses six ailes d'archange battant dans le vide.

Ses mains d'artiste étaient occupés à manipuler la gravité de deux galaxies simultanément. Dans sa course, une des galaxie alla traverser le cœur du disque de la seconde, produisant une onde de choc gigantesque. L'interaction produisit une salve de gaz et de poussière semblables à des vaguelettes d'eau sur un lac sombre.

Il n'y eut alors qu'une seule et même galaxie à observer dans les cieux, entourée d'un anneau bleuté composé d'étoiles jeunes et brillantes.

« Tu te sens si seul que tu obliges les galaxies à se rencontrer ? » Demanda une voix soyeuse que Raphaël aurait reconnu entre mille.

« Je ne suis pas seul, puisque tu viens constamment me rendre visite, Lucifer. » Répondit le Starmaker en souriant à son aîné.

« Il n'y a qu'avec toi que j'arrive à avoir de vrais conversations. Lui avoua Lucifer d'un ton morne.

L'étoile du matin venait souvent admirer son travail et lui tenir compagnie. Raphaël lui en était très reconnaissant. Cependant, cela faisait quelques temps que Lucifer paraissait préoccupé.

Il pouvait sentir la peur grimper dans le cœur de son frère comme des ronces sur un pilier de marbre blanc. Lucifer paraissait toujours si fort, si inébranlable. Cependant, Raphaël savait que ce n'était qu'une façade. Son aîné était constamment désireux de plaire, aux autres anges comme à Dieu. Il n'était vraiment lui même qu'en sa présence. Raphaël ne pouvait s'empêcher de se sentir honoré d'une telle confiance.

Ils étaient tout deux issus de la première nichée. Dieu avait déchiré sept morceaux de son voile cosmique pour les créer, eux et leurs cinq autre frères. Raphaël et Lucifer avaient toutefois tissé un lien unique.

« Pourquoi ne viendrais-tu pas me rejoindre à Éden ? » Le supplia pour la énième fois Lucifer. « Il fait si froid ici et je me suis donné tant de mal pour que le soleil puisse caresser la terre de ses doux et chaud rayons. »

« Tu sais parfaitement que ma place est dans les étoiles. » Objecta Raphaël. « Je me sens toujours si inutile en bas... Je ne comprend pas quel utilité peut avoir le titre de guérisseur. A part ressentir le bonheur des anges, mes dons d'empathie ne me servent à rien... »

« Pourquoi ne demandes-tu pas à mère ? » Suggéra Lucifer. « Elle ne t'a sûrement pas donné ce don par hasard. »

« J'ai essayé, mais elle demeure sourde à toutes mes questions. »

« Il faut dire qu'elle est très occupé à la construction de la terre en ce moment. » Résonna son aîné en jetant un regard vers la petite planète bleue qui brillait dans les ténèbres. « Voilà sept jour qu'elle travail avec acharnement et les travaux ne sont toujours pas terminés... »

« Le spectacle promet d'être fabuleux » Se réjouit Raphaël en observant à son tour l'astre au loin.

« Un grand spectacle certes, mais où nous ne serons que des figurants...» Grinça Lucifer, une moue amère sur le visage.

« Que veux-tu dire ? »S'enquit le guérisseur.

« Mère a le projet délirant de créer des êtres à son image. »

« Une nouvelle couvée d'anges ? »S'étonna Raphaël.

« Pas tout a fait. Elle appel ça des Humains. Et d'après ce que j'ai compris, ils nous seront supérieurs. » Pesta son aîné.

« Est-ce une si mauvaise chose ? »

« Nous étions là les premiers. » S'écria Lucifer, l'air outré que son cadet remette en question sa place dans la hiérarchie céleste.

« Tu parles comme un chérubin. » Fit remarquer Raphaël à son aîné. « Tu pensais réellement que Dieu allait te faire siéger sur la montagne de l'assemblée, a l'extrémité du septentrion ? Si elle nous a créé, c'est pour l'aider à façonner le monde, non pour le gouverner ».

« Et pourquoi pas ? » Le contra Lucifer. « Elle a mis en moi toute la sagesse, l'intelligence et la beauté qu'elle possédait. A quoi bon tout ces dons si ce n'est pour régner à ses côtés ?

« Fait attention mon frère, l'orgueil déforme tes traits et te donne l'air d'un fou. »

« Et ton humilité te condamnera à l'oubli Raphaël. Lorsque ces humains auront envahis la terre, pas un seul ne se souviendra de ton nom. Tu demeureras seul au milieu du néant »

« J'ai demandé à mère un assistant. » Riposta brusquement Raphaël, les yeux brillant d'espoir.

« Pour créer des astres que les humains ne pourront jamais atteindre ? » Ironisa Lucifer.

« Peut-être qu'ils le pourront un jour... » Murmura le StarMaker d'une voix rêveuse.

« Cesse de fantasmer Raphaël, ou tu vas finir par perdre l'esprit. »

« Et toi de cesse de désirer Lucifer, ou tu risques de te perdre tout court... »