One-shot écrit dans le cadre de la cent-cinquantième nuit d'écriture (du Chaos) du FoF (Forum Francophone), avec pour contrainte la citation "J'ai flairé son foie, son visage".

Entre 21h et 4h du matin, un thème par heure et autant de temps pour écrire un texte sur ce thème. Pour plus de précisions, vous pouvez m'envoyer un MP !


D'habitude, Adso arrivait à se convaincre que les odeurs de putréfaction, de sang et de boyaux qui arrivaient jusqu'à lui ne le dérangeaient pas vraiment. Il était fort, il avait fait la guerre, il était le novice de l'impressionnant Guillaume de Baskerville, il ne pouvait pas vomir pendant une simple autopsie qu'il observait en plus de loin, retranché aussi près que possible de la porte du laboratoire de Frère Séverin.

Et pourtant, aujourd'hui, il n'y arrivait pas. La bile remontait dans sa gorge à chaque inspiration et il avait très mal au ventre. Une explication très neutre et rigoureuse du frère médecin fut de trop pour lui : « J'ai flairé son foie, son visage. Il s'y trouvait effectivement une senteur étrange, qui n'avait rien à faire dans les tripes d'un être humain. ».

Adso ferma les yeux, essaya de bloquer les images qui se présentaient dans sa tête, de bloquer la nausée dans sa bouche, mais il n'y parvint pas. Il se retourna en tremblant, tomba à genou et vomit sur le sol. C'était terrible, il avait l'impression que sa tête allait exploser et que ses boyaux se désagrégeaient lentement. Pourtant, ce n'était pas la première fois qu'il était pris d'une telle nausée : quand son père l'avait forcé à égorger un cochon étant enfant, par exemple.

« Eh bien ? Tu ne supportes pas de voir ce qui se trouve à l'intérieur de tes frères humains, Adso ? le taquina Guillaume de Baskerville en venant s'agenouiller à côté de lui. »

Le jeune novice ne put absolument pas lui répondre. Il n'avait plus rien à vomir mais son corps continuait de trembler et de se soulever au rythme de spasmes de douleur. Guillaume fronça les sourcils et, quand il vit les yeux rouges de larmes d'Adso se tourner vers lui, sa main vint se porter automatiquement sur le front de son apprenti.

« Tu es chaud, remarqua-t-il, et bien plus que tu ne le devrais en cette saison. Frère Séverin, peux-tu délaisser un instant tes morts pour venir examiner ce jeune homme ? Je pense qu'il a de la fièvre. »

Effrayé par la perspective que le frère médecin ait encore des tripes sur les doigts et un peu de foie sur le nez, Adso essaya de reculer, mais son maître le retint doucement par la nuque.

« Pas de panique, Adso, lui dit-il gentiment. C'est la douleur qui exacerbe au-delà du nécessaire ta sensibilité et ta défiance. »

Il lui tapota la joue pour le rassurer et attendit attentivement le verdict de Frère Séverin.

« Je te le confirme, Frère Guillaume, ce novice est malade, lui confia leur confrère au bout de quelques minutes.

-Une fièvre ? s'inquiéta le Franciscain. Y'a-t-il un risque de contagion ?

-Non, ça ressemble davantage à une intoxication alimentaire. Mais je t'avoue que cette affliction me laisse perplexe. Ton jeune novice mange dans les mêmes plats que nous. S'il y avait vraiment de la viande avariée ou des fruits pourris dans nos repas, d'autres moines seraient tout aussi malades que lui… ».

Guillaume ne répondit pas, son cerveau travaillant déjà vite pour tenter de déterminer la cause de l'infection de son apprenti. Adso, lui, n'était pas capable de quoi que ce soit, il se sentait trop épuisé et souffrant.

Son maître le ramena à leur cellule et dut pratiquement le porter pour le mettre au lit, puis lui ôter lui-même sa soutane et le border.

« Essaye de dormir un peu, Adso, lui souffla-t-il en lui caressant une nouvelle fois la joue. Maintenant que tu as rendu le contenu de ton estomac, nous ne pouvons rien faire de plus à part attendre que tu reprennes des forces.

-Mais… mais… et si c'était du poison ? demanda le jeune homme, affolé et maintenant frigorifié.

-Tu es fort et jeune, Adso, répondit Guillaume tranquillement. Je sais que, quoi que ce soit, tu prendras le dessus sur cette infection.

-Vous… vous voulez bien rester quand même avec moi ? »

Le Franciscain hocha la tête et laissa son apprenti se tenir à son bras comme à une peluche tandis qu'il laissait le sommeil le gagner. Maintenant, le meurtrier s'en prenait à Adso… Il n'était plus l'heure d'avoir de la pitié.