Ils débarquèrent le lendemain, peu après midi, et se mirent immédiatement en route pour le village de Kumo. Le village caché des nuages portait bien son nom. Il se situait au sommet d'une chaîne de montagnes, entouré de nuages, soumis au vent et aux orages une grande partie de l'année, ce qui rendait le chemin d'accès difficilement praticable.

Ils avaient de la chance, aujourd'hui, le soleil accompagnait leurs pas et il n'y avait que peu de nuages dans le ciel. Ils ne devaient lutter que contre les rafales de vent qui sifflaient entre les pics rocheux et fouettaient leurs visages avec force. Ultia avait, depuis longtemps, attaché ses cheveux en une queue de cheval basse pour éviter que des mèches volantes ne viennent se perdre devant ses yeux. La plupart des kunoichis de ce pays adopter une coiffure similaire, pas pour une question de style, mais par praticité. Elle pesta intérieurement, le mauvais temps ne lui avait pas manqué.

Ils étaient presque arrivés à destination lorsque, au milieu d'une pente raide et escarpée, ils furent accueillis par une escouade de cinq ninjas. Takumi fronça les sourcils à la vue de leurs bandeaux et de leurs uniformes, avant de jeter un regard interrogateur dans sa direction. Elle lui intima de ne pas bouger et s'avança, méfiante. Elle se plaça devant ses deux acolytes et, du bout des doigts, caressa discrètement le manche de l'un de ses sabres.

« Nous avons pour ordre de vous escorter jusqu'au village de Kumo, expliqua l'un d'entre eux.

_ Ce n'était pas nécessaire, nous connaissons le chemin, argua-t-elle.

_ On est jamais trop prudent. On ne voudrait pas que vous vous perdiez. » fit une voix familière.

Elle tourna brusquement la tête vers la droite et plissa les yeux. Darui se tenait en retrait des autres ninjas, les mains plongées dans les poches de son pantalon en toile. Une lueur espiègle brilla dans le fond de ses iris et un faible rictus vint courber le coin de ses lèvres.

« Darui … »

Il n'avait pas changé. À cette pensée, elle ne put s'empêcher d'esquisser un sourire. Elle se fraya un chemin jusqu'à lui et le salua avec une franche accolade. Il lui avait manqué, plus qu'elle ne voulait l'admettre.

« Contente de te revoir Ul, ça fait longtemps.

_ Ne m'appelle pas comme ça. » grogna-t-elle en se reculant.

Il esquissa un sourire en coin. Elle détestait ce surnom, il le savait.

« En route. » dit-il finalement à l'attention de ses hommes.

Darui ouvrit la marche, marchant en tête du groupe, la jeune femme à ses côtés.

« Alors, comment est-ce que ça se passe au village ? » demanda-t-elle au bout d'un moment.

Il grimaça tout en lui jetant un regard en coin. Elle se retint de lever les yeux au ciel devant son air penaud. Évidemment, il ne pouvait rien lui dire maintenant qu'elle ne faisait officiellement plus partie du village.

« Laisse tomber, c'était juste pour faire la conversation. Tu n'es pas obligé de répondre.

_ Et toi, comment est-ce que ça se passe à Konoha ? Tu t'y plais ?

_ Tu penses vraiment que je vais répondre à ta question alors que tu refuses de répondre à la mienne ? le taquina-t-elle. Tu as oublié à qui tu avais affaire. »

Elle continua avant qu'il n'ait eu le temps de répliquer quoi que ce soit.

_ Ça allait plutôt bien. Jusqu'à présent. »

Darui hocha la tête, comprenant parfaitement le sous-entendu qui se cachait derrière son ton acide.

« Comment va Samui ? demanda-t-elle ensuite, comme si de rien n'était.

_ Elle va bien. Elle sera ravie de te voir, soit en sûre.

_ Je n'en doute pas, elle repoussa sa queue de cheval derrière son épaule. Je suis moi-même impatiente de la revoir. Je dirais même que je trépigne d'impatience.

_ Je te crois oui. Évite de lui sauter à la gorge dès que tu la verras.

_ Si elle se tient tranquille, ça devrait aller. »

Elle échangea une œillade complice avec lui. Il avait assisté à tellement de prises de bec entre les deux jeunes femmes par le passé qu'il ne pouvait même plus les compter. Aucune des deux ne pouvait se tenir tranquille plus de cinq minutes en présence de l'autre. Il soupira, grommelant quelques mots dans sa barbe inexistante. Ultia en profita pour l'observer plus attentivement. Il n'avait décidément pas changé. Et dans certains de ses gestes, elle revoyait l'adolescent nonchalant avec lequel elle avait été contrainte de faire équipe. Avec lequel elle avait grandi et qu'elle avait appris à connaître et à apprécier. Elle se racla doucement la gorge, attirant son attention sur elle.

« Comment ça va se passer ? Pour la suite ?

_ L'audience diplomatique aura lieu demain matin. Le Raikage, les membres du conseil et tous les chefs de clan y participeront. Tu as droit à tout le petit gratin de Kumo.

_ Quel honneur, souffla-t-elle entre ses dents, sarcastique.

_ Le reste dépendra de ce qui se passera demain. »

Elle acquiesça silencieusement, puis se concentra sur le sol rocheux et irrégulier sous ses pieds. Un poids invisible compressa sa poitrine. Elle redoutait cette future entrevue, mais plus que tout, elle redoutait ce qui allait en découler. Quoi qu'il puisse arriver, ce serait de sa faute. Elle en porterait la responsabilité et en subirait les conséquences.


Le groupe de ninja se fraya un chemin entre les éboulements de pierre, avant de s'engouffrer dans une grotte. Ils ne voyaient pas à plus de deux mètres devant eux et les parois étaient si étroites qu'ils furent obligés de marcher en file indienne. Quand ils rejoignirent enfin la sortie, après vingt minutes de marche dans une obscurité quasi-totale, ils se trouvaient sur le point le plus haut du sentier. Ils marquèrent un temps d'arrêt pour s'habituer de nouveau à la luminosité. Le village de Kumo se dressait fièrement devant eux, sur le sommet d'une montagne, juste au-dessus des nuages. La gorge de la jeune femme se resserra un peu plus et elle déglutit avec difficulté.

Darui et ses hommes les guidèrent ensuite à travers le labyrinthe des rues jusqu'aux portes du palais du Raikage, même si ce n'était pas nécessaire. Takumi et elle n'avaient pas besoin d'escorte. Ils auraient pu retrouver leur chemin les yeux fermés. Ils connaissaient le village comme leur poche et rien ne semblait avoir changé ici non plus. Les choses étaient restées identiques, figées, comme dans leurs souvenirs. Ils remontèrent l'avenue principale, et les commerçants, ainsi que certains shinobis chuchotèrent sur leur passage. Ils leur lançaient des regards curieux et pour certains - ceux qui les avaient reconnus - teintés de rancune. Ultia les ignora, et se paya même le luxe de dégager les mèches de cheveux qui tombaient sur son front et masquaient le symbole qui ornait son bandeau.

Le groupe se scinda en deux dans le hall du bâtiment et ils suivirent le jônin vers les appartements mis à leur disposition. Ils tournèrent à droite au coin d'un couloir lorsque Darui se stoppa brusquement. En face, un groupe de trois individus marchait dans leur direction. Ultia ne mit pas longtemps à reconnaître la figure de proue qui guidait l'escouade et comprit aussitôt pourquoi son ancien camarade s'était immobilisé au milieu du corridor. Samui, suivit de deux adolescents, arrivait droit sur eux. Elle haussa les sourcils, avant de les froncer en une fine ligne orageuse quand elle posa son regard perçant derrière l'épaule de Darui. Ultia aurait juré voir les contours de sa mâchoire se serrer.

« Samui. » fut tout ce qu'elle trouva à dire.

La concernée ne répondit rien dans un premier temps, se contentant de la toiser froidement.

« Tu as l'air en forme Ultia, elle la regarda plusieurs fois de la tête aux pieds. Je te dirais bien que ça me fait plaisir de te voir, mais on sait toutes les deux que je mentirais.

_ Et on sait toutes les deux que tu n'as jamais été doué pour les mensonges.

_ Non, ça c'était plutôt ton domaine.

_ Tu es toujours la même. Tu n'as pas changé.

_ Toi non plus, si j'en crois ce qu'on m'a raconté. »

Ultia haussa un sourcil, ne comprenant pas de quoi elle voulait parler.

« Si tu as quelque chose à dire, dit-le. Ça nous fera gagner du temps à toutes les deux.

_ Il y a un certain nombre de choses que je voudrais dire, mais on va aller à l'essentiel, elle croisa les bras contre sa poitrine. Tu ne cesses de revendiquer haut et fort que tu ne fais plus partie de ce village, alors souviens-toi en et tâche de rester à ta place. Et à l'avenir, évite d'utiliser les ressources que Kumo a mis des années à acquérir.

_ De quelles ressources tu parles exactement ?

_ De notre réseau d'informateurs. »

La jeune femme retint de justesse un ricanement moqueur.

« Ah je vois … Tu veux parler de Nobuo, n'est-ce-pas ? demanda-t-elle froidement. Je ne pensais pas qu'il aurait le culot d'aller se plaindre. Il devrait s'estimer heureux, je ne lui ai laissé que quelques cicatrices. Il a failli nous faire tuer, mon binôme et moi, lors de notre mission au Pays du Gel - mission qui, au passage, nous a été confiée par Kumo parce que vous étiez débordé - mais passons. Il aurait mérité que je lui arrache la langue et les deux yeux. Je lui ai juste donné une petite leçon : on ne peut pas jouer sur les deux tableaux et gagner à tous les coups.

_ Ce n'est pas ce que tu es en train de faire ? »

Elle fit un pas en avant, mais Darui se plaça sur son chemin, faisant barrage entre les deux kunoichis. Leurs yeux lançaient des éclairs. Elles se jaugèrent quelques secondes avec une animosité à peine voilée. La tension entre elles monta d'un cran.

« Ça suffit toutes les deux, ne commençaient pas … soupira-t-il d'un air las.

_ C'est rassurant de voir que certaines choses ne changent pas. »

Un ninja aux cheveux blonds coupés courts fit à son tour irruption dans le couloir. Les iris sombres d'Ultia s'illuminèrent lorsqu'elle le reconnut, et les traits de son visage se radoucirent un petit peu.

« Shî ? Quelle bonne surprise …

_ Salut Ultia, ça fait longtemps, il marqua une pause. Et c'est ''C'' maintenant.

_ ''C'' ? elle se tourna vers Darui, moqueuse. Et toi tu es quoi ? ''D'' ?

_ Dans tes rêves … Jamais je n'utiliserais un surnom aussi ridicule.

_ En fait oui, mais Darui se croit trop bon pour utiliser son code-name. »

Samui les fusilla tous les trois du regard, excédée, puis, d'un mouvement autoritaire du menton, ordonna à ses deux acolytes de la suivre. Elle disparu à l'angle du corridor dans un froissement de tissu, les deux adolescents au teint matte sur ses talons. Takumi en profita alors pour se rapprocher et lui glisser quelques mots à l'oreille.

« Qu'est-ce que tu as fait pour qu'elle soit autant en colère ?

_ Le simple fait que je respire le même air qu'elle énerve Samui, répondit-elle platement.

_ Je voulais parler de Nobuo, précisa-t-il. Qu'est-ce que tu lui as fait à lui ?

_ Rien de méchant. Juste une simple visite de courtoisie. »

Malgré elle, elle sourit distraitement en repensant à leur dernière rencontre. C'était quelques jours après leur affrontement contre les ninjas du village de la pluie. Kakashi se remettait doucement de ses blessures. Il était toujours inconscient et, une nuit, elle en avait profité pour filer en douce. Elle avait eu le temps d'examiner la situation sous tous les angles, de tourner et de retourner les derniers évènements dans sa tête, et elle en était rapidement arrivée à la conclusion qu'une personne avait renseigné leur ennemi. Quelqu'un les avait trahis et il ne fallait pas être devin pour deviner qui.

Sans un bruit, elle s'était glissée par la fenêtre dans la pièce qui servait de bureau, juste au-dessus des bâtiments de stockage qui longeaient les quais. Elle avait, ensuite, patiemment attendu que le contrebandier daigne montrer le bout de son nez. Elle n'était pas patiente, elle détestait attendre, mais elle avait pris sur elle. Nobuo avait fini par se montrer. Il avait allumé une bougie avant de se laisser tomber mollement dans son fauteuil pour lire les quelques feuilles de papier qui traînaient sur son bureau, ignorant tout du danger qui rôdait dans son dos.


« Bonsoir Nobuo. »

Le susnommé eu un mouvement de recul. Il sursauta, froissant au passage les feuilles qu'il tenait dans les mains, puis se leva brusquement. Le fauteuil sur lequel il était assis quelques instants plus tôt manqua de basculer par terre, mais il n'y prêta pas attention, et se retourna pour lui faire face.

« Ultia ! Tu m'as fait peur … Qu'est-ce que tu fais ici ?

_ Tu sembles surpris de me voir. Qu'est-ce qu'il y ? Tu ne t'attendais pas à me revoir de sitôt ?

_ Non, non, je … Pourquoi est-ce que tu penses ça ? demanda-t-il en butant sur ses mots.

_ Je ne sais pas … »

Elle le contourna et fit le tour du bureau, tel un félin acculant sa proie dans un coin. Elle fit distraitement glisser son doigt contre la surface lisse du meuble, le tout, sous le regard nerveux de son interlocuteur.

« Peut-être parce que, à peine j'avais le dos tourné, tu t'es empressé de nous planter un couteau dans le dos et d'aller nous balancer aux ninjas d'Ame ?

_ Ça ne s'est pas passé comme ça. »

Elle leva les yeux vers lui et esquissa un faible rictus. Il avait au moins le mérite de ne pas mentir.

« Ne me fais pas croire qu'ils t'ont menacé, je sais qu'ils n'en ont pas eu besoin. lança-t-elle sèchement. Combien ils t'ont payé pour que tu nous trahisses ? À moins que, tu ne leur aies rien demandé en échange, comme pour moi ? »

Ultia ne lui laissa pas le temps de répondre et enchaîna :

« Quoi qu'il en soit, je suis venue rembourser ma dette. Je n'aime pas être redevable. »

Une lueur brilla dans le fond de ses iris clairs. Elle remarqua également les frissons qui parcoururent chacun des muscles du contrebandier. Il était tendu comme un arc, prêt à prendre la fuite. Il fit un pas sur le côté, et jeta plusieurs coups d'œil en direction de la fenêtre ou de la porte derrière elle. Elle bougea rapidement, si vite qu'il n'eut pas le temps de voir venir le coup. Elle planta un kunaï - celui à la double lame qui avait appartenu à ses assaillants - dans la main de Nobuo, la clouant sur le bois du bureau. Il cria de douleur, et plus il hurlait, plus elle prenait un malin plaisir à enfoncer davantage son arme dans sa chair. Elle la fit tournoyer, élargissant sa blessure, avant de la retirer d'un coup sec.

Nobuo chancela, fit un pas en arrière, et trébucha par terre. Il rapprocha sa main de son buste, la comprimant contre lui. La jeune femme se baissa alors, se mettant juste à sa hauteur et le menaça, la lame ensanglantée de son kunaï pointée sur sa gorge. Des gouttes de sang chaud tombaient en rythme sur le plancher, plongeant la pièce dans une ambiance lugubre.

« Tu sais ce qu'on dit : œil pour œil, dent pour dent. »

Son souffle se coinça dans sa gorge. Il déglutit bruyamment et bégaya :

« Ul-Ultia attend … S'il te plaît attend … Tu ne comprends pas. Je ne pensais pas qu'ils … On doit pouvoir trouver un arrangement.

_ Que ça te serve de leçon. La prochaine, je ne serais pas aussi clémente. La prochaine fois, elle insista sur ce mot tout en appuyant un peu plus fort sa lame contre la peau de son cou. Je te viderais comme un porc sans une once de remords. »

La jeune femme ponctua sa phrase par une balafre, lui offrant une jolie entaille juste en dessous de son œil gauche. Il tressaillit et referma violemment les yeux, se recroquevillant sur lui-même dans son coin.

« La prochaine fois, je prendrai mon temps avec toi. Je t'arracherais les yeux et je commencerais par celui-ci. Je le sortirais de son orbite par-là, elle pointa du doigt sa blessure. Et tu auras beau me supplier, je ne m'arrêterai pas. Ou alors, uniquement pour te couper la langue. »

Elle se redressa et jeta le kunaï ensanglantée par terre, à ses pieds.

« Je t'en fais cadeau. Pour que tu n'oublies pas. Il a appartenu à tes petits copains et, si tu veux tout savoir, ça ne leur a pas été très utile. Tâche d'en faire un meilleur usage qu'eux. »

Il la regarda avec effroi. Il ignorait que ce n'était pas vraiment elle qui était responsable de la mort des renégats du village de la pluie, mais il n'avait pas besoin de connaître la vérité. Elle tourna les talons et se dirigea vers la porte. Elle ouvrit le battant, mais marqua un temps d'arrêt au dernier moment. Elle lui jeta un regard par-dessus son épaule, il n'avait pas bougé.

« Si j'entends parler de toi, je te jure que je reviens m'occuper personnellement de ton cas. Et pas la peine d'aller plaider ta cause auprès de Kumo, je ne me gênerais pas pour les mettre au courant de tes agissements. Mais sache que tu as quand même de la chance dans ton malheur. »

Il releva les yeux vers elle. Quelle chance y avait-il à être recroquevillé comme un rat dans son trou ? À devoir compresser sa blessure pour ne pas se vider de son sang ? A devoir tout abandonner pour fuir son gourou et celui des ninjas du village cachés des nuages ?

« Mon binôme est en vie. Si ça n'avait pas été le cas, tu ne serais déjà plus de ce monde. »

Sur ces mots, elle disparut dans la nuit, sans même prendre la peine de refermer la porte derrière elle.


[NOTE DE L'AUTEUR]

Voici le premier chapitre sur Kumo. Il y en aura cinq au total et les suivants débuteront tous par un flash-back ...