Chapitre 20 : Nouvelle quête

Ville de Selphia, 25ème jour de l'Automne…

Vishnal raccompagna Clorica jusqu'à la porte de sa chambre au palais à la fin de la soirée du Jour Blanc. Elle semblait être contente, et la tarte aux pommes qu'il lui avait payée n'y était pas étrangère. Elle l'embrassa avant de reculer d'un pas avec un sourire rêveur.

_ J'ai passé une merveilleuse soirée, Vishnal ! Je voudrais que ça soit tous les jours comme ça…

Il se retrouva incapable de répondre, songeant au paquet enfouit au fond de son tiroir, ce paquet qu'il n'aurait jamais le courage d'offrir, qu'il n'avait même pas le droit de songer offrir. Il était monstrueux à plus d'un titre, et ce qu'il faisait à Clorica était sans doute le pire. Il la laissait espérer, il lui mentait, il n'était même pas capable de l'embrasser sans rêver de gouter les lèvres d'une autre personne.

_ Vishnal ?

_ Je suis content que tu ais passé une bonne soirée. Excuse-moi, j'ai quelque chose à faire.

Le jeune homme se détourna et parti en courant en direction de sa chambre. Il était lamentable, menteur, monstrueux, cruel, mais il n'y pouvait rien. Il entra dans sa chambre et arracha presque le tiroir de son emplacement, renversant son contenu sur le sol jusqu'à trouver le paquet plat qu'il y avait rangé.

_ Je suis un crétin. Un égoïste qui ne fait que manipuler les autres…

Cette fois, il avait réussi à utiliser le ''je''. Il ne pouvait pas se voiler la face. Il se redressa et parti à nouveau en courant, le paquet entre ses mains.

Il ne pouvait pas l'offrir, n'en avait pas le droit… mais si la personne à qui il était destiné ignorait que ça venait de lui ? Au final, il continuait de mentir, d'être égoïste, cruel… mais il continuait de courir dans les couloirs, jusqu'à une porte devant laquelle il s'immobilisa. Il s'agenouilla et s'apprêtait à glisser son paquet sous la porte lorsqu'elle s'ouvrit. Il eut l'impression de sentir son cœur se figer en relevant lentement la tête.

_ Vishnal ? Qu'est-ce que tu fais ici à cette heure ?

_ Je… Mon prince, je venais simplement m'assurer que vous n'aviez plus besoin de rien… Et j'ai trouvé ça devant votre porte !

Et le voilà encore à mentir. Vraiment, il était lamentable.

Lest s'agenouilla et regarda le paquet dans la main de Vishnal. Son majordome évitait son regard et semblait avoir envie de prendre ses jambes à son cou, surtout en lui fourrant le paquet dans les mains.

_ Vishnal… tu n'as pas l'air d'aller bien. Tu as des problèmes ?

_ Non… Bonne nuit mon prince.

Vishnal se releva et s'éloigna d'un pas rapide pour rejoindre sa chambre. Il referma la porte et laissa son regard dériver sur la pièce. Il s'arrêta sur la statuette blanche posée en bonne place. Peut-être que Bado avait raison, que cette icône lui permettait de réussir des choses impossibles… grâce à elle, il avait eut un peu de courage.

_oOo_

Lest resta devant sa porte pendant de longues secondes avant de se relever et de retourner dans sa chambre. Il ouvrit le paquet plat et observa la dague à l'intérieur. C'était une belle arme, sobre et élégante, à peine plus grande que sa main, avec un fourreau de cuir finement ouvragé et une lame argentée gravée de runes anciennes.

_ C'est magnifique…

_oOo_

26ème jour de l'Automne…

Forte écrasa un bâillement et regarda la troupe rassemblée sur la place principale de la ville. Frey les avait rassemblés dès l'aube, habillée de pied en cap pour une excursion longue, avec sa robe courte d'un rose pastel protégée de pièces en cuir bouilli. Lest était là, et il avait visiblement mal dormit, inspectant la Garde des Vents. Léandre maugréait d'avoir été tiré du lit de sa douce Naoko en tentant de s'attirer la compassion d'un Oural particulièrement indifférent, trop occupé à regarder en direction de Mistral discutant avec Tully. Forte fronça les sourcils et croisa les bras.

_ Je persiste à dire que ce n'est pas prudent de partir pour une expédition de plusieurs jours avec le prince ET la princesse. S'il vous arrive malheur, Selphia va…

_ Lest doit venir puisqu'il semble avoir un don pour dénicher les sphères runiques. Quant à moi, même si Lest venait à mourir, je n'aurais pas le droit de monter sur le trône puisque je suis une femme, alors ce qui peut m'arriver n'impactera pas Selphia. Je viens.

Forte pinça les lèvres et son visage se ferma encore davantage lorsqu'elle vit Porcoline et Dylas arriver vers la troupe.

_ Le monstre ne va venir avec nous j'espère !

Frey adressa un charmant sourire à la fière Chevalier Dragon.

_ Si je t'entends parler encore une seule fois de Dylas de cette façon, je te tue, d'accord ?

Forte vacilla devant le sourire contredit par la froideur de la menace. Elle sût que Frey mettrait sa sentence à exécution sans hésiter, et qu'elle le ferait elle-même.

_ Et pour répondre à ta question, oui, Dylas vient. Et Porco aussi.

_ Porcoline !?

Le restaurateur sourit en se dandinant d'un pied à l'autre.

_ Frey m'a dit que vous alliez aux Ruines de Laves, il y a des épices rares là-bas ! Je vais profiter de votre excursion pour en récupérer, ça m'évitera d'avoir à payer une escorte.

Forte aurait voulu se claquer la tête contre un mur. C'était à croire qu'elle était la seule à prendre cette expédition au sérieux !

Le groupe récupéra des chevaux harnachés à la porte de la ville, gardée par un chevalier qui n'était pour une fois pas Arnaud. Frey poussa son cheval à côté de celui de Dylas, un sourire espiègle sur les lèvres. Il détourna la tête d'un air boudeur.

_ Je sais, j'ai l'air ridicule. Un cheval sur un cheval…

_ Je n'ai rien dit !

Mais elle n'en pensait pas moins, il le voyait à ses yeux brillant d'amusement. Frey se mit à rire en le voyant se détourner complètement. Elle adorait ce côté-là de Dylas, ça le rendait adorable. Elle devrait le lui dire, d'ailleurs, il rougirait encore plus !

Le groupe se mit en route sans plus attendre.

_oOo_

En haut du chemin de ronde, Doug les regarda partir, appuyé sur le rempart. Il soupira et sursauta lorsque la main d'Arnaud tapota son bras.

_ Voilà la ville livrée à elle-même…

_ J'espère que ça va aller pour Forte…

_ Tu l'aimes bien, hein ?

_ Bien sûr que non ! Et puis qu'est-ce que ça m'apporterait de bien l'aimer ou non… A la seconde où elle saura que je travaille dans l'ombre pour planifier l'invasion de la ville, elle va me trucider sans remords ! Et toi avec !

Arnaud grimaça devant l'emportement du jeune nain. Il était encore tôt, mais ils n'étaient jamais à l'abri des oreilles indiscrètes.

_ Doug… Dis-moi, pourquoi tu travailles pour nous si ça te donne à ce point la nausée ?

_ Parce que je veux voir Venti crever !

_ C'est un bon argument.

_ Et toi Arnaud ? Je sais que ça te dérange aussi, alors pourquoi ?

Le garde de la porte regarda les quelques nuages blancs dans le ciel et esquissa un sourire triste.

_ J'ai prêté serment, et les serments d'un soldat sont ce qu'il y a de plus important, je crois…

Doug soupira et observa son complice sans rien ajouter.

_oOo_

Route de l'Automne, Ruines de Lave, 1er jour de l'Hiver…

Porcoline descendit de cheval, la même jument de trait gris pommelé qu'il avait prêtée à Margaret en début d'Automne, lorsqu'elle avait dû galoper à bride abattue jusqu'au Manoir Obsidienne. Une brave bête, robuste et douce qui l'avait conduit plus d'une fois jusqu'aux contrées elfiques. Les Ruines de Lave étaient beaucoup moins loin, mais il avait fallut cinq jours de cheval pour les atteindre. La route avait été paisible et, hormis un groupe de Chats de palme, le groupe n'avait pas fait de mauvaises rencontres. Les monstres semblaient les éviter.

Porcoline ne s'en plaignait pas, pas plus que Dylas, Lest, Frey et l'intégralité de la Garde des Vents. Le groupe scruta la gueule obscure faisant office d'entrée aux Ruines de Lave, qui n'avaient de ruines que le nom. Il s'agissait en réalité d'un interminable boyau souterrains où les cavités plus ou moins grandes se succédaient en un labyrinthe qui avait gardé prisonnier plus d'un explorateur.

_ Comment allons-nous faire pour ne pas nous perdre ?

Frey tapota sa joue en réfléchissant.

_ Oural, tu maitrises bien le pouvoir de la terre et de la pierre, non ?

_ Oui… Vous songez à ce que je trace notre chemin dans la pierre, un peu comme un sortilège de Fil d'Ariane ?

_ Qu'est-ce qui te semble le plus efficace ?

Oural regarda sa sœur, puis Lest, cherchant leur avis de mage. Ils hochèrent la tête et Oural reporta son attention sur Frey.

_ Nous sommes d'accord pour dire que marquer la pierre est la meilleure solution. Un sort de Fil d'Ariane demande plus d'énergie, et se romps lorsque l'on doit lancer une autre incantation.

_ Parfait, alors nous ne risquerons pas de nous perdre.

Le groupe entra dans la grotte et Lest leva les mains, les yeux clos. Il se concentra en marmonnant pendant quelques minutes avant de rouvrir les yeux.

_ Je crois que j'ai trouvé la sphère runique… En fait, elle pulse de la même façon que les deux autres.

_ Alors guide-nous, grand frère. J'aime autant ne pas m'attarder ici plus que nécessaire. Si nous pouvions être ressortis avant demain matin, ça serait parfait.

Forte prit la tête du groupe pour protéger Lest et Frey, la Garde des Vents se déployant autour d'eux, ainsi que de Porcoline et Dylas. Quelle idée lumineuse d'amener deux civils dans cet endroit, en plus bien sûr du prince et de la princesse !

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Ville de Selphia…

Amber grimaça alors que Xiao Pai s'étalait de tout son long, trébuchant sur le seul pavé déchaussé de la rue.

_ Xiao va bien ?

_ Aïe… oui, il me semble.

_ Il y a du sang sur ton genou.

Xiao Pai baissa les yeux et soupira.

_ Il me semble que j'ai l'habitude, ce n'est pas grave… Viens, on va plutôt aller manger un morceau !

_ Oui !

Les deux amies partirent en direction du restaurant de Porcoline. Même si le cuisinier n'était pas là, Margaret et Arthur s'occupaient de le garder ouvert. L'elfe faisait les meilleures salades de fruit qu'Amber ait jamais mangé.

_ Amber aimerait bien inviter Kiel.

_ Il me semble que tu parles souvent de lui !

_ Kiel est gentil ! C'est lui qui a trouvé Amber et l'a ramenée en ville !

Xiao Pai jeta un regard à son ami et haussa les épaules. Amber parlait un peu bizarrement et sa phrase devait vouloir dire qu'elle s'était perdue et que Kiel l'avait aidée à retrouver son chemin.

_ Bon… C'est d'accord ! Allons chercher Kiel !

Amber sourit d'un air rayonnant en trépignant de joie. Xiao Pai se demanda si elle aussi s'agiterait comme ça un jour, pour un garçon. Elle aussi voulait connaitre ça, même si elle doutait qu'Amber ait comprit pourquoi elle courait presque pour chercher Kiel. Quant à Kiel, aussi naïf que la jeune fille, il ne devait pas être plus éclairé sur le sujet. Xiao Pai n'avait jamais ressenti ça, donc doutait d'être la mieux placée, mais elle était certaine d'une chose. Ses deux amis étaient amoureux l'un de l'autre, après tout n'avaient-ils pas passé la soirée du Jour Blanc ensemble ? Cela dit, ils l'avaient surtout passée ensemble à côté du stand proposant des gâteaux au miel qu'ils avaient consciencieusement dévalisés.

Xiao Pai décida que ça n'avait pas d'importante. Elle sourit avec un haussement d'épaule. Amber et Kiel étaient encore jeunes, ils avaient tout le temps du monde pour comprendre pourquoi ils voulaient tant être ensemble. Et elle aussi avait tout son temps pour trouver le garçon qui lui donnerait envie de traverser la ville en courant ! Un bref instant elle songea à sa mère si parfaite qui risquait de plaire bien plus qu'elle à un garçon, mais repoussa fermement cette idée. Elle trouverait celui rien que pour elle, et il la trouverait encore plus parfaite que sa mère.

_oOo_

Ruines de Lave…

Lest regarda la cavité plus sombre où sa petite troupe s'apprêtait à entrer après plusieurs heures à déambuler sans fin dans l'interminable boyau souterrain. Les monstres étaient nombreux, et les groupes de Gobelins pirates et gangsters se succédaient, accompagnés de véritables troupeaux de Bufflos et de Scorpions. La lave coulait à flot, bordant ce qui ressemblait le plus à un chemin, dégageant une chaleur presque intolérable, et des Flammys particulièrement agressif.

Au moins Porcoline avait-il trouvé ses épices, et serrait contre sa bedaine rebondie la sacoche où il les avait rangées, les couvant d'un regard rempli d'amour. La longueur de la route, la chaleur écrasante et les monstres semblaient être un moindre effort pour le trésor qu'il avait obtenu, et le cuisinier rêvait déjà à tous les plats qu'il pourrait préparer avec. Il pourrait même apprendre quelques recettes à Dylas, il était certain que ça lui plairait, et encore plus de faire gouter ses créations à Frey.

Avant d'arriver devant cette cavité plus profonde que les autres, ils avaient combattu une horde de Trolls, immenses et puantes créatures à la peau trop épaisse pour leurs épées. La magie de feu de Lest n'avait pas été beaucoup plus efficace, compte tenu que les monstres vivaient dans une grotte remplie de lave. Mistral et sa magie du vent en revanche firent des miracles. Elle était forte, bien plus que son physique frêle le laissait présager, jouant avec l'air comme si c'était la chose la plus aisée du monde.

_ Alors grand frère, tu sens toujours la sphère ?

_ Oui, plus nettement que jamais. Elle est là.

_ Merveilleux, nous n'avons donc pas trucidé tous ces pauvres monstres pour rien.

_ Frey… Ils nous auraient tués si…

_ Si nous n'avions pas eut la merveilleuse idée d'envahir leur territoire ? J'en doute. Mais nous sommes venus, et ils ont réagis exactement de la même façon que nous l'aurions fait si l'Empire de Sechs avait eut l'envie d'envahir Selphia.

_ Ça n'a rien à voir.

_ Prie pour que je n'ai jamais rien pour te démontrer que si… Enfin passons. Entrons !

Forte décida d'entrer la première, prenant son rôle au sérieux. Ils se retrouvèrent dans une grotte sans issue autre que celle qu'ils venaient de franchir. Une plante aux couleurs désagréables se trouvait en plein milieu, incongrue en cet endroit si inhospitalier.

_ Qu'est-ce que c'est que ce truc ?

_ Aucune idée… on dirait une fleur de rafflesia qui a mutée.

Frey grimaça et recula à côté de Porcoline et Dylas. Elle n'aimait pas ça, ce monstre ne ressemblait pas aux autres. Il dégageait quelque chose de malsain, de dérangeant.

Elle regarda Léandre s'élancer le premier en poussant un rugissement de lion, brandissant son lourd marteau de guerre. Comme pour répondre à son défi, la plante s'agita et cingla l'air de ses lianes. Tully bondit pour en éviter une grande partie, tranchant les autres de sa lame impitoyable. La brutalité de l'homme-lion et la grâce de l'elfe avait quelque chose d'envoutant, comme une danse entre deux contraires, létale pour quiconque aurait la folie de les affronter. Ils se complétaient avec aisance, se défaussant lorsque l'autre attaquait. Ils reculèrent d'un même mouvement pour laisser Oural, Mistral et Lest relâcher le attaques magique qu'ils incantaient depuis le début du combat. Les sorts frappèrent la monstrueuse rafflesia et dégagèrent un épais panache de fumée. Forte n'attendait pas qu'elle se dissipe pour fondre sur leur ennemi en brandissant sa Claymore. Elle trancha la plus grosse branche du monstre, celle qui soutenait ce qui devait être sa tête, une grosse fleur d'un affreux violet pourriture. La chose tomba sur le sol avec un bruit spongieux.

_ C'est fini ?

Frey se tendit, observant le monstre inerte, ses lianes molles jonchant le sol. Quelque chose n'allait pas.

_ Lest ! Attention !

Son frère se retourna et vit une liane épineuse jaillir du cœur de la plante décapitée et fondre sur lui. La morsure de la ronce sur sa chair le fit hurler. Son plastron de cuir bouilli n'avait servi à rien, les épines le traversant comme du beurre, déchirant ses vêtements et sa peau comme s'il s'agissait de fragiles morceaux de papier. Il senti un courant d'air alors qu'il tombait au sol, un voile rouge devant les yeux. Vaguement, il vit sa sœur tirer les deux épées jumelles croisées dans son dos et frapper le monstre avant de sombrer dans le néant.