Il aura fallu à Beca cinq cents mètres en dehors de la maison pour se maudire de sa bêtise et remonter la rue puis les escaliers pour rejoindre Chloe et Aubrey. Malgré la courte distance, la musicienne eut l'occasion de se flageller une bonne dizaine de fois pour sa stupidité. Chloe avait besoin d'elle et tout ce dont elle avait été capable était de se mettre en colère et de s'enfuir au moindre obstacle. Sa culpabilité explosa quand elle arriva dans la chambre et découvrit Chloe et Aubrey. Chloe qui pleurait à chaudes larmes en prononçant des paroles incompréhensibles dans ses mains. Aubrey, sa meilleure amie dans les bras, qui lança un regard désespéré à Beca. La brune soupira et avança doucement pour s'accroupir devant les deux jeunes femmes. Elle marqua un temps d'observation. Chloe ne semblait même pas s'être aperçue de son retour. Beca se pencha sur ses pieds pour tirer sur les mains de la rousse en pleurs. Quand le bleu orage croisa le bleu indigo, la musicienne reconnut l'impuissance et la tristesse. Pire que ça, Chloe semblait brisée.
- Je m'excuse, je n'aurai pas dû me mettre en colère, s'excusa la brune doucement.
Chloe hocha la tête, les lèvres pincées. Les larmes qui avaient cessées un court instant reprirent de plus belle. Beca soupira de nouveau et vint s'asseoir de l'autre côté de Chloe tandis qu'Aubrey se levait. D'un regard appuyé et d'un hochement de tête, la blonde avait convenu avec Beca que Chloe était entre de bonnes mains et qu'elles pouvaient se passer d'elle. Elle les informa qu'elle dormait dans la chambre de Stacie au cas où elles la chercheraient et descendit péniblement les escaliers.
Une fois seules, Beca attira Chloe à elle mais la rousse la repoussa pour se lever. Beca s'alarma immédiatement. Chloe n'était pas comme ça. Chloe ne repoussait pas les gens et ne faisait pas les cents pas, les bras croisés, le regard fou. Enfin, si, bien sûr, Chloe était très souvent sur les nerfs mais Beca en était rarement la cause.
- Pourquoi tu restes, Beca ?
La brune ne comprenant pas la question, se leva également et tenta une main sur l'épaule de la rousse. Main qui retomba lâchement dans le vide. Beca ouvrit de grands yeux. Que se passait-il dans la tête de sa petite amie, de sa meilleure amie, de la personne qui la connaissait le mieux ? Elle la suivait des yeux comme on suit un animal en cage tout en tergiversant sur la réponse à lui donner.
- Comment ça ? Pourquoi je reste ici ?
- Non, pourquoi tu restes avec moi ?!, explosa Chloe. Tout le monde m'abandonne alors pourquoi tu restes ? Ils ont raison ! Je gâche tout, je fous tout en l'air. Je te dis de me faire confiance mais je ne sais pas le faire moi-même. Je suis une moins que rien. Je n'ai même pas su sauver mon frère. Je sers à rien. Je l'ai même tué, Beca ! Tu m'entends ?! Je l'ai tué ! J'ai tué mon frère ! Alors pars ! J'ai déjà tout gâché !
Beca resta interdite. Stupéfaite, apeurée. Chloe était hystérique. Elle se tirait les cheveux et la peau. Son visage ressemblait à celui qu'on imagine sur les patients en psychiatrie. Beca le savait puisqu'elle avait assisté à quelques crises de ce genre. Mais Chloe n'était pas malade, elle le savait. Chloe était en colère, frustrée, à bout et elle avait gardé trop de choses pour elle. La musicienne prit une décision qu'elle ne regretta pas. Elle avança en grandes enjambées et encercla sa petite-amie dans une accolade forcée. Chloe se débattit violemment. Sa jambe déjà immobilisée ne l'aidait pas. Beca reçut des coups de coudes, un coup à la tête mais ne lâcha pas.
- Laisse-moi ! Beca !
- Calme-toi. Ca suffit. Tu vas te blesser et je ne te laisserai pas comme ça.
Beca avait parlé calmement mais avec un poids dans la gorge et des perles dans les yeux. Chloe continua de se débattre encore un temps puis l'épuisement prit place sur l'hystérie et Beca sentit ses muscles se détendre. Lentement, elle l'attira jusqu'au lit pour les allonger. Chloe hoquetait maintenant contre son cou, prise de tremblement. Beca attrapa l'une de ses vestes qui traînait là et la passa sur leurs deux corps. Elle serra aussi fort que possible la jeune femme contre elle et commença à prononcer quelques vers contre son oreille. Chloe s'endormit sur les paroles de Songbird de Fleetwood Mac. Beca finit la chanson en larmes. Elle souhaitait tellement pouvoir régler tous les problèmes de ses proches et leur éviter les souffrances qu'ils traversaient.
Santana jeta un dernier regard à sa valise posée près de la porte d'entrée. Elle entendit Quinn s'approcher et accepta l'embrassade chaleureusement.
- Tu vas me manquer, Satan.
- Hum, toi aussi. Je vais dire au revoir à Rachel.
Elles se séparèrent et la blonde observa son amie se diriger vers la chambre. Santana ouvrit la porte et vit la silhouette sur le lit, endormie. Elle secoua la tête et referma la porte dans un cliquetis.
- Elle s'en voudra d'avoir raté ça.
- Tant pis pour elle, répliqua Santana qui semblait en vouloir un peu à la brunette.
Santana empoigna sa valise et les deux jeunes femmes se prirent dans les bras une dernière fois.
- Prends bien soin de Brittany.
- C'est elle qui prend soin de moi, tu le sais.
- Raison de plus.
Sur ces mots, les deux amies se quittèrent amèrement. Santana descendit difficilement les escaliers avec sa valise. Direction l'aéroport dans le joli taxi jaune qui l'attendait.
Un frisson réveilla Beca. Elle ouvrit des yeux lourds et brûlants. Sa première vision fut deux orbes bleus et des tâches de rousseur. Elle les referma aussitôt et enfouit sa tête dans son oreiller.
- Tu es réveillée depuis longtemps ? marmonna-t-elle dans son coussin.
- Je te demande pardon pour hier soir, croassa Chloe de sa voix cassée. Je suis allée trop loin.
Beca soupira. Ce n'était définitivement pas la réponse à la question qu'elle avait posé. Elle ne s'attendait pas à affronter des sujets aussi lourds dès le matin. Il était trop tôt pour ça. Un nouveau frisson la ramena à la réalité et elle comprit qu'elle était toujours à peine couverte de la veste qu'elle avait jeté sur elles la veille. Un regard pour Chloe lui montra que la rousse n'avait pas plus chaud qu'elle puisqu'elle s'était entourée de ses bras et on ne voyait plus que le haut de son visage sortir du tissu.
Lourdement, Beca remua pour extirper la couverture de sous son corps. Une fois en dessous, elle tourna des yeux profonds sur Chloe. Prudemment, elle s'approcha, forma un gros tas de couvertures entre elles, entoura Chloe de ses bras et la tira à elle pour qu'elle soit finalement sous les draps. Maintenant lovées sous les couvertures, Beca tenta d'extirper sa veste de Chloe mais la rousse résistait.
- Non, elle a ton parfum, râla-t-elle d'une moue capricieuse.
Beca roula des yeux mais glissa quand même un baiser sur le front de la jeune femme avant de se remettre sur le dos.
- Tu préfères l'odeur de Beca à la vraie Beca, c'est noté.
Chloe sourit légèrement mais le cœur n'y était pas. Elle s'approcha néanmoins et posa timidement sa tête sur l'épaule de la brune.
- Les deux en même temps, c'est bien aussi.
Beca tourna la tête d'un cran pour déposer un baiser simple et délicat sur les lèvres de Chloe.
- Comment tu te sens ?
Chloe se cacha immédiatement le visage contre Beca.
- Horriblement honteuse, marmonna la rousse.
- N'importe quoi !, réagit instantanément Beca. Regarde-moi s'il te plait.
La danseuse osa finalement montrer ses joues rouges et ses yeux fuyards. La main de Beca cueillit une des joues écarlates.
- Je préfère te voir comme ça plutôt que de voir une Chloe qui nous sert des sourires faux et nous laisse croire que tout va bien alors que tu es seule dans ton coin à essayer de régler je-ne-sais-quoi.
Chloe sourit mais n'y croyait pas. Il lui faudrait plus qu'un beau discours pour penser qu'elle avait le droit d'expliquer ses problèmes au monde.
- Enfin, quand je dis que je préfère te voir comme ça, ça veut pas dire que je préfère te voir pleurer.
Beca s'emmêlait déjà dans ses explications et Chloe n'avait pas l'intention de la secourir. Elle sourit malicieusement et attendit la chute.
- Tu comprends ? Je veux dire que je préfère quand tu montres que ça ne va pas plutôt que tu gardes tout en toi.
Chloe acquiesçait silencieusement et cela mettait Beca particulièrement mal-à-l'aise parce qu'elle ne savait finalement pas si elle disait les bonnes choses ou non.
- Je ne dis pas que tu dois tout me dire, d'un coup, continua la brune. Bien sûr, on a chacune notre jardin secret, bien que tu aies déjà pas mal envahi le mien, mais tu ne peux pas tout garder et je ne supporterai pas de te voir comme ça.
Chloe commençait à s'amuser un peu de la situation. Beca parlait beaucoup et vite. Elle était nerveuse. La danseuse comprit qu'il était temps d'arrêter le calvaire de sa petite-amie.
- Je comprends, Becs. Et j'ai conscience que je dois t'expliquer beaucoup de choses. Je ne sais pas ce qui m'a pris de réagir comme ça hier.
Devant la mine réfléchie de Chloe, Beca observa un silence. A vrai dire, elle ne comprenait pas non plus d'où était venue cette crise mélangeant larmes et manque d'estime de soi. A ce moment précis, elle commença à comprendre que les mots qu'avaient prononcés Chloe la veille n'étaient pas anodins.
- Tu sais, je ne veux pas te forcer à quoi que ce soit. Mais je pense que ça te ferait du bien d'en parler à quelqu'un. D'expliquer tout ce que tu as sur le cœur et d'essayer de comprendre d'où ça vient. Que ce soit moi, ou une des filles, ou quelqu'un complétement extérieur à ça.
- Je pense que tu as raison, obtempéra la rousse d'une expiration. Je ne sais pas par où commencer.
- Pourquoi pas par un petit-déjeuner ?
Beca put lire la déception dans les yeux de son amante alors elle rajouta.
- On pourra ensuite aller se promener pour que tu m'expliques du début. Si tu le souhaites, expliqua-t-elle.
Chloe accepta et elles descendirent doucement pour aller manger. Aubrey tenta plusieurs fois d'extirper des sourires de la part de Chloe à table mais la rousse continua de fuir ses discussions.
Des bruits en provenance de la cuisine indiquèrent à Rachel qu'elle allait devoir bientôt de nouveau faire semblant de dormir. Quinn allait entrer d'ici peu pour lui amener un énième plateau repas qu'elle avait en horreur. Quinn cuisinait très bien évidemment. Comme si elle s'arrêterait d'être parfaite dans tout ce qu'elle faisait. Alors elle continuait leur train de vie, préparait des plats plus complexes les uns que les autres, écoutait de la musique, regardait la télé. Comme si le fait de continuer permettrait à Rachel de faire de-même. Comme si elle pouvait encore manger après ce qui s'était passé. Comme si elle pouvait encore regarder Quinn en face et lui donner une explication cohérente. Non, elle ne pouvait pas. Elle devait rester muette, silencieuse. Ce que Quinn ignorait ne lui ferait pas de mal.
Tellement prise dans ses pensées, Rachel n'avait pas entendu Quinn approcher de la chambre ni même ouvrir la porte. Elle fut prise au dépourvu et se retrouva bêtement à regarder la blonde déposer un plateau fumant sur ses genoux alors qu'elle était encore au lit, pour le deuxième jour d'affilée.
- Santana est repartie ce matin. Elle avait l'air déçu de ne pas pouvoir te dire au revoir.
Le silence accueillit la remarque de Quinn. La blonde se rongea l'intérieur des joues, lubie qui lui était passée depuis plus de deux ans mais qui avait refait surface. Rachel s'en voulait déjà d'en être la cause.
- J'ai laissé Marc en charge du restaurant le temps que tu te remettes et qu'on gère toute cette… Elle marqua un temps d'arrêt, se frotta le front. Situation, lâcha-t-elle enfin.
Une fois de plus, rien. Pas un mot. Pas une réaction. Rachel regardait dans le vide et ne bougeait pas.
- Je te laisse. Mange au moins quelque chose. Même juste ton yaourt. Ce sont tes préférés en plus.
Dans un soupir impuissant, la blonde quitta la pièce. Rachel baissa des yeux embués sur sa crème dessert préférée au soja. Quinn était allée les chercher à l'autre bout de la ville parce qu'aucun magasin proche n'en vendait. Une larme solitaire s'échappa. Rachel l'essuya rageusement. C'était pour leur bien à toutes les deux.
Beca et Chloe avaient laissé les Bellas débarrasser la table du petit-déjeuner pour se préparer dans la chambre de Chloe. La danseuse cherchait de quoi se mettre dans ses placards. Comme c'était le cas depuis son accident, Beca l'aidait à trouver une tenue correcte puisqu'il lui était presque impossible de trouver quoi mettre avec son attelle et quand, par miracle, elle trouvait quoi mettre, un autre calvaire commençait : l'habillage.
- Il fait froid, dehors, pas vrai ? demanda la rousse en farfouillant dans son tiroir.
- J'imagine. Comme un mois d'octobre.
Beca était un peu absente. Depuis sa discussion quelques heures auparavant avec Chloe, elle réfléchissait à tout ce qu'elles s'étaient dit et à la meilleure façon de montrer à Chloe qu'elle pouvait lui parler.
- Est-ce qu'on sait au moins où on va ?
- Je pensais choisir les meubles de la chambre de Lucy en direct. Ce sera toujours plus parlant au magasin que sur un écran, répondit la jeune mère. Enfin, si tu es partante ?
- Carrément ! Je pourrais t'aider à lui choisir des vêtements aussi ?
Beca sourit et acquiesça. Les vêtements que Lucy portaient jusqu'à présent faisaient partis des dons que l'orphelinat recevait. Autrement dit, elle portait souvent de vieux vêtements, tâchés parce que ça ne partait plus au lavage. Ses jouets n'étaient pas nombreux non plus. Seul l'éléphant que lui avait donné Beca à sa naissance était resté constant. Maria avait expliqué qu'hormis son doudou et la poussette qu'ils avaient retrouvé chez son père, Lucy ne possédait presqu'aucun jouet ou fourniture.
- Qu'est-ce que tu penses de ça ?
Chloe montra une robe pull bleu foncé à motifs enneigés. Beca approuva, même s'il était évident qu'elle ne saurait pas l'enfiler seule.
- Je vais prendre ma douche. Tu pourras m'aider en sortant ?
- Oui, fais attention au-
- Au rideau de douche, je sais.
La rousse entra dans la salle de bain annexe à sa chambre et ferma la porte. Beca observa les murs en premier, puis le plafond, puis ses doigts. La pièce n'avait pas changé depuis qu'elle y était entrée la première fois l'année dernière. Des photos s'étaient ajoutées au mur mais l'atmosphère restait la même. La chambre de Chloe respirait la joie, les crèmes hydratantes et, la plupart du temps, dégageait une douce musique pop, souvent chantée par Taylor Swift. Les murs étaient jaunes, couleur du soleil. Les rideaux bleu roi en velours donnaient des airs de palais royal à la pièce. La musicienne espérait que cette ambiance suivrait Chloe dans leur future chambre. Celle qu'elles partageraient avec Lucy. Comme si elles emménageaient. Ensemble. Non, c'était un peu rapide. Elle devait en discuter un peu plus avec Chloe. Mais comment faire sans qu'elle ne se sente rejeter ? Il fallait qu'elle trouve le moyen de lui faire comprendre qu'elle souhaitait l'avoir plus proche encore d'elle mais sans qu'elles soient obligées de cohabiter à chaque moment de leurs vies. De toute façon, Beca avait besoin de se retrouver avec Lucy. Elles devaient apprendre à se connaître. Toutes les trois. A des degrés différents.
Quand Chloe sortit de la salle de bain, une serviette autour du corps et une autre dans ses cheveux, Beca l'attendait avec une boîte dans ses mains. Pas n'importe quelle boîte. La boîte. Ouverte. Chloe vint s'asseoir à côté de la brune et attendit que Beca réagisse.
- Voici l'échographie que tu as vu quand tu as ouvert la boîte.
Chloe la prit entre ses doigts et analysa les courbes. Les progrès de la médecine permettaient aujourd'hui d'obtenir une image très réelle des nourrissons encore dans le ventre de leurs mères.
- C'est dingue comme on la voit bien. Elle te ressemblait déjà !
Les deux jeunes femmes partagèrent un sourire. Beca lui tendit une autre photo.
- Celle-ci est ma préférée. C'est aussi celle qu'Aubrey m'a tendu pour me montrer ce que je m'obstinais à nier.
Chloe regarda leurs deux visages complices. Leurs yeux qui parlaient pour elles. C'était une évidence.
- Et au fond, il y a des photos avec Julian parce que Lucy en aura besoin un jour et aussi, malheureusement, parce que j'ai encore du mal à me séparer de cette partie de mon passé. C'est encore trop récent, pour tout te dire.
La rousse encaissa sans rien dire. La jalousie et la colère qu'elle ressentit à l'entente du prénom d'un homme tellement abjecte qu'il en avait négligé sa fille lui hérissait les poils.
- Ensuite, ce sont des photos avec toi et les Bellas, avec Jesse aussi dont tu n'as rien à craindre parce qu'il est surtout mon meilleur ami. Et après, ce sont toutes ces clés USB que j'ai rempli en pensant à toi. Tu pourras les avoir si tu veux découvrir mon côté très bizarre et obsessif. Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée en fait…
Chloe rit en pensant à toutes les fois où Beca composait des morceaux à l'arrière du van des Bellas ou pendant les cours, ou pendant leurs soirées films parce qu'elle s'ennuyait trop.
- Pourquoi me montres-tu tout ça ?
Beca soupira et referma la boîte pour la poser sur le lit et prendre les mains de Chloe.
- Je ne veux plus avoir de secrets pour toi. C'est ce qui nous a séparé et c'était les pires journées de ma vie. Je ne veux plus me cacher. Tu sais tout, plus ou moins, et je répondrai à toutes tes questions. J'ai compris que je ne peux pas te demander de me parler de toi si je ne le fais pas non plus. Je ne dis pas que je saurai tout te dire, tout de suite. Tu me connais, j'ai une réputation à tenir, mais c'est une promesse. La promesse d'essayer.
La danseuse hocha la tête en silence. La petite brune à ses côtés avait visiblement parcouru beaucoup de chemin en très peu de temps.
- Je te promets de tout te raconter. Je ne veux pas non plus qu'il y ait de mensonges ou d'oublis entre nous et je veux que ça fonctionne.
Sur ces mots, un frisson la parcourut, lui rappelant qu'elle était encore en serviette.
- Viens, on va t'habiller. Tu vas attraper froid, annonça Beca en se levant et en lui tendant la main.
Chloe se pencha la tête en avant pour s'essuyer les cheveux grossièrement et jeta la serviette sur le lit. Elle attrapa ses sous-vêtements et opta pour la culotte en première. Leur organisation était plutôt bien rôdée maintenant. La musicienne ne rougissait presque plus. Presque étant le mot clé.
Beca s'accroupit pour glisser le tissu sur les pieds, les mollets, puis les cuisses de Chloe. A partir de là, la rousse prenait le relais pour enfiler sa culotte jusqu'au bout. Ensuite venait le soutien-gorge. Beca se tournait pour laisser Chloe enfiler les bretelles et plaquait les coquilles contre sa poitrine. Elle ne pouvait pas l'agrafer, par contre, alors Beca s'y collait, non sans gène. Cette fois, Beca bloqua sur les collants dans ses mains parce qu'elle se rappelait comme la tension avait été palpable la dernière fois. Elle les regroupa néanmoins dans ses mains et s'accroupit sans oser regarder Chloe. Quand elle arriva aux genoux, Chloe posa ses mains sur les siennes et provoqua un regard étonné.
- Tu vois cette trace ? Juste ici.
La danseuse désigna un ligne droite horizontale sur sa rotule. Beca l'avait déjà vu en entraînement mais n'avait jamais posé de question.
- Mon père s'occupait du jardin un week-end. Mon frère et moi jouions autour de lui sans se préoccuper des nombreuses fois où il nous disait de faire attention aux outils. Mon frère aimait défier l'autorité. Il était comme ça et il m'entraînait toujours avec lui. Ce jour-là, je suis tombée sur un râteau. Le manche a cassé une fenêtre de l'abri de jardin en se soulevant. Comme mon père est arrivé comme une furie, Chris a dit que c'était de sa faute et s'est fait punir parce qu'il savait que nos parents étaient toujours plus cools avec lui. Mon père n'a jamais vu que j'étais blessée. Plus tard, Chris m'a aidé à nettoyer ma plaie mais nos parents n'ont jamais rien su. J'aurai sûrement dû être recousue, d'où la cicatrice.
Beca encaissa l'histoire sans rien ajouter. C'était la première fois qu'elle entendait le prénom du frère de Chloe. Elle savait comme c'était un sujet sensible pour elle. Chloe enleva ses mains et l'invita silencieusement à continuer. Quand les collants furent en place, Beca était prise dans l'histoire de Chloe. C'était comme si toutes les petites marques présentes sur le corps de la rousse s'étaient mises à briller pour devenir sur-apparentes. Malgré toutes les nouvelles coupures que lui avait causé l'accident, certaines des cicatrices de Chloe semblaient ressortir. Sans vraiment y réfléchir, la musicienne traça doucement une longue ligne présente sur le flanc droit de la rousse. Chloe attrapa immédiatement sa main, les surprenant toutes les deux. Les deux jeunes femmes s'observèrent en silence. Chloe avait la bouche ouverte, comme prête à riposter.
- Pardon. Vas-y.
Et elle lâcha la main de Beca. La brune s'écarta quand même.
- Non, c'est ton corps. Je n'aurais pas dû toucher. C'est à moi de m'excuser.
- C'est pas ça, c'est…
Beca passa la robe autour du cou de Chloe puis l'aida à passer ses bras.
- C'est la cicatrice de la greffe, annonça la rousse d'une petite voix.
La musicienne observa un temps sa petite amie. C'était aussi la première fois que Chloe évoquait la greffe de rein. Le sujet apportait d'amères souvenirs. Beca déposa ses deux mains sur les épaules de Chloe qui continuait de regarder ses pieds nus.
- Tu n'es pas obligée d'en parler maintenant.
La danseuse leva des yeux torturés sur la brune puis lui sourit d'un coin des lèvres. Elle se pencha pour l'embrasser.
- Tout à l'heure alors, peut-être. A ton tour, Mitchell.
Chloe tapa légèrement le dos de la brune pour l'inviter à rejoindre la salle de bain. Beca rit mais abdiqua, un tas de linge dans les bras.
Les magasins de meubles étaient un vrai piège à consommation. Les rayons étaient disposés pour vous perdre et vous étiez obligés de traverser chacun d'eux pour trouver ce que vous cherchiez. Un vrai piège à billets. Beca observa son caddie plein à craquer. Bien sûr, elles avaient trouvé le lit, la commode et la table à langer qu'elles étaient venues chercher. Chloe avait trouvé des rideaux assortis à la décoration de la chambre et aux nouveaux meubles parce que Lucy ne pourrait pas faire la sieste avec autant de lumière dans la chambre. Beca s'était entichée d'une parure de lit parme avec des étoiles et des planètes. La brune aimait secrètement regarder le ciel et c'était l'une des choses les plus mignonnes que Chloe avait appris depuis des jours.
- On a tout ce qu'il faut. Je pense qu'on peut aller à la caisse, annonça la jeune maman en poussant son chariot assez lourd et Chloe qui était assise sur les cartons.
La rousse ne se plaignait jamais. Elles avaient parcouru des centaines de mètres dans ce magasin, avaient mis les cartons de meubles dans la voiture et maintenant, elles se dirigeaient vers le centre commercial pour acheter des vêtements pour Lucy. Jamais Chloe n'avait évoqué la douleur que la marche lui engendrait. Pourtant, Beca l'avait bien vu masser sa cuisse à travers son attelle.
- J'ai des antidouleurs dans mon sac à main, tu peux les prendre, indiqua Beca distraitement sans quitter la route des yeux.
- Non, c'est bon. Je peux tenir jusqu'à la maison.
- On risque de marcher beaucoup au centre commercial, tu devrais peut-être-
- C'est bon, Beca. J'ai dit que ça allait, interrompit sèchement Chloe.
Beca pinça les lèvres et n'ajouta rien. Certaines réactions de Chloe étaient encore nouvelles et elle était toujours partagée entre la faire parler et lui laisser le temps de venir parler par elle-même. Beca se gara sur le parking et enleva sa ceinture. Elle était prête à sortir mais Chloe l'en empêcha d'une main sur le poignet.
- Attends, je… Je suis désolée. J'ai du mal à laisser les gens s'occuper de moi.
- Pourtant, tu t'occupes de tout le monde, rétorqua Beca d'un sourcil relevé.
- C'est plus facile comme ça.
Beca acquiesça et sortit sans rien dire. Dans le magasin, la tension entre elles torturait Chloe. Elle savait que c'était de sa faute. Si seulement elle pouvait rattraper le coup. Elle cherchait une phrase d'accroche, un moyen de commencer la discussion. Comment lui dire qu'elle appréciait tout ce que la brune avait fait pour elle jusqu'ici sans paraître hors propos ? « Beca, tu as vu ces robes toutes minuscules ? Au fait, merci de m'aider à m'habiller tous les jours. » Non, c'était vraiment bizarre.
Dans ses pensées, elle venait d'avancer dans le rayon des déguisements pour Halloween. La fin du mois d'octobre approchait et les magasins vendaient déjà toutes sortes de déguisements, pour tous les âges. Chloe prit un déguisement pour bébé entre ses mains. Lucy serait adorable en petite Sally de l'Etrange Noël de Mr Jack. Beca adorait ce dessin animé. C'était tellement rare que Beca appréciait quelque chose qui passait sur un écran que Chloe se dit que c'était l'occasion rêvée. Elle alla retrouver Beca au rayon des pyjamas pour enfant et lui présenta la tenue.
- Regarde, elle serait à croquer là-dedans !, s'enthousiasma la rousse.
Beca sourit avec ses yeux. Chloe adorait quand Beca souriait jusqu'à ce point-là.
- C'est adorable. On pourrait le prendre en 2 ans pour l'année prochaine. Elle ne sera pas avec nous à Halloween, rappela la brune.
Chloe se frappa la tête intérieurement. Quelle abrutie ! C'était insensible et maladroit. Elle venait de rappeler à Beca que sa fille n'était pas tout le temps avec elle.
- Oh. C'est vrai. Tu as raison. Désolée…
Beca observa Chloe repartir lentement pour reposer l'article, incrédule. Toutes ces réactions bizarres commençaient à la perdre. Elle avait l'impression d'être sur des montagnes russes.
- Attends, Chlo' !
La rousse se tourna, visiblement déçue. Beca s'approcha et lui prit la main.
- On devrait le prendre quand même. Je suis sûre que Maria pourra nous déposer Lucy au moins quelques heures dans la journée du 31.
Chloe acquiesça d'un léger sourire et se retourna pour avancer mais Beca la retint encore une fois.
- Tu sais que tu peux me dire quand ça ne va pas ?, demanda la brune d'un chuchotement, les sourcils froncés.
La rousse hocha la tête, absente, les yeux rivés au sol. Beca s'approcha un peu plus pour lui lever le menton et rencontrer enfin ses deux orbes en plein dilemme.
- Chlo', parle-moi. Qu'est-ce qu'il se passe ? Est-ce que j'ai dit quelque chose ?
- Non, je…
Beca attendit que la lutte à l'intérieur de Chloe se calme. Evoquer ses sentiments était apparemment devenu un vrai combat pour la danseuse.
- Je suis désolée, c'était maladroit. Tu fais toutes ces choses pour moi et moi, je foire tout. Et en plus, j'ai l'impression de tout ramener à moi, tout le temps. Regarde, on a cette discussion en plein rayon bébé !
Beca rit légèrement et serra un peu plus les mains de sa petite-amie. Le problème venait de là. Chaque chose que Chloe ferait de mal, selon elle, deviendrait un énorme problème. Tout semblait amplifié. Sa sensibilité était exacerbée. Comme si avouer ses sentiments la veille avait ouvert l'écluse du flot d'émotions qu'elle avait renié depuis plusieurs années.
- Tu n'as rien foiré du tout. Tu ne peux pas penser à tout. Tu es très bien comme tu es et tu ne m'as pas froissé en parlant d'Halloween. Je suis triste qu'elle ne sera peut-être pas avec nous. Mais tu seras là, et toutes les Bellas. Et rien qui est lié à ma situation avec Lucy n'est de ta faute. Il faut que tu arrêtes de me prendre avec des pincettes. Je vais bien, j'ai fait la paix avec moi-même pour tout ça. Le seul coupable est six pieds sous terre.
Chloe eut un pincement à l'estomac. Elle en voulait à cet homme qu'elle ne connaissait même pas. Il avait fait tellement de mal sans jamais en être puni. Elle en voulait à tellement de gens, ces derniers temps, qu'elle en avait presque perdu le compte.
- Donc on prend le déguisement et regarde ce que j'ai trouvé !
Beca lui montra plusieurs tenues qu'elle avait assemblé. Des robes, une chemise à carreaux de la même couleur que l'une des siennes, des pantalons à motif fleuri, une salopette jaune pâle. Elle lui avait même trouvé la réplique parfaite de son perfecto.
- Elle aura l'air d'une vraie rock star comme ça, assura Chloe d'un clin d'œil.
- Elle ne pourra pas la mettre longtemps mais je pense que je la garderai en souvenir.
Chloe se sentait envahie par tout ce côté adorable de maman qu'elle découvrait chez Beca.
- Il ne manque que des bodys et des pyjamas. Des bavoirs aussi. Puis en route pour les jouets.
La rousse hocha la tête et elles firent le tour du rayon main dans la main, le déguisement de Sally au dessus de la pile de vêtements déjà dans le panier de Beca. Chloe désigna un pyjama portant l'inscription : « J'aime ma maman de toutes mes futures dents » et elles fondirent ensemble devant la phrase.
- Oh, Becs, regarde !
Chloe tenait une peluche de Dory contre son visage. Le poisson semblant pelucheux et doux et n'était pas plus grand que la main de Chloe. Beca savait déjà qu'il finirait dans le panier.
- A défauts d'avoir une peluche en forme de crevette, parce que c'est super dur à trouver, on peut lui prendre un poisson ?
- C'est ton seul argument pour me faire flancher ?, demanda la brune, amusée.
La rousse haussa les épaules et lança le poisson d'un air joyeux dans le panier quand elle vit Beca lever les yeux au ciel d'un sourire.
- Je pense qu'on a ce qu'il faut. Ca te dit d'aller manger quelque part ?
Chloe accepta et elles se dirigèrent à la caisse. Cinq tenues différentes, quatre pyjamas, dix bodys, deux manteaux, une paire de chaussures en cuir, un poisson en peluche, un piano éducatif, des anneaux de dentition, des élastiques à cheveux pailletés, des pinces arc-en-ciel, un bonnet, une écharpe, des gants, des cubes en bois, des animaux et une ferme en plastique. La facture de la journée était salée mais Beca savait que c'était nécessaire. De plus, elle avait déjà prévu de vendre une paire de platines qu'elle n'utilisait plus et de faire des heures supplémentaires à la radio. Ce n'était pas ce qui payait le plus mais c'était toujours ça.
Trente minutes plus tard, elles étaient attablées devant un menu. Les prix tournoyaient devant les yeux de Chloe comme pour la narguer. Elle n'avait pas les moyens de s'offrir un repas en dehors de la maison. Son application bancaire lui avait méchamment rappelé ce matin qu'elle devait faire attention. Beca, elle, semblait avoir choisi puisqu'elle avait déjà refermé la carte. Elle analysait Chloe, la voyait tergiverser en se massant toujours sa jambe blessée. Quand le serveur arriva, elle bégaya alors le jeune homme se tourna vers Beca, lui demandant silencieusement quel était le problème.
- On prendra un milkshake à la vanille et un autre aux fruits rouges, s'il vous plait. On n'a pas encore choisi pour le reste, indiqua la brune.
Le serveur écrivit rapidement la commande sur son calepin, déposa des couverts devant les deux jeunes femmes et repartit d'un pas pressé.
- Il a un train à prendre, tu crois ?, commenta Beca en espérant une réponse.
La brune était habituellement celle des deux à ne pas savoir articuler des phrases intelligibles en public. Elle aurait bien voulu communiquer un peu de sympathie à Chloe mais celle-ci restait cacher derrière son menu. Beca se racla la gorge puis appuya d'un doigt sur la carte en face d'elle pour découvrir le visage honteux et affolé de Chloe.
- Tu m'expliques ?
Devant les sourcils levés et l'air inquiet de Beca, la rousse se mit à parler.
- Les plats sont en dehors de mes moyens, ici, articula-t-elle difficilement en se triturant les doigts.
Beca déposa une main sur les siennes pour la rassurer.
- Je comprends que ce soit compliqué pour toi d'en parler mais tu peux si tu le veux. En tout cas, comme c'était mon idée, je t'invite.
Pour une fois, Chloe ne refusa pas et Beca en fut étonnée. Un peu de chemin parcouru, finalement. La rousse fit pivoter sa main pour l'entrecroiser avec celle de sa petite amie et s'appuya sur le sentiment de sa peau contre celle de Beca pour continuer à lui parler.
- Mes parents et moi nous sommes disputés cet été quand je suis rentrée. J'avais quelque chose à… A leur raconter. De très important. Et ils l'ont mal pris. En plus, comme je n'ai pas réussi mon année, ils étaient vraiment en colère. Ils ont décidé de ne plus me verser d'argent ou même de me voir. Je pensais tenir une dernière année avec mes économies mais à cause de l'accident, ça devient très compliqué.
Beca ne s'attendait pas à en apprendre autant d'un coup et resta muette quelques minutes le temps d'encaisser. Le serveur arriva pile à ce moment-là pour apporter leurs milkshakes et prendre leur commande.
- Une salade césar, s'il vous plait, commanda distraitement Beca sans lever les yeux.
- Une salade au chèvre chaud.
Le serveur nota et partit sans rien dire. Il n'était pas très accueillant mais il avait permis à Beca de rassembler ses idées.
- Ils sont vraiment… Rien, je ne vais rien dire.
La brune avait jeté sa serviette de colère sur la table.
- Tu sais qu'on peut toutes t'aider. Il doit y avoir une solution. Il te reste beaucoup à payer des soins que tu as reçu à l'hôpital ?
Chloe hocha la tête, la paille dans la bouche. Beca connaissait ses goûts par cœur.
- Ils ont payé pour mon année scolaire mais en dehors de ça, il me reste tout le reste à rembourser. Mon père a une assurance santé mais je n'en bénéficie plus donc ça a empiré les coûts.
Beca accusa le coup. Elle n'avait vu ses beaux-parents qu'une fois et savait déjà qu'elle ne les aimait pas. Pouvait-elle déjà parler de beaux-parents ? Des questions se bousculaient dans sa tête mais elle savait qu'elle devait les poser avec prudence pour ne pas faire de mal à la jeune femme en face d'elle. Elle se racla la gorge et hésita puis :
- C'est pour cela que tu ne prenais plus ton traitement ?
Le ton était calme et doux. Beca semblait sincère. Pourtant, Chloe ne put empêcher ses poils de se dresser sur ses bras. Elle affirma en prenant une nouvelle gorgée de sa boisson.
- Le traitement est excessivement cher, soupira-t-elle en se passant une main dans les cheveux. Je pensais pouvoir m'en passer.
Beca avait fait des recherches depuis l'accident sur les maladies rénales et leurs conséquences. Elle avait compris que les personnes faisant don d'un rein encaissaient toujours plus de problèmes après la greffe que les gens qui la recevaient. Le traitement était là pour aider à palier les effets, en plus d'un suivi régulier et pleins d'autres choses. Elle serra un peu plus ses doigts contre ceux de sa petite-amie.
- J'ai fait des recherches… Je veux dire, j'étais curieuse et je voulais comprendre alors j'ai cherché, expliqua la brune, penaude. Je ne sais pas comment tu as fait pour suivre les entraînements, les cours, les compétitions, sans traitement, expira-t-elle enfin.
Chloe pencha la tête, attendrie et rougissante. Elle haussa les épaules. Ce n'était plus si douloureux depuis quelques années.
- On m'a retiré un rein il y a dix ans. Ca ne fait plus aussi mal maintenant. Je sais vivre avec. Enfin, sans, rectifia-t-elle, amusée de sa propre maladresse.
L'admiration que Beca ressentit à cet instant dépassait de loin ce qu'elle avait pu ressentir pour n'importe qui jusque là. Elle avait tellement de questions.
- Qu'est-ce qui a conduit à la greffe ? Si tu veux bien me le raconter, ajouta-t-elle précipitamment.
Chloe ouvrit la bouche pour répondre qu'elle lui raconterait une autre fois quand le serveur arriva avec leurs plats. Beca lui demanda une carafe d'eau et des verres et le jeune homme repartit aussi vite. Beca pouvait le remercier : son intervention avait donné le temps à Chloe de trouver la force pour raconter son histoire.
- Mon frère, Chris, a été dépisté diabétique très jeune. Le diabète chez l'enfant est très bien contrôlé maintenant mais des complications existent. C'est très rare mais ça arrive.
Le serveur les interrompit une dernière fois pour déposer l'eau et les verres. Il demanda si toute était correct, devant les assiettes encore remplies. Les deux jeunes femmes répondirent à l'affirmatif et Beca planta sa fourchette dans sa salade tandis que Chloe regardait la sienne comme si elle la narguait. Elle n'avait pas vraiment faim, d'un coup.
- Chris devait faire des examens fréquemment. Il avait aussi des problèmes respiratoires. Il souffrait d'un asthme sévère et voyait un orthophoniste parce que son asthme lui posait des problèmes pour parler. Il était sans arrêt chez un spécialiste, puis chez un autre. Il loupait souvent l'école donc il n'avait pas beaucoup d'amis. J'étais la seule à être avec lui et très vite, mes copines se sont aussi écartées de moi. J'étais la sœur du malade. Celui qui était tellement absent qu'il n'arrivait plus à suivre les cours.
Beca mâchait sa salade sans rien dire. Elle écoutait Chloe révéler toute une nouvelle facette de sa vie et ça la subjuguait.
- Il a vite eu des complications au niveau des reins. Sa maladie lui mettait beaucoup de barrières au niveau de la nutrition et je le soupçonne aujourd'hui, avec le recul, d'avoir enfreint pas mal de règles liées aux aliments qu'il n'avait pas le droit sans se soucier des conséquences. C'était un enfant, on ne peut pas empêcher un enfant de manger des bonbons ou l'obliger à boire un litre d'eau par jour.
Chloe se coupa pour boire et enfin goûter une première bouchée de sa salade. Sa jambe la lançait affreusement, maintenant qu'elle était assise.
- Tu pourrais me donner un antidouleur, s'il te plait. Tu avais raison finalement, avoua-t-elle d'un petit sourire.
Beca fouilla dans son sac et lui tendit les comprimés sans rien ajouter. Elle était perturbée, réellement, par tout ce qu'elle apprenait. Comme si elle faisait la connaissance de Chloe pour la première fois et c'était merveilleux. Merveilleux dans le sens où, enfin, elle comprenait d'où lui venait sa force et sa joie de vivre. Mais horrible quand on connaissait la fin de l'histoire.
- Son insuffisance rénale est devenue tellement importante qu'il a été hospitalisé à temps plein jusqu'à ce qu'on lui trouve une greffe. Immédiatement, mes parents m'ont fait passer les tests.
Chloe sortit soudain son téléphone de sa poche pour tapoter rapidement dessus et le tourna vers Beca. L'écran affichait une photo de deux enfants, roux aux yeux indigos, souriants et plein de tâches de rousseur. Beca se saisit du téléphone, absorbée.
- Chris et moi étions jumeaux. Tu savais qu'une transplantation est possible d'une personne adulte vers un enfant ? Mes parents étaient compatibles mais c'était beaucoup plus simple de prendre un rein à quelqu'un du même âge, encore plus quand ils sont jumeaux. Ils m'ont très vite convaincu que j'étais la seule à pouvoir le sauver. Le reste de l'histoire, tu la connais. Ils m'ont pris un rein, l'ont donné à mon frère et ça n'a quand même pas fonctionné. Le lendemain de l'opération, Chris ne s'est même pas réveillé. Ses organes ont commencé à lâcher un par un. Je me souviens juste des pleurs de ma mère assise à côté de mon lit d'hôpital.
Chloe avait fini sa phrase la voix tremblante. Beca lui prit la main instinctivement et resta silencieuse pour lui laisser le temps de se remettre. Tout le temps qu'elle aurait besoin, vraiment.
- C'est marrant, avec le temps, son visage sur ce foutu lit d'hôpital s'efface mais jamais l'odeur.
La rousse leva des yeux brillants au ciel comme pour intimer au gars dirigeant le monde là-haut d'arrêter ses accès d'ironie.
- J'ai passé des mois à me remettre de l'opération tout en pleurant la mort de mon frère. Ma mère restait distante. Mon père aussi en fait. Je me souviens que ma grand-mère m'a beaucoup aidé à ce moment-là. Elle était très présente. Quand je suis rentrée à la maison, elle est restée avec moi. Après ça, mes parents étaient toujours absents à des conférences, au travail, en vacances. J'ai passé le collège puis le lycée plutôt seule. Puis j'ai rencontré Aubrey à la fac et j'ai décidé d'oublier tout ce qui était lié à ma famille. J'en ai une nouvelle maintenant.
Beca hochait la tête distraitement, les yeux perçants. C'était comme de voir réellement Chloe pour la première fois. Elle déposa sa deuxième main sur leurs phalanges jointes.
- Tu es tellement forte, je ne sais même pas quoi te répondre.
- Tu exagères. J'ai perdu mon frère, je n'ai pas fait la guerre.
Devant le rejet de son compliment, la brune soupira.
- Parfois, j'aimerai que tu te vois comme je te vois.
Chloe secoua la tête mais ses lèvres s'étirèrent néanmoins. Beca était fière de l'avoir fait sourire. A partir de là, elles mangèrent les mains jointes. Beca se moquait bien de ce que pouvaient penser les gens autour d'elles. Le premier qui oserait les approcher pour les critiquer se ferait mâcher tout cru. Beca ne laisserait plus personne faire de mal à Chloe.
Une rediffusion de Charmed éveillait le salon mais Quinn n'était pas très attentive à l'épisode. L'attitude de Rachel la gardait préoccupée et de toute façon, elle avait vu la série une bonne dizaine de fois. Elle ne savait plus vraiment où elle se tenait avec Rachel. Ses craintes remontaient à la surface comme de la bile. Etait-ce la fin de leur histoire ? Elle aurait voulu qu'elles se parlent. Ou que Rachel lui hurle dessus. Rien qu'une réaction. N'importe laquelle.
Lassée et soupirante, Quinn se leva du canapé pour se refaire un thé. Elle traversa l'appartement à pieds nus. En passant devant la chambre, elle entendit des bruits. Rachel dormait pourtant encore dix minutes auparavant. La blonde posa sa tasse vide sur la table d'appoint et ouvrit la porte. Elle ne s'attendait pas à découvrir Rachel faisant ses valises. La brunette, erratique, remplissait un sac de voyage de poignées de vêtements. Elle n'avait même pas vu Quinn ouvrir la porte. Elle semblait possédée, la mort aux trousses.
- Qu'est-ce que tu fais ?, demande la blonde les bras ballants.
Quinn voyait Rachel vider les tiroirs, faire des allers-retours, mais rien ne s'imprimait.
- Je pars.
- Tu… pars ?
Rachel ne s'arrêtait pas. Elle courait presque dans la pièce pour récolter ses affaires le plus vite possible.
- Où ça ?
Les parents de Rachel, ses deux pères, habitaient toujours dans l'Ohio où elles avaient grandi toutes les deux avant de quitter l'état pour l'université. Sa mère habitait New York aux dernières nouvelles.
- Je ne sais pas.
En refermant un tiroir, Rachel renversa un cadre photo qui s'explosa au sol. C'était le déclic dont Quinn avait besoin pour sortir de sa transe.
- Non.
La brune ne réagit pas alors Quinn le dit plus fort.
- Non !
Rachel s'arrêta un instant sur ses lacets. Elle était en train de mettre ses chaussures. Sans adresser un regard à Quinn, elle continua.
- Je n'ai plus rien à faire ici, fit-elle finalement.
Quinn ne comprenait plus rien. D'abord, Rachel ne lui parlait plus et maintenant, elle s'enfuyait sans la moindre explication.
- Je veux savoir pourquoi.
- Je n'ai rien à te dire.
- Quoi ?!
Quand Rachel s'approcha pour passer la porte, Quinn la referma. Dans un mouvement de panique, elle ferma à clé et enleva la clé de la serrure.
- On ne sortira pas d'ici tant que tu ne m'auras pas expliqué.
- Je n'ai rien à te dire !, répéta la brune en essayant d'attraper la clé.
Quinn était légèrement plus grande mais pas plus en colère que Rachel. La brune griffait, agrippait tout ce qu'elle pouvait.
- Rach', ça suffit ! Parle-moi !
- Non ! Laisse-moi partir ! Tu n'as pas le droit !
La brune tapa du poing sur la poitrine de Quinn. Elle pleurait maintenant de rage et de frustration.
- Tu n'as pas le droit ! Je te déteste ! Je te hais ! Tout ce que tu as fait ! C'est de ta faute ! Tout qu'ils t'ont fait ! Je m'en veux ! Tu ne peux pas me garder ici !
- Eh ! Calme-toi, on va discuter !
Quinn tenta de la prendre dans ses bras mais Rachel se débattait et continuait son flot de paroles entremêlées.
- Je veux partir ! Je te déteste !
Elle s'attrapait les cheveux, tirait sur sa peau, balança son sac à travers toute la pièce. Quinn ne savait plus quoi faire. La personne qu'elle voyait se déchainer n'était pas la femme qu'elle connaissait depuis des années. Ca la tétanisait. Dans un dernier acte pour lui faire reprendre ses esprits, Quinn se vit saisir le vase de fleurs qui était sur la commode, enlever les jonquilles, et lancer le fond d'eau sur Rachel. Une grande inspiration, un regard tranchant. Les deux femmes se jaugèrent. Haletante, Quinn s'en voulut immédiatement et traversa la pièce en deux pas pour aller serrer Rachel dans ses bras.
- Je suis désolée, tu me faisais peur.
La brune s'effondra dans ses bras et répéta sans cesse qu'elle était désolée aussi.
- C'est tout. Je t'aime. Ca va aller, apaisa la blonde.
Quinn ne savait plus vraiment si elle disait cela pour la brunette dans ses bras ou pour elle-même.
Rachel mit une bonne demi-heure à se calmer. Elle grelottait de froid. Le vase était à moitié plein alors ses vêtements étaient trempés. Quinn analysa la respiration de Rachel et en conclut qu'elle pouvait au moins s'écarter légèrement. Elle jeta un œil au visage de la brune qui n'osait pas la regarder.
- On va te changer, tu es toute mouillée.
La brune acquiesça et se laissa asseoir sur le lit sans résistance. Quinn prit son peignoir qui pendait derrière la porte de leur chambre et revint aussitôt aux côtés de Rachel. Elle avait une trouille bleue de la laisser seule une seconde, comme si elle pouvait se briser si elle s'éloignait de plus de deux mètres.
La blonde retira d'abord le pull de Rachel et le laissa tomber au sol. Elle passa ses mains sur la peau hâlée pour retirer son soutien-gorge. Ensuite, elle lui passa immédiatement le peignoir sur ses épaules. Rachel retira ses chaussures du bout des pieds. Elle s'allongea complétement sur le lit et gigota pour enlever le reste. Très vite, elle était nue sous le peignoir. Quinn la regarda s'emmitoufler dedans et ne plus bouger. Elle alla récupérer un plaid sur le canapé et revint très vite pour s'allonger à ses côtés. Tout doucement, elle passa sa main sur sa hanche puis la chute de ses reins. Rachel gardait les yeux fermés.
- Quinn ?
- Hum ?
- Tu veux bien me serrer très fort ?
Personne n'aurait pu résister à la voix cassée de Rachel qui demandait un peu d'attention. Encore moins Quinn. Son cœur se brisa devant la fragilité de sa compagne. Elle l'attira contre elle et l'encercla de ses bras. Rachel cacha son nez dans son cou.
- Je ne te déteste pas, fit la brune contre la peau de Quinn.
- J'espère.
Des sirènes dans la rue retentirent. La télé dans le salon diffusait toujours la série que Quinn regardait.
- Je t'aime, ajouta Rachel.
- Je t'aime aussi.
Quinn laissa un temps puis :
- Je veux juste que tu me parles. Même si ça doit me faire mal.
La brune hocha doucement la tête contre son cou. Elle renifla et s'écarta un peu pour regarder sa compagne dans les yeux.
- Je ne sais plus comment faire ou par où commencer.
Le regard de Quinn passa d'un œil à l'autre de Rachel. Elle se pencha pour lui déposer un baiser sur le front.
- Par le début. Depuis quand ça a commencé ?
La main de Chloe fit signe à la voiture qui s'en allait et ouvrit la porte d'entrée de la maison des Bellas. Beca venait de la déposer pour aller travailler à la radio. Elle déchargerait les meubles plus tard avec les Bellas. Chloe devait se reposer.
Quand elle passa la porte, Stacie l'accueillit immédiatement, Aubrey à ses côtés. Chloe ouvrit de grands yeux en les voyant se hâter vers elle.
- Qu'est-ce qu'il vous prend ?
- On a une mauvaise nouvelle, commença Stacie.
- J'ai essayé de le faire partir mais il tenait absolument à te parler, finit Aubrey, les poings serrés, en indiquant l'étage du menton.
Le regard de Chloe passa de l'une à l'autre puis elle commença l'ascension des escaliers. Elle avait une petite idée de qui elle trouverait là-haut mais elle aurait préféré se tromper. A l'ouverture de la porte de sa chambre, Tom se retourna vivement, une photo dans les mains.
- Ah, te voilà ! J'attends depuis une demi-heure !
- Bonjour Tom. Qu'est-ce que tu fais ici ?, demanda Chloe en prenant la photo de ses mains pour la remettre sous sa punaise.
C'était une photo d'elle et Beca, plutôt réussie. C'était une des rares où Beca souriait complétement.
- Quoi ? Je n'ai plus le droit de te rendre visite ?
Le ton qu'employait le jeune homme était tranchant et rapide. Il semblait nerveux, ou excité. Il portait un sourire contrit.
- Bien sûr, mais un message aurait suffi. C'est ce que tu fais d'habitude, ajouta Chloe sans le regarder.
- Oui, mais pas pour te dire ce que j'ai à te dire.
Il s'avança et entra dans son champs de vision. Il lui prit les mains et les caressa de ses pouces. Chloe sentit une bile de dégoût lui remonter l'œsophage mais préféra le laisser faire.
- J'ai beaucoup pensé à nous, ces derniers temps. Tu me manques, Chlo. J'aimerai qu'on se remette ensemble. J'ai croisé tes parents au grand bal de charité de mes parents le mois dernier. Ils étaient d'accord avec moi pour dire qu'on formait un beau couple.
Chloe enleva ses mains de la peau moite et envahissante qu'elle avait pensé aimer un jour.
- Etre beaux ensemble ne suffit pas pour être ensemble, Tom. Qu'est-ce que tu fais de Cherry ? Ou Candice ?
- Sharon, et c'est de l'histoire ancienne. Elle ne t'arrivait pas à la cheville au lit.
Les dents de Chloe grincèrent sans qu'elle ne puisse le contrôler. Toute cette conversation lui retournait l'estomac.
- Je suis désolée mais je ne peux pas. Je suis avec quelqu'un et…
- Ah ! Je le savais ! J'ai vu des photos d'elle et toi dans le journal de l'université mais je pensais qu'ils exagéraient.
Tom commença à tourner frénétiquement dans la pièce. Chloe sentit la tension s'intensifier quand Tom se mit à rire amèrement.
- C'est parfait ! Tes parents vont adorer ! Leur petite fille, leur dernier enfant, batifolant avec cette… Cette… Elle t'a corrompu, Chloe ! Ce n'est pas toi ! Tu n'aimes pas les filles. Tu aimes les mecs beaux et forts comme moi ! Elle ne pourra pas t'offrir tout ce que je pourrais t'offrir. Et comment elle réagira quand elle saura pour ton frère ? Moi, je sais ce qu'il s'est passé et je t'accepte comme tu es.
Il s'approcha de nouveau, la prit par les épaules. Chloe tenta de s'extirper mais il se montrait insistant.
- Allez, on était bien ensemble. Peut-être que je devrais te rappeler ce que tu rates.
Tom déposa ses lèvres sur son cou, l'encercla de ses bras. Ses mains se baladaient sur son corps. Sa bouche entreprit sa descente. Elle se sentait coincée, contrainte, violée. Chloe poussa de toutes ses forces et envoya Tom contre la commode où il brisa un flacon de parfum de sa main par accident. La blessure saigna instantanément.
- Espèce de conne! Regarde ce que tu as fait !, hurla-t-il.
Chloe n'entendit pas les pas rapides dans l'escalier. Elle était trop obnubilée par le sang sur la moquette et l'odeur musquée de Tom sur elle et la sensation de ses lèvres mouillées sur sa peau.
- Ca ne va pas se passer comme ça ! Je vais prévenir tes parents ! Qu'ils voient ce que cette salo-
- Finis cette phrase, Dickson, et je te jure que tu repars avec un nez cassé !, intervint Aubrey qui était entrée en furie dans la chambre.
Tom partit aussitôt, la main en sang, non sans jeter un dernier regard assassin à Chloe. Stacie, qui était montée également, l'accompagna jusqu'à la porte pour être sûre qu'il parte. Quand elle remonta, Aubrey tenait Chloe, effondrée au sol. Stacie partagea un regard triste avec la blonde. Ce n'était décidemment pas les meilleurs jours de la danseuse.
- BECA !
La musicienne fut tellement surprise par le hurlement de son prénom qu'elle en lâcha la caisse en plastique de CDs qu'elle tenait. Elle était occupée à ranger des disques dans les étagères de l'étage. Elle alla jusqu'à la rambarde et se pencha pour voir qui l'appelait. Tom venait de débouler dans la radio et cherchait violemment les rayons de disques pour la trouver. Jesse, qui n'était pas loin, sortit de son rayon et l'intercepta.
- Laisse-moi, toi !, prévint Tom.
- Du calme, mec. Qu'est-ce qu'il t'arrive ?
Jesse retenait Tom d'une main sur le torse. Beca descendit les escaliers prudemment. Elle entendit à la rediffusion de la radio dans le bâtiment que Luke lançait une autre boucle pour sortir du bureau. Il descendit les escaliers plus vite qu'elle et arriva au même niveau que Jesse et Tom.
- Qu'est-ce qu'il se passe ici ?
- Il se passe que cette pute m'a volé ma copine !, cria Tom en désignant Beca du doigt.
Beca resta choquée, la bouche ouverte. Pour qui se prenait-il ? Les deux garçons le retenaient difficilement.
- Déjà, tu vas te calmer. On n'insulte pas les gens ici, conseilla Luke.
- Je me calmerai quand elle arrêtera de répandre ses sales vices autour de ma copine !
Beca s'approcha mais resta distante. Malgré ses allures téméraires, Tom lui faisait peur dans cet état-là. Il semblait maniaque, au bord de la crise de nerfs.
- Lâchez-moi !, ordonna le grand brun.
- Pas tant que tu ne seras pas calmé, indiqua Luke.
Jesse jeta un œil à Beca par le dessus de son épaule. Son silence l'étonnait vraiment.
- Ok, d'accord. C'est bon, je suis calme, fit Tom.
Les garçons le lâchèrent et s'écartèrent. Tom prit son temps pour remettre son polo en place, dépoussiérer son pantalon. Puis il s'élança sur Beca et l'attrapa par le col de sa chemise.
- Lâche-la !, hurla un des garçons.
Beca ne savait pas vraiment lequel, elle était trop occupée à essayer de respirer.
- Ecoute-moi bien, sale gouine. Chloe est à moi. Je te détruirai, je détruirai toute ta famille si tu ne la laisses pas tranquille.
Tom avait articulé chaque parole contre son oreille, d'un ton grave et menaçant. Il la laissa tomber au sol violemment. Les deux garçons qui le retenaient par les bras le poussèrent sans ménagement vers la sortie.
- T'approche plus d'ici, Dickson, ou je te jure que-
- Qu'est-ce que tu vas faire, petit Jesse ? Me chanter une berceuse ? Tu me dégoutes. Allez, retourne jouer à la chansonnette avec ta bande de PDs.
C'était la phrase de trop. Jesse lui fonça dessus et le bascula à terre pour le ruer de coups. Luke tenta de les séparer mais seul, c'était une tâche très compliquée. Les deux garçons n'étaient plus que des pieds et des poings. Beca reprit enfin ses esprits et hurla d'arrêter. Enfin, dans sa tête, elle hurlait mais sous le choc, sa voix restait coincée dans sa gorge. Luke avait trouvé la solution. Il était remonté à la console de commandes et transperça le bâtiment d'un son tellement aigu que les deux combattants durent s'arrêter, les oreilles sifflantes.
Tom se leva le dernier, le nez en sang, les deux mains autour de son visage. Il adressa un dernier regard plissé à Beca puis à Jesse et s'enfuit en titubant. Sous le choc, les genoux grelottant, Beca s'approcha de Jesse qui tamponnait son arcade de sa manche de pull. Elle tira sur la manche, la gorge toujours nouée, pour analyser les dégâts. Ca avait l'air profond.
- Il faut aller aux urgences, annonça Luke sans laisser place à une contradiction.
Il avait lancé la radio pour qu'elle fonctionne jusqu'à la fermeture et pris ses clés. Il déposa sa veste en cuir marron sur les épaules de Beca et proposa une grosse boule de papier absorbant à Jesse.
- En route.
Le voyage avait été épuisant. Dans l'avion, Santana avait tenté de se reposer sans grand succès. L'impatience et l'inquiétude la rongeaient. L'impatience de retrouver sa femme, de la serrer dans ses bras, de retrouver les odeurs de son appartement. L'inquiétude de laisser Quinn seule face à des problèmes qu'elle n'était peut-être pas encore prête à affronter sans retomber dans un comportement dangereux.
Santana soupira à la dernière marche de l'escalier. Elle était enfin arrivée. Elle ouvrit la porte, roula sa valise dans le couloir, referma la porte et s'appuya contre elle, les yeux fermés. Il était presque vingt-deux heures mais peu importe, des pas légers traversaient l'appartement pour la rejoindre.
- Tu es rentrée, déclara la blonde en s'approchant.
- Enfin.
Les deux jeunes femmes se serrèrent dans les bras pendant un bon moment. Le temps qu'elles avaient passé séparément avait été long. Plus que ce qu'elles auraient pensé. Mais c'était pour la bonne cause.
- Tu m'as tellement manqué.
C'était simple et presque logique mais c'était dit. Brittany resserra encore plus ses bras autour du cou de sa femme. Santana aspira le parfum de la blonde. Son chez-elle n'était pas un lieu mais une personne. Sans s'écarter, elle retira maladroitement ses talons aiguilles. Elle perdit une dizaine de centimètres sur Brittany qui était déjà plus grande qu'elle. Son oreille se plaqua contre son cœur qui battait la chamade. Intriguée d'un tel concert, la brune releva la tête pour voir les deux yeux bleu azur de la blonde remplis de larmes.
- Tout va bien ? Brit', qu'est-ce qu'il se passe ?
Brittany sourit sous les caresses de sa femme. Elle s'était imaginée dix scénarios différents pour lui annoncer cette nouvelle mais finalement, le plus naturellement possible leur correspondait.
- Tu m'as manqué aussi mais…
Les yeux noirs et alarmés passaient sur le visage de la blonde comme si chaque détail aurait pu aider à comprendre ce qu'il se passait.
- Tu as manqué encore plus à quelqu'un d'autre…
Les lèvres de la blonde s'élargirent. Elle prit les deux mains de Santana pour les placer sur ses hanches. La brune la regarda faire, sans comprendre. Elle remonta le regard sur le visage de sa femme mais Britanny ne la regardait pas. Elle regardait ses deux mains posées sur son ventre. D'un coup, l'univers de Santana s'illumina. C'était comme un feu d'artifices, mais sourd. Sans bruits. Ses oreilles bourdonnaient.
- C'est vrai ? s'enquit-elle de demander.
La blonde hocha timidement la tête et Santana éclata de rire. Elle la souleva dans ses bras et les fit tournoyer.
- YES ! Merci, merci, merci !
C'était magique. Elles essayaient depuis plusieurs mois d'avoir un enfant sans succès jusqu'ici. Brittany avait subi une première perte sans que ça ne les décourage. Elles avaient souhaité garder leur aventure secrète tant qu'il n'y avait rien à annoncer. A présent, elles attendaient leur premier enfant.
- Je t'aime tellement, déclara Santana plus doucement.
- Je t'aime aussi.
- On va devenir une famille.
Brittany rit en hochant la tête. Elle le savait depuis quelques jours mais le dire tout haut et le partager avec la femme qu'elle aimait était comme de l'apprendre une nouvelle fois pour la première fois.
- On va devenir parents.
Santana lâcha une larme et s'approcha pour l'embrasser doucement. La danse qui commença calmement s'endiabla très vite. Des vêtements s'éparpillèrent dans l'appartement. Des rires et des mots doux se firent entendre. Si les voisins avaient entendu le moindre bruit, ce soir-là, Santana et Brittany s'en moquaient éperdument. Ce soir-là, elles se retrouvaient. Ce soir-là, elles s'aimaient encore plus.
L'épuisement était lisible sur les traits de Beca. Jesse voyait parfaitement à travers ses airs de dur-à-cuir. Les insultes de Tom ne l'avaient pas laissé indifférente. Il la suivit néanmoins sans rien dire jusqu'à la villa des Bellas. Quand la brune ouvrit la porte, ils furent accueillis par des applaudissements. Hébétés, Beca et Jesse regardèrent les Bellas les applaudir sans rien dire.
- Qui aurait cru que tu avais ça en toi, JessJess !
Amy s'était approchée pour claquer une main sur l'épaule de Jesse en bonne camaraderie. Beca avait immédiatement informé Aubrey par message de la bagarre qu'il y avait eu à la radio. Pas Chloe, parce qu'elle ne voulait pas la secouer ou l'inquiéter. Aubrey était la plus capable de gérer ce genre de crise. Quand Aubrey lui avait répondu que Tom était d'abord passé voir Chloe, elle s'était sentie très bête.
Sans y réfléchir, la brune passa en revue le hall d'entrée de ses yeux alarmés et rencontra instantanément les deux billes bleu turquoise qu'elle cherchait. Elle traversa rapidement le groupe des Bellas pour accueillir Chloe dans ses bras. Beca et Chloe n'entendirent pas le silence immédiat que leurs retrouvailles provoquèrent ni ne sentirent les regards attendris que leur jetaient leurs amis.
- Comment tu te sens ?, demanda la brune, les mains sur les deux joues de Chloe.
- Epuisée. Et toi ?
- Pareil.
Chloe déposa quelques baisers sur les joues de Beca.
- Je suis contente que tu n'aies rien.
- J'ai un trop beau visage pour le laisser se faire maltraiter, ironisa la brune.
Chloe secoua la tête, un peu amusée mais ne rajouta rien. Son regard se dirigea par-dessus l'épaule de Beca, sur Jesse qui acceptait toutes sortes de félicitations des filles qui l'entouraient.
- J'ai quelqu'un à remercier, déclara la rousse avant de déposer un dernier baiser sur les lèvres de Beca.
La brune l'observa traverser le hall difficilement sur sa jambe boitillante et prendre un Jesse aux grands yeux dans ses bras. Le jeune homme rougit sous les remerciements de Chloe. Beca observait la scène de loin et souriait. Elle n'entendit pas Aubrey l'approcher à sa droite.
- Ce connard a eu ce qu'il méritait.
Du coin de l'œil, la musicienne vit comme la blonde à ses côtés était en colère rien qu'à ses traits tirés et ses sourcils froncés.
- Il ne la laissera pas tranquille, soupira Beca.
Aubrey lui lança un regard suppliant. Elle savait pertinemment que Beca avait raison mais elle ne voulait pas y penser. Ils méritaient tous une soirée calme après la journée mouvementée que Tom leur avait fait passé. Elle posa sa main sur l'épaule de Beca et serra un peu les doigts, avant le lâcher pour rejoindre les Bellas qui avaient migré dans la cuisine.
A/N: J'ai dû couper ici car le chapitre aurait fait deux fois cette longueur sinon. Les scènes du prochain chapitre sont pensées mais pas encore écrites alors j'espère ne pas vous faire attendre trop longtemps. J'espère que celui-ci vous aura plu. N'hésitez pas à me donner vos retours.
