Pas à pas. Il avance sereinement dans un cliquetis de métal.
Un pas après l'autre. Le vent aride traversant la plaine lui apporte l'odeur un peu trop familière du sang.
Un pas devant l'autre. Il avance, sans faillir devant ces yeux glacés et cette énergie sauvage.
Les pas s'arrêtent.
Trois mètres, à la fois sans fin et affreusement courts, séparation infime et colossale ; trois mètres d'herbe séchée et de terre craquelée, trois mètres où la mort peut surgir à chaque instant.
Ils se fixent, sans un mot, sans un geste ; et il les maudit, elle pour se dresser devant lui, et l'armée d'Edolas et leur roi sans âme pour l'avoir mis sur son chemin. Car ce n'est qu'une jeune fille face à lui, à peine assez vieille pour ne plus être appelée « gamine ».
Ils se fixent, et dans leur regard ni failles ni faiblesses.
Il ne la sous-estime pas car il la sait dangereuse, mais il ne peut s'empêcher d'éprouver chagrin et nostalgie devant cette silhouette encore un brin juvénile, reflet d'une autre tant aimée.
« Jeune fille, tu ne devrais pas t'habiller de la sorte ! » Le ton est réprobateur.
Seul le vent lui répond, le vent et un léger rictus venu fendre ce visage d'une froide perfection.
Ses effets ne cachent pas grand-chose de ses attraits et il sait combien cela peut être dangereux dans ce monde d'hommes. Il se demande brièvement si cela est pure provocation ou folle inconscience, puis oublie tout. Rien d'autre ne compte que l'adversaire.
Inspirer, expirer. Il doit redevenir un guerrier, se battre, tuer.
Chuintement des épées que l'on sort des fourreaux. Rien d'autre ne compte que l'adversaire.
Ils s'élancent.
Les épées tournoyaient et fendaient l'air dans une chorégraphie étourdissante. Les deux adversaires semblaient danser au rythme des lames qui s'entrechoquaient, seul éclat défiant le silence surréaliste qui régnait sur la plaine. Les soldats des deux camps observaient, ébahis, le duel qui se déroulait sous leurs yeux ; osant à peine respirer de peur de briser le fragile équilibre qui s'était établis. Si fragile qu'une fraction de seconde suffirait à le briser.
Mais petit à petit, la balance commençait à pencher.
Elle se bat comme elle l'a toujours fait, attaquant avec rage et sans s'économiser. Elle se bat pour voir couler le sang de son adversaire, dessein macabre qui la fait vibrer. Et pourtant.
Et pourtant elle ne peut s'empêcher d'être dérouté par les yeux bleus de cet homme.
C'est quoi le problème avec ces fichus yeux ?
Alors elle attaque encore, avec une rage décuplée. Et toujours ces yeux, lacs limpides qui l'aspirent. Elle est troublée. Comment des yeux peuvent-ils refléter autant de calme devant toute sa colère et son animosité ?
Fais chier !
Elle a beau se démener comme un diable, user de toutes ses connaissances de l'épée, exploiter chaque parcelle de son corps surentraîné, il la contre toujours, de son aisance tranquille, comme s'il affrontait une nouvelle recrue. Et elle déteste ça.
Ajax, le héros du nord. Il n'a en rien usurpé son titre, c'est bien un vétéran de la dernière Grande Guerre. Cet enfoiré est en train de la vaincre et elle ne peut le supporter.
Alors sa colère prend le pas sur sa raison et elle n'est plus qu'une bête sauvage, tout en férocité et en puissance. Elle attaque, fendant l'air de sa sombre épée, tout à sa soif de sang. Mais il n'est pas un adversaire que la seule force brute peut vaincre. Elle le comprend au moment où il s'efface souplement devant son arme. Emportée par son élan, elle n'arrive pas à maintenir son équilibre, trébuche, manque de s'effondrer, et se redresse, prête à contrer l'assaut qu'elle sait arriver, le tout en à peine une seconde. Une seconde plus que suffisante pour son adversaire. D'un mouvement maîtrisé à la perfection, il fauche les jambes de la jeune guerrière. Ses jambières lui évitent la morsure de l'acier mais la force du coup l'envoi s'aplatir sur le sol. Le temps qu'elle retrouve ses esprits et il est déjà à ses côtés, la surplombant de sa haute stature, l'épée levée.
Alors c'est finalement mon tour ?
L'épée s'abat, tel un jugement divin. La jeune femme étendue sur le sol la voit tomber, comme au ralentie. Aussi met-elle un moment avant de réaliser que l'épée s'est figée à dix centimètres de sa peau.
Leurs regards se croisent, et dans les yeux bleus, le calme inébranlable s'est transformé en tristesse.
Son corps réagit de lui-même, forgé et conditionné par des années d'entrainement. Simple spectatrice, elle voit sans pouvoir rien faire son épée s'enfoncer dans le torse de l'homme qui vient de l'épargner. Un petit sourire flottant sur les lèvres, il s'effondre, incapable de rester debout plus longtemps.
La jeune guerrière se relève, lentement, encore abasourdie, puis s'approche de l'homme qui respire de plus en plus difficilement. Dans son regard, la colère a fait place à l'hésitation et au doute.
« Comment t'appelles-tu jeune fille ? » La voix est faible, sifflante ; il n'en a plus pour très longtemps.
« Erza. Erza Knightwalker »
Il hoche la tête, toujours souriant.
« Tu es forte jeune fille, j'espère que tu trouveras un jour la paix. »
Erza n'arrive pas à prononcer un mot.
L'étincelle de vie dans ses yeux s'éteints alors que l'homme rend son dernier souffle. Des hurlements s'élèvent de l'armée d'Edolas son nom est bientôt scandé par tous. Ils ont gagné la guerre. Respectant les traditions ancestrales du combat, le camp adverse avait proposé un duel entre champions afin d'éviter un bain de sang entre les deux armées. Le vainqueur de ce duel remportait la guerre qui avait pour objet le col d'Etraz, un des principaux passages de la route commercial reliant le nord du continent au sud. L'armée d'Edolas repartait victorieuse mais Erza avait tout sauf l'impression d'avoir gagné.
« Commandant Erza ! »
La rouge cligne des yeux avant de fixer son interlocuteur. Son lieutenant Kagura la fixait avec un sourcil légèrement levé.
« Pardon lieutenant, je remonterai votre demande au roi quant au financement du nouveau matériel. Vous pouvez disposer. »
Son lieutenant exquisa un rictus satisfait et tourne les talons, non sans avoir salué sa supérieure comme l'exigeait le protocole militaire.
La rousse soupira et fit craquer sa nuque dans l'espoir vain d'apaiser la tension qui étreignait son corps à la suite de sa rêverie consciente. Elle se souvenait de la sensation étouffante de regret qui l'avait assailli après avoir tué l'homme qui l'avait épargné. Elle se souvenait de froide sensation de trahison qu'elle avait éprouvé à l'égard de son propre corps qui n'avait pas réagi selon sa volonté. Enfin, elle se souvenait de la rage et de la colère qu'elle avait ressenti envers elle-même de n'avoir su dompter ses propres réflexes et d'avoir assassiner le valeureux guerrier. Il aurait dû pouvoir mourir lors d'un duel équitable et non après que son adversaire ait profité de sa magnanimité.
La jeune commandante saisit sa lance, symbole de sa cruauté lors de la chasse des fées. Une partie d'elle-même s'y raccrochait toujours, à cette lance qui incarnait son obéissance aveugle aux ordres du roi Faust. En se soumettant ainsi à l'ancien roi, elle avait choisi de ne plus se poser de question, de ne plus essayer de discerner le bien du mal. Elle avait choisi d'être un pion. Et de ne pas voir tout le mal qu'elle avait causé.
Mais après tous les changements qu'avait connu le royaume, après le couronnement du nouveau roi et la fin de la magie en Edolas, Erza avait bien été obligé de constater l'étendue de la cruauté dont l'ancien régime avait fait preuve. Elle la première. Et le regard mauvais que les membres de Fairy tail lui lançait les rares fois ou elle les croisait dans le palais ne l'aidait pas à oublier ses crimes passés.
Parfois, dans les longues nuits où les remords la happaient et où le sommeil lui échappait, une envie presque irrépressible de s'excuser auprès des membres de la guilde la saisissait. Elle avait maintes fois réfléchit aux phrases qu'elle souhaiterait prononcer, les avais modifiées, retravaillées, jusqu'à les connaître par cœur.
Quelques semaines plus tôt, la rousse était tombée nez à nez avec Lucy et Natsu en sortant du bureau du roi. Et elle avait failli prononcer tous ces mots qui lui brulaient le cœur. Mais elle n'avait rien dit, et les avais contournés sans un mot.
A quoi bon ? Ce n'était pas comme si les horreurs qu'elle avait commises et la culpabilité allaient disparaitre. Et les membres de Fairy Tail ne la pardonneraient jamais, quand bien même elle leur offrait sa vie en échange.
Erza rassembla ses affaires et se prépara à rejoindre le roi dans son bureau pour discuter d'une augmentation du budget alloué au matériel militaire, comme promis à sa seconde. Elle poussa un soupir en pensant à la confrontation presque inévitable qui allait avoir lieu. La jeune commandante n'appréciait pas le roi, ce qui n'était un secret pour personne dans la capitale. Elle le considérait comme un arriviste, qui avait profité de l'arrivée du Fairy Tail d'Earthland pour prendre le pouvoir. Bien qu'elle se rende maintenant compte de la nécessité changer les choses à Edolas, elle ne pouvait s'empêcher de lui en vouloir pour s'être enfuit et cacher bien au chaud toutes ces années. Même son combat contre le démon Dragneel qui lui avait fait gagner la faveur du peuple était truqué. Et si Erza était coupable d'avoir obéit aux ordres de Faust sans fléchir, elle considérait Jellal tout aussi coupable d'avoir fuit et de ne pas s'être battu contre la tyrannie de son père qui avait affecté tous les habitants en dehors de la capitale.
Quand la jeune femme arriva dans le couloir menant au bureau royal, elle croisa un homme blond qui sortait visiblement d'un entretien avec le roi. Il la salua d'un sourire qu'elle ne lui retourna pas, elle venait de reconnaitre Jason, le reporter du Edolas Newspaper. La guerrière serra les dents, elle n'appréciait pas particulièrement les « fouilles-merde », selon ses propres termes.
En arrivant devant la porte, elle inspira longuement avant de frapper sèchement à la porte et d'entrer sans attendre une réponse.
« Je dois vous parler du budget pour la garde royale ! »
Jellal qui était debout devant la fenêtre, ne se retourna même pas.
« Je vous propose qu'on en discute lors notre réunion de demain, avec l'ensemble des ministres »
« Je ne tiens pas vraiment à rester 3 heures coincer avec ces incompétents ! » rétorqua la rousse.
« Alors mettez-moi vos demandes par écrit pour que je puisse aborder le sujet avec eux » répondit le jeune roi d'un ton égal en pivotant pour la fixer dans les yeux.
« Vous avez besoin de les consulter aussi pour aller aux toilettes ou vous êtes capable de prendre des décisions comme un adulte ? » le ton est mordant, Erza sait très bien que les priorités de ces abrutis endimanchés de ministres sont bien loin des siennes. Et elle n'aime pas que ses demandes soient répudiées.
Une veine se dessine sur la tempe du souverain, qui parvint cependant à répondre d'un ton calme mais sec.
« C'est-ce qu'on appelle une monarchie constitutionnelle commandante. Cela évite certaines dérives… que ce royaume n'a déjà que trop subies. »
Erza se fige, comprenant parfaitement ou Jellal voulait en venir. Une vague de haine la submerge et elle lutte de toute ses forces pour garder le contrôle de ses actes. Puis elle tourne les talons et quitte le bureau en claquant la porte sans avoir adressé un regard à son roi.
