Pendant que Rogue fait ses préparatifs, allons voir ce qui se passe de l'autre côté de l'Atlantique...
Katymyny : Mais y parviendra-t-il ?
Gabi : Moi non plus lol mais la vie est pleine de surprises, n'est-ce pas ?
Chapitre 4
Questions d'orientation
« Voilà ce qui s'appelle un swing ! »
Toutes les têtes s'étaient tournées pour suivre la trajectoire de la petite balle blanche. Narcissa imita les autres en se protégeant les yeux de sa main gantée : même en automne, le soleil californien brillait avec éclat.
« Joli coup, mon cher ! » lança l'un des Non-Maj' quand la balle, après avoir roulé sur le green, disparut dans un trou marqué par un petit drapeau.
Tout le monde applaudit tandis que le joueur émérite saluait son public. La petite troupe se mit ensuite en route pour la prochaine étape du parcours, suivie par les caddies.
« Vous semblez très doué pour ce jeu, monsieur le gouverneur, glissa Narcissa à l'oreille du golfeur qui menait au score. Toutes mes félicitations.
– Je vous en prie, appelez-moi donc Silver », répliqua-t-il dans un sourire.
Un petit impudent d'acteur moldu avait eu le toupet de réclamer semblable familiarité quelques mois plus tôt – et de commettre bien d'autres forfaits encore, et des pires – mais Silver Douglas, lui, était bien assez important pour pouvoir se le permettre. Désormais familier du Nightingale, il avait développé le même talent que sa gérante pour se constituer un réseau parmi les Moldus qui comptaient, en ville et au-delà : le gouverneur de la Californie magique avait sans nul doute intérêt à connaître ses homologues politiciens sorciers comme moldus.
« Vous devriez d'abord vous entraîner chez vous si vous comptez jouer, la prochaine fois, conseilla-t-il à Narcissa. C'est loin d'être aussi facile que ça en a l'air, surtout sans magie pour corriger les trajectoires. »
Ses longs cheveux noirs attachés en catogan et coiffés de ce que les Moldus appelaient une « casquette », Corneille Avisée paraissait parfaitement à son aise au milieu de cette troupe de golfeurs moldus. De fait, il les connaissait tous, et tous croyaient le connaître. Narcissa fréquentait la jet-set de L.A. depuis assez longtemps pour en connaître quelques-uns elle aussi, et personne ne semblait surpris que le charismatique Mr Douglas ait invité la mystérieuse et séduisante Mrs Malefoy à se joindre à eux en spectatrice. Ce devait être une pratique de séduction courante chez les Non-Maj', supposait-elle.
« Dites-moi, ma chère, j'ai entendu raconter que votre amie galeriste était à nouveau célibataire ? Quelle tristesse… »
La question ne venait pas de Douglas, mais d'un avorton de Moldu rougeaud à la mine calculatrice – marié, de surcroît. Narcissa comprit parfaitement le sous-entendu.
« N'ayez crainte, répondit-elle d'une voix suave, elle a déjà trouvé à se consoler.
– Ah ? Bien, très bien… »
Visiblement déçu, le Moldu s'éloigna.
« Répugnant, commenta Narcissa dans son dos, et Douglas pouffa.
– Pauvre Mike, il a beau chercher, il finit toujours par se faire éconduire. Peut-être devrait-il viser moins haut…
– Peut-être devrait-il se contenter de sa femme, répliqua Narcissa.
– Oh, ça fait longtemps que Liz ne se contente plus de lui, hélas… »
Ils avaient atteint le trou suivant. Le premier joueur prit position devant sa balle, évaluant le trajet à lui faire parcourir.
« Si je peux me permettre, les choses avancent-elles de votre côté ? » demanda Corneille Avisée tout bas pour ne pas perturber la concentration de son adversaire.
Narcissa ne s'en irrita pas : le gouverneur se devait d'être bien informé. De plus, son intérêt était plutôt flatteur.
« Toujours pas, répondit-elle dans un murmure tandis que le golfeur frappait sa balle. L'entêtement est tout ce qui reste à Lucius, et il s'y accroche bec et ongles.
– Qui l'en blâmerait ? Certainement pas moi », observa Douglas en se joignant aux applaudissements.
Son regard aussi était flatteur. Silver Douglas était un homme puissant, intelligent, doublé d'un sorcier compétent, à ce qu'on disait ; atout supplémentaire, il était veuf. Narcissa connaissait cependant trop la vie pour ne pas se douter que l'attention qu'il portait à une étrangère pas encore divorcée, mère d'un garçon désormais adulte et dotée d'un passé plus que trouble, était tout sauf gratuite. Cherchait-il par son truchement à se rapprocher de ses employeurs gobelins ? Avait-il des projets pour le Nightingale ? Ou ses intentions étaient-elles tout autres ? Elle ne pouvait le deviner pour l'instant mais, quoi qu'il ait en tête, ce n'était sûrement pas pour rien qu'on le surnommait Corneille Avisée.
Pendant ce temps, Drago buvait un verre au bar du golf en compagnie de Samuel Stevens, le directeur du Département de la Sûreté magique de l'État de Californie. Celui-ci s'était tordu la cheville au milieu du parcours, si bien qu'il avait fallu le ramener dans l'une de ces ridicules voiturettes qu'utilisaient les Moldus pour raccourcir les distances, incapable qu'il était de marcher. Drago avait gentiment accepté de rester avec lui en attendant le retour des autres. Enfin, gentiment…
« Si vous croyez que je n'ai pas compris votre petit jeu, maugréa le jeune sorcier, l'air boudeur devant son verre de jus d'orange pressé de frais. Vous auriez très bien pu vous soigner d'un coup de baguette.
– Pas devant tous ces Non-Maj', objecta Sam avec un coup d'œil circulaire pour s'assurer que lesdits Non-Maj assis aux tables voisines ne les entendaient pas.
– Vous auriez pu faire ça discrètement, insista Drago. La vérité, c'est que vous vouliez m'éloigner de ma mère.
– Ah oui ? fit innocemment Sam.
– Bien sûr ! s'enflamma Drago. Tout ça pour que votre gouverneur puisse plus facilement lui tourner autour !
– Intéressant, dit Sam d'un ton léger. Vous pensez que je suis la diversion de Silver…
– Évidemment ! Et si vous croyez…
– Mais pourquoi ne serait-ce pas plutôt l'inverse ? »
Interrompu en pleine expression de son indignation, Drago fronça les sourcils.
« Quoi ?
– Pourquoi le gouverneur ne serait-il pas ma diversion ? » répéta le directeur de la Sûreté.
Il but une gorgée de son propre verre de cocktail multifruit.
« Vous semblez partir du principe que vous êtres forcément le gêneur, et votre mère l'objet d'intérêt. Vous avez une bien piètre opinion de vous-même, mon garçon », observa posément Sam.
Drago le vrilla d'un regard soupçonneux. Il avait la nette impression que le directeur se moquait de lui.
« Qu'est-ce qui pourrait bien vous intéresser chez moi ? » bougonna-t-il enfin.
La dernière fois que quelqu'un d'important avait fait mine de s'intéresser à lui, il s'en souvenait très bien, cela s'était soldé par une injonction à commettre un meurtre, sous peine d'être lui-même tué avec toute sa famille si jamais il échouait. De la part de ce Stevens, il ne craignait rien de tel, mais mieux valait rester méfiant.
« Dites-moi, reprit Sam sans répondre à la question, avez-vous songé à reprendre des études ? Avez-vous quelques pistes d'orientation professionnelle, ou peut-être un projet ?
– Quoi ? » répéta Drago.
Il ne voyait pas du tout où Stevens voulait en venir.
« Je me demandais si, maintenant que vous êtes bien installé dans votre nouvelle vie, vous étiez décidé à en faire quelque chose, expliqua le directeur de la Sûreté. Vous ne comptez pas rester éternellement dans les jupes de votre mère, n'est-ce pas ? »
Drago rougit violemment.
« Non, sans doute, traduisit Sam avec un sourire placide. Je suis heureux de l'apprendre.
– Je ne reste pas dans les jupes de ma mère ! » s'écria Drago, tremblant de colère.
Stevens n'essaya même pas d'argumenter, sirotant simplement son verre. Il était convaincu d'avoir raison, devina Drago, furieux de constater qu'en son for intérieur il partageait l'opinion du directeur. Depuis leur arrivée aux États-Unis, et à plus forte raison depuis leur installation à Los Angeles, sa mère menait la barque ; lui se contentait de suivre comme il pouvait. Mais était-ce sa faute s'il n'y avait pas de réel emploi pour lui au Nightingale ?
« Il est parfois difficile pour un jeune homme de trouver sa voie, commenta Sam. Même quand on possède vos compétences. Tout est souvent question d'opportunité…
– Mes compétences ? »
Si conscient qu'il fût d'être un sorcier capable, Drago n'oubliait pas qu'il manquait cruellement de diplômes. Qu'est-ce que Stevens pouvait bien savoir de ses compétences ?
« D'après ce que j'ai cru comprendre, vous auriez sans doute obtenu des notes très honorables à vos… ASPIC, si vous aviez pu les passer, déclara Sam en fouillant dans sa mémoire pour retrouver le nom de l'examen. Bien sûr, avec la guerre, ça n'a pas été possible, et ensuite… »
Ensuite Drago avait connu la prison, et plus tard, après diverses péripéties, le pacte magique conclu avec Goyle lui avait interdit de remettre les pieds à Poudlard ou d'espérer poursuivre ses études de sorcellerie de quelque manière que ce soit. Mais ça, tout directeur de la Sûreté qu'il fût, Stevens ne pouvait pas le savoir.
« Les conditions n'étaient pas favorables pour que je retourne à l'école, éluda Drago, ce qui, en un sens, était exact. Et ensuite nous avons émigré.
– Et vous avez emporté vos talents avec vous, je n'en doute pas, compléta Sam. Les arts mentaux… Est-ce une matière que l'on enseigne à… Poudlard, c'est bien ça ? »
Drago retint son souffle : comment savait-il ? Le directeur se mit à rire.
« Allons, ne prenez pas cet air étonné, mon garçon ! Le renseignement est l'une des missions principales de la Sûreté magique. »
Drago se détendit à peine. Il n'aimait pas du tout l'idée que Stevens soit allé fouiner dans ses affaires.
« Dans ce cas, vous connaissez sûrement déjà la réponse, dit-il avec raideur.
– En effet, confirma Sam. D'après le témoignage de personnes qui vous ont bien connu, cette initiation serait l'œuvre de votre tante. Ce n'est d'ailleurs pas la seule chose qu'elle vous aurait apprise… »
Non, certes. La tante Bella lui avait enseigné bien des choses en matière de magie noire, et toujours avec des travaux pratiques. L'occlumancie, elle la lui avait apprise pour faire barrage à Rogue – elle avait été bien inspirée de ne pas se fier à lui – et, comme Rogue lui-même l'avait un jour imprudemment révélé à Drago, de l'occlumancie à la legilimancie, il n'y avait qu'un pas…
« Qu'est-ce que ça peut vous faire ? » maugréa le jeune sorcier.
Il n'avait pas besoin de baguette pour sonder l'esprit de son interlocuteur, mais celui-ci se tenait sur ses gardes. Posséder un bouclier mental solide était un minimum pour un directeur de la Sûreté magique, semblait-il.
« J'ai une proposition à vous faire, annonça Sam. Si vous êtes aussi prometteur que je le pense, une belle carrière s'ouvre devant vous.
– Quel genre de carrière ? voulut savoir Drago, mais le directeur enchaîna.
– Il faut d'abord que nous procédions à quelques tests afin d'en être sûrs… Nous avons besoin de quelqu'un qui a dépassé le stade de novice…
– Pour faire quoi ? » demanda Drago d'une voix plus forte.
Stevens sourit.
« Faisons les tests d'abord, voulez-vous ? Si vos résultats sont bons, je vous expliquerai tout ça ensuite.
– Quel genre de tests ? » s'enquit Drago, intrigué malgré lui.
Stevens eut un haussement d'épaules évasif.
« Oh, rien d'extraordinaire : arts mentaux bien sûr, sortilèges d'attaque et de défense, métamorphose, potions, connaissance des institutions magiques, droit sorcier, sociologie inter-espèces, bonnes manières…
– Bonnes manières ?
– À ne jamais négliger, confirma Sam d'un ton très sérieux. Vous avez des disponibilités la semaine prochaine ? »
Drago n'avait aucune envie de se laisser entraîner dans il ne savait quel piège comparable à celui d'un enrôlement au sein des Mangemorts, mais le programme de ces tests paraissait de bon augure… Et puis, quelle carrière dangereuse exigerait de lui la maîtrise du droit et des bonnes manières ?
« Ça ne m'engage à rien, n'est-ce pas ? vérifia-t-il tout de même par précaution.
– Absolument, assura Sam. Et notez que ça ne m'engage pas non plus à vous prendre si vos résultats ne sont pas à la hauteur de nos attentes. »
C'était de bonne guerre, estima Drago en hochant la tête pour marquer son assentiment.
« Une dernière petite chose, ajouta le directeur d'un ton léger. Inutile d'en parler à votre mère. Non que ce soit un secret, mais… Vous êtes un adulte désormais, capable de prendre vos propres décisions, et nous savons comment sont les mères… »
Stevens lui adressa un clin d'œil entendu. Drago voyait clair dans son jeu, cependant : cette proposition était bel et bien un secret, quoi qu'il en dise. Peut-être s'agissait-il déjà d'un test ? Et Stevens avait raison sur un point : ils savaient tous les deux comment réagirait sa mère si elle apprenait que son précieux fils unique avait été approché par le directeur de la Sûreté magique pendant que Corneille Avisée l'occupait ailleurs…
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Le crépuscule rougeoyait au loin, au-dessus des marais fumants. Ça devait faire des heures, peut-être même des jours, pensait Alifair ; mais c'était difficile à estimer car sa montre s'était arrêtée. En fait, on aurait dit que le temps lui-même s'était arrêté : un petit soleil écarlate restait suspendu bas au-dessus de l'horizon, toujours à la même place. Ce n'était pas naturel. Mais ce monde spongieux, avec ses formes et ses couleurs déroutantes, n'était pas naturel.
« Ben si c'est ça l'au-delà, c'est carrément de l'arnaque », grommela-t-elle pour la centième fois.
C'était toujours mieux que de disparaître pour de bon, sans doute. Quoique.
« Si c'était l'au-delà, ça serait blindé de monde », observa Alifair avec pertinence.
Elle s'était mise à parler tout haut pour meubler le silence. Il n'y avait personne pour l'entendre faire, de toute façon.
Au tout début, c'est vrai, elle avait pensé que le projectile lumineux était une sorte de bombe qui l'avait envoyée ad patres, et qu'elle s'était trompée sur l'inexistence d'une vie après la mort. Mais plus le temps passait – il devait bien passer d'une manière ou d'une autre puisqu'elle continuait à réfléchir et à se mouvoir, et qu'en plus elle s'était mise à avoir faim – plus le temps passait, donc, plus elle avait des doutes. Pouvait-on avoir faim, quand on était mort ? Pouvait-on avoir froid et mal aux pieds à force de trébucher sur ces foutues caillasses glissantes ? Pouvait-on avoir peur de s'empoisonner en buvant de l'eau pas nette et de mourir à nouveau en souffrant bien plus que la première fois ? Et où étaient les millénaires d'autres défunts qui l'avaient précédée ? Non, décidément, elle ne pouvait pas être morte, ça n'aurait pas été logique. CQFD.
Ceci étant posé, où était-elle ? Rien autour d'elle ne lui permettait d'émettre la moindre supposition à ce sujet, sauf qu'aucun endroit sur Terre n'était aussi bizarre, non ? Et aucun endroit sur Terre n'était éclairé par un soleil statique. Sauf peut-être aux pôles, mais elle ne se trouvait pas sur un pôle, ça, elle en était sûre.
« Me dis pas que ces cons m'ont expédiée sur une autre planète, quand même ! » s'effara-t-elle.
Si tel était le cas, mieux valait que ça tombe sur elle plutôt que sur Crickey : même un elfe de maison n'aurait sans doute pas pu regagner la Terre en transplanant à travers la galaxie. En fait, à sa connaissance, rien ne le pouvait, mis à part les sondes spatiales construites par les Moldus ; les sorciers pouvaient bien raconter ce qu'ils voulaient, aucun balai ne permettait de voler jusqu'à la Lune, sans parler de Jupiter. Donc, elle ne se trouvait probablement pas sur une autre planète, bien qu'elle ne puisse en avoir la certitude.
« Si c'est le cas, j'ai drôlement du bol que l'atmosphère soit respirable par l'Homme, en tout cas », reconnut Alifair.
Ça puait légèrement, cela dit, et elle se sentait essoufflée en permanence : la concentration d'oxygène dans l'air devait être un peu plus faible que ce à quoi elle était habituée. Mais bon, elle supposait que c'était pire au sommet de l'Everest. Et ce n'était pas son souci principal.
Puisque retourner d'où elle venait semblait hors de portée dans l'immédiat, l'enjeu consistait à rester en vie jusqu'à ce que l'impossible devienne possible. Ce qui n'était déjà pas gagné. Autour d'elle, il y avait de grandes flaques de boue d'un mauve louche, des monticules couverts d'une mousse bleuâtre parsemée de hautes herbes brunes dotées de piquants et des espèces de rochers humides qui ressemblaient plus à des compressions de César passées au chalumeau qu'à de véritables rochers – c'était Lissa qui lui avait fait découvrir les compressions de César, le summum du génie absurde des Moldus, selon elle. Tout ça ne manquait pas d'eau si Alifair la lapait dans les creux des pseudo-rochers ou trouvait moyen de faire décanter la boue ; mais cette eau était-elle potable ? Et en ce qui concernait la nourriture… Elle avait un peu parcouru les environs à la recherche d'une rivière, de baies sauvages et de ces trucs qu'on pouvait espérer trouver dans la nature si on avait de la chance, mais pour l'instant, elle avait fait chou blanc. Elle avait bien repéré quelques bestioles qui pouvaient passer pour des insectes, et des trucs qui pendouillaient de machins qui auraient pu être des arbres – rouges et poilus – mais l'aspect général en semblait franchement nocif.
Alifair savait cependant qu'elle aurait bientôt le choix entre prendre le risque d'absorber un peu d'eau et se déshydrater à mort. Ensuite, si elle survivait à cette première épreuve, il lui faudrait manger quelque chose. Elle avait fini tous les caramels que renfermait son sac à main mais il lui restait encore quelques chewing-gums. Elle en enfourna un et se mit à le mastiquer, activant la salivation. Ses autres possessions se résumaient à un paquet de mouchoirs en papier, un stylo-bille, un tube de rouge à lèvres, un porte-monnaie plein d'argent qui semblait n'avoir pas cours sous ces latitudes, un peigne et un miroir de poche. Même si elle avait été une pro des techniques de survie, elle n'aurait sans doute pas eu de quoi faire du feu.
« Haut les cœurs, ma vieille ! s'enjoignit-elle avec un entrain forcé. Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir, il paraît… »
Elle devait poursuivre ses recherches. Qui sait, avec sa veine légendaire, elle finirait peut-être par tomber sur un resto-route ? Et si elle perdait tout espoir, elle n'aurait plus qu'à se coucher par terre entre deux compressions et mourir lentement de faim et de soif. Ce qui serait crétin si l'environnement d'aspect nocif se révélait en fait comestible. Et un très mauvais calcul si les pseudo-insectes profitaient de sa faiblesse pour la dévorer vivante. Avec une grimace de dégoût, Alifair secoua la tête pour chasser ces pensées et se remit en marche. Le point positif dans tout ça, c'est qu'elle avait mis ses baskets.
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« Nous accueillerons trois nouveaux auxiliaires, expliqua Stoya aux traqueurs réunis dans son bureau. L'un se destine à la carrière de chasseur, il a suivi le cursus théorique de l'université et paraît très motivé. Tu t'en occuperas, Mik. »
Le grand Allemand hocha la tête d'un air confiant : il avait l'habitude d'encadrer des auxiliaires. Sa dernière stagiaire en date, Grazia, avait été titularisée au cours de l'été précédent.
« La deuxième est plus hésitante, poursuivit Stoya. Elle a de bonnes bases mais n'est pas encore certaine que le TNT soit la voie qui l'intéresse le plus. Elle est avant tout là pour découvrir le métier et affiner son plan de carrière. J'ai pensé que tu pourrais être sa référente dans un premier temps, Tammy. Si son intérêt se confirme, quelqu'un d'autre la prendra en charge pour lui permettre une participation active aux missions de terrain. »
La traqueuse était d'accord. Enceinte de six mois et demi, elle bénéficiait d'une réorientation temporaire de ses missions vers les tâches les moins exigeantes physiquement. Stoya l'avait notamment chargée d'organiser le retour dans le service de Sacha, l'auxiliaire grièvement blessé au lac Prespa en mai dernier.
« Le profil du troisième est un peu particulier, reprit la directrice. Il ne possède que quelques diplômes intermédiaires, aucun titre de fin de cycle. Par contre, la vie lui a déjà fourni quelques expériences intéressantes… Lui aussi est dans une démarche de découverte, mais il est probable qu'il ne restera pas longtemps parmi nous. Il se cherche, comme on dit… Je te le confie, Romi. »
Il aurait été malvenu de la part de Roman de refuser. Aucun diplôme de fin de cycle, une poignée d'expériences, un garçon qui se cherchait : voilà qui lui rappelait quelque chose. Il ne manquait qu'une fille dans le tableau, et il se serait retrouvé face à son autoportrait.
« Bien, si vous n'avez pas de questions, ce sera tout, annonça la directrice. Les nouveaux arrivent cet après-midi. Je les recevrai d'abord et leur ferai faire le tour du propriétaire, puis Nikki les briefera sur les formalités administratives, et ensuite ils seront à vous.
– Moi, j'ai une question, intervint Mik. Tu penses que John restera absent longtemps ? Parce qu'il risque de nous faire une belle crise s'il découvre qu'on a collé un auxiliaire à son équipier préféré, non ? »
Tammy éclata de rire.
« Ça les obligera à partir en mission avec le stagiaire, renchérit-elle en pouffant. Et on sait que John est tellement patient avec les novices… À moins que tu lui aies prévu des activités en solo ?
– S'occuper de Sacha, peut-être ? » suggéra Mik à voix basse, et les deux chasseurs s'étranglèrent de rire.
Stoya affichait une impassibilité placide mais Roman crut détecter un infime sourire au coin de ses lèvres. Quand on y était habitué, le sale caractère de John avait quelque chose d'irrésistiblement amusant.
« Il pourrait faire une crise, en effet, reconnut la Vélane. Ce ne sera pas la première fois. Mais nous sommes habitués à confiner les géants dans leurs réserves et à retrouver les cerbères échappés, alors je pense que nous saurons faire face. »
Elle consulta Roman du regard. S'il fallait gérer John à son retour d'Angleterre, son coéquipier se trouverait en première ligne. Celui-ci haussa les épaules.
« On verra ça en temps voulu, soupira-t-il, fataliste. John est un peu spécial mais il n'y a pas de quoi avoir peur.
– Heureusement pour nous, il n'y a pas grand-chose qui te fasse peur, Romi », observa la directrice.
Les auxiliaires se présentèrent tous les trois à l'heure juste : un bon point pour eux. Basileios, un solide gaillard au teint doré par le soleil, était un compatriote de Nikki.
« Hé, pas de favoritisme ! lança Grazia, taquine, en les entendant discuter en grec sous le regard perplexe des deux autres stagiaires.
– Basos, avec moi, enjoignit Mik au nouveau. On a du pain sur la planche pour ton premier jour ! »
Ina était originaire de Lettonie et parlait quatre langues, un atout non négligeable pour intégrer le TNT. Vêtue avec élégance et visiblement de très bonne famille, elle semblait plus faite pour les marbres et les dorures du Palais de la Science, sur la colline de Buda, que pour les locaux purement fonctionnels du TNT. Tandis qu'elle emboîtait le pas de Tammy, Roman essaya de l'imaginer courant après un sphinx ou affrontant des Strangulots, sa baguette à la main. Difficile, mais il fallait se méfier des apparences : après tout, à côté de Mik ou du jeune Basos, lui-même n'avait guère l'allure d'un traqueur.
Son propre auxiliaire, un grand rouquin large d'épaules au visage semé de taches de rousseur, ne parlait pas un mot de hongrois. Il ne cessait de remonter et baisser nerveusement ses manches comme s'il n'arrivait pas à décider si la température lui convenait ou pas. Roman remarqua une brûlure de belle taille sur son avant-bras gauche.
« Qu'est-ce qui t'a fait ça ? demanda-t-il au stagiaire dans la langue maternelle de celui-ci.
– Un dragon, répondit le jeune sorcier. Mon frère est soigneur dans une réserve. J'ai un peu travaillé avec lui avant de venir ici.
– Ah oui ? releva Roman, intéressé. Nous avons un "référent dragons" dans le service, qui s'occupe des relations avec les réserves. Grazia. Elle a pris cette mission depuis peu. »
Il n'entra pas dans les détails : Grazia avait succédé à Jarek, leur malheureux ex-collègue que la Vélane grise du lac Prespa avait presque tué.
« Des dragons, dit-il d'un ton songeur. Ça a dû être une expérience formatrice…
– Oh… ouais, enfin… »
L'auxiliaire ne paraissait pas convaincu.
« Disons qu'ils sont un peu trop féroces pour moi, déclara-t-il d'un ton faussement dégagé.
– Ça, je peux le comprendre, approuva Roman. Mais tu dois avoir vu des tas de choses passionnantes ? Stoya m'a dit que tu faisais un Grand Tour…
– Dans la mesure de mes moyens », précisa l'auxiliaire, les oreilles rougissantes.
Tradition séculaire parmi les grandes familles de sorciers, le Grand Tour permettait autrefois aux jeunes diplômés de découvrir les hauts lieux de la magie mondiale et de recevoir l'enseignement de maîtres prestigieux au cours d'un circuit qui pouvait durer plusieurs années. Du fait du temps et de l'argent qu'elle requérait, la pratique était tombée en désuétude.
« Je me limite à l'Europe, c'est déjà pas si mal… Je dors sous une tente et je fais des petits boulots, expliqua le stagiaire. En fait, je n'ai pas tellement de dépenses à part la nourriture…
– Tu sais que les auxiliaires ne sont pas rémunérés ? s'inquiéta aussitôt Roman.
– Oui, mais il y a des prises en charge : le transport pour les missions, l'assurance… Et quand je travaillais à la réserve, et avant ça dans un élevage d'hippogriffes en Espagne, j'ai pu mettre un peu de côté, alors…
– Je n'ai jamais vu d'hippogriffe autrement qu'en image, lui confia Roman. Il n'y en a pas du tout par ici. »
Le stagiaire fronça le nez.
« Vous ne manquez pas grand-chose. Ce sont de belles bêtes, mais… je suppose que passer trois semaines à pelleter leur crottin n'aide pas à les apprécier », grimaça-t-il.
Roman sourit.
« Ici, tu n'auras pas à faire ce genre de choses, promit-il. Et on ne t'enverra pas sur les missions les plus dangereuses. Pour commencer, on va s'occuper de balisage.
– De balisage ?
– On pose des marques olfactives et magiques pour tracer des couloirs de migration, expliqua Roman. Il s'agit de canaliser les déplacements des Acromentules pendant la saison des amours, pour éviter que… »
Il s'interrompit soudain : l'auxiliaire était devenu verdâtre.
« Des Ac… des Ac… », balbutia-t-il, incapable de prononcer le mot.
De toute évidence, il savait ce qu'était une Acromentule. Roman hocha la tête d'un air satisfait : ce stagiaire-là ne semblait pas du genre à prendre des risques inconsidérés.
« Ça va bien se passer, Ron, assura-t-il gentiment en lui tapotant l'épaule.
– Bien sûr… Des araignées géantes en pleine période de reproduction, pourquoi ça se passerait mal ? » répliqua Ronald Weasley d'une voix étranglée.
Je n'aurais pas cru que Stoya avait autant le goût du risque...
