Prologue.

Le marché de Mi'lan était très probablement le plus grand rassemblement de créatures qu'ait jamais connu la Terre du Milieu. Plus de neuf cent mille personnes qui allaient et venaient sur des dizaines et des dizaines de milliers de mètres d'étalages, parlant à des vendeurs et des acheteurs provenant de tous les horizons. C'était sans doute le plus grand brassage culturel, l'évènement le plus attendu du siècle. De hauts dignitaires, des rois et même des empereurs y venaient, pour y trouver femmes, mais aussi armes et richesses que l'on ne puisse trouver nulle part ailleurs. Six siècles plus tôt, on y vendait encore de jeunes dragons dans l'espoir de pouvoir en faire de grands combattants durant les guerres. Orcs et ghoules côtoyaient elfes et nains avec une sorte de respect religieux qui ne pouvait être trouvé nulle part ailleurs. Et ici-bas, dans le monde des hommes, le marché de Mi'lan était le rassemblement d'une vie car ils étaient exceptionnellement rares, ceux qui avaient assez d'âge pour vivre deux fois ce dernier. L'organisation prenait un temps fou et le marché durait tout un été, permettant un libre échange dans un vas et viens permanent. Pendant cet été, il n'y avait plus de guerre, plus de rancœur, comme si toute sorte de haine avait été abandonnée aux porte d'Yggra, la cité interdite.

Autrefois brillante d'or et d'argent, Yggra avait été construite bien avant l'apparition des hommes par les vaillantes et fière Neipheiilim. Puissantes mages venues des étoiles, proches parentes des elfes, elles avaient été pendant de nombreux siècles les gardiennes du monde, protectrices de Mère Nature et guerrières du bien. Respectées et adulées, les créatures avaient été érigées au rang de déesses et leur reine Yggra'Isial était réputée tant pour sa beauté que pour sa magie extraordinaire qui lui donnait l'opportunité de contrôler les eaux, la terre, l'air et le feu. Impératrice des cieux, elle avait dirigé les siennes pendant des millénaires avec une main de fer et une autorité digne des plus grandes reines. Et puis brusquement, les Neipheiilim avaient cessé d'exister sans que quiconque soit capable d'affirmer quelle fut la cause exacte de leur disparition. Depuis lors, les portes d'Yggra demeuraient éternellement closes, gardée par quelques humains religieux. Les terres aux alentours étaient totalement interdite d'accès, à l'exception du marché de Mi'lan visant à leur rendre hommage, une fois tous les cent ans. De leur existence aujourd'hui, il ne reste plus que cette immense statue à l'entrée de la cité d'Yggra, représentant une femme aux courbes superbes et dont la tête serait affublée de bois de cerfs gigantesques, tant et si bien que personne n'eut jamais vu de son vivant une Neipheiilim et que ces dernières demeurent à ce jour plus du mythe que de la réalité.

Il semblait pourtant que le marché de Mi'lan ait existé depuis toujours car les elfes eux-mêmes s'accordaient à dire qu'il avait toujours été ancré dans leurs mœurs. Et quand bien même les elfes étaient connus pour posséder une certaine vanité, ils n'avaient aucun intérêt à déformer la réalité.

Isil pourtant, aurait pu savoir ou se trouvait la vérité. Orpheline de naissance, elle avait été recueillie par les religieux de la cité d'Yggra et placée chez une nourrice qui avait tôt fait de remarquer qu'elle était tout à fait différente des autres petits humains. Le teint blanc, laiteux, presque livide, de grands yeux en amandes dont les reflets bleus dansaient une valse endiablée avec le rouge de ses prunelles, des oreilles un peu étranges et surtout, une petite queue blanche à la naissance du dos avait réussi à faire comprendre à la matrone que la petite chose qui avait été abandonnée au pied des portes de la cité était bien plus qu'une orpheline. Les religieux eurent le même avis et il fut décidé qu'Isil demeurerait caché de tous pour l'éternité.

Isil resta donc seule, éduquée par sa nourrice qui s'éloigna de tout pour fonder son auberge, au détour d'une forêt, dans l'espoir qu'ici, personne ne chercherait à deviner l'identité de la jeune enfant. En grandissant, cette dernière confirma les soupçons qui avaient été évoqués à sa naissance. Ses oreilles, bien loin d'être humaines étaient figées sur le sommet de son crâne, toujours en alertes, semblables à celle d'une biche. Sa peau blême devint davantage blanche au même titre que ses cheveux et il s'avéra qu'à la lumière du soleil, on pouvait deviner un fin duvet de poils blanc recouvrant tout son corps. Le tout fut caché le plus longtemps possible et Isil du nouer ses oreilles sous ses cheveux pour que personne ne remarque rien. Mais la vieille aubergiste du nom d'Edna ne fut pas au bout de ses peines lorsqu'au début de son adolescence, Isil se réveilla un matin en remarquant que des bois commençaient doucement à pousser sur son crâne. Là encore il fallut cacher la chose aux quelques clients de l'auberge. Et depuis lors, tous les matins, la jeune Isil fut forcée de limer ces derniers.

Il s'agissait là d'une vraie torture qu'elle s'infligeait régulièrement. Ses oreilles, nouées, lui faisait également extrêmement mal et surtout, elle était contrainte de cacher la totalité de son corps sous des couches de vêtements et de tissus pour tenter de passer inaperçu. Aux quelques personnes qui posaient des questions sur son teint, la vieille Edna répondait que la jeune Isil était de faible constitution, la rendant fragile à la lumière du jour.

On ne conta pas à Isil les histoires des Neipheiilims tout simplement parce qu'elles étaient oubliées de tous. On ne chercha pas non plus à lui expliquer qui elle était et l'importance qu'elle pouvait avoir pour ce monde, se contentant de lui demander de demeurer cachée. Pour toujours.