A la réflexion, Shiva dut avouer que toutes les réactions – plutôt négatives, ne nous voilons pas la face – qu'elle dut subir suite à l'annonce de sa situation la vexèrent profondément. Elle croisa même les bras et fusilla Eïre du regard, alors qu'il était bien sans doute le seul à ne pas trouver ça surprenant !

- Mais comment est-ce seulement possible ! répéta Diamante pour la troisième fois.

Shiva abattit son poing sur la table, brisant le bois sous l'impact.

- Mais je vous emmerde tous, à la fin !

- Et pourquoi tu ne nous as pas prévenu, jeune péronnelle ! renchérit Jora, la main sur le cœur.

- Je ne viens pas de me marier, je suis… Non mais en fait non, je vous emmerde juste tous.

Elle se leva pour aller hurler sa rage au bastingage, sous le regard amusé de l'homme aux cheveux violets. Il perdit très vite toute envie de rire lorsqu'Ondine prit sa place, mains jointes et un large sourire aux lèvres.

- Monsieur le Tyran ! Vous ne nous avez pas du tout manqué ! Non ! Inutile d'essayer de vous souvenir de moi, je sais qu'Alzheimer frappe à tout âge.

Etrangement, il eut l'air vexé, ce qui en soi était une victoire. La jeune femme ne lui laissa pas le temps d'en placer une, lui désignant du pouce son navire à leur bâbord.

- C'est à vous, ça, non ? Faudrait peut-être penser à pas le laisser filer.

Eïre et son homme de main tournèrent la tête d'un même mouvement et réalisèrent, en même temps que l'équipage Donquijote, que le navire… semblait dériver peu à peu. Pas si doucement que ça, d'ailleurs, puisqu'il fut d'un coup pris dans un courant marin qui l'éloigna brusquement de sa cible. La passerelle qui reliait les deux bâtiments n'y survécut pas et s'écrasa dans les flots rugissants.

- Mais qu'est-ce que ?! s'exclama d'ailleurs Atekso en se levant d'un bond.

- De ce que j'ai pu observer, quelqu'un a à la fois saboté votre gouvernail et l'ancre ! Sans doute une de ces fameuses fées dont on parle beaucoup sur Dressrosa ! Je vous conseille de vous dépêcher, d'ailleurs, parce que le capitaine de ce navire vous trouve visiblement très beau et ça ne sent pas bon pour vous. Ou alors vous êtes intéressé, mais décidez-vous vite !

Doflamingo n'eut même pas le temps de confirmer les dires d'Ondine que les deux hommes montèrent sur le bastingage, déployant tous les deux une paire d'ailes d'un noir d'encre. Pourtant, malgré l'urgence de la situation, Eïre eut encore l'audace de se tourner vers Shiva qui était non loin de lui, et de lui tendre la main.

- Rejoins-moi. Sois mienne, en cet instant.

Tout le monde sur le navire retint son souffle, passionné par ce nouveau rebondissement dans leur feuilleton favori. On en vit même certains se gaver de pop-corn, de drôles de lunettes de couleur sur le nez.

Shiva adressa à l'homme deux doigts d'honneur plein d'amour, furieuse.

- Va te faire foutre par une grande perche blonde. Ça te fera vivre de nouvelles expériences, ça aussi.

Il éclata de rire – et il fallait avouer que ce n'était pas rassurant d'assister à ça, car cela ne laissait pas présager du meilleur.

- Je reviendrai te chercher, sur cette terre où tu ne seras pas entourée de ces pirates de pacotille. Et je te ferai comprendre à quel point il est dangereux de s'opposer à moi.

- DEGAGE, J'AI DIT !

Il s'envola à temps pour éviter un coup de sabre, et laissa échapper une injure même en esquivant de justesse une « bullet string » qui visait son front. Visiblement, Doflamingo n'appréciait pas qu'on l'insulte de la sorte sur son propre navire.


- Mais puisque Jora te dit qu'elle s'excuse !

Baby 5 frappait à la porte de la cabine des filles depuis cinq bonnes minutes, visiblement très motivée à discuter avec Shiva qui s'y était enfermée.

- Menteuse, je l'ai entendu se traiter de miss Monde !

- Oui bon, peut-être qu'elle ne s'excuse pas, alors. Mais ouvre-moi ! Dis-moi comment on fait pour se marier !

La porte s'ouvrit sur Shiva qui observait la jeune pirate enthousiaste, yeux plissés.

- Tu te moques de moi ?

- Non ! Moi aussi je veux me marier, mais je n'arrive pas à garder mes fiancés ! Donne-moi ton secret !

Bon, elle semblait étrangement sincère. Et surexcitée, aussi. Elle soupira et l'invita à entrer.

- Tu peux me dire pourquoi tu n'arrives pas à garder tes fiancés, déjà, pour commencer ?

- Parce que le jeune Maître les tue tous !

Shiva leva les yeux au ciel, exaspérée. Comment avait-elle pu espérer UNE SEULE SECONDE avoir une conversation normale avec une personne normale alors qu'elle était bloquée avec tous ces abrutis de la Donquijote Family !

Plus haut, sur le pont, les hommes s'occupaient à tout remettre en ordre – retirer la scène, les spots, les chaises, les paillettes et les roses de papier – alors que Diamante félicitait à contre-cœur Ondine pour sa performance.

- Donc quand personne ne faisait attention, vous avez plongé et saboté leur navire. C'était… bien joué.

- Qu'est-ce que j'en ai à faire, de vos compliments. Vous pouvez vous les garder, grommela la jeune femme aux cheveux bleus, avant de marmonner un « incapable » que Diamante ne pouvait que soupçonner d'avoir entendu !

Elle s'éloigna de lui en tirant son amie Kyosa par le bras, avant qu'elles ne se fassent stopper à dix pas de là par Pica, droit comme un i.

- Donc quand personne ne faisait attention, vous avez plongé et saboté leur navire. C'était bien joué.

- Merci, mon bon monsieur !

- MAIS ?!

Diamante se précipita furieusement vers le trio, attrapant la navigatrice par l'épaule pour la forcer à le regarder.

- Je peux savoir pourquoi lui, il a le droit à un merci, alors qu'on vient exactement de dire la même chose ?!

- Ce n'était pas absolument la même chose ! contrattaqua la jeune femme en se dégageant d'un mouvement brusque.

- Vous vous foutez de qui ?! C'était mot pour mot la même phrase ?!

Elle le toisa sévèrement en croisant les bras.

- Mais vous me traitez d'abrutie, en plus ? Vous êtes vraiment un goujat !

La dispute aurait pu durer longtemps encore, si tout à coup Doflamingo n'aboya pas l'ordre à ses généraux de le rejoindre dans sa cabine sans attendre. Kyosa et Ondine les regardèrent donc s'éloigner avec satisfaction, la première se penchant pour murmurer un commentaire peu flatteur sur les pirates qui fit ricaner la seconde. Les grandes vainqueurs de la journée, c'était bien les filles.


Doflamingo fulminait dans sa cabine en faisant les cent pas, devant ses généraux qui n'en menaient pas large, et qui n'arrivaient pas non plus à deviner ce qui agaçait le plus leur roi. Il finit par se placer devant eux et pointa d'abord Diamante du doigt.

- Tu contactes Trebol et tu lui demandes de faire toutes les recherches possibles sur cet Eïre. Je veux tout savoir de lui et de son soi-disant pays. Je veux savoir ce qu'il bouffe le matin, ses activités favorites et même le nom de son premier animal de compagnie, est-ce clair !

- Oui Doffy ! s'exclama le général de Carreau en se mettant au garde-à-vous.

Il n'osa pas lui demander pourquoi, mais espérait fortement que ce n'était pas parce que le tyran aux cheveux violets lui avait tapé dans l'œil ! Il ne pouvait pas se permettre d'avoir dans son entourage un homme que Kyosa méprisait plus que tout, comment allait-il faire pour la convaincre de devenir sa femme sinon !

- Pica, quand on sera à Sabaody, renseigne-toi sur ce pouvoir de Soumission. Je veux savoir comment il fonctionne et la durée de ses effets.

- A tes ordres, Doffy.

Enfin il se laissa aller dans son fauteuil, se passant nerveusement une main sur le visage. La colère qu'il ressentait en ce moment ne faisait aucun signe de s'apaiser, et bien qu'il soit habitué à ce genre d'humeur, il n'aimait pas quand il n'arrivait pas à en comprendre la cause.

- D'ailleurs, vous deux, ça vous fait quoi de voir la danse de cette femme ?

Les deux généraux s'échangèrent un regard avant d'hausser les épaules et que Diamante ne prenne en premier la parole pour répondre.

- Et bien c'est assez joli et original, mais ça n'égale pas le flamenco de Violette, si tu veux mon avis.

- On sent bien que quand ça s'arrête, on retrouve un esprit plus clair, confirma Pica. A moins qu'elle déploie toute sa puissance, je pense que ça n'a pas un vrai impact sur nous. Juste sur les sbires. Et Jora.

Doflamingo serra les dents de rage. Pourquoi ses hommes ne ressentaient pas ce que lui ressentait, quand il voyait Shiva danser ? Pourquoi était-il le seul à vouloir l'emprisonner à l'abri des regards et à la torturer avec sadisme pour qu'elle n'ait plus que lui en tête, pour toujours ?

Diamante sembla deviner ses interrogations et laissa échapper un soupir, visiblement ennuyé de ce qu'il allait dire.

- Doffy, je pense pas que cette fille t'ait hypnotisé, tu sais. Elle te plait, c'est tout.

- Elle ? Enfin Diamante, je t'en prie, rétorqua le démon céleste avec dédain. J'ai les plus belles femmes du royaume à mes pieds d'un claquement de doigt.

- Et tu es le premier à savoir que la beauté ne fait pas tout, fit le général en fronçant les sourcils. Peut-être que tu la détestes, peut-être qu'elle te plait, peut-être que tu adores la détester parce qu'elle est comme elle est. Mais ça ne te fait pas du bien, de vouloir accuser son pouvoir à elle de ce que tu ressens. Tu as relâché deux fois ton fluide royal rien qu'aujourd'hui.

Heureusement qu'il savait que Doflamingo le tenait suffisamment en estime pour avoir le droit de lui tenir ce genre de discours. N'importe qui d'autre aurait eu le droit à une décapitation en règle à ce stade de la conversation. Mais au contraire, ses mots avaient eu un impact suffisant pour que son souverain se calme et prenne le temps d'y réfléchir.

- Alors… elle me plairait ?

Diamante hocha la tête avec un sourire.

- Écoute, t'as jamais eu l'occasion de vivre ça chez les Dragons Célestes ni avec nous. Mais c'est comme quand t'es gamin et que t'as la fille qui te plait qui te passe devant : tu as juste envie de lui tirer les cheveux et de la chatouiller pour qu'elle t'engueule !

Pica sembla juger fortement son collègue du regard, mais ce dernier ne s'en formalisa pas une seule seconde. Il était perdu dans son monde imaginaire où Kyosa, folle de rage, l'avait projeté au sol et avait ensuite posé un pied sur son torse pour le garder à terre et le juger sévèrement du regard. Son masochisme ne connaîtrait désormais plus aucune limite !


Sae manqua de sursauter lorsque Trebol fit soudainement irruption dans l'infirmerie, sans même prendre la peine de frapper à la porte ! Elle dégaina sans attendre son parapluie fermé et le tendit à bout de bras pour bloquer la course de l'homme, qui, sinon, allait finir bien trop près d'elle.

- Arrière, suppôt de microbes et bactéries en tout genre !

L'homme-mucus éclata de rire, la forçant à ouvrir le parapluie en catastrophe. Quand enfin il se fut calmé, il reprit un visage grave, et elle craignit un instant que sa petite expédition ait été découverte.

- Je viens de recevoir un appel de Diamante, qui me dit que ton amie Shiva est mariée !

Sae le regarda sans comprendre, tout en jetant le parapluie souillé dans une poubelle métallique avant d'y mettre le feu.

- Et alors ? Moi aussi.

La révélation fut comme un coup de tonnerre, pour le général de Trèfle, qui recula de trois pas, la main crispée sur le cœur. Trahi ! C'était l'expression qui s'affichait désormais sur son visage.

- Mais… Comment ?! Nous n'avons jamais entendu parler de ça avant !

- Et ça ne vous regarde pas, à ce que je sache.

- Incroyable ! Comment un être aussi mignon peut faire preuve d'autant d'insolence ! JE SUIS TREBOL !

Sae leva les yeux au ciel, agacée. Elle commençait à regretter d'être restée en arrière, ses amies l'empêchaient au moins de planifier un meurtre de sang-froid.

- Bon j'ai des remèdes à préparer et le sol à désinfecter après votre passage, donc si vous pouviez juste me laisser tranquille, ça m'arrangerait !

- Je reviendrai ! Ne t'imagine pas qu'avoir la bague au doigt vous protègera d'intégrer notre équipage ! s'exclama Trebol en la pointant de son bâton, avant de s'enfuir, des torrents de larmes et de morve roulant sur ses joues et son menton.

La jeune femme attendit d'être certaine qu'il était bien parti noyer sa peine loin d'elle, avant de refermer la porte et de retourner à son bureau, y déplaçant quelques papiers qui cachaient un escargophone allumé. L'animal affichait une expression relativement neutre.

- Est-ce que ça va, Sae ?

La voix douce et masculine qui sortit du combiné lui arracha un sourire soulagé.

- Et bien on a connu des jours meilleurs, mais il y a pire, je pense. Je n'ose pas imaginer ce que vous, vous avez ressenti, en ne recevant plus de nouvelles de nous !

- Ce sont les risques des voyages en mer. Mais je dois t'avouer que nous sommes soulagés de savoir que vous allez bien. Par contre, euh… Pourquoi il a posé cette question sur Shiva, exactement ?

Le ton se voulait détaché, mais Sae n'était pas dupe ! Aucun homme ne pouvait rester indifférent à la détresse de sa chérie !

- Ça va être un peu long, mais il va falloir que je te parle d'abord d'Eïre. Et puis des autres.

- J'ai tout mon temps, lui confirma la voix à l'autre bout du fil. Ken est en train de préparer le navire de son côté.

Sae ne put s'empêcher un doux sourire à l'évocation du nom de son époux. Elle avait hâte de le retrouver, et de sortir de ce cauchemar en compagnie de ses amies. Et avant de partir, elle s'en faisait la promesse, elle irait mettre le feu au château.