Notes:

La saison 2 de Good Omens m'a donné envie de finir cette histoire. J'espère que vous apprécierez cette suite après plus de trois ans d'attente XD

Chapitre 4: Le frère de cœur

~ O ~

Les mains agiles de Crowley s'employaient depuis plus d'une demi-heure à démêler les mèches emmêlées du dieu du chaos. Pendant tout ce temps, un silence profond s'était installé entre eux, rompu seulement par le doux murmure du démon alors qu'il se consacrait entièrement au bien-être de son patient. Un frisson de plaisir parcourut le corps du dieu tandis que Crowley se concentrait sur le massage apaisant de son cuir chevelu.

Dans l'intimité de ce moment, Crowley ne pouvait s'empêcher de croire que les blessures de Loki étaient bien plus profondes que la surface enchevêtrée de ses mèches d'ébène. Le démon était convaincu que les tourments du dieu étaient essentiellement d'ordre psychologique. C'est pourquoi il s'efforçait avec une tendre détermination à lui faire ressentir, ne serait-ce que par le toucher, que cet appartement était un sanctuaire où il serait respecté, accepté et écouté sans la moindre parcelle de jugement.

Les mains de Crowley glissèrent ensuite avec douceur sur les épaules tendues de Loki, ce dernier se raidissant instinctivement à ce contact inattendu. Chaque muscle semblait porter le poids de l'univers, le fardeau des épreuves que le dieu du chaos avait endurées.

"Détendez-vous", murmura calmement le démon, sa voix résonnant comme une mélodie apaisante. "Je suis guérisseur."

Les mots flottèrent dans l'air, porteurs d'une promesse de soulagement, mais Loki ne semblait pas disposé à céder facilement. "Je n'ai pas besoin qu'on me dorlote !" persifla-t-il, s'écartant brusquement comme pour échapper à toute tentative de compassion.

"Vous venez de faire une chute depuis l'espace, Loki. Même pour un dieu, une telle chute est douloureuse."

"Vous devez être bien placé pour le savoir !" ricana cruellement l'intéressé en se mettant debout, son regard empreint d'une lueur de défi.

La réponse du dieu fut comme un coup de poignard pour le démon, mais ce dernier ne laissa rien transparaître. Au contraire, il demeura imperturbable, résolu à percer la carapace de sarcasme et d'hostilité que Loki avait érigée autour de lui. Il comprenait que cette méchanceté gratuite était une armure, un moyen de maintenir les autres à distance pour éviter d'être blessé davantage.

Crowley savait qu'il ne devait pas insister. Pas cette fois. Ignorant la douleur qui tirait dans son propre dos, il se redressa à son tour sur ses pieds.

"Je vais nous commander à manger, avez-vous des préférences alimentaires ?" proposa-t-il d'une voix calme.

Le dieu sembla brièvement déconcerté par le changement de sujet, comme s'il s'attendait à une autre réaction de la part du démon. Il détourna le regard avant de marmonner d'un ton détaché "Je ne cracherais pas sur une tranche d'agneau rôtie au feu de Muspelheim arrosé d'hydromel."

Un sourire étira les lèvres de Crowley, appréciant l'étincelle d'humour de Loki. "Je crains que les agneaux ne courent pas les rues de Londres à cette heure tardive. Mais je peux vous assurer que je vais trouver quelque chose qui saura combler même l'appétit d'un dieu."

Les coins des lèvres de Loki s'élevèrent imperceptiblement, presque comme une esquisse de sourire. "Assurez-vous que ce soit mangeable, démon. Sinon, je pourrais être tenté de vous transformer en grenouille."

"Je prends cette menace très au sérieux, je vous le promets", répondit Crowley avant de s'éloigner pour commander le repas, laissant Loki seul avec ses pensées.

Le démon avait de sérieux doutes quant à la possibilité qu'une simple pizza ou un banal burger puisse satisfaire les exigences d'un Prince d'Asgard. Il fit donc appel à un traiteur que Aziraphale lui avait maintes fois recommandé. Non pas qu'il ait déjà eu l'occasion de l'essayer lui-même. La gourmandise ne faisait pas partie de ses vices préférés. Le démon avait plutôt trouvé une sorte de réconfort dans la paresse, se plaisant souvent à rester pendant des heures lové dans son douillet lit chaque fois que l'occasion se présentait. Il savourait le vin, bien entendu, mais la nourriture ne figurait pas parmi ses besoins les plus primordiaux. Observer l'ange manger, en revanche, était devenu essentiel à son bien-être.

Aziraphale avait un corps taillé pour façonner et tailler les étoiles. Naturellement robuste, sa musculature était imposante. C'était sans doute pour cette raison que Gabriel avait changé ses attributions, faisant de l'ange un guerrier plutôt qu'un architecte de l'univers. Au fil des siècles, l'appétit insatiable d'Aziraphale avait rendu son corps quelque peu pulpeux, mais de la meilleure des manières, celle qui faisait saliver un démon, il fallait bien le dire.

Crowley aurait pu contempler l'ange en train de manger pendant des heures s'il en avait eu l'opportunité. Aziraphale avait cette manière presque indécente de gémir en savourant chaque bouchée.

Soudain, Crowley secoua la tête pour chasser ces pensées frivoles. Non, se dit-il alors avec détermination, il n'y aurait plus de dîner au Ritz. Plus de viennoiseries apportées le matin. Plus de réunions secrètes à la lueur des bougies accompagnées d'un verre de vin. Ces temps-là étaient révolus. Aziraphale avait fait son choix…

Après avoir passé la commande, Crowley revint avec deux plateaux chargés de mets délicats. Les arômes succulents s'épanouissaient dans l'air, attirant immédiatement l'attention de Loki, qui releva vivement la tête, ses yeux luisant d'avidité. Les plats étaient disposés avec un soin minutieux, offrant une variété de saveurs et de textures qui semblaient promettre de combler les palais les plus exigeants.

Ils se mirent à manger, un silence confortable s'installant entre eux. Les saveurs exquises semblaient peu à peu éroder les barrières et dénouer leurs langues fourchues.

Loki inclina légèrement la tête en signe d'approbation. "Je dois reconnaître que vous avez du goût, démon".

Un sourire s'étira aux lèvres de Crowley, qui accepta le compliment voilé avec une nonchalance élégante. "Il semblerait que je n'ai pas à devoir terminer ma misérable existence en cuisse de grenouille tout compte fait. "

Au fil du repas, les échanges se firent plus fluides. Les plaisanteries légères et les anecdotes partagées remplissaient l'air, créant une atmosphère de complicité inhabituelle entre un dieu et un démon.

Loki se laissa même aller à un rire sincère devant l'une des histoires croustillantes de Crowley.

"Vos aventures ont un côté divertissant, démon. On dirait que vous ne manquez jamais de situations rocambolesques."

"Ce serait mentir que de prétendre le contraire. Après tout, je ne fais pas dans la simplicité", répondit Crowley avec un clin d'œil taquin.

L'atmosphère était chargée d'une sorte de connivence. Alors que les dernières lueurs du repas s'estompaient, une question brûla soudain les lèvres de Crowley. Il savait qu'il briserait la paisible quiétude entre lui et son invité, mais il était temps d'obtenir des réponses.

Le démon prit une profonde inspiration, sa main glissant dans sa poche pour en extraire la gemme d'antarcticite. "Que faisait cette gemme d'infini en votre possession ? C'est là une chose rare et dangereuse que vous avez apportée sur Terre."

" Cette pierre m'appartient, c'est mon héritage ! Rendez-la moi ! " S'écria le dieu d'un ton empreint de rage, se jetant sur le démon pour tenter de lui arracher la pierre des mains.

Sans opposer la moindre résistance, Crowley laissa Loki saisir la gemme. Les doigts du dieu se refermèrent autour de la pierre, son souffle rapide trahissant la fureur qui bouillonnait en lui. Ses yeux dorés observaient calmement chaque mouvement de Loki, détachés de toute émotion apparente.

La transformation fut instantanée et la peau du dieu se teinta de bleu. Les yeux de Loki, à présent d'un rouge profond, s'écarquillèrent alors d'horreur tandis qu'il contemplait ses mains, désormais scarifiées d'étranges marques tribales.

" Il est étrange que vous réclamiez cet artefact comme vôtre alors que vous reniez l'apparence dont sa magie vous recouvre," fit remarquer le démon d'un ton calme et observateur.

Loki poussa un cri de surprise et d'effroi mêlés. Il secoua ses mains devant ses yeux, comme si ce simple geste pourrait dissiper les marques qui avaient fleuri sur sa peau.

"Qu'avez-vous donc fait ?" rugit le dieu sur un ton d'accusation.

"Je n'ai guère eu à intervenir. La gemme elle-même a dévoilé la vérité que vous cherchiez tant à occulter, la marque de votre héritage."

Le dieu planta son regard dans celui du démon. La rage qui l'avait d'abord animé sembla céder progressivement le terrain à une résignation teintée d'amertume. "Cet artefact dépasse votre compréhension. Son origine se perd dans les abîmes du temps, et son pouvoir dépasse les frontières de vos connaissances."

"Je ne saurais être si catégorique à votre place," répliqua Crowley d'un ton presque badin, tandis qu'il laissait la vague de son pouvoir s'élever en lui. Bientôt, une lueur bleutée émana de ses paumes, une synergie intime entre la gemme et sa propre essence. Des fils délicats de magie semblaient s'étirer de la pierre, fusionnant avec son énergie démoniaque.

" C'est impossible…" murmura le dieu, son regard révélant une étincelle de compréhension grandissante. "Seuls les architectes de l'univers possèdent la puissance de…" Il s'interrompit brusquement, laissant ses mots en suspens. "Vous… Vous êtes donc…"

"Je le fus," répondit le démon, dérobant son regard à l'adulation qui s'éveillait dans les yeux du dieu.

Loki tomba alors à genoux, comme pour vénérer une divinité ancienne.

" C'est un honneur de vous rencontrer, StarMaker. Les légendes d'Asgard vous rendent grâce pour les mondes que vous avez bâtis autour de Midgard ".

Lassé par la tournure que prenait la situation, Crowley laissa échapper un soupir d'exaspération. D'un geste vif, il saisit fermement le menton du dieu, forçant son visage à se tourner vers lui.

" Pensez-vous qu'un démon tel que moi se complaise devant vos courbettes et vos adulations stupides ?" lança Crowley d'un ton cinglant, relâchant finalement le menton du dieu.

Loki recula légèrement tout en jetant un regard perplexe au démon. Crowley demeura quelques instants impassible, un sourire en coin étirant légèrement ses lèvres.

Les deux êtres semblaient pris dans une danse émotionnelle, chacun cherchant à comprendre l'autre.

" Vous ne m'avez pas encore dit votre nom…", fit remarquer Loki.

Une étincelle malicieuse passa dans les yeux dorés du démon à cette question. "Ah, noms et étiquettes, ils ont peu d'importance, n'est-ce pas ? Mais si vous insistez, appelez-moi Crowley."

Le dieu du chaos sembla s'immerger dans une réflexion silencieuse, avant de finalement demander, sa voix devenue douce, presque incertaine : " Pourquoi votre magie est-elle si semblable à la mienne ? "

Le démon hésita un instant, choisissant ses mots avec soin. "Si vous me racontez votre histoire, peut-être que nous pourrons tous deux répondre à cette question," conclut Crowley en esquissant un sourire énigmatique.

~ OO ~

"Alors..." résuma Crowley d'une voix incertaine. "Lorsque vous dites que la gemme est votre héritage..."

"Mes parents biologiques ont lié ma vie à cette pierre pour sauver leur monde agonisant", expliqua Loki, son regard baissé, comme si le simple fait de raconter cette histoire était une lourde charge pour lui. "J'étais un sacrifice destiné à accroître le pouvoir de la pierre. Ma vie en échange de la survie de notre monde. Cependant, Jotunheim était en plein conflit, et lorsque Odin a lancé son attaque, le transfert n'était pas encore achevé. La gemme et moi étions déjà intrinsèquement liés, comme si j'étais une partie d'elle et qu'elle était une part de moi. Odin a alors décidé de faire de moi un trophée de guerre et m'a ramené avec lui à Asgard."

"Vous êtes la pierre..." murmura doucement Crowley pour lui-même.

En réponse, le dieu du chaos poussa un rugissement de rage et renversa la lampe de chevet devant lui. "En quoi est-ce important ?" tonna-t-il, la colère vibrant dans sa voix. "À cause de cette pierre, je n'ai jamais été autre chose qu'un sacrifice ou une relique inutile ! Ils ont fait de moi un objet dont ils pouvaient disposer à leur guise !"

Dans la lueur tamisée de la pièce, les tourbillons de magie de Loki dansaient autour d'eux, évoquant des spectres d'énergies indomptables. Le démon demeura silencieux, une empathie silencieuse peinte sur son visage alors qu'il observait le tumulte intérieur du dieu.

"Vous n'êtes pas un objet, Loki," déclara-t-il enfin d'une voix calme, rompant le silence chargé. "Vous êtes bien plus que cela. Vous possédez une volonté, une force et une identité propre. Vous avez le pouvoir de modeler votre destinée, indépendamment de l'histoire que d'autres ont tracée pour vous."

Loki releva les yeux, ses prunelles vertes fixées sur Crowley. Un sourire ironique étira ses lèvres alors qu'il persiflait d'un ton empreint de sarcasme, "Voilà de belles paroles, dignes d'un ange déchu. Maintenant que vous avez plongé dans les abysses de mes origines, me répondrez-vous enfin quant à la nature de cette étrange affinité entre votre magie et la mienne ?"

Un instant de silence s'écoula, le démon semblant perdu dans ses propres pensées. "Le fil du destin semble vous avoir guidé droit vers l'architecte de vos tourments," dévoila-t-il enfin, sa voix empreinte d'une réflexion profonde. "Car la gemme que vous tenez entre vos doigts, c'est une part de ma propre âme qui l'anime."

Un éclair de surprise traversa le regard de Loki tandis que le poids des révélations s'abattait sur lui. Les flammes de sa colère semblaient vaciller face à la lueur troublante de cette nouvelle connaissance, créant une tension palpable dans l'atmosphère.

"Seul votre dieu pourrait déchirer le tissu de son âme pour façonner de nouvelles créations…" tenta de raisonner Loki, sa voix résonnant avec une nuance de désespoir face à une réalité difficile à accepter.

"J'ai entrepris une expérience à l'aube des temps, manipulant ce morceau de roche avec précaution," expliqua patiemment Crowley. "Cette pierre était destinée à alimenter le cœur d'une planète, plus précisément le cœur de Jotunheim… Comment les habitants de ce monde ont réussi à extraire et canaliser son énergie reste un mystère. Insuffler cette puissance dans un être vivant dépasse l'entendement."

Les mots du démon semblèrent résonner dans l'esprit de Loki, créant un bouleversement intérieur. "Vous prétendez avoir créé cette pierre, cet artefact qui a façonné ma vie et mon destin ?" murmura-t-il finalement, sa voix mêlant méfiance et fascination.

Un hochement de tête de la part de Crowley suffit comme réponse. "Oui, d'une certaine manière. Mon intervention a enclenché un processus bien au-delà de ma compréhension, un processus qui vous a intimement lié à cette gemme et à son potentiel colossal. Votre histoire est indissociablement entrelacée à la mienne à travers cette création. Vous êtes… un fragment de mon âme."

"Pourquoi me révélez-vous cela ? N'aviez-vous pas peur que je puisse manipuler cette information à votre encontre ? Vous me confiez quelque chose de précieux en me dévoilant cela, Crowley," annonça Loki d'une voix mesurée, sa bouche articulant avec soin le nom du démon.

Un regard sincère se posa sur Loki, les yeux dorés de Crowley reflétant une honnêteté surprenante. "Je crois que vous avez le droit de connaître la vérité, même si elle est déconcertante. Parce que je crois que votre potentiel dépasse les entraves du destin qui vous ont lié à cette pierre. Et parce que, d'une manière ou d'une autre, notre histoire est tissée ensemble, que nous le désirions ou non. J'ai créé cette pierre dans un moment de désespoir et de solitude. Maintenant que vous entrez dans ma vie, nous devons faire face à notre héritage commun."

Loki détourna le regard, laissant ses pensées divaguer à travers les méandres de cette nouvelle compréhension. Une alliance improbable se dessinait entre un dieu du chaos et un démon, menée par les fils invisibles du destin et des choix passés.

"Alors, démon," déclara le dieu d'une voix solennelle. "faites-moi une promesse."

"Quelle qu'elle soit, je la tiendrai."

"Ne me mentez jamais."

~ OOO ~

Les heures s'étiraient, les jours laissant leur sillage derrière eux, tandis que les semaines s'entrelaçaient en une danse silencieuse.

Jusqu'à la fin de la première année écoulée, le démon n'avait eu de cesse de retourner à la librairie. Cependant, depuis que Crowley avait manqué ce fameux rendez-vous au Ritz, la porte demeurait close. Seul un petit écriteau ornant la porte de la librairie l'avait accueilli à chacune de ses visites.

"Parti pour des vacances prolongées." Pouvait-on lire dans une calligraphie parfaite.

L'inquiétude pour Aziraphale étreignait le cœur de Crowley depuis des mois maintenant.
Et si quelque chose de terrible était arrivé à son ange ? Et si les menaces du Paradis s'étaient finalement réalisées ? Hélas, il n'avait aucun moyen de contacter le libraire. Aucun numéro de téléphone laissé derrière lui, et l'idée qu'Aziraphale puisse posséder un téléphone portable était tout simplement absurde.

Peu à peu, Crowley évita de passer devant la librairie, la douleur lancinante dans sa poitrine prenant le pas sur son désir de voir Aziraphale revenir de ses prétendues "vacances". Peut-être que l'ange avait simplement décidé de partir à la retraite plus tôt que prévu ? Après tout, il ne devait rien à Crowley, lui, ce démon qui l'avait lâchement abandonné en feignant d'aller servir Lucifer.

En outre, aucune nouvelle n'était parvenue du lieutenant infernal. Crowley avait envisagé d'être harcelé après son refus, mais au fond, c'était une affaire entre immortels. Lucifer avait tout le loisir de concocter un stratagème insidieux pour attirer Crowley dans ses filets.

Dans l'absence de son ange et loin du souverain des enfers, Crowley pouvait donc consacrer tout son temps à son nouvel ami. Son "frère de cœur", ainsi que le nommait affectueusement le dieu de la malice depuis cette fameuse promesse faite le jour de leur rencontre.

Cela avait débuté par des regards furtifs, chacun espionnant l'autre à une distance respectueuse. Puis des sourires étaient peu à peu apparus quand leurs regards curieux s'étaient finalement croisés.

Après quelques semaines de collocation, Crowley se fit un devoir de faire découvrir Londres à Loki. Cependant, il ne pouvait pas résister à l'idée d'ajouter une touche de malice à leurs escapades urbaines. Les deux complices se lancèrent ainsi dans une série de blagues rusées destinées à surprendre les Londoniens dans leur vie quotidienne.

Leur première cible fut un café branché du quartier de Soho, où ils échangèrent subrepticement les commandes des clients pour que chacun reçoive le plat ou la boisson de quelqu'un d'autre.

Ils continuèrent leur escapade en se rendant dans un magasin de vêtements de luxe, où Loki utilisa sa magie pour intervertir les étiquettes de prix. Les articles les plus chers affichaient soudain des prix ridiculement bas, tandis que les vêtements abordables semblaient avoir subi une inflation magique. Les expressions perplexes des acheteurs amusaient le duo malicieux.

Ensuite, ils se dirigèrent vers un parc animé, où Crowley manipula discrètement les horloges de certains passants pour qu'ils croient que c'était déjà l'heure de rentrer chez eux. Les regards confus et pressés des gens donnèrent aux deux complices un délectable sentiment de satisfaction.

Ils se frayèrent un chemin vers une librairie et se mirent à inverser subtilement les signes des rayons, créant une cacophonie littéraire où les thrillers étaient soudain classés en poésie et les romans d'amour en science-fiction. Les clients furent déconcertés par les découvertes improbables qu'ils firent.

À la fin de cette première journée de visite, leur dernière blague rusée les conduisit à une galerie d'art, où Loki utilisa sa magie pour donner vie aux peintures de portraits anciens. Les yeux des sujets suivaient les visiteurs d'un tableau à l'autre, provoquant des regards nerveux des passants.

Au fil des semaines qui s'écoulèrent, Crowley et Loki poursuivirent leurs escapades à travers les rues animées de Londres. Leurs farces devinrent une tradition réservée au vendredi et les Londoniens apprirent à rester dans une vigilance constante ce jour-là, en plus d'éviter d'acheter du poisson.

Il fallut attendre plus longtemps en revanche pour observer de réelles marques d'affections entre le dieu et le démon. Les serpents n'étaient pas des créatures très tactiles de nature. Des millénaires de privation et de solitude avaient cependant créé un vorace désir de contact chez nos deux compères.

Ce fut, sans surprise, Crowley qui fit le premier pas. Une nuit d'orage, il avait délicatement réveillé le dieu endormi alors que ce dernier était en proie à un cauchemar. Puis, remarquant les larmes striant les joues pâles de Loki, il l'avait bercé l'homme comme une mère le ferait avec son propre enfant. Des mots de réconfort avaient alors été chuchotés, ainsi que de vaines promesses que tout irait bien.

La réciprocité ne tarda pas à se manifester lorsque Loki prit conscience des douleurs fantômes dont était sujet le démon.

Les attentions du dieu envers Crowley s'intensifièrent graduellement. Des touches subtiles se succédèrent, puis une caresse dans les cheveux, et enfin un baiser affectueux sur la joue. Loki parvint même à persuader Crowley de nettoyer ses plumes. Le démon ignorait ce qui l'avait poussé à accepter, mais quand il vit Loki verser des larmes pour lui à la vue de ses ailes mutilées, il sut qu'il avait fait le bon choix. À partir de ce moment, une multitude de confidences et de secrets furent échangés, dévoilant des histoires capables d'embrasser plus d'un millénaire d'existence en une seule nuit.

Crowley raconta à cœur ouvert la douleur de sa chute. L'agonie brutale lorsqu'on lui avait tranché ses ailes. La perte d'Aziraphale, celui qui était destiné à l'assister dans les étoiles. Puis sa rencontre avec l'ange dans le jardin d'Éden.

À son tour, Loki révéla les tourments qui avaient marqué sa vie. Il relata les traitements cruels imposés par son père, son frère et ses soi-disant amis. Il exposa comment l'histoire de ses origines Jotun avait été distordue en un tissu de mensonges. Puis il aborda le sujet de ses enfants, et le silence qui s'ensuivit devint insoutenable pour Crowley.

"Comment Odin a-t-il osé vous priver de vos propres enfants ?" s'indigna-t-il, la fureur coulant de ses mots comme un venin prêt à être injecté.

"Mes enfants sont nés hors mariage, Crowley. Aux yeux d'Odin, ils ne méritent guère plus que le statut de bâtards. J'ignorais à l'époque que mon corps pouvait donner la vie comme celui d'une femme. Ma progéniture a été qualifiée de maudite par les Nornes, et on m'a arraché mes enfants sans possibilité de négociation " expliqua Loki d'une voix brisée.

La colère du démon s'était alors déchaînée avec une intensité dévastatrice. Les enfants étaient une ligne rouge à ne pas franchir. C'était son credo indiscutable. Peu importait que la progéniture maudite de Loki soit destinée à déclencher le Ragnarök d'après d'obscures prophéties, cela ne modifiait en rien leur innocence. Rien n'était gravé dans le marbre et il était bien placé pour le savoir. L'Antéchrist avait lui-même été destiné à engendrer l'apocalyptique, mais la catastrophe n'avait pas eu lieu tout compte fait !

Un plan machiavélique se dessina rapidement dans l'esprit du démon, une opération de sauvetage, si l'on voulait définir ses machinations dans des termes plus précis.

Tout débuta lorsque Crowley pénétra dans les écuries d'Asgard à la recherche de Sleipnir. D'un claquement de doigts, il redonna au cheval son apparence originelle, celle d'un petit garçon ayant tout l'air d'avoir trois ans. La cruauté d'Odin ne semblait pas avoir de limites. L'enfant avait des cheveux d'ébène, semblables à ceux de Loki, ainsi que de grands yeux verts. Crowley avait utilisé tous les chants angéliques qu'il connaissait pour tarir les pleurs du garçon.

Lorsqu'il était revenu à l'appartement, un Sleipnir endormi dans les bras, Loki n'avait pas eu suffisamment de mots pour exprimer sa gratitude.

"Mon petit... Mon tout petit," murmura le dieu du chaos en berçant l'enfant dans ses bras.

Crowley ne tarda pas à se lancer de nouvelles quêtes, déterminé à retrouver tous les enfants perdus de son ami. Après des semaines de recherches acharnées, il finit par découvrir Fenrir, métamorphosé en loup, le cou enchaîné à la paroi d'une grotte. L'animal tenta naturellement de mordre, mais dès qu'il retrouva sa vraie forme, Fenrir se révéla doux comme un agneau. Il devait être âgé de cinq ou six ans selon les critères humains. Comment avait-on pu emprisonner un enfant dans de telles conditions ?

Lorsqu'ils arrivèrent à l'appartement, l'enfant sombra dans un mutisme profond. Malgré les compliments et les caresses prodigués par Loki, la santé mentale de Fenrir avait été profondément affectée par sa captivité prolongée. Cependant, Crowley n'avait rien perdu de ses talents de guérisseur. Avec persévérance, patience et une oreille attentive, il réussit peu à peu à guider l'enfant-loup vers le monde extérieur, jusqu'à ce qu'un sourire retrouve sa place sur son visage poupin après des mois difficiles de thérapie.

Jormungand fut le plus compliqué des enfants à ramener à son père. La voix suave et sifflante de Crowley avait attiré le serpent géant jusqu'à ce que ce dernier sorte sa tête des eaux. Restaurer sa forme d'enfant à la créature demanda cependant des ressources et des formules magiques considérables. Le jeune Jor était semblable à un adolescent, sans doute du même âge que Adam ou Warlock. Enseigner au garçon à parler plutôt qu'à siffler fut une tâche ardue, mais Loki était un homme doué pour enseigner.

À Soho, une famille prospère s'épanouissait désormais dans un charmant appartement, égayant tout le voisinage. Loki et Crowley formaient un couple si charmant que tous les voisins étaient enchantés, même s'ils se trompaient lourdement quant à la véritable nature de leur relation. Chaque matin, à 7 heures précises, un jeune homme mince à la longue chevelure rousse flamboyante escortait ses deux jeunes enfants à l'école, un adolescent légèrement grognon les suivant, un peu en retrait. Le soir venu, un grand homme brun prenait le relais, guidant la petite tribu jusqu'au parc. Les mères soupiraient d'envie en admirant la musculature de ce papa, alors qu'il jetait de la nourriture au canard sous les rires de ses enfants. Quelle chance avait ce Monsieur Anthony J. Crowley d'être marié à un tel apollon !

Les soirées étaient réservées à Loki en cuisine, la poêle à frire restant hors de portée de Crowley. Ensuite, toute la petite famille se rassemblait pour regarder un épisode de "Ma sorcière bien-aimée" dans le grand salon. Pour chacun d'entre eux, cette vie avait un goût de paradis, un réconfort bienvenu après l'enfer qu'ils avaient tous vécu.

Comme si ce bonheur n'était pas déjà parfait, un soir, on sonna à la porte. Crowley se hâta de répondre et découvrit Warlock, son filleul, un petit sac à dos comme unique bagage sur ses épaules.

"Bonjour Nounou", salua timidement le garçon âgé de douze ans, un petit sourire éclairant son visage.


"Que venons-nous faire ici, Samael ?" demanda Raphaël en atterrissant sur un morceau de roche flottant dans l'espace, ses ailes angéliques se rabattant gracieusement dans son dos.

" Dépêche-toi avant que mère ne nous repère !" lui intima son aîné à voix basse, jetant des regards méfiants autour d'eux. "Plonge ta gemme dans cet astéroïde, et observons ce qui ce produit !"

"Tu es fou," répondit le Starmaker, l'horreur traversant ses traits angéliques à l'idée d'abandonner une part de son âme à un vulgaire morceau de roche gelé.

"Aie confiance en moi, Raph ! " le supplia Samael. "J'ai vu mère agir ainsi pour créer la Terre ! Qui sait, peut-être que tu en es toi-même capable ! Cela prouverait que nous sommes les égaux de Dieu ! Des créateurs, tout comme Elle."

"Voilà que ton ego se perd en discours une nouvelle fois, mon frère. Combien de fois devrais-je te le dire ? Le pouvoir ne m'intéresse pas !" répondit Raphaël avec une ferme conviction.

Cependant, Samael avait ce don de convaincre avec les mots et Raphael céda finalement à ses supplications. Doucement, il enterra la gemme dans la roche comme on plante une graine.

L'astéroïde semblait alors s'animer d'une vie propre, vibrant en harmonie avec le battement des autres cœurs célestes de l'univers. Les constellations scintillantes semblaient offrir leurs étoiles pour orner le manteau de cette nouvelle planète. La matière elle-même se pliait dans une danse harmonieuse, se façonnant en une sphère argentée.

Et c'est ainsi, dans l'obscurité veloutée du cosmos, qu'une planète fut façonnée par la magie et la volonté du Starmaker. Les étoiles elles-mêmes dansaient autour de ce nouveau monde, reconnaissant en lui une étoile sœur.

Raphael recula enfin, émerveillé par le résultat de son acte audacieux. La planète de glace brillait maintenant dans toute sa splendeur, suspendue dans les cieux. La gemme, autrefois relique solitaire, trônait désormais au cœur de ce monde, vibrant en harmonie avec les étoiles qui l'entouraient.

Dans cette scène grandiose, Samael tourna son regard vers lui, un sourire triomphant étirant ses lèvres. "Regarde, Raphaël, ce dont tu es capable. Voilà ta Terre à toi, et bientôt, j'aurais aussi mon propre monde à gouverner."