Bonsoir, et bienvenue dans ce nouveau chapitre !
J'espère qu'il vous plaira :)
La playlist de la fic s'étoffe ! Elle est dispo pour les personnes que ça intéresse sur Spotify, sous le même nom que cette fic. (on y trouve de la deep house, techno minimaliste aussi bien que du doom, du blues, ou du... black metal avec du blues. En tout cas, que des morceaux qui m'ont accompagnée pour l'écriture !)
Shadow : Contente que ça te plaise, merci !
Fealina07 : Merci pour ta review ! Intéressantes suppositions, c'est amusant de voir pour moi comme tout le monde a des idées différentes sur ce qui a pu se passer :)
CHAPITRE CINQ
« Il y a des instants où l'enchaînement logique omniprésent des causes et des effets craque, pris au dépourvu par la vie même, [...] laissant une main invisible pêcher dans le giron illimité du possible, et, entre des millions de choses, n'en laisser advenir qu'une seule. »
Alessandro Baricco, Océan Mer
I
Parfois, quand je regarde la mer, je m'imagine qu'il n'y a rien de l'autre côté. Je suis sur une île perdue à la surface d'une planète océan. Il paraît qu'il y en aurait des centaines de milliers dans l'univers. Autant de mondes inconnus, et qu'on ne connaîtra peut-être jamais.
Je regarde la mer, maintenant.
Mais cette fois, l'idée qu'il n'y ait rien derrière me terrifie. Peut-être que tout finit ici, et qu'un jour tout disparaîtra dans l'océan, ne laissant plus rien qu'une immense étendue bleue dans toutes les directions. Et tout ce qui existait dérivera à jamais à l'intérieur, ou sombrera dans les abysses où le soleil ne pénètre jamais. Comme dans ce truc de Lovecraft… R'lyeh, je crois… la cité de jadis enfouie sous les eaux, où rêve à jamais un être venu du ciel…
Moi aussi, je me demande ce qui rêve sous les eaux. Sur les vagues, le soleil…
Le soleil jouait à travers les nuages poussés par le vent, creusant des puits dorés dans les volutes grises avant de se poser sur la surface miroitante de l'océan. Agité, crénelé d'écume, il sifflait comme un chat en colère en arrachant le sable et les cailloux polis du rivage. Il ne savait se décider entre le bleu, le gris et le vert, il testait ses propres limites, grignotant sur le rivage sans savoir où s'arrêter dans son perpétuel mouvement de balancier, et s'estompant au large comme s'il cherchait à se diluer dans le ciel.
Assis dans le sable, Aomine et Kagami contemplaient ce spectacle d'un monde débordant sur l'autre, ces palettes de couleur mouvantes se nuançant perpétuellement à chaque ondoiement de la lumière. Leurs pensées paraissaient plus ténues et moins bruyantes dans cette débauche de lumière, étouffées par la voix grondante du ressac, évaporées dans l'immensité qui les surplombait. Pendant cet interlude presque paisible, la pression s'allégea un peu, et ils se mirent à se rappeler mutuellement des souvenirs de leurs années passées ici.
Ils s'aperçurent à quel point ce passé leur paraissait lointain, comme s'ils avaient déjà vécu une vie entière entre les deux. Pour Kagami, leur installation à L.A. avait été comme un retour aux sources, pour Aomine, une découverte vertigineuse, parfois terrifiante, bien qu'en fin de compte il se soit adapté assez rapidement. Ils s'étaient retrouvés entraînés dans une vie trépidante avant de s'en rendre compte, et ils avaient beaucoup appris pendant cette période. Mais aux alentours de la trentaine, ils avaient commencé à éprouver le désir de ralentir le temps, de diminuer les sollicitations pour laisser un peu plus de place à la rêverie, à la contemplation… ou simplement à leurs loisirs. Ils avaient eu envie de se lancer dans des aventures différentes, d'explorer le monde d'autres façons. Et tous deux sentaient qu'ils avaient trouvé ce qu'ils étaient venus chercher au Tennessee, tout en y emportant des fantômes du passé qui revenaient maintenant les hanter.
Car on ne se sépare pas de son passé comme d'un vêtement qu'on abandonne… on le porte dans sa chair, à travers les déformations du temps, jusqu'à la fin. C'était peut-être la leçon qu'ils apprenaient cette après-midi-là aux côtés de l'océan, qui lui-même se métamorphose sans cesse, tout en portant en lui la mémoire de la planète, et peut-être même celle d'autres mondes …
C'était la seule chose qui leur manquait au Tennessee. L'océan. Alors c'était bon de le retrouver, de le voir s'échouer encore et encore à leurs pieds comme un regret sans cesse renouvelé, une excuse qu'on ne peut accepter, ou un appel auquel on ne répond pas…
Ils étaient à un carrefour de leurs vies, suspendus entre divers possibles, se demandant lequel allait advenir et surtout où il les guiderait. Et ils trouvaient de la force l'un en l'autre tandis qu'ils attendaient que la main du destin trie son jeu.
La soirée arriva et aucune nouvelle n'était encore tombée. Mais s'il y avait deux témoins à reconvoquer au commissariat, ça n'avait rien d'étonnant. Kagami et Aomine se résignèrent à regagner leur petit hôtel dans les quartiers jouxtant le front de mer. Leur chambre bénéficiait d'un balcon étroit où ils restèrent posés toute la soirée, à regarder les gens passer dans la rue perpétuellement agitée. Le soleil dansait entre les buildings, et ils pouvaient apercevoir le miroitement assourdi de l'océan qui surnageait dans les espaces libres de cette forêt urbaine à la symétrie implacable. Ils partagèrent quelques bières sur ce balcon suspendu au-dessus de ce monde urbain qu'ils avaient bien connu, et pourtant leur position surélevée ne leur apporta aucune perspective, aucune révélation qui viendrait éclairer leurs questionnements.
Le ciel prit une teinte bleu profond, et pile au-dessus de leurs têtes, une étoile solitaire se détacha dans la lumière qui s'attardait. Sa pâleur scintillante s'accrochait à la vague de plus en plus sombre qui montait des terres en direction de la mer. Bientôt, l'étoile solitaire rivaliserait avec les milliers de lumière que la ville allait aux ténèbres dans sa perpétuelle bataille contre les forces cosmiques qui parfois semblent forcer la destinée humaine.
Ils s'étaient rassurés mutuellement au fil des heures passées et il ne restait plus rien à dire. Rien pour remplacer le bourdonnement urbain qui habillait le silence de plaintes étranges. Kagami tendit l'oreille pour tenter de percevoir la voix des vagues, mais il n'entendit que le ululement affolé d'une ambulance se détachant au milieu de klaxons indignés. Les bruits grandissaient, pulsaient dans sa tête comme s'ils avaient une masse tangible.
Il se frotta les yeux, fatigué.
« On rentre ? » demanda-t-il à Aomine.
Celui-ci acquiesça d'un signe de tête, et ils battirent en retraite à l'intérieur, refermant la fenêtre à double vitrage et tirant les rideaux pour les isoler de cette nuit trop peu obscure. Ils défirent les draps et se lovèrent à l'intérieur, rafraîchis par une climatisation soufflant à plein régime. Kagami éprouva avec un frisson plaisant la caresse de l'air froid sur son épiderme, et enfin, il retrouva un certain calme. Ses lèvres recherchèrent celles d'Aomine, qui ne lui opposèrent aucune résistance. Il se rapprocha d'une torsion des hanches, avide de sentir le contour familier du corps de son compagnon s'emboîter au sien dans une danse qu'ils connaissaient par cœur. Alors qu'il caressait et empoignait son corps, il sentait affluer à fleur de peau la nostalgie, plus qu'un simple regret, une vaste mélancolie qui recouvrait comme la poussière les années déjà vécues, rendant l'avenir incertain. Et pourtant, il n'était pas si triste, et l'angoisse était présente, mais en filigrane, comme un filtre sépia sur une vieille photo. À travers elle l'émotion était intacte, et le goût de la peau de Daiki lui rappelait qu'ils étaient en vie, qu'ils étaient toujours là malgré tout. Il s'agrippa à lui tandis que son compagnon empoignait sa verge fermement, lui arrachant un gémissement soulagé. Oui, il avait besoin de se sentir vivant, et son corps palpitant dans ces ténèbres réfrigérées, pulsant de la chaleur du jour qu'ils avaient pourtant chassée, lui prouvait encore et encore qu'il l'était, dans les bras de Daiki, comme au premier jour de leur histoire.
II
Le lendemain vers 17h, le portable d'Akashi se mit à sonner. C'était Brownson. Les deux témoins qui pensaient avoir vu Kise à deux endroits différents à 3h du matin avaient été réinterrogés. Akashi se trouvait dans sa chambre d'hôtel, devant son ordinateur – il avait réellement du travail à rattraper bien que son excuse n'avait pas semblé convaincre Taiga et Daiki. Il referma aussitôt l'écran et se redressa par réflexe, comme il le faisait toujours quand on s'adressait à lui, directement ou non.
« Akashi.
— Monsieur Akashi, l'un des deux témoins est revenu sur sa précédente déposition. »
Le policier laissa traîner un silence interminable, jusqu'à ce qu'Akashi le brise sèchement :
« Eh bien ?
— Il s'agit de David Stein, celui qui prétend que M. Kise se trouvait à la piscine à 3h du matin. Il a avoué l'avoir vu partir en compagnie d'Adam Keller.
— Pourquoi a-t-il menti ?
— Il avait peur que son nom soit associé à un dealer notoire. Mais il s'avère que M. Stein connaît très bien Keller.
— Il sait pourquoi mon ami est parti avec ?
— Non. Mais comme Keller a disparu aussi, il commence à avoir peur que tout ça lui retombe dessus. Ça n'a pas été difficile de le faire craquer, ajouta Brownson avec une fierté évidente qui démentait ses propos.
— Cette Audi blanche, vous avez des résultats ? s'impatienta Akashi.
— Elle est actuellement garée devant une habitation à Hyde Park, dans le sud de L.A. On a chopé quelques junkies, mais pas d'Adam Keller. Ils doivent déjà être loin, car… Le téléphone de M. Kise a été utilisé le 8 juin à Oceanside.
(Parfois, quand je regarde la mer, je m'imagine qu'il n'y a rien de l'autre côté.)
Deux jours après sa disparition, donc, reprit Brownson. On a un nouveau signal dans la ville où sa carte a été utilisée pour un retrait, à Julian. Le même jour que le retrait, soit le 13 juin, sept jours après sa disparition. On peut donc supposer qu'il est descendu au moins jusqu'à Hyde Park en compagnie d'Adam Keller, pour réapparaître deux jours plus tard, plus au sud, à Oceanside.
(Je regarde la mer, maintenant.)
Et cinq jours plus tard, on retrouve sa trace à Julian. Toutes ces localités sont géographiquement proches, mais il lui a forcément fallu un moyen de transport quelconque. On va se pencher là-dessus. »
Akashi écouta cette explication les dents serrées, son cerveau tournant à plein régime, arrivant à ses conclusions avant le récit laborieux du commandant de police, le laissant irrité et impatient.
« Donc, il est toujours vivant.
— C'est ce qu'on pense. Mais on n'a aucune preuve que son téléphone ou sa carte de crédit aient bien été utilisées par lui. Tant qu'on n'aura pas retrouvé Adam Keller… Les avis de recherches ont été distribués dans tout l'état de Californie, et le FBI a été contacté. S'il continue à se déplacer comme ça, ça ne sera plus de notre ressort.
— Bien. Merci, commandant.
— Pour l'instant, ne quittez pas la ville, M. Akashi. On pourrait avoir d'autres questions à vous poser. »
Akashi en doutait fortement. Les vérifications à son égard avaient déjà été faites. Il savait ne pas être un suspect dans l'enquête. Mais Brownson était du genre à aimer vous faire savoir que vous dépendiez de son bon vouloir. Pathétique. Cependant, l'ancien capitaine de Teiko ne broncha pas. Il savait mettre son orgueil de côté quand la situation l'exigeait, et se montrer plus patient que ses ennemis. De toute façon, Brownson ne pourrait pas le retenir ici bien longtemps.
Akashi coupa la communication et se versa un fond de scotch dans un verre en cristal. Il se leva et fit face à la baie vitrée qui offrait une vue panoramique de L.A, jusqu'aux hauteurs d'Hollywood et ses fameuses lettres géantes. Une vue conçue pour épater les touristes. En baissant les yeux sur la ville, il ne voyait qu'un enfer mal maîtrisé par le quadrillage implacable du plan urbain, par-dessus lequel flottait une perpétuelle brume de pollution et de chaleur, voilant les tourments des gens qui cuisaient à l'étouffée dans cette forme horriblement lente de damnation.
(Moi aussi, je me demande ce qui rêve sous les eaux.)
Du haut de son hôtel luxueux, Akashi doutait d'échapper à cette destinée étalée devant lui, illusoirement lointaine. Mais cela ne signifiait pas qu'il était prêt à déposer les armes.
III
Plus tard dans la soirée, Aomine reçut les mêmes informations par l'intermédiaire de Lopez. Comme le portable de Kise avait été localisé à Julian, en plus du retrait bancaire, ils décidèrent que c'était là-bas qu'ils devaient se rendre. L'espoir fou que Kise puisse encore s'y trouver les avait instantanément convaincus. Quand Akashi les informa que Brownson lui refusait la possibilité de quitter la ville, ils ne surent pas trop quoi en penser.
« Ça ressemble à de l'acharnement… marmonna Aomine. Brownson ferait mieux de se concentrer sur la traque de Keller. Si quelqu'un a des réponses, c'est lui.
— Il va bien finir par réapparaître… Une personne qui se volatise, d'accord, mais deux…
— Je suis d'accord. »
Ils terminèrent de boucler leurs valises et rendirent leur clé de chambre. Puis, ils se rendirent à une agence de location de voiture et une heure plus tard, ils laissaient les lumières de L.A. s'effacer dans la brume du soir traînant dans le rétroviseur. La nuit était tombée, et alors qu'ils s'enfonçaient dans la région désertique, la succession de bandes jaunes sur le bitume – révélées brièvement par les phares avant d'être englouties par la nuit – avait quelque chose d'hypnotique. Pensif, Kagami tapotait le volant au rythme de la musique qui résonnait en sourdine. Ils arriveraient un peu tard à Julian, mais dans cette région, il y a toujours des motels prêts à vous accueillir, même à des heures indues.
Ce qu'ils avaient appris aujourd'hui ne faisait rien pour le rassurer. Kise semblait si proche, avec ces nouvelles informations sur la téléphonie, et la certitude maintenant acquise qu'il avait quitté cette fête à 3h du matin, en compagnie d'Adam Keller. La piste de Julian était encore fraîche, alors il aurait dû être optimiste, mais il n'aimait pas l'implication du dealer dans cette affaire. Pourquoi est-ce que Kise était parti avec lui ? Se connaissaient-ils ? Voulaient-ils faire affaire ? Est-ce que quelque chose avait mal tourné et que Keller avait fait disparaître Kise ? Pour ce qu'on en savait, ça pouvait être lui sur la vidéosurveillance du distributeur. Ou alors, Kise avait disparu pour tenter de lui échapper ?
Il n'y avait aucun moyen de le savoir, si ce n'était, comme le disait Aomine, de mettre la main sur le dealer. Et dans leur position, ils ne pouvaient qu'attendre que la police fasse son travail. Kagami savait qu'Aomine le vivait particulièrement mal, car la police, c'était lui… Mais ce n'était ni son affaire ni sa juridiction. Il pouvait seconder l'enquête mais pas s'y impliquer. Cela dit, si le FBI venait s'en mêler, ça deviendrait beaucoup plus difficile d'obtenir des informations, et Kagami savait que ça rendait Aomine de plus en plus nerveux. Il s'efforçait de ne pas voir Julian comme leur dernière chance, mais il partageait l'angoisse de son compagnon.
Minuit approchait quand les lumières de Julian se détachèrent des ténèbres environnantes. Elles laissaient deviner la masse sombre des montagnes auprès desquelles la petite localité se blottissait, frissonnant dans la légère brume qui habillait la nuit.
Kagami entra dans l'agglomération en roulant au pas, dévisageant les bâtiments aveugles qui donnaient une bizarre allure de ville fantôme à ce lieu qui devait pourtant être très fréquenté en journée. Par réflexe plus que par véritable conviction, son regard fouilla les trottoirs enténébrés à la recherche de Kise. Évidemment, ce serait trop beau de le trouver là en train de se promener tranquillement. Bientôt, la lueur de ses phares accrocha leur motel en périphérie de la ville, affrontant courageusement l'obscurité des régions arides qui le cernaient. En descendant du véhicule, Kagami entendit une meute de coyotes hurler dans le lointain, et le son aigu et tremblant, profondément lugubre, lui glaça le sang. Il se rappela la sauvagerie des Smokies et pria pour que Kise soit en sécurité, loin des prédateurs nocturnes, humains ou autres. Il pouvait sentir la nuit s'épaissir, habitée de créatures et de rêves salués par ces coyotes qui ne semblaient plus si lointains… Un frisson secoua son échine, et il se dépêcha d'attraper son sac dans le coffre.
« Ça va love ? » lui demanda soudain Aomine, sa voix familière le tirant de son étrange rêverie éveillée.
« Y-Yeah… » balbutia-t-il en ébouriffant sa tignasse.
Le brun lui adressa un sourire fin comme un croissant de lune dans les ténèbres, et passa un bras rassurant autour de ses épaules. Le froid de la nuit s'estompa un peu, et tous deux se pressèrent en direction du motel.
À l'accueil, une femme aux traits tirés fumait une cigarette devant un magazine, éclairée par une lampe tout aussi fatiguée qu'elle. Elle leur donna une clé sans prendre la peine de leur expliquer le fonctionnement des lieux. C'était le genre de motel qu'on trouve tout au long des routes qui sillonnent les USA, juste des étapes qui se ressemblent toutes. Et ça convenait très bien au couple, qui s'empressa de se retirer dans leur refuge loué pour une nuit.
Et après une douche rapide pour se débarrasser de la sueur récoltée sur le bitume, ils allèrent se coucher, et ne tardèrent pas à sombrer dans une obscurité plus profonde encore, au fond de laquelle rêvait… dieu savait quoi.
IV
Aomine est dans le noir. Il a beau écarquiller les yeux, il ne distingue pas la moindre lueur. La peur s'agite dans sa poitrine comme un parasite lové entre ses deux poumons. Il a du mal à respirer. Ses tripes se tordent. Ses mains picotent alors que son cerveau sous-alimenté en oxygène commence à lui envoyer des visions d'horreur. Il sait qu'il doit garder son calme. Et comme il n'y parvient pas, il donne encore plus de pouvoir à cette angoisse qui commence à le submerger. Il lutte et bataille, son estomac se contracte si fort qu'il croit qu'il va vomir, mais il a déjà vomi tout à l'heure… en découvrant les cadavres. Et maintenant, son estomac est vide. Il n'a pas le droit de paniquer… Il est arrivé trop tard. La jumelle de l'angoisse pointe un aiguillon froid dans son estomac. La culpabilité… Peut-être que s'il avait mieux bossé son dossier… Ça ne serait pas arrivé. Il ne serait pas enfermé dans le noir en compagnie de deux cadavres qui avaient été des personnes comme lui, et à qui on avait volé la seule chose qu'on possède vraiment : la vie. Il n'ose pas bouger de peur de déranger les morts, et pourtant, il faut bien trouver une sortie…
Aomine se réveilla glacé, emmêlé dans les draps et dans les souvenirs poisseux de son rêve. Ça faisait longtemps que ça ne lui était pas revenu à l'esprit… Même si c'était toujours dans un coin de sa tête. Lors de sa première année à L.A., il avait recherché deux femmes disparues. Avec sa coéquipière, suite à des signalements suspects, il avait été dépêché en urgence dans un hangar abandonné. Il avait commis l'erreur de se séparer de sa collègue sans la prévenir, intrigué par une porte dérobée, presque invisible. Il avait descendu une volée de marches, s'enfonçant rapidement dans une profonde obscurité. Encore aujourd'hui, la sensation était ancrée avec un réalisme effrayant dans sa mémoire. Ces ténèbres… elles étaient si épaisses que c'était comme s'enfoncer sous l'eau. Au fond de la cage d'escalier, il avait trouvé une lourde porte, qui s'était refermée sur lui dès qu'il l'avait franchie. L'enfermant à l'intérieur. Il avait brandi sa lampe torche, et découvert les cadavres roués de coups et égorgés. Il avait lâché sa lampe. Il était resté là-dedans cinq minutes, d'après le rapport de Kylie. Pour lui, ça avait été des heures. Une éternité dans le noir…
Et depuis qu'il avait lu ce maudit article dans le journal relatant la disparition de Ryota, il avait l'impression tenace qu'il était de nouveau dans cette pièce obscure, perdu sans lumière. Sans issue. Au fond du trou…
Il se redressa sur ses oreillers, regardant à travers le store baissé l'éclat vacillant d'un réverbère orange, lui assurant que quelque chose veillait encore sur sa nuit. À ses côtés, il entendit le souffle régulier de Taiga, l'aidant à s'ancrer de nouveau dans le réel. Il n'était pas perdu. Pas seul. Pas dans le noir.
Et ses pensées revinrent aussitôt à Kise, se demandant s'il était lui aussi dans cette pièce close où la mort avait pris ses quartiers. Il ferma les yeux, comme s'il pouvait là maintenant, établir une connexion télépathique avec lui. Évidemment, ça échoua.
Il se rallongea, le cœur encore battant dévisageant les ténèbres qui se battaient sur le plafond. Sa main chercha le corps chaud de Kagami sous les draps. Il agrippa sa main abandonnée sur le matelas et la serra, arrachant un léger soupir au tigre endormi. Il compta ses inspirations. Et alors que cet exercice ingrat ne semblait jamais devoir finir, il regagna les limbes du sommeil.
