Chapitre 21 : La roue tourne


Charlus Potter avait perdu la notion du temps, absorbé dans sa contemplation du rituel auquel son petit-fils semblait être en train de se livrer à l'intérieur de la cage. Assis à la même table que les amis d'Harry, le patriarche Potter apercevait la lumière d'un cercle magique tout autour du lit de la jeune femme endormie mais il se trouvait trop loin pour en distinguer les motifs. Le vénérable sorcier attendait anxieusement de voir ce qui allait suivre mais il manifestait beaucoup moins d'impatience que la cavalière du Gryffondor.

La dénommée Ame Warashi faisait les cent pas depuis qu'elle avait été contrainte de quitter le chevet de son amie et elle rongeait visiblement son frein pour ne pas céder à l'envie d'y retourner. Et puis, au bout d'un temps qui lui parut interminable, la jeune femme aux longs cheveux bleu pâle s'immobilisa avant de relever la tête.

- C'est terminé, s'exclama-t-elle d'un ton assuré, avant de se diriger à grands pas vers la cage.

Le grand-père posa son regard sur elle puis de nouveau en direction de la cage, s'apercevant que la lumière qui s'en échappait, encore aveuglante un instant plus tôt, s'était presque complètement évanouie. Clignant des yeux, l'ancien membre du Magenmagot se rendit compte que l'adolescent semblait s'être assoupi sur sa chaise.

Tous convergèrent vers la cage, Shaolan se portant le premier auprès d'Harry dont il attrapa le poignet. Le garçon asiatique laissa échapper un soupir de soulagement en sentant son pouls et adressa un sourire rassurant aux autres.

- Tout va bien, son pouls est normal et sa respiration semble régulière. Je pense qu'Harry est simplement épuisé.

- Évidemment ! Ce n'est pas un petit rituel de rien du tout qui viendra à bout d'un homme comme lui ! Répliqua Kurogane, les bras croisés, secouant la tête comme s'il s'agissait d'une évidence.

- Ce n'était pas exactement un « petit rituel », nuança Fye qui examinait la jeune femme alitée. Harry a puisé assez profondément dans ses réserves magiques pour transformer l'âme de la Zashiki Warashi. C'est un processus déjà épuisant d'ordinaire mais il a dû l'être d'autant plus avec un corps aussi juvénile que celui qu'Harry occupe actuellement.

- Comment va-t-elle ? L'interrogea sans détour la petite fée de la pluie, qui tenait délicatement la main de son amie endormie.

- A première vue, je serais tenté de répondre qu'elle va bien, répondit le magicien aux cheveux blonds d'un air perplexe. J'aurais même été jusqu'à dire que tout semble normal si elle avait été humaine, au détail près qu'elle n'est pas censée manifester les mêmes signes vitaux que nous.

Charlus aurait sans doute été perdu si le jeune Shaolan n'avait pas eu la gentillesse de lui expliquer un peu plus tôt que les deux jeunes femmes présentes dans la pièce n'étaient pas humaines. Ame Warashi et Zashiki Warashi étaient en réalité des esprits de la nature de niveau supérieur, ce qui expliquait leur apparence humaine et leur capacité à interagir avec eux mais la ressemblance s'arrêtait là. Toutes deux étaient immortelles et possédaient des pouvoirs qui défiaient le commun des mortels. D'ailleurs, le parapluie utilisé par Harry lors de son épreuve face au dragon appartenait à celle que Shaolan avait appelé la « petite fée de la pluie ».

- Qu'est-ce que ça signifie ? Le pressa Ame Warashi, les sourcils froncés.

- Je peux me tromper mais j'ai l'impression que pour la sauver, Harry n'a eu d'autre choix que de transformer jusqu'à sa profonde nature, incluant son âme. Je suis désolé de ne pas pouvoir le formuler de façon moins brutale… Zashiki Warashi n'est plus un esprit, elle n'est probablement plus immortelle non plus. Elle n'est plus non plus devenue une humaine ordinaire non plus, je ressens une puissante magie en elle. Zashiki Warashi est plus proche des humains qui peuplent ce château, les condisciples d'Harry, que des esprits désormais, expliqua Fye sur un ton aussi doux que possible.

- Elle aussi avait un prix à payer, commenta succinctement Kurogane, d'une voix plus neutre qu'à l'ordinaire, en passant une main sur son bras artificiel.

Le regard de la petite fée de la pluie se voila de larmes retenues mais elle n'émit pas le moindre son. Sa main resserra doucement celle de son amie et elle prit une profonde inspiration. Du point de vue extérieur de Charlus, l'attachement que l'esprit portait à la Zashiki Warashi était tout à fait visible, au point de ne pas être rebutée par son nouvel état, en dépit de l'inimité qu'elle avait manifesté un peu plus tôt envers les autres sorciers.

- Qu'en est-il du mal qui la ronge ? Et de sa transformation ? Demanda-t-elle d'une voix plus rauque.

- Disparu ! S'exclama Fye avec un large sourire aux lèvres, l'air sincèrement impressionné. Ce n'est que mon hypothèse à ce stade mais j'ai l'impression qu'Harry a transformé son « mal » pour en faire une partie d'elle-même. Cette transformation expliquerait en partie sa transition de l'état d'esprit à celui d'être humain. Elle n'est plus « pure » au sens de l'esprit qu'elle était auparavant mais connaissant Harry, il a dû faire son possible pour préserver son identité et sa personnalité.

- Je suis du même avis, c'est pour la protéger et préserver son esprit qu'il a demandé l'aide de Kimihiro, renchérit Shaolan avec un air convaincu.

- Ce gars est toujours aussi cinglé, commenta Kurogane en passant une main dans ses cheveux noirs d'un air las. Même là d'où je viens, les prêtresses ne s'amusent pas à manipuler les âmes des esprits supérieurs…

- Je te rappelle qu'il n'a pas agi à la légère, ni sans raison, Kuro-puu, le sermonna Fue avec une pointe d'avertissement dans sa voix.

Le magicien blond ne termina pas sa phrase mais tous avaient compris ce qu'il avait voulu dire : Harry n'avait pas procédé à ce rituel de gaieté de cœur. S'il avait pris ce risque, pour elle comme pour lui, c'était avant tout pour exaucer le souhait d'Ame Warashi, ce qui signifiait qu'une amitié très profonde devait les lier. Charlus éprouvait déjà un grand respect pour son petit-fils et ne doutait pas un seul instant de son courage, après avoir affronté un Magyar à pointes en étant armé seulement d'une baguette et d'un parapluie. Pour autant, ce qu'Harry avait accompli ce soir dépassait l'entendement. Ce soir, le Gryffondor avait manié une magie extrêmement volatile sans le moindre filet de sécurité. La moindre erreur aurait pu lui coûter la vie.

Le patriarche de la famille Potter commençait à dessiner les premières esquisses de la personnalité complexe de son petit-fils. Bien sûr, il n'avait pas le moindre début d'explication quant à l'origine de ses connaissances magiques si peu orthodoxes, même s'il était presque certain que ce n'était ni à la bibliothèque de Poudlard, ni pendant un été à Gringotts qu'il avait pu apprendre tout cela. Cela ne voulait pas dire que Charlus était dépourvu de pistes à suivre pour autant. Après tout, ses amis avaient laissé échapper quelques indices. Fye D. Flowright avait parlé d'Harry comme occupant actuellement un corps juvénile et le dénommé Kurogane avait parlé de son petit-fils comme d'un homme, ce qui sous-entendait, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, qu'Harry avait été un homme adulte auparavant.

En tout état de cause, Charlus n'avait pas eu l'impression de s'adresser à un adolescent de quatorze ans lors de leurs discussions même si Harry s'était efforcé de donner le change. Nul doute qu'il s'agissait bien d'Harry James Potter, jamais il n'aurait pu tromper la vigilance des gobelins vis-à-vis de son identité et encore moins un artefact aussi puissant et ancien que la Coupe de Feu. Non, la question à poser était plutôt la suivante : quel Harry Potter était-il ? D'où et de quand venait-il ? Autant d'interrogations aussi incongrues qu'insolubles en l'état, ce pourquoi il ne manquerait pas de les poser au Gryffondor en temps voulu mais pour l'heure, l'urgence était ailleurs.

- Madame, messieurs, il se fait tard. Nous devons ramener Harry dans son lit avant que son absence soit remarquée par les professeurs ou par les préfets de Gryffondor. Ses secrets, et les vôtres, pourraient être menacés par l'indécrottable fouineur qui sert de directeur à cette institution, expliqua Charlus d'un ton sérieux.

- Pouvez-vous le ramener dans son dortoir ? Demanda Shaolan. Nous ne sommes pas censés être ici, nous nous ferions remarquer à coup sûr si nous essayions…

- …ou bien notre magie serait détectée, compléta Fye. Ce château a des yeux et des oreilles partout.

- Mokona a la solution ! S'exclama la boule de poils blanche d'une voix joviale. Mokona connaît l'amie qui prend soin d'Harry. Winky !

Charlus avait complètement oublié que son petit-fils possédait une elfe de maison à son service. Celle-ci apparût pourtant devant eux dans un craquement sonore. L'air un peu perdue, ses yeux globuleux s'agrandirent d'horreur lorsqu'elle aperçut son maître affalé sur une chaise.

- Maître Harry ! Oh, maître Harry ! S'écria-t-elle en portant ses mains à sa tête.

- Du calme, Winky. Harry est seulement fatigué après une longue journée, lui expliqua le patriarche d'un ton doux mais ferme. Je m'appelle Charlus Potter, je suis son grand-père. Je ne voudrais pas le réveiller alors qu'il dort si profondément. Pourrais-tu le transporter directement dans son lit grâce à ta magie, s'il te plaît ?

Winky se tourna vers le sorcier et s'inclina naturellement en signe de soumission, comme nombre d'elfes avaient tendance à le faire lorsqu'ils servaient les familles sorcières les plus traditionnelles. Cela n'étonnait guère Potter de la part d'une elfe ayant appartenu aux Croupton mais c'était le genre de tradition qui n'avait plus cours chez les Potter depuis belle lurette. Il en allait de même pour ces horribles têtes coupées que les membres de la famille Black affectionnaient d'accrocher à leurs murs…

- Bien sûr ! Winky va coucher maître Harry dans son lit.

L'elfe de maison s'exécuta sans plus attendre, disparaissant avec le Gryffondor dans un nouveau craquement sonore. Contrairement à celle des sorciers présents dans la pièce, sa magie serait quasiment indécelable, se confondant avec celles de tous les autres elfes qui s'affairaient à Poudlard. Voilà qui faisait un problème de réglé, il ne restait plus qu'à parer aux moins urgents désormais… et à attraper une belle opportunité au vol.

- Que comptez-vous faire maintenant ? Demanda Charlus aux autres personnes présentes. De ce que vous me racontiez tout à l'heure, vous êtes venus de loin, oserais-je dire de très loin mais vous ne pouvez guère demeurer à Poudlard. Dumbledore a peut-être baissé sa garde aujourd'hui à cause de l'effervescence du bal de Noël mais ce vieux renard ne manquera pas de découvrir votre présence si vous n'avez pas quitté les lieux avant l'aube.

- Pour être tout à fait honnête, nous ne savons pas vraiment où aller, reconnût Shaolan avec un air gêné. Nous espérions qu'Harry nous recommanderait un hôtel ou une auberge où nous pourrions passer quelques jours. Au vu de l'état actuel de la Zashiki Warashi, il nous faudra un certain temps avant de pouvoir voyager… aussi loin.

- Un hôtel ? Hors de question que je laisse les amis d'Harry à la rue ! Vous êtes mes invités. Aussi modeste soit-elle, ma maison est bien assez grande pour vous accueillir tous les cinq. Cet emplacement serait d'ailleurs à votre avantage puisque j'ai invité Harry à venir passer les prochains jours chez moi, jusqu'au nouvel an.

- C'est hors de ques…

- Nous ne saurions refuser une offre d'une telle générosité, répondit Fye en coupant Kurogane sans vergogne, celui-ci lui adressa un regard noir avant de détourner la tête d'un air agacé.

- Merci beaucoup, Charlus. Nous vous en sommes très reconnaissants, confirma Shaolan avec un sourire sincère en inclinant la tête.

En réalité, c'était le patriarche Potter qui leur était reconnaissant. Non seulement cet acte de générosité prouverait à Harry que celui-ci avait eu raison de faire confiance à son grand-père mais il lui offrirait aussi tout le loisir de cuisiner ses amis à son sujet avant leur prochain tête-à-tête.

Charlus ne l'aurait sans doute pas reconnu à voix haute mais toutes ces intrigues avaient eu sur lui l'effet d'un élixir de jouvence. Animé d'un but, l'esprit en ébullition avec toutes ces intrigues, il se sentait rajeuni et ragaillardi comme il ne l'avait guère été depuis le décès de sa tendre Doréa. Quoi que ses interactions avec son petit-fils puissent lui réserver comme surprises, Potter avait la certitude qu'il n'aurait pas l'occasion de s'ennuyer. A son âge, que pouvait-on demander de plus ?


Fleur avait été contrainte de changer de direction en cours de route, sa baguette l'ayant fait brusquement bifurquer dans une autre direction juste au moment où elle parvenait au septième étage du château. Il lui fallut de longues minutes à descendre et remonter d'autres escaliers avant d'arriver devant ce qu'elle reconnût comme l'entrée de la tour des Gryffondor. Ayant eu la présence d'esprit de se dissimuler sous un sortilège de Désillusion et d'étouffer au maximum le bruit de ses pas, la championne de Beauxbâtons attendit patiemment qu'un petit groupe d'élèves de cinquième année arrive pour se glisser à l'intérieur de leur salle commune avec eux. Tout guillerets qu'ils étaients, les rouge et or étaient trop distraits pour remarquer sa présence tandis qu'elle longeait les murs.

Sa baguette la mena jusqu'au bon dortoir, dans lequel il lui fut ridiculement facile de pénétrer. Un coup d'œil rapide et un sortilège lui confirmèrent qu'un seul sorcier était présent dans ce dortoir.

Harry.

Allongé sur dans son lit, l'adolescent était visiblement plongé dans un sommeil des plus profonds. Un sortilège de diagnostic informulé lui confirma que le Gryffondor était globalement en bonne santé, si on exceptait un état d'épuisement magique assez avancé. Peu désireuse d'être dérangée, la Française jeta un sortilège de confusion sur la porte d'entrée avant de se rapprocher du lit d'Harry.

Fleur ne savait pas exactement pourquoi elle était venue. Elle avait simplement eu l'intime conviction qu'elle devait le faire, qu'elle devait voir Harry. Ses yeux bleus se posèrent sur la chaise disposée à proximité du lit à baldaquin, sur laquelle les vêtements du sorcier étaient soigneusement pliés. Ce n'était pas tant les habits qui l'intriguaient mais le pendentif qui était posé dessus. Attrapant délicatement la chaîne en argent, la sorcière passa ses doigts sur le motif de fleur de lys gravé à sa surface. C'est en le manipulant qu'elle réalisa la présence d'un fermoir discret sur le pendentif, qu'elle actionna au toucher.

L'intérieur du pendentif était tout à fait ordinaire, contenant simplement deux photos statiques, à l'instar de celles prises par les moldus. Sur la photo de droite figuraient deux enfants souriants, une magnifique petite fille aux cheveux noirs et aux yeux bleus ainsi qu'un adorable petit garçon aux cheveux blonds argentés et aux yeux verts. Un couple posait sur la photo de gauche. Elle crut d'abord reconnaître sa mère avant de réaliser que la femme ressemblait plutôt à Fleur elle-même, en plus âgée. Bien que ce soit difficile à évaluer pour une sorcière en partie vélane, son sosie devait avoir entre vingt et trente ans. Elle enlaçait un homme aux cheveux noirs et aux yeux verts, qui portait une paire de lunettes rondes sur le nez. Une cicatrice en forme d'éclair était visible sur son front, assez similaire à celle qu'elle avait observée au front de Ryan Potter.

Là où j'ai vécu ma première vie, mon nom était Harry Potter, connu comme le Survivant, chef temporaire d'un groupe de résistance à Voldemort et agneau sacrificiel d'Albus Dumbledore.

Tels étaient les mots qu'il avait prononcés au bal. Il s'agissait donc d'un Harry visiblement plus âgé lui aussi. Absorbée dans sa contemplation, Fleur se demanda si elle avait besoin de davantage de preuves pour croire à son histoire. La championne de Beauxbâtons se posait une multitude de questions mais en cet instant, elle était comme envoûtée par les photographies et en particulier par la vue de ces deux enfants qui étaient manifestement les siens. Des enfants qu'elle n'avait jamais portés mais pour lesquels elle ressentait une forme d'attachement presque viscéral. Ils étaient si beaux, plus encore que ce qu'elle avait pu imaginer.

Usant d'un sortilège de duplication, Fleur copia les deux photos avant de refermer soigneusement le pendentif et de le reposer délicatement sur la pile de vêtements. Elle songea un instant à porter son attention sur sa malle mais elle chassa vite cette pensée, ne souhaitant pas violer davantage sa vie privée qu'elle ne l'avait déjà fait. Son attention se porta de nouveau sur Harry et la sorcière ne résista pas à la tentation de poser délicatement une main sur son visage pour écarter une mèche de cheveux noirs. Le champion de Poudlard n'avait pas de cicatrice sur le front, il n'avait pas non plus le même âge que sur la photo mais son instinct lui soufflait qu'il était bien le même homme que celui du pendentif.

Ne souhaitant pas le tirer du sommeil réparateur dans lequel il se trouvait, Fleur se pencha sur lui et déposa un léger baiser sur sa joue, en miroir de celui qu'il lui avait donné quelques heures plus tôt, au terme de leur danse dans la grande salle.

- Je t'ai dit qu'on ne m'effrayait pas si facilement, Harry, murmura-t-elle avec douceur. Je veux apprendre à te connaître et je veux que tu apprennes à me connaître aussi. Je ne suis pas celle que tu as perdu mais je suis Fleur Delacour et sur mon honneur, je me battrai pour me faire une place dans ton cœur.

Sur ces mots, la Française s'éclipsa aussi discrètement qu'elle était entrée, prenant soin de retirer le sortilège de confusion qu'elle avait placé à l'entrée du dortoir à son arrivée.


En cette belle matinée d'hiver déjà bien avancée, Neville Londubat était rayonnant lorsqu'il passa les portes de la grande salle. Les quatre longues tables correspondant aux différentes maisons avaient retrouvé leurs emplacements habituels mais peu d'élèves les occupaient. Il supposa que les plus jeunes avaient déjà pris leur petit-déjeuner tandis que leurs aînés récupéraient encore des festivités de la veille. Étant le premier arrivé de son groupe d'amis, le prodige en botanique s'installa à la table des Gryffondor et remplit son assiette tout en fredonnant l'air d'une chanson des Bizarr'Sisters qu'il avait entendu la veille.

Il salua de la main Hermione lorsqu'il la vit entrer à son tour dans la grande salle, l'air un peu perdue. Elle s'installa en face de lui, ses cheveux en broussaille et ses yeux rougis, peut-être par des larmes versées pendant la nuit.

- Bonjour Hermione, est-ce que tu veux un verre de jus d'orange ?

- Bonjour Neville… Oui, volontiers. Est-ce que tu peux aussi me passer le café, s'il te plaît ?

Le Gryffondor s'exécuta, plaçant les deux boissons à portée de main de sa camarade de maison avant de retourner à ses propres tartines. Il se garda de mentionner la dispute publique qui avait éclaté la veille dans la salle commune entre elle et Ron, visiblement à propos du cavalier d'Hermione. Il supposait que cette dispute la travaillait encore, à en juger par la façon dont elle tournait et retournait sa cuiller dans sa tasse de café alors qu'elle n'y avait encore ajouté ni lait, ni sucre.

D'ordinaire, Neville aurait simplement gardé le silence et ignoré l'hippogriffe dans la pièce mais Drago avait raison lorsqu'il évoquait la façon dont ils avaient tous un peu changé au contact d'Harry cette année. Le jeune Londubat avait envie de remonter le moral de son amie, même si ça lui demandait de sortie de sa zone de confort.

- Je sais que ça ne me regarde pas mais pour ce que ça vaut, je pense que tu n'as rien fait de mal en allant au bal avec Viktor. Il n'est peut-être pas très bavard mais c'est quelqu'un d'honnête et de sincère. S'il était moins buté et moins aveuglé par sa jalousie, je pense que Ron le verrait aussi. Comme nous tous, Ryan doit sûrement savoir que la seule raison pour laquelle Viktor t'a approchée, c'était parce qu'il avait d'apprendre à mieux te connaître.

Hermione releva promptement la tête, manifestement estomaquée par les paroles de Neville. Elle ouvrit la bouche mais n'eut pas le temps de lui répondre qu'une silhouette venait de prendre place à côté du jeune Londubat, avec une écharpe aux couleurs vert et argent enroulée autour du cou.

- Salut Neville ! Je ne m'y attendais pas après le festin d'hiver mais je suis affamé ! C'est peut-être à cause du bal, on y est restés assez tard. Tu peux me passer le bacon ? Oh, bonjour Granger, je ne t'avais pas vue.

La Gryffondor ne semblait pas s'être habituée à la vue d'un Drago Malefoy qui s'installait à la table des lions de son plein gré et comme si de rien n'était. Plus étonnant encore, le blond la traitait comme une personne normale, sans l'insulter ou même faire preuve de son mépris habituel. Neville y voyait un autre exemple de l'évolution de leurs comportements respectifs ces derniers mois et pas seulement le fruit de l'influence d'Harry. Il savait que le Serpentard avait traversé des moments difficiles et perdu certaines de ses illusions avec le procès de son père. Drago avait recentré son cercle d'amis autour de gens sur lesquels il pouvait compter et qui incluaient des Gryffondor, des Serdaigle et des Poufsouffle en plus des Serpentard.

- Salut Drago, répondit Londubat avec un sourire amusé. Tiens, voilà l'assiette de bacon mais essaie d'en laisser quelques tranches pour Susan. Tu sais que c'est son régal.

- C'était quoi le dicton moldu qu'Harry nous avait sorti une fois ? Ah oui ! Les absents ont toujours tort. Tu sais que j'apprécie beaucoup Susan mais rien ne pourra se mettre entre ce bacon et moi… Oh, Merlin j'ai l'impression de parler comme Weasley, s'étonna-t-il avec une pointe d'effroi. J'espère que je ne suis pas en train de me Gryffondoriser… se lamenta-t-il tout en découpant une tranche de bacon.

- Tu utilises encore tes couverts et ton assiette ne déborde pas donc je pense que tu as encore un peu de marge avant de finir ta transformation, répliqua Neville du tac au tac, avant d'adresser un sourire d'excuse à Hermione.

- Nul besoin de contester la vérité, Ron n'a aucune manière à table, rétorqua la sorcière en secouant la tête.

- Enfin un sujet sur lequel on est d'accord, comme quoi tout peut arriver ! Renchérit Malefoy avant de lever son verre de jus d'orange comme pour porter un toast. En parlant de miracle, comment s'est passée ta fin de soirée avec ta cavalière lunaire, mon cher Neville ? Demanda-t-il sur un ton espiègle.

- Très bien, je te ferai dire. Luna a accepté qu'on aille ensemble à Pré-au-Lard et je n'ai été attaqué par aucun Ronflak cornu donc j'estime que la soirée s'est bien terminée. Et toi ? Est-ce que le serpent a fait usage de son nouveau courage « gryffondorien » ?

- Les Gryffondor n'ont pas le monopole du courage, seulement de l'imprudence, répliqua le Serpentard avant de sourire. J'ai passé un très bon moment avec Susan. Elle est d'excellente compagnie contrairement à certains lions trop curieux pour leur propre bien. Et toi, Granger ? Viktor avait l'air sur un petit nuage hier soir. J'en déduis que vous avez aussi passé une bonne soirée ? Demanda Drago d'un ton curieux en se tournant vers elle.

- Je suppose. Il avait l'air content et… j'ai passé un bon moment en sa compagnie aussi. C'est un excellent danseur, commenta-t-elle avec un léger sourire.

- Vue la maestria avec laquelle il manie son balai dans les airs, ça ne m'étonne pas qu'elle se débrouille aussi bien sur la terre ferme, acquiesça Drago. Quoique ce n'est pas toujours vrai si on le compare avec Harry. Vous savez ce qui s'est passé avec lui hier ? Cédric m'a dit qu'il l'avait vu danser avec Fleur puis avec Kathleen Black et que les deux filles avaient fini leur danse en pleurs !

Neville n'avait pas assisté à la scène mais il avait eu des échos similaires de la part de Luna. La Serdaigle avait employé ces formules sibyllines dont elle avait le secret lorsqu'elle lui avait parlé des « principales » cavalières d'Harry, à savoir Ame Warashi, Fleur et Kate. Il se souvenait encore de ce qu'elle lui avait confié.

Les filles avec qui il a dansé ? Mm quand j'ai dansé avec lui, c'était un parfait gentleman. Ame Warashi et lui avaient l'air proches, comme de vieux amis mais je ne pense pas qu'il y ait plus. Peut-être parce qu'elle est plus proche d'une aquapathe que d'une humaine ? Oh, il a dansé avec Fleur aussi ! Ils étaient très mignons tous les deux, dommage qu'ils aient l'air de ne pas être sur le même plan d'existence. Je me suis demandée si c'était pour ça que Fleur pleurait quand elle a quitté la piste de danse. Ah et il y a eu Kathleen aussi. Je crois qu'elle attendait beaucoup de sa danse avec Harry, elle m'avait dit qu'elle voulait en profiter pour lui parler à cœur ouvert mais ça n'a pas marché. Je n'étais pas vraiment étonnée d'ailleurs parce que son Harry n'est pas vraiment notre Harry, tu comprends ? Je préfère notre Harry, il est plus gentil et plus courageux aussi, même s'il a beaucoup souffert. Il ne devrait pas cacher ce dont il souffre, il n'y a aucune honte à avoir attrapé des joncheruines en voyant à droite à gauche…

Ce seul souvenir fit sourire Londubat de plus belle avant qu'il ne réponse à Drago.

- Luna avait l'air de dire que les choses semblaient compliquées, pour Fleur et Kate je veux dire. Est-ce que Viktor t'en a parlé, Hermione ?

- Non, pas en détail en tout cas. Je sais qu'il a croisé Fleur juste avant qu'elle ne quitte la grande salle. Quand il lui a demandé si tout allait bien, elle lui a répondu que oui et qu'elle avait simplement besoin de prendre l'air. D'après lui, Fleur n'avait pas l'air énervée ou en colère, je dirais plutôt bouleversée. Peut-être que ça n'a rien à voir avec Harry et qu'elle avait simplement appris une mauvaise nouvelle par hibou ? Suggéra Hermione.

- Ça m'étonnerait, répliqua Susan qui venait de les rejoindre à la table des Gryffondor, de l'autre côté de Drago, sans que Neville s'en soit aperçu. Son maquillage était impeccable quand elle a rejoint la piste de danse. Je suis d'avis que c'est lié à Harry.

- Dites donc, vous savez que c'est la table des Gryffondor, n'est-ce pas ?

Le ton de Ginny était davantage exaspéré que cinglant lorsqu'elle s'assit à côté d'Hermione. Neville prit une moue gênée mais il n'avait aucunement l'intention de demander à ses amis de partie. Drago et Susan furent bientôt rejoints par Cho et Cédric, qui avaient l'air complètement à l'aise avec cette pratique de mêler les élèves aux quatre tables, qui n'était plus l'apanage de leur seul groupe désormais. Depuis qu'Harry avait publiquement débattu avec le professeur McGonagall à ce sujet, d'autres groupes d'élèves inter-maisons avec pris le pli, à chacune des tables d'ailleurs.

- Ne t'inquiète pas, Weasley, il reste du bacon, s'exclama le Serpentard avec un sourire moqueur en lui tendant le plat.

- Contrairement à mon frère, je ne suis pas un ventre sur pattes, Malefoy ! Rétorqua la benjamine des Weasley, qui se servit malgré tout plusieurs tranches dans son assiette.

- En parlant de frangins, quelqu'un a vu l'un ou l'autre des deux Potter ? Demanda Cédric d'un ton emprunt de curiosité, tout en les cherchant du regard aux différentes tables.

- Ryan dormait encore quand j'ai quitté le dortoir mais Harry n'était déjà plus là. Je pensais le trouver ici, confessa Neville en haussant les épaules.

Le jeune Londubat se demanda d'ailleurs où était passé leur ami s'il ne se trouvait ni dans la tour des Gryffondor, ni dans la grande salle. Cela étant dit, Harry avait l'habitude de disparaître de temps en temps donc il supposa qu'il était peut-être parti faire un tour sur son balai.


Albus Dumbledore était assis derrière son bureau, en train de se masser les tempes. Il n'avait pas connu un tel mal de crâne depuis plusieurs années, non plusieurs décennies, et le vénérable sorcier avait conscience qu'il n'était pas uniquement dû à l'alcool consommé la veille. Le directeur de Poudlard avait été obligé de supporter les compagnies d'Igor Karkaroff et de Ludo Verpey pendant toute la soirée, ce qui n'était pas en soi un exercice facile. A cela s'ajoutait l'omniprésence du jeune Percy Weaskey à côté de lui, ce dernier étant devenu très difficile à supporter depuis sa nomination auprès de Barty Croupton au département de la Coopération magique internationale.

Si cela n'avait pas suffi, l'ancien professeur de Métamorphose avait découvert un désordre des plus inhabituels lorsqu'il avait regagné ses quartiers après le bal. La plupart de ses instruments en argent qu'il avait disposés sur différentes tables à pieds fins dans son bureau avaient tous exploré en mille morceaux, sans exception. Cette scène de destruction était d'autant plus étrange que ces instruments n'étaient sensibles qu'à une magie très particulière, en l'occurrence celle liée à l'âme, qui était presque indétectable avec une baguette. Albus avait passé de très longues heures à ensorceler les différents objets pour qu'ils puissent déceler les subtiles variations de cette magie, notamment pour découvrir la présence d'horcruxes dans un périmètre assez limité autour de Poudlard.

Bien que n'étant pas un expert dans la magie de l'âme, le Président-Sorcier du Magenmagot avait étudié les rares ouvrages relatifs à cette discipline sur lesquels il avait réussi à mettre la main. Rien de ce qu'il avait pu lire n'expliquait comment ses instruments avaient pu être à ce point saturés pour voler en éclats.

Si tout cela ne suffisait pas, il lui avait été impossible de mettre la main sur Harry Potter. Le Manitou Suprême de la Confédération Internationale des Mages et Sorciers s'était inquiété de la disparition de Ryan Potter au cours du bal, si bien qu'il avait pris le temps de le chercher lui-même pendant la soirée. A son grand soulagement, le professeur avait trouvé l'adolescent simplement endormi dans le parc, une fatigue qu'il avait attribuée à la soirée très animée. Malheureusement, le temps de revenir dans la grande salle après avoir confié l'adolescent aux elfes de maison, Albus avait perdu la trace de l'autre Potter et de sa cavalière. Charlus Potter semblait également s'être volatilisé !

Pendant que le vénérable sorcier était coincé en compagnie de Ludo Verpey et du jeune Weasley, il avait aperçu le père de James Potter échanger avec Madame Maxime et certains invités du ministère de la Magie, comme Amélia Bones. Le directeur de Poudlard n'était pas à ce point déconnecté de la scène politique britannique pour ne pas avoir remarqué que le patriarche Potter réintégrait progressivement la vie publique. Ses contacts au ministère et au Magenmagot lui avaient rapporté que Charlus était un visiteur plus fréquent au ministère de la Magie ces dernières semaines, en particulier au département de la Justice Magique. Le fait que ce changement de comportement ait commencé peu après le déroulement de la première épreuve du Tournoi des Trois sorciers ne ressemblait pas à une coïncidence. Charlus paraissait avoir renoué avec Harry, ce qui faisait craindre le pire à Albus.

La rébellion d'un adolescent de quatorze ans était une chose mais aussi médiatique et humiliante ait pu être l'audience qui l'avait opposé à ses parents, cet évènement était sans commune mesure avec les conséquences catastrophiques qu'aurait un mentorat du jeune Harry auprès de Charlus. Bien sûr, il était trop tôt pour vraiment s'en inquiéter mais Albus préférait étouffer le problème dans l'œuf dès à présent.

Le vieux sorcier sortit de ses pensées lorsque le professeur McGonagall pénétra dans son bureau.

- Bonjour Albus.

- Bonjour Minerva, avez-vous trouvé Harry Potter ?

La directrice des Gryffondor ne lui répondit pas immédiatement. Elle prit le temps de s'asseoir et de demander à un elfe de maison de lui apporter une tasse de thé. Son visage était plus fermé que d'ordinaire même s'il était toujours difficile pour Albus d'évaluer son état d'esprit lorsqu'elle portait ses lunettes rectangulaires et son chapeau pointu.

La professeure de Métamorphose but une gorgée du liquide fumant avant de lui répondre.

- J'ai discuté avec Monsieur Potter avant son départ. Vous n'avez pas besoin de vous inquiéter à son sujet.

Le Vainqueur de Grindelwald peina à dissimuler sa surprise, passant une main devant sa bouche avant de lisser sa longue barbe blanche dans un geste qui lui était devenu coutumier. Son départ ? Albus reconnaissait volontiers qu'il s'impliquait peu dans la gestion au jour le jour de son école mais il connaissait assez le calendrier général pour savoir qu'aucun weekend à Pré-au-Lard n'était programmé avant plusieurs semaines.

- Qu'entendez-vous par son départ, Minerva ?

- Exactement ce que j'ai dit, Albus, rétorqua l'Ecossaise après avoir savouré une gorgée d'Earl Grey. Monsieur Potter m'a fait remarquer avec raison qu'il n'avait pas eu la possibilité de quitter Poudlard pour les vacances de fin d'année, non par choix personnel mais du fait de son obligation de participer au Bal de Noël. Il a émis le souhait de s'absenter de Poudlard jusqu'à la fin des vacances, une demande que j'ai acceptée en mon autorité propre.

Albus ravala le juron qu'il avait au bord des lèvres. Le directeur n'avait besoin d'un talent en matière de divination pour prédire que l'adolescent s'était rendu soit auprès de son grand-père, soit auprès des gobelins. Dans les deux cas, une influence extérieure éloignerait un peu plus le jeune Harry de ses parents et par extension d'Albus. Jusqu'à récemment, cette situation ne l'aurait pas contrarié outre mesure, les conséquences étaient seulement médiatiques et, dans une moindre mesure, dans les troubles mineurs que cela aurait pu occasionner à James et Lily.

Les évènements survenus depuis la finale de la Coupe du Monde de Quidditch avaient radicalement changé la donne. Harry Potter était passé du statut d'élève moyen, discret au point d'en devenir presque invisible à celui de figure médiatique et ce par ses propres prouesses. Sa victoire avec l'équipe de Bulgarie en finale de la Coupe du Monde, sa participation au Tournoi des Trois sorciers et surtout sa récente prestation face au Magyar à pointes lui avaient conféré une célébrité presque comparable à son célèbre frère, en tout cas en Grande-Bretagne. Ces épreuves avaient également révélé chez lui des talents insoupçonnés, en vol bien sûr mais aussi et surtout en matière de maîtrise d'une magie ancienne. Harry Potter représentait une énigme qui inquiétait d'autant plus Albus que le Gryffondor lui apparaissait beaucoup plus difficile à comprendre que Tom Jedusor en son temps.

Harry Potter ne semblait ni un suprémaciste de la pureté du sang, ni intéressé outre mesure par la magie noire. Pour autant, il avait rejeté fermement toute interférence de ses parents et par extension de Dumbledore lui-même dans sa vie. Ce n'était pas un problème tant que l'adolescent serait à Poudlard mais le directeur voyait plus loin. L'équilibre de la politique sorcière britannique reposait depuis 1981 dans une polarisation des forces entre les élites ultraconservatrices jusqu'à récemment ralliées par Lucius Malefoy et une coalition des forces modératrices et progressistes sous l'égide de Dumbledore. Albus parvenait à conserver une courte majorité au Magenmagot parce que les membres de sa coalition, depuis les conservateurs qui rejetaient la ligne de Malefoy jusqu'aux progressistes les plus radicaux, n'avaient précisément aucune alternative viable à Dumbledore. Si demain, Charlus Potter revenait dans l'arène et formait le jeune Harry comme un héritier politique de ses idées, le bloc de Dumbledore se disloquerait ! Voilà pourquoi Albus devait profiter des trois prochaines années pour persuader le jeune Harry de rejoindre son camp, quitte à jouer les médiateurs entre ses parents et lui.

Hélas, le directeur ne s'était pas ouvert de ses plans à Minerva. Il avait le défaut de trop peu partager ses stratégies et informations, même avec ses plus proches amis et collaborateurs. Le professeur McGonagall avait été son élève et était devenu son amie, ce pourquoi il lui faisait tout à fait confiance pour s'occuper d'une grande partie de la gestion de Poudlard à sa place. Toutefois, elle ne partageait pas toujours ses vues, notamment en matière d'orientation des élèves. Voilà pourquoi il évitait habituellement ce genre de sujet avec elle.

- Minerva, il est impératif que M. Potter ne s'éloigne pas davantage de ses parents. Je sais que nous n'en avons pas assez discuté mais…

- Nos différences sont irréconciliables sur le sujet, Albus, le coupa McGonagall d'un ton tranchant. Je commence à me demander si nos priorités ne sont également. Ma priorité consiste à m'assurer du bon fonctionnement de cette école et d'assurer le meilleur environnement d'apprentissage possible pour nos élèves. M. Potter a déjà démontré qu'il ne tolèrerait pas qu'on s'immisce dans ses affaires privées et il bénéficie de l'appui du président de Gringotts. Je ne risquerai pas une offensive judiciaire de la nation gobeline contre l'école simplement pour satisfaire vos jeux politiques, Albus. Si vous persistez dans cette voie, je n'aurai pas d'autre choix que d'en référer au conseil d'administration de Poudlard.

- Que voulez-vous dire, Minerva ? Je n'agis que dans l'intérêt de l'école…

- Voyons, Albus ! Me mentir est une chose mais vous voiler ainsi la face ? J'ai beaucoup d'estime pour vous et pour ce que vous avez fait jadis pour le monde sorcier britannique mais reconnaissez que Poudlard n'est plus votre priorité depuis longtemps. Aucun sorcier, aussi intelligent et aussi puissant soit-il, ne saurait gérer efficacement trois postes à hautes responsabilités comme les vôtres. Vous négligez en partie vos responsabilités à Poudlard en me les déléguant, soit. C'est un arrangement que j'ai accepté parce que vous envisagiez de me former pour prendre votre succession à la tête de ce remarquable établissement. Malheureusement, vos défaillances ne s'arrêtent pas là, Albus. Vous utilisez Poudlard pour maintenir ce statu quo entre les puristes d'un côté et les modérés de l'autre. Jusqu'à aujourd'hui, j'ai fermé les yeux en me persuadant qu'il s'agissait d'un mal nécessaire mais j'en ai assez !

Dumbledore ne comprenait pas ce qui était en train de se passer. Il avait déjà eu des divergences d'opinion avec Minerva par le passé mais jamais à ce point. L'enseignante finissait toujours par concéder et en retour, le directeur acceptait certains ajustements. C'était de cette façon qu'il avait accepté de faire une exception pour que Ryan Potter intègre l'équipe de Quidditch de Gryffondor pendant sa première année alors que c'était en principe interdit.

- Que s'est-il passé, Minerva ? Nous avons toujours su surmonter nos désaccords, qu'est-ce qui a changé ?

- Je vous l'ai dit, Albus, j'ai ouvert les yeux. J'ai assisté au procès opposant Harry Potter à ses parents et j'ai constaté les conséquences terribles que vos choix et ma passivité avaient entraîné pour ce garçon. Le nouveau journal sorcier, le Niffleur Ensorcelé, m'a également fait l'effet d'une douche froide. Je me suis rendu compte de tout ce qui se passait, concrètement dans cette école et sous mon nez. Filius était aussi effaré que moi. Oh, ce ne sont pas que des choses négatives, Merlin soit loué mais cela démontre, si c'était encore nécessaire, à quel point nos élèves se forgent malgré nous plutôt qu'avec notre aide. Harry Potter a fait davantage pour promouvoir le rapprochement et la coopération inter-maisons ces quatre derniers mois que nous tous réunis ces quatre dernières décennies !

- Ce n'est pas vrai, Minerva. Vous savez come moi que l'équilibre entre les vieilles familles et les plus récentes est fragile.

- Fragile ? Dites plutôt volatile. Et pourtant, regardez ! Qui aurait imaginé hier qu'un Malefoy déjeunerait à la table des Gryffondor en compagnie d'un Londubat, d'une Weasley et d'une sorcière née-moldue ? Qui aurait imaginé le fils de Lucius danser avec la nièce d'Amélia Bones de son plein gré ? Le monde est en train de changer, Albus, grâce à des personnes comme Harry Potter qui parviennent, on ne sait comment, à échapper à votre contrôle !

- Ce n'est qu'un phénomène passager, Minerva. Ces enfants sont peut-être amis aujourd'hui mais vous savez comme moi que lorsqu'ils auront mis un pied en dehors de ces murs, la réalité les rattrapera.

- C'est votre point de vue, Albus. Je choisis de croire en ces jeunes gens. Sirius et Andromeda Black en ont été l'exemple en leur temps. Vous-même, à une certaine époque, vous étiez prêt à prendre des risques pour permettre à Remus Lupin d'étudier dans cette école. Je crains que dans votre grand âge, votre champ de vision se soit rétréci au point de ne plus guère voir ce que vous avez envie de voir. Je vais donc formuler ma position de la manière la plus intelligible possible. Si vous essayez encore d'interférer avec la vie privée des élèves de cette école, et d'Harry Potter en particulier, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous faire obstacle et, le cas échéant, pour vous faire renvoyer. Bonne journée, Albus.

L'enseignante quitta le bureau sur ces mots, laissant un Dumbledore effaré derrière elle. Ce dernier aurait volontiers cherché du réconfort auprès de son familier mais Fumseck était absent. Dans un rare exercice de remise en question, l'ancien professeur se demanda s'il avait réellement perdu pied, occupé qu'il était à jongler entre ses différentes – et écrasantes – responsabilités. Peut-être était-il temps d'arrêter de vouloir porter tout ce poids sur ses épaules ? Mais dans ce cas, à qui pouvait-il faire confiance pour s'assurer que le monde sorcier ne sombre pas dans le chaos ?


Harry regrettait presque de ne pas être resté à Poudlard pour les vacances. À peine était-il arrivé à l'intérieur de Gringotts qu'il avait été amené devant maître Thorin. Le guerrier gobelin lui avait mis une épée dans la main et l'avait défié sans lui offrir ne serait-ce qu'une minute de répit. Le jeune Potter peinait sous ses assauts et il était déjà surpris de ne pas avoir déjà mordu la poussière.

Il ne négligeait pas ses séances d'entraînement, il pratiquait même quotidiennement les mouvements que le maître d'armes lui avait enseignés. Malheureusement, il était encore épuisé après le rituel de la veille. S'il arrivait à donner le change lorsqu'il s'agissait de tâches ordinaires, il ne parvenait pas à opposer une résistance crédible face aux puissantes attaques du guerrier gobelin. Le Gryffondor en ressentait une certaine honte et de la frustration mais il supposait que cette démonstration de force était une manière pour Thorin de lui faire comprendre qu'il n'était pas dupe quant à son état.

- Je suis désolé, maître Thorin, lâcha finalement l'adolescent en mettant un genou à terre.

- Au vu de tes réserves magiques, c'est plutôt un effort passable, rétorqua le gobelin avec un sourire malicieux aux lèvres.

- J'imagine que Gringotts a mis en place des enchantements pour détecter la santé de ses visiteurs ?

- Ils visent plutôt à détecter les maladies et les états inhabituels. Ces enchantements sont relativement récents, le besoin s'en est fait sentir après la visite d'un professeur de Poudlard qui hébergeait un mage noir dans sa propre chair il y a quatre ans.

- Je suppose que le président Ragnok est furieux contre moi ? Demanda Harry, qui essayait tant bien que mal de reprendre son souffle.

- L'esprit du président est insondable mais si je devais me hasarder à une opinion, je dirais qu'il est davantage curieux que furieux, répondit le gobelin après avoir rangé son épée. Notre confiance en toi n'a pas changé, Harry. Tu as prouvé par tes actes que la nation gobeline pouvait se fier à toi. Contrairement à Dumbledore, nous ne nous attendons pas à ce que tu nous livres tous tes secrets. Cela dit, nous avons besoin de connaître certaines choses à l'avance si nous voulons pouvoir t'assister et te défendre efficacement. J'ignore l'objet de ton entretien avec Ragnok mais ceci pourrait t'être utile.

Harry accepta la fiole tendue par le maître d'armes. A sa couleur et à son odeur, il reconnut un philtre revigorant qu'il s'empressa de boire d'une traite. Ses forces lui revinrent quelque peu même s'il avait conscience que l'effet ne serait que temporaire. Fort heureusement, il aurait le droit de prendre une douche et de se changer avant de faire face au gobelin le plus rusé et le plus puissant de toute cette nation souterraine.


- Bonjour Maître Ragnok.

- Bonjour Harry, asseyez-vous je vous prie.

Le vénérable gobelin avait fait apporter du thé noir et des petits gâteaux à son attention. Le jeune Potter entreprit de lui raconter aussi clairement que possible les évènements des derniers jours et en particulier ceux de la veille. Bien sûr, il supposait que le président de la banque gobeline n'était pas dupe. Comme Maître Thorin le lui avait expliqué, le gobelin était conscient qu'Harry ne leur avait pas révélé tous les détails mais tous deux semblaient respecter son choix pour le moment.

- Je suis étonné que le professeur McGonagall vous ait laissé partir aussi facilement.

- J'en ai été le premier surpris. Je suppose qu'elle s'est rendue compte que se mettre Gringotts à dos serait préjudiciable pour l'école. Je ne vois pas vraiment quel autre argument aurait pu la faire changer aussi radicalement d'avis.

- Je n'en suis pas si sûr. Bien évidemment, Gringotts est un argument de poids mais nous avons également été contactés par le professeur Flitwick, qui entretient des liens avec la nation gobeline. Il semblerait que les changements de comportement des élèves à votre contact les aient fait réfléchir, de même que votre journal de propagande qui semble faire des merveilles pour les obliger à voir ce qui était pourtant sous leur nez depuis longtemps.

- Ils se sont abonnés au Niffleur ?

- La plupart des professeurs de Poudlard le sont désormais, en tout cas ceux qui savent lire et qui ne sont pas aussi éloignés de la vie de l'école qu'Albus Dumbledore, expliqua Ragnok avec un sourire féroce. Nous avons cinquante-deux abonnements à Poudlard pour le moment et deux cents de plus en dehors de l'école. Comme nous en avions convenu, des exemples sont par ailleurs vendus à l'unité à la librairie Brocéliande mais nous n'aurons un bilan consolidé des ventes qu'à la fin du mois.

Cette dernière information faisait sincèrement plaisir à Harry. Il s'agissait seulement d'un début et sans commune mesure avec les chiffres de la Gazette du Sorcier mais pour un journal aussi récent, cette tendance était encourageante. Il s'agissait aussi d'une confirmation des échos qu'il avait eus auprès de certains élèves, qui découvraient parfois certaines activités à Poudlard dont ils n'avaient pas nécessairement connaissance.

- Je suppose que cela signifie que les affaires marchent bien chez Brocéliande ? Demanda Harry avec un sourire.

- La librairie croît en popularité et en clientèle. Pour l'instant, la majorité des clients sont nés-moldus et sang-mêlés, à en croire les recoupements effectués à partir des registres des ventes. D'ailleurs, nous constatons une demande croissante en nouveaux livres, ce pourquoi il pourrait être judicieux d'ajouter une maison d'édition à la liste des activités incluses dans la Camelot Community Corporation. Ah, et vous serez heureux d'apprendre que le partenariat avec le Chicaneur semble leur profiter également. La mise à disposition de leur journal dans la librairie a également un effet positif sur leurs ventes. Seule la Gazette du Sorcier en est absente mais ce n'est pas une grande perte.

Le Gryffondor acquiesça simplement de la tête, perdu dans ses pensées. Non seulement le fait de posséder leur propre maison d'édition serait utile mais cela réduirait aussi certains risques de fuite d'information auprès de la concurrence voire auprès du ministère. Harry hésitait à faire part de ses projets politiques à Ragnok mais c'était le genre de secret qui deviendrait de plus en plus difficile à garder s'il s'appuyait sur la structure créée en partenariat avec Gringotts. Sans la C3, il ne pourrait pas financer une campagne, en dépit de l'appui politique et pécunier de son grand-père. Par ailleurs, cette campagne électorale représentait à la fois une opportunité de faire bouger les lignes dans le monde sorcier britannique mais aussi de faire avancer les intérêts gobelins. Harry n'était pas arrogant au point de croire pouvoir porter les intérêts de cette nation sans les associer à sa démarche dès le départ.

Cela étant dit, il y avait différentes manières d'amener ce sujet sur la table.

- Qu'en est-il du projet Avalon ?

- L'institut avance bien. Rems Lupin a déjà rencontré certains parents moldus dont la progéniture étudie à Poudlard. Il est en train de recruter des enseignants et de concevoir avec eux les programmes scolaires pour cinq années d'études, entre six et dix ans, l'équivalent de l'école primaire moldue à ma connaissance. S'il continue à ce rythme, l'institut pourrait tout à fait ouvrir en septembre prochain comme initialement prévu. Dans l'idéal, les premiers élèves et leurs parents pourraient visiter les locaux et rencontrer les professeurs dès le printemps.

- Vous m'en voyez ravi. Sur un sujet plus personnel, avez-vous du nouveau au sujet de Rose Potter ? Demanda Harry d'un ton plus gêné.

- En dépit du fait que vous ayez été reconnu légalement comme un adulte par le Magenmagot et le ministère de la magie, il sera plus difficile d'obtenir la garde de Mlle Potter que de percevoir des compensations financières. Après tout, vous êtes encore élève à Poudlard, même si vous êtes en bonne voie pour devenir indépendant financièrement. En d'autres termes, votre profil n'est pas idéal pour vous occuper d'une enfant si jeune.

- Je vois. Dois-je aussi comprendre que mon profil ne serait pas idéal non plus pour être élu au Magenmagot ? S'enquit l'adolescent comme s'il parlait d'intégrer une équipe de Quidditch amateur. J'en discutais avec Charlus il y a quelques jours et il m'a indiqué qu'avec mon statut d'adulte, je remplis désormais la principale condition d'éligibilité.

Le jeune Potter n'aurait pas dû être surpris par le sourire carnassier qui fleurit sur le visage du président gobelin. Il s'était à moitié attendu à ce que Ragnok balaie sa proposition d'un revers de main ou à la rigueur, qu'il lui suggère de tempérer ses ardeurs le temps d'être plus mature. À la place, le banquier semblait intéressé par son ambition politique.

- Tout autre adolescent de votre âge échouerait à lancer une campagne électorale crédible, à l'exception peut-être de Ryan Potter. Vous bénéficiez d'une situation très particulière, Harry. La Coupe du Monde de Quidditch, le Tournoi des Trois sorciers, le procès public contre James et Lily Potter… Vous avez déjà attiré l'œil et la sympathie du public sorcier britannique et je gage que Charlus vous apportera son soutien. Avec un organe de presse à votre disposition, vos chances me semblent plutôt bonnes, d'autant plus que nous avons jusqu'à l'été prochain avant l'élection.

- Est-ce que six mois y suffiront ?

- C'est suffisant pour consolider votre réputation auprès du public et pour vous inscrire dans les traces de Charlus si c'est ce que vous souhaitez. Cela vous assurerait une forme de légitimité et de filiation politique. Nous avons déjà constaté qu'une certaine frange de l'électorat britannique cherche une autre voie, distincte de celle de Dumbledore, de celle de Fudge et bien sûr des éléments ultra-conservateurs autrefois ralliés sous la bannière de Lucius Malefoy.

- Je le conçois mais est-ce que ce sera suffisant pour gagner ?

- Ce sera suffisant pour avoir une chance de gagner. Pour un joueur de Quidditch qui a bravé une finale de Coupe du monde au pied levé, n'est-ce pas là tout ce qui compte ? Lui répliqua Ragnok avant de porter sa tasse de thé à ses lèvres.

Vu sous cet angle, Harry devait concéder devant le raisonnement du gobelin. Ne disait-on pas que la chance souriait aux audacieux ? Voyant Ragnok se lever, Harry lui emboîta le pas et fut surpris quand le président de Gringotts lui tendit une bouteille de vin.

- Il s'agit d'un cadeau pour Charlus, expliqua Ragnok. Il me semble que vous allez passer quelques jours chez lui, n'est-ce pas ?

Sans surprise, le président de la banque gobeline était toujours très bien informé. Harry n'avait rien à gagner en niant l'évidence.

- Tout à fait, j'espérais pouvoir utiliser votre réseau de poudre de cheminette pour me rendre chez lui. Aurais-je oublié son anniversaire ? Demanda le Gryffondor en faisant référence à la bouteille.

- Vous pouvez tout à fait utiliser la cheminée de mon bureau. Oh, le cadeau ? Non, j'ai perdu un pari avec lui, un pari qui vous concerne d'ailleurs.

L'adolescent s'était dirigé vers la cheminée et se retourna vers le gobelin. Sa curiosité devait être lisible sur son visage parce que Ragnok esquissa ce sourire carnassier dont il avait le secret.

- Vous êtes très semblables, vous et lui. J'avais parié que vous le rejoindriez d'ici l'été prochain… et lui persistait à dire que vous le rejoindriez avant la fin de l'année. J'aurais dû savoir qu'il était mal avisé de parier contre un Potter mais je n'en garde aucune rancune. Je pense que vous ferez de grandes choses ensemble, terribles peut-être, mais remarquables.

Les paroles du maître des pierres résonnaient encore dans son esprit lorsque le jeune homme disparût dans les flammes vertes qui l'amèneraient directement au domicile de son grand-père.

Dommage que les Potter n'aient jamais été capables de réussir l'impossible lorsqu'il s'agissait de sauver leur propre famille, songea Harry avec une pointe d'amertume.