I'm standin' in the rain, I'm waitin' all alone
I'm so tired, I wanna go home
I'm standin' in the rain gettin' soaking wet
I'm doing my best but what do I get?
Le mois de décembre en Amérique du Nord, plus précisément dans le New Jersey puisque les climats des différents États qui composent cette portion du monde varient du désertique au tropical en passant par la prairie tempérée, c'est véritablement une expérience très différente du mois de décembre au Pakistan.
Il commence par pleuvoir, pendant des jours et des jours, le genre d'épaisse pluie grise qui devient pratiquement un rideau empêchant la lumière de rentrer dans les maisons, et dans une ville aussi peu ensoleillée que Gotham, cela signifie pratiquement vivre dans le noir si l'interrupteur n'est pas allumé. Nana passe des heures le nez collé à la fenêtre de sa chambre, toute cette eau descendant du ciel, c'est absolument grandiose et ça la fait se sentir rudement petite, mais pas dans un sens négatif.
Baba se contente de grogner et de commenter sur le réchauffement climatique qui provoque des inondations plus violentes, plus régulières que celles du siècle dernier. Jason renifle et déclare qu'il est content de ne plus être à la rue, autrement il se serait noyé dans un caniveau avec toute cette flotte décidée à faire fondre Gotham.
Nana ne pense pas que les gratte-ciels sinistres se liquéfieront sous le déluge hivernal, il s'agit de constructions en acier et ciment et des matériaux de ce type ont besoin de davantage de pression environnementale que cela, mais elle se rappelle qu'une rivière coule à travers la cité et songe qu'il est possible que celle-ci déborde de son lit.
Le Manoir Wayne devrait être épargné, bâti sur les hauteurs et entouré de jardins et d'un bois qui peuvent boire l'eau – à condition de ne pas être déjà saturés par la pluie, ne pas oublier ça – ce sont les quartiers construits juste sur les berges qui se retrouveront avec des caves inondées, l'électricité coupée et des rats envahissant les logis pour fuir la noyade.
Elle imagine facilement la scène. Quand elle était encore avec les Ombres, elle a eu l'occasion d'étudier plusieurs catastrophes, sciemment provoquées ou entièrement naturelles, et les photographies et reportages concernant la Nouvelle-Orléans après le passage de l'ouragan Katrina sont particulièrement mémorables, et adaptés vu le scénario potentiel qui menace Gotham.
Évidemment, Baba n'apprécie pas le scénario en question, puisqu'il est le plus important personnage et le protecteur de la ville, le moindre désastre est un coup porté à son prestige et des répercussions persistantes ne peuvent qu'empirer cela. Alors il s'en va le matin pour conférer avec ses employés et divers experts et agents de la municipalité, afin de déterminer quelles mesures mettre en œuvre, combien ça va coûter, et qui est tellement bête qu'il ne peut pas suivre les instructions et doit être éliminé afin de ne pas faire capoter le plan dans son ensemble.
Il n'a pas exactement expliqué à Nana que c'était ce qu'il faisait, mais elle l'a entendu s'adresser à Pennyworth et quelques bribes d'information suffisent à reconstruire le profil, il y a toujours de la place pour une certaine marge d'erreur mais s'entraîner dans les Ombres signifie que la marge doit être aussi petite que possible, sinon vous aurez une vilaine surprise dans très peu de temps, une qui a de fortes chances d'être permanente car si ce n'est pas la mort, c'est la mutilation et c'est difficile de choisir le pire entre les deux options.
D'un côté, mourir signifie ne pas avoir à traîner sa honte devant le reste de l'humanité, mais de l'autre, la mutilation laisse une chance de retourner son sort au lieu de buter sur un cul-de-sac. Alors oui, c'est compliqué de choisir.
Nana n'invite pas Jason ou Baba à rejoindre le débat, parce qu'elle a l'impression que Baba n'aime pas tellement discuter de ce genre de sujet, et parce que Jason a beau se donner des airs bravaches, elle voit bien qu'il a envie de penser à autre chose que ce à quoi il a été exposé pendant qu'il vivait dans les rues du quartier le plus mal famé de Gotham, le quartier où les grand-parents de Nana ont été tués.
Elle se demande si ses grand-parents ont regretté leurs efforts pour faire de la ville un lieu paisible dès que l'un des plébéiens qui auraient dû leur être reconnaissants a craché sur leur générosité et transformé leur fils en orphelin. Elle se demande si Baba refusant de démolir Park Row brique par brique est un signe de faiblesse ou de force.
Nana ne sait pas, Baba est un homme qui vit dans les ténèbres après tout et la caractéristique principale des ténèbres est l'impossibilité d'y voir clair.
Alors, elle ne dit rien et elle regarde tomber la pluie à la place.
C'est deux jours avant le réveillon de Noël – Baba insiste pour célébrer Noël parce que ce n'est plus une festivité uniquement chrétienne, c'est un congé reconnu par l'ensemble de la planète et pour être accepté socialement il faut se plier à un minimum de traditions et de rites, de la sorte les gens vous laissent à peu près tranquille au lieu de répandre des rumeurs négatives sur votre compte – que la température se fait assez froide pour que les gouttes de pluie deviennent des flocons.
La neige ne tient pas, le sol est trop imbibé d'eau, pas assez refroidi pour demeurer enseveli sous la couette blanche. Mais regarder les grains blancs voleter dans l'air, hésitant à aller à droite ou à gauche, soumis à la tyrannie des courants d'air qui changent d'avis sans prévenir quant à la destination de leurs passagers…
Nana a besoin d'ouvrir la fenêtre et de passer le bras dehors, elle a besoin d'attraper le duvet blanc et ça semble si doux et moelleux, elle ne peut pas s'empêcher de penser aux anges représentés avec d'immenses ailes blanches dans la culture occidentale, est-ce que les anges muent ? Est-ce que leur duvet tombe à la manière des cheveux qui restent accrochés au peigne ou à la brosse ?
Pennyworth la surprend, l'écarte gentiment de la fenêtre.
« Puis-je suggérer un manteau et une écharpe avant de laisser rentrer le froid et d'attraper la pneumonie, jeune dame ? » fait-il avec un sourcil haussé, mais la voix gentille.
Nana contemple le dos de sa main, humide et rafraîchi là où un flocon s'est posé brièvement sur la peau brune avant de fondre sous l'effet de la chaleur corporelle, comme s'il sentait que Nana vient d'un pays placé sous l'égide du soleil et du désert et des journées brûlantes qui rendent les nuits étouffantes.
« C'est difficile d'attraper les flocons » admet-elle. « Et c'est impossible de les garder, en plus. »
« Oui, ce sont des petites choses bien contrariantes, ces flocons » reconnaît le majordome. « Surtout quand vous les respirez par inadvertance, de quoi attraper mal à la tête. »
C'est possible de respirer un flocon, surtout si vous mettez un chapeau ? Nana réfléchit et se dit finalement qu'un bonnet ne protège que les cheveux, et considérant les trajectoires aléatoires suivies par la neige qui tombe, il est plausible qu'un flocon se soit fait aspirer par une inspiration, si le flocon finit juste sous la narine au bon moment.
Drôle d'accident, en vérité, et c'est encore plus drôle d'imaginer Pennyworth en être la victime, le majordome n'est pas du tout dans la bonne position pour commettre une bêtise pareille. Si encore le Manoir avait une fille de cuisine ou un commis livreur chargé d'aller faire les courses, ce serait à eux de vivre mille petits accidents ridicules qui poussent le reste du personnel domestique à se moquer d'eux, à rouler des yeux et à s'interroger sur le sens de l'humour tordu manifesté par Allah.
Seulement, comme Baba est trop paresseux pour engager plus de gens, c'est à Pennyworth d'assumer les devoirs de la maisonnée entière, et ça signifie aussi qu'il doit traverser leurs déboires et ce n'est pas tellement correct, surtout à son âge.
Il faut vraiment que Baba fasse quelque chose, au moins qu'il engage une femme de ménage.
I'm standin' in the rain, it's teeming down on me
Cats & dogs, hey, I wanna be free
I'm standin' in the rain doin' my thing, tryin' my best, what does it bring?
Standin' in the rain gettin' soakin' wet, doin' my best but what do I get?
Pour ce chapitre, vous avez droit à Standin' in the Rain par Electric Light Orchestra, la première partie de Concerto for a Rainy Day.
