Axel Blaze n'avait jamais été considéré comme quelqu'un de violent. Certes, il ne paraissait pas toujours très agréable, notamment au premier abord, et faisait preuve d'une certaine hargne sur le terrain, mais jamais on ne le qualifiait de violent. Au contraire, il était d'un naturel calme, qui dévoilait une certaine douceur lorsque celui-ci commençait à nous apprécier.
Pourtant, nombre de ses amis avaient déjà reçu un ballon, de manière totalement délibérée. Ces coups, sans être exagérément forts, n'étaient pas non plus retenus, et ce même si le destinataire devait être un jeune garçon pas encore sorti du primaire. Axel n'éprouvait pas de culpabilité pour ces actes, pas plus que ceux à qui ils étaient destinés ne lui en voulaient. Cela constituait une sorte de thérapie en somme, qui avait d'ailleurs fait ses preuves. Qui pourrait lui reprocher, sachant que cela n'était que dans leur intérêt, et en outre, qu'aucun d'entre eux n'aient été réellement blessé ? C'est grâce à sa tornade que Mark a revu ses priorités, que Jude les a rejoint, que Shawn s'est libéré d'Aiden, ou encore qu'Austin a pris confiance en lui. Et cela, c'est sans compter ses nombreux sauvetages d'enfants ou contre des voleurs, qui étaient étrangement devenus habituels dans la vis de l'adolescent.
Cependant, quelque chose changeait. Ce n'était pas soudain, ni même brutal ou fort. C'était doux, discret et sombre. Cette chose grandissait en lui. Elle faisait naître en lui une certaine émotion lorsque le ballon heurtait ses adversaires, laissant derrière lui une marque rougeâtre si ce n'est noirâtre. Cette chose effaçait la moindre étincelle de culpabilité, pour ne laisser qu'une chose : de la satisfaction.
Plus le temps passait, moins Axel s'en voulait en voyant les hématomes se former sur les jambes des défenseurs adverses, ou le gardien projeté au fond de ses filets, une expression tordue de douleur. Son cœur battait plus vite, parfois trop vite. Ses poumons demandaient plus d'air. Il ne voulait qu'une seule chose : Frapper encore plus fort. Au prochain but, la foule fait encore davantage de bruit, l'acclame bien plus fort, et ce qu'importe l'état du gardien. Celui-ci finira d'ailleurs par lui serrer la main, sourire aux lèvres, après le coup de sifflet final. Certes, ce sourire lui semblait parfois bien amer, mais qui s'en soucie. Après tout, ce n'est que du foot, n'est-ce pas ?
C'est du moins ce qu'il pensait, jusqu'à ce qu'après un entraînement où il s'était montré particulièrement vigoureux, une main lui agrippa fermement l'épaule, le maintenant en place alors que le reste de l'équipe sortait. Interrogateur, Axel se tourna vers le stratège, qui lui fixait droit devant lui, sans un mot. L'attaquant suivit son regard jusqu'aux hématomes couvrant les jambes de Jack, ainsi que les brûlures sur celles de Nathan. Ses yeux se posèrent sur les mains fermement bandées de Mark. Elles tremblaient. Lui, affichait son grand sourire habituel, et cela restait discret, mais elles tremblaient. En quelques secondes, le vestiaire se vida, emportant avec lui le bruit et l'agitation. Axel déglutit. Toutes ces marques, c'étaient lui qui les avaient faites, il le savait. Il avait blessé l'un de ses meilleurs amis, sans que cela soit son objectif premier, certes, mais il l'avait fait. Plus que ses actes, c'est ce qu'il ressentait qui le troublait, ou plutôt ce qu'il ne ressentait pas : Axel ne se sentait pas le moins du monde coupable.
- Qu'est-ce qui t'arrives ? Tu crois pas que t'en fais un peu trop ?
Plus que cela, une sensation agréable se propageait dans son corps. Il avait fait ses marques. Il était capable de telles choses. Axel ne put retenir un léger sourire : il se sentait puissant.
Son épaule libre fut elle-aussi fermement attrapée. Cela sembla suffire à le sortir de sa transe. En face de lui, il y avait le visage du stratège, sourcils froncés et yeux dissimulés derrière d'épaisses lunettes.
- Axel. Réponds-moi.
Son ton était sans appel, et l'air plus lourd. Axel ne répondit rien. Que pouvait-il répondre de toute manière ?
- T'as vu l'état dans lequel était Mark ? Ça ne te ressemble pas, Axel. Dis-moi, qu'est-ce qu'il se passe ?
Axel regarda sérieusement son ami. Il savait que ce n'était pas du jugement dans sa voix, qu'il voulait vraiment savoir, qu'il voulait l'aider, mais tout dans cette discussion l'agaçait. Il ne se gênait pas, lui, à l'époque de la Royale pour raser des collèges entiers, et il venait lui faire la morale pour quelques bleus ? D'autant que Mark, plus que tout les autres, l'encourageait à donner le meilleur de lui-même, il n'avait fait que suivre ses volontés.
D'un geste, il se détacha de la prise de Jude. Il lui lança un dernier regard, qui il devait bien l'avouer, était peut-être plus hautain qu'il ne l'aurait voulu.
- Tu te trompes, Jude. C'est que du foot tout ça.
Et il sortit, sans entendre la réponse de son ami.
- Fais attention, Axel. Tu ne contrôles rien de ce qu'il se passe.
Presque comme une prédiction, quelques semaines plus tard, Axel fut convoqué dans le bureau de Percival Travis. Son père était là-aussi, les yeux sombres. Si un regard pouvait tuer, Axel serait déjà fusillé sur place. Après un instant de silence, Percival Travis se lança dans des explications. Son discours dura un moment, chose inhabituelle pour lui. L'espace d'un instant, son esprit sembla presque quitter son corps. Il n'entendit que quelques mots.
- Grave … Comportement … Pas continuer ainsi … Actes … Dangereux …
Il se contentait de hocher la tête, sans saisir un seul instant le sens des mots prononcés par son entraîneur. Travis s'en rendit rapidement compte, et soupira.
- Axel, en l'état actuel des choses, je pense que tu n'as plus ta place ici.
- Pardon ?
- Il serait préférable pour tous que tu quittes l'équipe, au moins temporairement.
Après un instant de choc, Axel allait protester, se ravisant vite après un seul regard de son père. Celui-ci se leva, salua l'entraîneur et marcha sans un mot. Axel saisit rageusement sa veste et son sac, et emboîta le pas à son père, la tête basse, non pas de honte, non, seulement de rage.
Une fois arrivé chez lui, ce fut l'explosion. Son père criait, plus fort qu'il ne l'a jamais fait. Axel se contenta de détourner le regard. D'un geste, son père lui saisit le bras.
- Tu te rends compte de ce que tu as fait ? Tu en es fier ?
Il n'en était pas fier, non, mais il ne regrettait pas non plus. Tout ce qu'il ressentait, ce n'était que de l'indifférence. Et ça, son père le vit bien. Il s'arrêta un instant, semblant presque perdu, avant que la colère n'éclate de nouveau.
- Tu as ôté la vue à cet enfant, Axel. Tu ne ressens donc rien ?
À vrai dire, Axel ne savait plus tellement ce qu'il ressentait. Une rage s'étendait au fond de lui, montait, bouillonnait. Il ne connaissait pas l'origine de cette chose sombre et brûlante qui dévorait ses entrailles. La seule chose dont il était sûr, c'est de son existence. Plus par désespoir que par insolence, il répondit.
- Non… Je crois que je ne regrette rien.
Ce n'est en tout cas pas comme cela que son père l'a pris. Ses yeux s'écarquillèrent, avant de s'assombrir. Ce n'était plus son fils qui lui faisait face, seulement un monstre. D'un geste trop rapide pour être réfléchi, sa main se leva, et son dos s'abattit en plein visage. Axel retient un gémissement à la douleur lancinante qui lui traversa la joue. Un sifflement inquiétant assourdissait son oreille gauche.
En constatant son geste, l'homme eut un pas de recul, avant de se ressaisir. S'il n'était pas fier de lui, ce n'était pas le moment de flancher. Il prit une grande inspiration avant de relever le visage de son fils de force, et planter ses yeux dans les siens.
- Je ne te laisserais pas perdre ton humanité, Axel. Et crois-moi, je ne lésinerais pas sur les moyens pour ça.
Sur ces mots, il lui ordonna de monter dans sa chambre. Axel n'osa pas désobéir. Lorsqu'il redescendit plus tard dans la nuit, il vit son père encore debout, faisant doucement tourner du whisky dans un verre d'une main, tenant une vieille photographie de l'autre.
- Je ne comprends pas Anna … Il ne peut pas être ton fils…
Le blond n'osa pas en entendre plus, et remonta les marches trois par trois. Il dormit avec sa petite sœur ce soir-là. Elle ne posa aucune question se contentant de l'entourer de ses petits bras. Quant à lui, il tenta de s'endormir tant bien que mal, ignorant le sifflement qui lui vrillait le tympan.
- Comment ça, Axel ? Tu ne peux pas être sérieux !
Il ne répondit pas, se contentant de fixer son regard vers l'horizon. Après tout, la vue était belle depuis la tour Inazuma. Hors de son champ de vision, Jude saisit l'épaule de Mark, tentant de le calmer.
- C'est vrai que c'est grave ce qu'il est arrivé, mais tout de même… T'envoyer dans une école militaire, en Allemagne en plus… Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne solution.
- C'était qu'un accident ! Je vais aller lui parler moi à ton père !
- C'est peut-être pas nécessaire, mais …
Cette discussion le fatiguait profondément. Il savait que c'était ses meilleurs amis, et qu'ils s'inquiétaient pour lui, mais leur attitude, leur incompréhension, et plus que tout ce bruit constant … Tout cela l'agaçait au plus haut point. Il souffla, interrompant les deux derrière lui.
- Vous faites des histoires pour rien.
Ils le regardèrent abasourdis.
- J'ai de la famille là-bas, et j'y ai grandi une partie de mon enfance. Peut-être qu'un retour aux sources me fera pas de mal.
Avec ces mots, il espérait effacer leurs craintes, et ainsi échapper à cette situation plus que désagréable. Avant qu'il ne puisse s'en aller, son ancien capitaine vient se planter devant lui.
- Et tu vas partir comme ça ? Tu laisses tomber ? Tu ne vas pas te battre ?
Oui. Oui, en effet, il allait partir. À vrai dire, il ne comptait pas leur confier tout cela, et encore moins la question de l'accident. Rien que l'évocation de ce sujet suffisait à le mettre dans une rage folle, qu'il tentait de contenir tant bien que mal face à ses deux meilleurs amis. Il aurait dû partir, s'en aller, disparaître sans un mot, comme il a prévu de le faire avec tous les autres.
Jude à son tour lui barra le passage.
- Axel, c'est vraiment ce que tu veux ?
Il n'en avait rien à faire, en fait. Il sait qu'il aurait dû être triste, déçu, peut-être de partir, mais rien ne lui venait, là, maintenant.
Jude soupira.
- Ce n'est pas en partant que tu répareras ce que tu as fait.
Qu'importe, plus rien ne comptait. Soudain, le châtain sembla comprendre quelque chose.
- Axel… C'était qui le gardien ?
- Hmm ?
- Le gardien a qui tu as ôté la vue, qui était-ce ?
Il s'arrêta un instant, sourcils froncés. Il avait beau chercher dans ses souvenirs, seules quelques bribes du match lui revenait à l'esprit. Il ne se souvient que de l'herbe, les buts, une silhouette dans ces buts. Il se souvient s'élancer dans les airs. Une sensation étrange lui parcourt le corps. Des images tournent en boucle. La chose grandit en lui. La chose lui serre le cœur. La chose entre dans ses poumons.
La chose prend le contrôle.
Sa respiration s'agite. Plus il essaie de se souvenir, plus son corps lui semble douloureux. La nausée monte. Tout son être lui envoie des signaux d'alerte. Il ne veut pas se souvenir. Il ne doit pas se souvenir. Il commença à se débattre. Son poing se serra. Son poing s'élança. Ce n'étaient plus ses amis autour de lui. Rien que des cibles. À ce moment-là, quelque chose s'éteignit en Axel, et autre chose s'alluma.
Mieux vaut tout oublier.
Mieux vaut se laisser dévorer.
Alors c'est ce qu'il fit.
Peu importe les conséquences.
Ce n'est pas Axel qui les assumera.
Puisqu'Axel n'est plus là.
