Chapitre 3 : Trois ans.
Évelyne se plaça au côté de Severus et avec d'autres enfants, ils suivirent le Patron jusqu'à une maison aux fenêtres condamnées par des planches…
– Excusez-moi, auriez-vous vu ce garçon ?
La femme lui tendit une feuille.
Dès que Raphaël lui avait dit vouloir se rendre dans la ville voisine pour rechercher leur fils, elle l'avait tout de suite suivi. Elle ne pouvait pas rester à la maison. Pas alors qu'elle était si vide des rires de son enfant. Il n'y avait que Felipe qui était resté et ça avait été difficile de le convaincre. Mais si la police revenait avec leur fils, quelqu'un devait être à la maison pour l'accueillir et le rassurer.
– C'est le petit du journal, non ?
– Oui, c'est mon fils !
Elle retint son souffle d'espoir.
– Vous l'avez vu.
– Non, désolé.
À quelques pas plus loin son mari répétait la même chose à une petite famille, de même que les Simao. Ils les avaient croisés en sortant du village et ils avaient fait le reste de la route ensemble. Eux non plus n'avaient pu rester chez eux à attendre les nouvelles de la police.
La dame aux nounours sortit de la porte près du bureau, elle tenait plusieurs feuilles de bricolage et les enfants riaient dans la salle. À sa table, le Gardien Vert remplissait des pots de peinture, alors qu'il retirait sa main verte et jaune de sur la page et leva la tête. Il sourit à Felipe qui était allongé au sol. Un ballon roula à côté de lui.
Tout d'un coup, ce fut le silence et la lumière devint tamisée…
Severus ouvrit d'un coup ses yeux. Il était plongé dans le noir. Dehors, les vagues frappaient fort contre le bateau qui bougeait plus que d'habitude…
Un policier frappa à une porte et se fit ouvrir par un jeune aux cheveux bleus.
– Les DeSilva sont-ils là ?
– Madame est couchée, elle ne se sentait pas bien. Vous avez des nouvelles ?
– C'est en cours, mais nous aurions besoin d'éclaircir quelques points.
– Je vais vous conduire au salon, monsieur DeSilva se trouve à l'arrière…
Severus observait par la vitre de la voiture une fille noire partir avec deux adultes. Il dérangea sa frange devant ses yeux alors que la petite famille s'éloignait. Derrière lui, la porte s'ouvrait sur la Belle avec son regard vert hypnotique qui entra avec un bébé endormi dans ses bras…
Felipe entra dans le poste de police de la ville voisine avec l'espoir d'obtenir des nouvelles.
Quatre ans plus tôt, quand il avait voulu un petit boulot d'été pour s'acheter un vélo, il s'était lancé dans le babysitting. Puis, les DeSilva l'avaient engagé l'année suivante. Il avait dû apprendre à s'occuper d'un bébé et comment se débrouiller parmi les riches. Il avait bien failli tout abandonner et s'arracher les cheveux lorsqu'on lui avait donné des cours d'étiquette, de bonnes manières et de protocole. Le tout avait bien des fois fini par se mélanger dans sa tête, mais les DeSilva avaient été gentils et patients, et leur fils…
Jamais il n'aurait pensé s'attacher autant à Severus, ni qu'il irait à le considérer comme son petit frère. Ne pas savoir où il se trouvait était une torture. Dieu seul savait ce qu'il avait pu vivre en un peu plus d'un mois.
Il se dirigea à l'accueil où une secrétaire corpulente répondait au téléphone. Il détesta immédiatement sa robe fleurie qui ne faisait que trop accentuer ses formes au lieu de la mettre en valeur, sans parler de son rouge à lèvres qui lui donnait une apparence vulgaire. Une ou deux teintes de moins et il était persuadé qu'on la prendrait plus au sérieux.
– Bonjour ! Puis-je vous aider ?
– Oui, je m'appelle Felipe, je travaille pour les DeSilva, je voulais savoir où l'inspecteur Cardoso en était avec Severus.
– DeSilva…
C'était un nom de famille répandu, mais il ne devait pas en avoir tant que ça qui était venu ici, non ?
– Je vais aller vérifier, je reviens. Vous pouvez vous asseoir en attendant.
Elle lui désigna deux chaises vides contre le mur, puis s'absenta un moment.
Lorsqu'il la vit revenir sans aucun sourire, Felipe comprit, avant même qu'elle parle, que ça ne lui plairait pas.
– Désolé monsieur – ce qu'il pouvait détester qu'on l'appelle comme ça – l'inspecteur Cardoso ne peut rien vous dire de plus. Rentrez chez vous, il vous préviendra s'il trouve quelque chose. Ça peut prendre du temps parfois.
Le souffle court, Severus et Évelyne, cachés dans le coffre arrière d'un camion rouge clôturé de deux larges planches relevèrent la tête et jetèrent un coup d'œil dans l'interstice. Ils aperçurent leur ami Josh fuir par un autre chemin alors que les paysans qui les poursuivaient les avaient retrouvés. L'un d'eux, qui les avaient vus embarqués, leurs courut après la main levée et ses lèvres bougeaient sans que les deux enfants ne puissent entendre avec le bruit du camion qui prenait la route…
Toujours le même résultat : l'argent rentrait moins et il avait vérifié trois fois.
Il s'éloigna de la table où son cahier de livraisons était ouvert.
– Évelyne, Severus ! Dans mon bureau !
Il n'eut pas à attendre longtemps.
– Oui, monsieur ? Entra la fillette noire suivie du garçon qui manqua de tomber.
Il leva les yeux au plafond à sa vue. Ce garçon pouvait être une vraie catastrophe par moment.
– Vous allez en ville !
Les deux enfants le regardèrent avec attention.
– Vous allez me jouer les guides ! Fondez-vous dans la masse, familiarisez-vous avec les lieux, trouvez les meilleurs endroits touristiques. Apprenez un peu leur histoire, inventez le reste ! Impressionnez les visiteurs par votre talent à raconter. – le Patron claqua la main sur la table – et rapportez de l'argent !
– Oui, monsieur, acquiesça Severus qui fit demi-tour sans plus attendre…
Devant son employeur, Lourdaud s'appuya un pied sur l'autre sans arriver à le regarder dans les yeux.
– Patron, vous savez… avec les enfants plus âgés et les gens peu intéressés… J'ai pensé que, eum, vous savez les riches… ça aime bien savoir leurs petits intelligents et instruits surtout quand ils le sont plus que les autres…
– Où veux-tu en venir ?
Il déglutit devant son ton bourru.
– Eh bien, ça serait bien vu à leur CV s'ils savent lire et écrire. De ce que j'ai entendu, les enfants commencent vers l'âge de sept ans. On pourrait leur apprendre des phrases précises. Aucun futur parent ne veut d'un enfant idiot, et s'ils ont la chance qu'il ou elle soit en « avance sur leur temps », ça leur donnera des points de plus auprès de leur entourage. Ces gens-là y aiment bien se vanter et montrer que leur rejeton est plus intelligent que ceux des autres.
Le Patron le regarda de haut en bas.
– Et où veux-tu qu'on leur déniche un précepteur ? Comment veux-tu qu'on le paye ? IMBÉCILE ! On prend ces gosses pour avoir de l'argent, pas en perdre !
À ses cris, Lourdaud rentra la tête dans ses épaules.
– Bien… Je pensais que j'aurais pu le faire. Je connais l'alphabet et je sais lire et comprendre le journal.
Les mains de l'homme court tremblèrent.
– Je… Je demande juste un petit supplément pour mon labeur.
Un silence à couper au couteau prit place et Lourdaud retint sa respiration sans s'en rendre compte.
– Qu'est-ce que tu attends pour te mettre au boulot dans ce cas ? Allez ! Le travail ne se fait pas tout seul !
– Oui monsieur !
À suivre…
