Hello toutes et tous !

Après une petite attente pour laquelle je vous présente mes excuses - l'IRL n'a pas été commode - je vous poste les quelques chapitres qui sont prêts. Celui-ci clôt l'arc Prologue, "Après le Déluge", avant un petit saut dans le temps de quelques années. Rassurez-vous, on reverra la 1ère Division et l'Égide, les routes se croiseront plus tôt que tard dans l'intrigue que j'ai en tête ;)

Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !

Lenia41


Chapitre 3 — Les Premiers Gardiens

QG de l'Égide, Londres, Angleterre. Année 2004. Deux semaines après.

Deux semaines s'étaient écoulées depuis la confrontation qui resterait inscrite dans les annales de l'histoire comme une victoire de l'Humanité, une alliance fructueuse entre Esprits et mages. Elle serait le socle qui entérinerait la création de l'Égide, organe de la trêve entre entités et mortels. Tel serait en tout cas le discours des officiels, songeait le professeur Salar en parcourant ses couloirs. Le chercheur irakien doutait qu'il s'habituerait un jour à l'ambiance toute militaire qui régnait sur les lieux, l'immensité des locaux tranchant avec le faible nombre d'agents actifs et la rareté des Esprits. L'atmosphère studieuse, bourdonnante de vie de l'Académie de la Tour de l'Horloge lui manquait ces derniers mois, depuis qu'il avait été forcé et contraint de la quitter en abandonnant son propre cours. Le chercheur ne pouvait pas s'empêcher de ressentir une pointe de culpabilité en pensant à ses étudiants et à ses doctorants, qu'il avait dû laisser derrière lui. Ce n'était pas du tout dans ses valeurs.

Un soulagement indescriptible le traversa alors que le professeur retrouvait enfin la fraîcheur propre aux jardins intérieurs de l'institution. Dépourvu de l'immense bibliothèque de l'Académie et du calme de son bureau de chercheur, il n'y avait guère qu'ici qu'il trouvait la sérénité qu'il affectionnait tant.

Encore convalescent, il avait été placé parmi les réservistes dès son réveil de l'infirmerie du QG. Il avait eu beaucoup de chance de s'en tirer à si bon compte, d'après les médecins de l'institution. Il n'avait pas été en mesure de leur apporter les réponses qu'ils cherchaient quant à l'état d'extrême fatigue dans lequel il avait été ramené, ni comment ses circuits magiques avaient pu tenir le choc après avoir été, visiblement, autant sollicités. Á vrai dire, Karim s'était lui-même demandé s'il avait rêvé de toute la mission et de la bataille, ses cauchemars hantés par une pluie d'armes d'or pur et une lame qui le transperçait de part et d'autre, comme s'il s'y était retrouvé empalé vif. Très vite, cependant, il avait été rappelé à la réalité en constatant les cicatrices qui ciselaient son corps et qui n'étaient pas présentes auparavant, qui témoignaient de blessures béantes et pourtant dont les plus terribles avaient été, pour une raison obscure, déjà refermées quand il avait été pris en charge. Á sa plaisante surprise, ils ne l'avaient pas sorti du lit pour l'amener sans plus attendre en réunion avec leur directeur, De Clare. Karim craignait pourtant qu'ils profitent de l'une des rares occasions où Enkidu – son partenaire et non son serviteur, comme il aimait le rappeler à certains agents auxquels il avait eu affaire – n'était pas présent à la base. Lancer était en effet, visiblement, une exception à la règle stipulant que les Esprits devaient rester basés au quartier général s'ils n'étaient pas accompagnés par un mage, afin de limiter tout contact évitable entre les Esprits et les Humains, en vertu de la trêve qui allait bientôt être officiellement ratifiée par de puissants Esprits, des dirigeants et des mages.

Un sourire se nicha au coin des lèvres de Karim. Il imaginait mal, de toute façon, Enkidu être contraint de quelque manière que ce soit. L'Esprit était comme la brise, imperméable à toute forme de captivité. Outre son caractère et ses grands pouvoirs, son statut d'Esprit Divin le protégeait aussi des velléités des mages, d'autant plus qu'il était à l'heure actuelle le seul d'entre eux qui ait tendu une main vers eux, à ses conditions. Il était un allié précieux, mais un allié de circonstance, un allié indépendant. Les traits de Salar se firent plus graves. Il n'était que trop conscient d'être désormais le seul lien qui unissait Enkidu à l'Égide. Son équipier avait été très limpide sur ce fait à son chevet, à son réveil.

« - Pourquoi je veux protéger les humains ? Ils sont une composante de la vie sur Terre, donc je leur suis favorable. Cependant, leur savoir les a aussi menés à se détacher de la nature. Je me sens plus proche des animaux et des plantes. Ce seront eux que je protégerai en priorité, et non les humains. »

Karim comprenait son opinion, même si elle ne rassurait sans doute pas les dirigeants de l'Égide. Cette vision correspondait assez bien à l'image qu'il était resté d'Enkidu dans les plus anciens textes écrits de l'histoire de l'humanité. L'ami du Roi des Héros était le gardien de la nature, et le premier protecteur de la faune et de la flore qui l'avaient accueilli dès ses premiers pas sur le sol des mortels. Il était, en ce sens, plus proche des bêtes que des humains, et ne veillait sur ces derniers que parce qu'ils étaient des êtres vivants, l'un des microcosmes de l'immense macrocosme de la nature.

« - Tu n'es pas un humain ordinaire. Ton savoir ne t'a pas fait oublier tes liens primordiaux avec la nature. En outre, cette forme, ce pouvoir… tu m'as donné ce que les dieux m'ont refusé. Tu m'as accepté comme je suis, aussi je marcherai à tes côtés, et serai ton arme pour protéger l'humanité. »

Le chercheur restait fasciné autant par la sérénité que la férocité dont pouvait faire preuve l'Esprit, dont la pensée pouvait faire preuve autant d'une immense sagacité qu'une désarmante simplicité. Il se sentait honoré par la confiance que lui portait l'Esprit Divin, qu'il respectait bien plus que l'Égide. Son seul point de divergence était la nature d'Enkidu, qu'il ne considérait pas comme un simple outil, une arme commode pour les intérêts égoïstes de l'humanité. Sa nature était bien plus complexe, une quintessence à la fois sauvage et sagace, paisible et violente, changeante comme l'air, insondable comme l'eau, implacable comme le feu, solide comme la roche et insaisissable comme le vent. C'était ce caractère mouvant, libre, indéchiffrable et inaccessible de l'entité qui effrayait tant les humains. Enkidu se fiait à son jugement, aussi Karim ferait son possible pour en être digne et ne pas trahir les valeurs de son équipier. Il collaborerait avec l'Égide, sans être tout à fait assujetti à l'organisation.

« - Tu ne peux pas quitter les lieux ? Ah, tu dois respecter la chaîne de commandement. C'est un concept que je peux entendre. Le rôle du cerveau est de protéger le corps, le rôle du corps est d'obéir aux ordres du cerveau. Néanmoins, pour ce faire, les ordres du commandement ne doivent pas être stupides. Aussi s'ils te retiennent contre ton grès, n'hésite pas à m'appeler. Je viendrai te chercher. »

Il espérait quand même qu'ils n'auraient pas à aller jusqu'à cette extrémité, aussi avait-il rassuré Enkidu et l'avait-il laissé quitter le complexe sans s'en formaliser davantage. Même séparés par la distance, il ressentait toujours un écho de la présence de l'Âme Héroïque à travers leur lien mental. Avec du temps, il n'avait aucun doute quant au fait qu'ils parviendraient à communiquer par la pensée avec la même aisance que la militaire d'Elvaren et l'équipière de celle-ci, la célèbre Jeanne d'Arc. Trouvant l'ombrage d'un grand arbre juste assez éloigné au sein des jardins, Karim se laissa glisser avec soulagement contre l'écorce de son tronc, jusqu'à ce qu'il se trouve assis dans l'herbe, adossé contre lui. Il extirpa de sa besace un épais livre d'archéologie sumérienne, qu'il avait gardé avec lui, et l'ouvrit à la page où il s'était arrêté le matin du jour où l'Égide l'avait « enlevé à l'Académie ». Il le parcourut de longues minutes durant, avant de se redresser et de sortir de la poche de sa chemise une montre à gousset. Il l'ouvrit pour consulter brièvement l'heure qu'elle affichait, avant de presser l'un de ses boutons pendant quelques instants. La coque supérieure de la montre s'entrouvrit alors en une mince fente, laissant s'échapper une photographie qui se posa sur les pages ouvertes du livre. Ses yeux sombres s'adoucirent autant que son cœur se serra à la vue de la femme et des enfants qui avaient été immortalisés sur le cliché. « Loin des yeux, près du cœur » … il espérait que cela fût vrai. Il n'avait même pas eu le temps de les revoir, tandis que l'Égide et le gouvernement britannique les gardaient autant sous sa protection que comme « otages » pour s'assurer de sa pleine collaboration. Il n'était pas aveugle à ce point, ayant assez étudié l'histoire pour deviner la roublardise des dirigeants. Il fût tiré hors de ses pensées par une voix féminine qui l'interpellait, surgissant près de lui.

- Je savais que je vous trouverai ici.

Sans refermer la montre à gousset, Karim leva ses yeux sombres sur la nouvelle arrivante qu'il n'avait pas entendue s'approcher. Sans surprise, la grande et mince ombre qui le toisait appartenait à la militaire britannique dont les embruns d'accents trahissaient des origines d'Outre-Manche. Si le ton de cette dernière restait drapé de la sécheresse militaire, il s'était fait moins distant ces derniers mois. Le chercheur la toisa sans mot dire, refusant de baisser les yeux face au regard de glace d'Elvaren. Cette dernière soupira et, à son étonnement, ne chercha pas la confrontation et se départit de sa rigidité militaire en prenant place à son tour de l'autre côté de l'épais et large tronc de l'arbre où il était assis. Ils restèrent plusieurs longues minutes dans un silence complet, l'un parcourant son livre d'archéologie, l'autre consultant différents fichiers sur la tablette numérique qu'elle tenait en main.

- Vous avez l'air d'être sur pied. Commenta Karim d'un ton à la fois cordial et égal.

- Jeanne s'est occupée de moi. Elle n'en démordait pas. Répondit succinctement Elvelyn.

Sans lever le nez de son ouvrage, Karim acquiesça en silence. Cela ressemblerait bien à l'équipière de la militaire. Aussi différentes que le jour et la nuit dans leurs tempéraments, un lien particulier, indéfectible, semblait rapprocher la militaire et agent des renseignements à la Pucelle d'Orléans. Le chercheur avait noté d'ailleurs que d'Elvaren recourait plus volontiers au prénom de l'Âge Héroïque qu'à sa classe ou à l'un de ses titres, tel que « Pucelle d'Orléans ». C'était une particularité qui était à la fois commune et propre aux membres de la 1ère Division, de ce qu'il avait pu constater, à l'exception notoire de Rin Tohsaka et d'Archer, apparemment d'un accord tacite entre les intéressés. Il ne pouvait pas en dire des autres rares agents actifs de l'organisation et de leurs associés spirituels.

- Votre convalescence semble bien se passer. Constata la militaire après un court silence.

- En effet. Je devrais être bientôt remis. Se contenta de préciser le chercheur.

- Ce n'était que la pure vérité, et Salar ne voyait pas d'intérêt à dissimuler ce simple constat. Comme depuis leur rencontre ombrageuse, la conversation restait difficile entre eux, et le chercheur s'étonnait que la jeune femme semble vouloir engager la discussion avec lui, visiblement malgré son naturel.

- C'est une bonne chose. Á choisir, je préfère encore vous avoir vif plutôt que mort.

Karim redressa la tête, interpellé moins par le ton impassible de l'ancienne agent des renseignements que par ses propos qui en auraient vexé plus d'un. Il commençait néanmoins, fort des derniers mois de collaboration forcée, à entrevoir un peu mieux comment fonctionnait la psyché de la militaire. Son masque distant, hautain, et sévère, dissimulait derrière son mordant des difficultés avec les interactions sociales et une profonde méfiance envers ses comparses, peut-être pour se protéger. Il n'était certes pas docteur en psychologie, mais avait eu affaire à suffisamment d'étudiants et d'individus au cours de sa carrière de professeur et d'archéologue pour mieux cerner les caractères. Elle faisait preuve, parfois, d'une forme d'humour noir bien particulier, qu'il fallait pouvoir déchiffrer pour comprendre le véritable sous-texte derrière les mots qu'elle utilisait. C'est pourquoi le chercheur esquissa une ombre de sourire et s'aventura à recourir à un brin de malice derrière son ton très sérieux.

- J'imagine bien. Cela vous fait moins de paperasse à remplir.

S'il ne pouvait voir sa réaction, puisque la présence du tronc de l'arbre entre eux les plaçait dos à dos, il savourait les instants de silence qui s'ensuivirent, et surtout le bref ricanement qui se fit entendre. Hélas, ce dernier laissa bien vite place au sérieux imperturbable qu'il connaissait bien d'Elvaren.

- Vous allez être convoqué par le directeur. Il vous recevra juste après mon debrief.

Le contraire eût étonné Salar, il était même agréablement surpris de constater que leur supérieur ne l'avait pas fait dès son réveil une semaine plus tôt. Des visites de Rin et Shirou qu'il avait reçues ces derniers jours, il avait déduit que cette accalmie avait été aménagée par la militaire elle-même. Elle avait voulu attendre qu'il soit réveillé et sur pied avant de devoir se plier au debrief, comme elle l'avait fait apparemment pour leurs jeunes collègues et les Âmes Héroïques qui les accompagnaient. Karim était sensible à cette prévenance, mais connaissant la militaire, il préféra ne pas s'y appesantir.

- Merci de m'avoir prévenu. Vous vouliez me parler en prévision de ces entrevues ?

- Emiya et Tohsaka m'ont fait leur rapport. Je voudrais éclaircir quelques points avec vous.

Il entendait par là que l'officier avait été mise au fait de l'essentiel de la confrontation, et que Shirou lui avait rapporté l'essentiel des informations qui les concernaient lors de la confrontation. Plutôt qu'un résumé complet, elle attendait surtout de lui qu'ils voient des éléments qui lui sont particuliers. Karim se plia à l'exercice, justifiant posément chacune de ses décisions et prises d'initiatives aussi méthodiquement qu'il en était capable. Toutes n'étaient pas forcément du goût de la militaire, mais au moins celle-ci daignait faire l'effort de le laisser finir ses exposés avant de faire le moindre commentaire. Ils convinrent que la situation était exceptionnelle et que Salar devrait en retour suivre des entraînements et des formations théoriques intensives pour se hisser au niveau de ses équipiers, et de limiter les prises de risque inconsidérées. Il ne resta bientôt que les points les plus délicats.

- Je ne vais pas y aller par quatre chemins, Salar. Qu'est-ce qui s'est passé, avec Lancer ?

- Je l'ignore, j'espérais même que vous puissiez me le dire. Ce n'est jamais arrivé, avant ?

- Jamais. Je ne vous poserais pas la question si cela avait été le cas. Répondit-elle d'un ton sec.

- Je vois. J'ai un peu de mal à expliquer avec des mots, et mes souvenirs sont un peu confus.

- Ne cherchez pas à faire sens, pour l'instant. Décrivez-moi ce dont vous vous souvenez.

Karim allait s'agacer quand il réalisa qu'elle lui demandait de lui décrire, rationnellement, ce dont il se rappelait par des éléments factuels. Il se prêta à l'exercice et tâcha de lui répondre. Quand ? Au cours du combat rapproché entre Enkidu et le Roi des Héros. Dans quelles circonstances ? Quand il avait prêté main-forte à Emiya, tandis qu'ils gagnaient du temps comme elle l'avait demandé. Pourquoi ? Il avait demandé à Enkidu s'il avait besoin qu'il lui prête main-forte, Evelyn avait essuyé une attaque de l'Esprit hostile, Shirou et Artoria étaient dans un piètre état, ainsi en avant-garde. Fronçant des sourcils, le professeur s'interrompit quelques instants avant de soulever à d'Elvaren.

- J'ai demandé à Enkidu d'attirer l'attention d'Archer sur nous, afin que Shirou et Artoria puissent se replier vers Jeanne et que vous puissiez récupérer. Il m'a demandé l'autorisation de l'affronter, je cite, « sans la moindre retenue », et dans ce cas, de « me battre avec lui ». Tout ce que je me souviens d'autre, c'est que les sceaux de mon bras droit se sont activés et qu'une colossale quantité de magie a submergé mes circuits. J'ai perdu connaissance peu après. Je n'ai repris conscience qu'au moment de vous soutenir pour le rituel dont vous aviez parlé.

Il se souvenait du geste d'invite d'Enkidu, cette main tendue qu'il avait saisie avec son bras droit. Karim se tut à nouveau, portant son regard sur le bras concerné, ce même bras où étaient inscrits par la magie les runes constituant le sceau du pacte qu'il avait conclut avec l'Âme Héroïque de Sumer.

- Que s'est-il passé entretemps ? Pourriez-vous éclairer ma lanterne ?

- Connaissez-vous la théorie des Pseudo-Servants et des Demi-Servants, Salar ?

- Cela ne me parle pas. Je vous rappelle que si j'ai étudié à la Tour de l'Horloge, les facultés que j'y ai fréquentées sont la faculté Astaire sur l'histoire universelle de l'humanité et la faculté Brishishan sur l'anthropologie, les traditions passées des mages et les traces qu'elles ont laissé dans les sociétés humaines. C'est tout à fait hors de mon domaine d'expertise.

- Je ne suis pas une experte, mais voici ce que l'une de mes connaissances m'avait dit : un Pseudo-Servant est un Servant qui s'est manifesté en utilisant un humain comme vaisseau, tandis qu'un Demi-Servant est un humain conceptuel – un humain artificiel, ou homonculus– dans le corps duquel a été placé le Saint-Graphe d'une Âme Héroïque, en somme son essence spirituelle. Le Demi-Servant se retrouve donc avec deux Saint-Graphes, celui de l'humain et celui de l'Esprit, tandis que le Pseudo-Servant ne possède que le Saint-Graphe de l'Âme Héroïque. Ce sont des notions archaïques, qui datent d'avant le Déluge.

Avant le Déluge… nul doute que d'autres facultés de l'Académie des Mages aient pu aborder ces questions. C'était le genre de questions qui pouvaient intéresser la Tour de l'Horloge, ainsi que d'autres académies de mages telles que l'Institut Atlas. Cela n'aidait guère Salar, qui garda le silence dans l'attente que son interlocutrice poursuive et finisse par lui apporter quelques précisions.

- De ce que j'ai pu observer et de ce que je déduis, ce qui vous est arrivé emprunte à ces deux notions, tout en s'en distinguant notamment par son caractère temporaire et son caractère imprévisible, non engendré par des expériences menées par des humains, sur des humains ou des humanoïdes. Á l'instar du Pseudo-Servant, l'humain est utilisé comme un catalyseur, un hôte qui permet à l'Esprit de fusionner avec lui et ainsi de se manifester sous la forme d'une seule entité, dont la personnalité est soit une fusion de celles de l'humain et de l'Esprit. En revanche, il s'en distingue par le fait que si votre conscience était en sommeil lors de la fusion, vos consciences n'ont pas fusionné et vous avez pu la maintenir, une fois la possession brisée. Il s'en détache aussi par le fait qu'Enkidu est un Esprit Divin selon notre classification, dont l'existence se suffit à elle-même et qui n'a pas besoin d'un hôte pour être présent ici-bas. En somme, il n'a pas besoin de vous pour se manifester, et pourtant il a choisi de vous utiliser comme catalyseur pour se manifester sous une tierce forme. En ce qui concerne les Demi-Servants, vous êtes un humain de chair et de sang, tout à fait naturel, et le phénomène est survenu sans une tierce intervention, cela n'a pas affecté votre santé à court et moyen terme selon les données de votre dossier médical, et l'Esprit s'est déjà manifesté par ses propres moyens. Vos existences peuvent exister de manière distincte, mais elles peuvent fusionner. Enfin, contrairement à ces deux cas, les aptitudes et la puissance de l'Esprit ne sont pas amoindries, mais elles s'en retrouvent au contraire grandement renforcées, au prix de l'aspect temporaire du phénomène. Ce que je peux en déduire, c'est qu'il s'agit d'une troisième catégorie de Possession par un Esprit Héroïque, qui peut être une conséquence du Déluge.

Karim resta silencieux, le chercheur était cette fois impressionné par la présentation tenue par la militaire et soucieux d'assimiler les connaissances et les observations qu'elle lui apportait alors qu'elle concluait sur l'apparence qui semblait avoir été la leur, avec bien trop de détails pour n'être que le produit de l'imagination. Il n'avait aucun moyen de vérifier la pertinence de ses hypothèses, mais de ce qu'il pouvait entendre, le chercheur estimait en tout cas qu'elles étaient plausibles, même si la science et la rigueur scientifique devraient les valider selon le protocole qui était de rigueur.

- Eh bien, après un tel exposé vous affirmez ne pas être une experte sur le sujet. Je n'ose pas imaginer ce que cela doit être quand vous présentez un sujet issu de vos domaines d'expertise. Est-ce le Directeur De Clare qui vous a inspiré une théorie aussi ambitieuse que riche ?

- Non, ce n'est que le produit des déductions issues de mes observations et des informations que m'a transmises ma connaissance. Il était un chercheur, spécialiste sur la thaumaturgie avancée. Il menait des recherches sur le Déluge, la dernière fois que j'ai entendu parler de lui.

- Vous avez parlé au Directeur de vos observations et de vos… hypothèses ? Demanda Salar.

- Il n'a pas demandé mon avis, je ne lui ai donc pas partagé mon opinion. Répondit d'Elvaren.

Pourtant, au ton de la militaire, Karim avait le sentiment que ce n'était pas la seule raison à son silence et à sa discrétion. Sa voix avait beau être impassible, la tournure et le choix des mots qu'elle avait utilisés ne lui semblaient pas innocents et Salar songea au mage qu'elle avait mentionné, sans jamais révéler son identité. Pourtant, elle n'avait pas hésité à lui partager sa théorie, faisant preuve d'une rare franchise dépourvue de toute retenue. L'espace de ces quelques minutes, le chercheur avait cru entendre dans ses propos une curiosité aussi vite que sa capacité de mémorisation n'était aiguisée. Peut-être qu'il y avait une facette de la personnalité de l'ancienne agent des renseignements qui lui échappait et qu'il avait brièvement entrevue, s'échappant un instant, fugace, du masque de la militaire.

- Evelyn… Commença Salar d'une voix cordiale, hésitant sur la manière de l'aborder.

- Cette discussion n'a jamais eu lieu et ce qui vous est arrivé n'est jamais advenu.

- Vous m'étonnez, d'Elvaren. Est-ce bien prudent ? Shirou, Rin, Artoria et Archer…

- Sont du même avis. Tout cela restera « entouré de ténèbres » en dehors de la 1ère Division.

Plusieurs minutes de silence ponctuèrent les paroles fermes de l'ancienne militaire et agent des renseignements, prononcées d'un ton inflexible qui ne souffrirait d'aucune contestation. Pourquoi ? La question hanta les pensées de Karim, qui ne comprenait pas la position de son interlocutrice. Á sa connaissance, la franco-britannique s'était jusque lors montrée très transparente envers leur supérieur, alors pourquoi faisait-elle soudainement preuve d'une telle insubordination ? Elle aurait tout intérêt à révéler ce qu'il s'est passé : sans doute aurait-elle pu obtenir une promotion ou une prime appréciable, de ce qu'il connaissait des instances dirigeantes et plus encore des mages. Elle l'empêchait certes de connaître un sort pire que la mort – finir en sujet d'expérimentation, être incarcéré car jugé trop dangereux, être froidement tué car estimé comme danger pour l'humanité – mais elle prenait de très grands risques vis-à-vis du Directeur de Clare, homme fort influent. D'un autre côté, la décision pouvait s'entendre : elle avait tout intérêt à garder sa coopération s'ils voulaient qu'Enkidu les aide dans leur mission de médiation entre les Esprits et les Humains, mages inclus. De ce qu'il connaissait de l'Âme Héroïque qui était devenu son amie et son alliée, Enkidu n'accepterait jamais qu'on lui nuise ou qu'on le blesse d'une manière ou d'une autre, et il ne souhaitait à personne d'encourir la colère de l'Esprit, l'un des seuls capables de rivaliser avec le Roi des Héros… et surtout l'un des seuls dont ce dernier acceptait la compagnie, réalisa-t-il en repensant aux propos de celui-ci.

« Toi, l'assistant. Enkidu semble t'estimer, alors tu dois être le moins idiot du lot. Je sais que tu m'entends. Par égard envers un vieil ami, je vous laisse la vie sauve aujourd'hui. S'ils tiennent à leur vie, qu'ils ne remettent jamais les pieds ici. Je ne serai pas toujours aussi magnanime. »

Nul doute qu'Evelyn, Rin, Shirou, Jeanne, Archer et Artoria avaient entendu les propos tenus par ce Servant à la présence à la fois régale, formidable et sagace. Karim se redressa en pensant aux paroles qu'il avait prononcées, puis à son usage du pronom conjugué à la troisième personne du pluriel. Il aurait pu employer la deuxième personne du pluriel afin de tous les inclure. Pourtant, il avait sciemment choisi de recourir au « vous », incluant par ce biais tous les mages et les Esprits qui s'étaient alliés aux premiers, mais aussi en excluant Enkidu et, par dérivation, lui-même tant qu'Enkidu souhaiterait sa compagnie à ses côtés. Que ce soient ses traits, son dialecte ou sa personnalité… cela aurait dû être impossible, mais Salar ne pouvait pas être plus certain de son identité. Le professeur était convaincu de connaître désormais le Vrai Nom du mystérieux Caster. Le chercheur comprenait enfin quel pouvait être le rôle qu'il accepterait d'endosser au sein de l'Égide.

Après cette conversation, il n'y aura pas de retour en arrière possible. C'est votre dernière porte de sortie. Je peux m'arranger pour que des contacts vous extraient de l'Égide et effacent vos souvenirs depuis votre arrivée sur place. Vous redeviendrez l'enseignant et l'archéologue Karim Salar, vous pourrez retourner à vos cours, vos expéditions et auprès de votre famille, et vous oublierez tout ce qui a affaire aux Esprits. Que choisissez-vous, professeur Salar ?

Il prenait conscience qu'il avait mis les pieds dans un panier de crabes. Une institution bâtie sur des intentions louables et une mission honorable, mais qu'étaient-elles face à l'ambition des mages et de la nature humaine en général ? L'Humanité, le monde des mages, méritaient-ils d'être protégés ? Il songea aux deux jeunes mages de leur unité et aux Âmes Héroïques qui combattaient à leurs côtés. Il repensa à leurs mois d'entraînement intensif, et à la bataille où ils avaient versé sueur et sang. Les cheveux verts, les yeux lagon et la longue toge blanche d'Enkidu lui revinrent à l'esprit, alors que l'Âme Héroïque lui tendait sa main. Il se remémora ensuite farouches yeux pourpres d'un enfant aux courts cheveux d'or, qu'il partageait avec le Caster au regard carmin sévère qui l'avait tenu par le col.

Karim prit une profonde inspiration, avant de refermer d'un geste sec l'épais livre qu'il consultait, qu'il remit dans la besace qui ne le quittait jamais, puis de replier et de ranger sa montre à gousset dans sa poche intérieure, toute proche de son cœur. Le chercheur se remit sur ses pieds et s'adossa contre l'épais tronc de l'arbre, le dos toujours tourné à la militaire. Époussetant ses vêtements, l'archéologique irakien et le professeur de la Tour de l'Horloge se contenta d'une seule question

- Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs incarnations d'une même Âme Héroïque ?

Du coin de l'œil, il vit Evelyn se remettre sur ses pieds et se placer face à lui, de cette démarche feutrée et furtive qui pouvait si bien la caractériser. Avant qu'elle ne puisse lui répondre, deux voix distinctes les interpellèrent, émanant du même lieu, situées quelques mètres plus loin.

- D'Elvaren, Salar ! Vous allez nous faire attendre encore longtemps, à bavarder de la sorte ? La pause déjeuner est presque terminée et il est hors de question que je rate un repas !

- Il ne va pas rester beaucoup de choix si nous tardons trop, ce serait dommage.

Salar tourna aussitôt les yeux vers l'entrée des jardins, où des personnes les attendaient. La première voix correspondait à Rin qui, impatiente, les toisait, ses mains posées sur ses hanches. La deuxième voix, posée et bon-enfant, appartenait à Shirou qui tentait d'apaiser sa comparse. Dès lors qu'Evelyn et lui avaient gagné leur hauteur, le professeur fût approché par l'Esprit de classe Lancer, Jeanne.

- Je suis heureuse que vous ayez choisi de rester, Karim. D'autres batailles nous attendent, mais je vois que vous n'avez plus peur. Cela me réchauffe le cœur. Je suis sûre que nous mènerons à bien notre mission, mais prenons le temps de nous reposer, la route est encore longue.

- Permettez-nous de nous joindre à vous, professeur. Nous travaillerons ensemble, je l'espère, de bonne foi. Ajouta Artoria, l'Âme Héroïque de classe Saber qui veillait sur Shirou.

Touché par un sentiment d'appartenance auquel il ne s'attendait pas, Karim esquissa un sourire gêné et passa une main sur son cou, approuvant de la tête pour les remercier. Alors que Shirou et Rin ouvraient la route en conversant de bon train et que Jeanne et Evelyn s'éclipsaient en direction de l'aide réservée aux bureaux de la direction de l'Égide, une quatrième voix s'adressa au professeur.

- Vous avez l'air plus confiant en vous. C'est bien, c'est l'esprit. Je sais ce que vous ressentez. Vous êtes frustré par votre impuissance, mais pour le moment, continuez d'aller de l'avant.

Les yeux sombres de Karim se posèrent sur la silhouette en partie dissimulée par la pénombre générée par l'éclat des jardins extérieurs et le porche du bâtiment. Le regard brun d'Archer, l'Esprit qui combattait aux côtés de Rin, l'observait avec attention tandis que ses traits restaient imperturbables, ses bras croisés sur son torse. Sans attendre sa réponse, il quitta son poste pour rejoindre les autres. Karim, sentant quelque chose effleurer son esprit, s'arrêta et tourna son regard vers les jardins. Avec un sourire chaleureux, il inclina respectueusement sa tête vers la silhouette d'Enkidu qui l'observait depuis les jardins, un sourire paisible aux lèvres, avant que le mage ne rejoigne la 1ère Division et qu'Enkidu ne disparaisse, sa présence s'estompant des jardins.

« Que vous le vouliez ou non, c'est un monde nouveau qui s'amorce. Vous ne pourrez pas l'empêcher. Rentrez-vous ça dans la tête, adaptez-vous ou bien vous périrez, mongrels. »

C'était une ère nouvelle qui s'amorçait, un monde nouveau pour la paix duquel il était prêt à se battre.