L'image s'éclaircit doucement. Je me réveille dans une pièce éclairée à la bougie. Cette unique flamme, issue d'un chandelier d'un dorée saisissant, miroite comme un phare dans la nuit. Allongée sur un petit lit aux draps à la matière rugueuse, je me redresse péniblement, incapable de savoir ce que je peux bien faire ici. J'arbore une lourde robe d'un velours carmin et devine aisément la présence d'un corset lacérant ma taille, sous le tissu de la fameuse tenue. Une odeur de renfermé, particulièrement désagréable, empeste les lieux. Il n'y aucune fenêtre. L'ambiance est pesante, comme si les murs portaient le poids du temps qui passe. Je me saisis du chandelier, pour mieux observer les détails aux murs couverts d'épaisses tapisseries ornées par des motifs médiévaux. Un symbole à tendance à se répéter : une croix rouge sur fond blanc. Mes pas sont lents et ma vision quelque peu embrouillée, j'ai encore conscience du fait d'être entrain de rêver. Le reste de la pièce, si exiguë, contient un portait et quelques malles que je fouille. Elles sont remplies de linge et de quelques ouvrages. Quant au portrait, il me renvoie une image familière. C'est le portrait d'une jeune fille au teint mate, à la chevelure de jais coiffée avec une certaine envergure en d'innombrables boucles, et au sourire espiègle. Cette jeune personne, c'est moi ... Cependant, comment cela pourrait être le cas ? Le tableau indique la date suivante, au coin à droite : 1492. Il ne me reste plus qu'une boîte à ouvrir, cachée au fond d'une des malles, pour avoir fait le tour des affaires de cette chambre. Les sourcils froncés, je n'ai pas le temps de me poser plus de question lorsqu'un homme entre par l'unique porte en bois, manquant de me faire sursauter. Vêtu en tenue d'époque, lui aussi, ses cheveux châtains mi longs sont coiffés avec élégance, il doit avoir une trentaine d'années, mais ce que je remarque surtout c'est l'expression d'angoisse absolue qui a pris possession de ses traits.
- Excusez moi, je ... Je m'éclaircis la voix, une expression confuse au visage, complètement déconnectée de ce qui peut se passer ici. Qu'est-ce que je peux bien lui dire ?
- Le temps presse. N'emportez rien. L'inconnu me prévient, le regard lourd de sous-entendus qui me sont incompréhensibles.
- Mais je ... Je bredouille du bout des lèvres, le chandelier d'or encore à la main.
- J'ai conscience de vous avoir conseillé d'attendre. Pardonnez moi mademoiselle. C'était une erreur de ma part, mais nous devons partir. Maintenant. Ils savent, ils savent tout. Des chevaux nous attendent près des écuries du palais. S'ils nous trouvent, il est certain que nous mourrons. Il prononce ces paroles alarmantes avec inquiétude, me tendant sa main pour que je le suive je ne sais où.
Sa main attrape la mienne, sans que je ne puisse réellement sentir le contact de sa peau, comme si j'étais déjà loin. Il déclare quelque chose que je n'entends pas, avant que je ne sente le monde se dérober sous mes pas. La noirceur reprend ses droits et me fait quitter cet univers.
*
Mon visage frappe le sol. Mon menton est douloureux. À terre, je n'y vois pas grand chose. De la terre. Un froid glacial qui me fait trembloter. Ce lieu est si sombre, on dirait une sorte de grotte … Je m'accroche à quelque chose pour me redresser, et quand je remarque que cette chose solide est en fait une tombe, je recule en hurlant. Une tombe couverte de poussière et de toiles d'araignées. Mes mains en sont couvertes.
- Aides moi. J'ai besoin de ton aide. Déclare une jeune femme qui sort de l'ombre.
Elle m'est identique et elle exprime une espièglerie semblable à celle de la jeune fille représentée sur le portrait que j'ai vu quelques instants plus tôt. Je ne parviens pas à croiser son regard, inaccessible.
- N'ai pas peur. Elle lance d'une voix rauque, en avançant de manière sinueuse.
Vêtue d'une légère robe de dentelle, elle doit mourir de froid mais ne tressaille pas. Son aura est à la fois sensuelle et dégage une énergie presque masculine, comme si elle possédait les lieux. Nous nous ressemblons trait pour trait mais … Elle est indéniablement plus belle, sa peau n'a aucun défaut, ses cheveux sont brillants. Et ses pupilles sont d'une couleur écarlate.
- Laissez moi tranquille ! Je hurle à nouveau, avant qu'elle ne me saute dessus à une vitesse inhumaine.
Cette fille qui n'a rien d'une fille ressemble à une créature sortie des entrailles de l'enfer. Cette expression, je la reconnais et je me la remémore, comme quand on se souvient d'un rêve l'espace d'une seconde le jour suivant. Sauf qu'il s'agit ici d'un cauchemar. C'est l'expression de la fille que je vois si souvent périr, souffrir d'atroces tourments et parfois s'en prendre à moi. Le noir total s'empare à nouveau des lieux et je me sens être comme projetée ailleurs.
*
« It's funny how a man only thinks about the...
You got a real big heart, but I'm looking at your...
You got real big brains, but I'm looking at your...
Girl, there ain't no pain in me looking at your... »
Je me réveille avachie contre un matelas, mais toujours pas le mien. La radio émet une musique des Pussycat Dolls, un girlsband populaire. Au moins cette fois je suis à la même époque que la mienne. Passant une main sur mon visage, je me sens toujours nauséeuse et flottante à la fois, devant plisser les yeux pour retrouver une vue décente dans cet énième environnement. J'ai si mal à la tête que j'ai le réflexe de baisser le son de la musique. Il me faut un temps indéterminé pour observer cette nouvelle chambre. Le décors est moderne. Un lit à la couverture à l'effigie d'un groupe de rock, un parquet couvert de fringues et une sacrée collection de posters sur les murs de brique. Il y a aussi une coiffeuse sur laquelle s'amoncellent du maquillage, des paquets de cigarette et un épais livre ancien. Je me lève et me dirige vers la fenêtre, tentant de ne pas faire trop de bruit, après tout je ne sais même pas s'il y a d'autres personnes dans cet appartement. La porte est entrouverte et je me dirige à l'opposé, pour fermer les fenêtres qui offrent une vue imprenable sur un centre ville animé. L'aube se lève, le soleil dégage ses sublimes couleurs pâles et lumineuses à la fois, pour illuminer un large pont peint d'un rouge si vibrant. C'est le Golden Gate ! Je suis à Sanfrancisco, en Californie. Ce qui explique la petite tenue avec les fenêtres ouvertes, le climat est clément dans le coin.
- Quel bazars ... Je marmonne en me retournant vers le miroir, pour vérifier une théorie.
Sur le miroir est inscrit « LEXIE » au rouge à lèvres, avec une trace de baiser. Pas très hygiénique. Et c'est là que l'évidence me saute aux yeux. J'avais vu juste. C'est encore moi. Elle porte un large t-shirt et une culotte violette. Une adolescente en tout point semblable, mise à part quelques mèches de ses cheveux qui sont teints en un ravissant rose foncé. Je n'oserais jamais. Curieuse, j'attrape l'unique livre de la pièce, qui m'a plutôt l'air d'un grimoire maintenant que je peux l'observer de plus près.
- Tu te permets de toucher à mes affaires ? Tu manques pas de toupet. S'exclame une voix aiguë sur un ton indigné.
Qui a parlé ? Relevant la tête, il n'y a personne, la porte est toujours aussi entre ouverte. Je tourne lentement mon visage pour affronter le regard du reflet dans le miroir. C'est elle. C'est elle qui a parlé. C'est comme si, dans le miroir, il y avait l'autre fille ... Et moi, à l'extérieur, dans la chambre, qui la regarde bêtement. Je pourrais presque m'étrangler de surprise. Je tente de retrouver mon souffle, ayant cessé de respirer, une main sur le ventre et l'air effrayé. Ça ne s'arrêtera donc jamais ? Cette vision n'est pas aussi terrifiante que la précédente, mais j'en ai assez. Il y a quelque chose de terriblement angoissant dans le fait de s'observer agir comme une autre personne.
- Ouais, c'est à toi que je parle. Elle insiste alors que je remets immédiatement le grimoire à sa place.
- Pardon ... Je m'excuse alors qu'elle lève les yeux au ciel.
- T'es pardonnée. T'as un souci avec ma musique ? Personne ne baisse le son quand c'est les Pussycat Dolls, on t'a rien appris chez toi ? Elle plaisante avec un rire, qui me parait de plus en plus lointain. Le rêve ne va plus durer bien longtemps.
- Non non mais ... Qui es-tu ? Je m'interroge en la scrutant du regard.
- T'es toute gentille, ça se voit, mais on a pas le temps pour bavarder ma jolie. Tu squattes mon appart mais t'es surtout dans mon rêve. Ou peut être que je suis dans le tien, j'en sais rien ! Ça me prend la tête cette histoire. Mais il faut qu'on se parle pour de vrai. Dépêches ! Écris ton nom ! Et écris moi où tu vis. Vas-y ! La jeune fille pétillante me donne ces quelques instructions en m'indiquant du papier et des stylos qui traînent sur sa commode. Le papier à lettre et les stylos sont placés entre différentes bougies qui se consument sous des flammes chatoyantes.
Je m'exécute donc, sans conviction, de gestes lents, couvrant le papier d'encre contenant les informations pour me trouver « Kimberley Evans, La Push, Washington 98350. » Ne suis-je pas en train de faire une erreur ? Je ne connais pas cette fille, tout ça, cette situation complètement dingue, ça pourrait être de sa faute. Et petit à petit, de manière insidieuse, sans que je ne m'en rende compte, je disparaissais de la pièce pour réapparaître dans ma vie.
*
- Allez debout chérie ! Tu as des devoirs à faire.
La voix de ma mère me réveille sans ménagement alors que j'ouvre les yeux sur mon plafond. Enfin, ce violet pâle m'avait manqué. La dernière chose dont je me souviens avec clarté, c'est de m'être allongée entre mes draps. Le reste de mes souvenirs, de ces rêves, sont de plus en plus floues. J'essaie de retenir la chose suivante : Il y a une distinction entre la fille aux prunelles rouges et celle aux cheveux roses de Sanfrancisco. Ma mère est assise au bout de mon lit, une valise à ses pieds. J'avais oublié. Ça fait pourtant des jours qu'on en parle. L'état de ma grand mère, qui habite dans l'Oregon, s'est aggravé donc ma mère part s'occuper d'elle pendant un mois. Un mois. Le premier mois de mon existence seule. J'ai dormi seule ... Une fois ? Quand j'avais quatorze ans, maman était parti pour un week-end avec son petit ami de l'époque. Finalement, elle a paniqué et est rentrée au bout de vingt-quatre heures.
- N'oublie pas. On s'appelle tous les matins, tous les midis et tous les soirs. J'ai prévenu les voisins. Tout ira bien ma chérie d'accord ? Il y a assez de plats déjà préparés dans le congélateur pour nourrir un régiment. Et au moindre problème, je rentre à la maison. Elle m'explique de ses grands yeux inquiets, pendant que j'émerge de mon sommeil. C'est comme si je n'avais pas fermé l'œil de la nuit.
- Tout va bien se passer, tout va bien se passer, tout va bien se passer ... Elle répète inlassablement pour se rassurer elle-même.
L'idée de rester seule me serre le ventre tandis que ma mère me serre dans ses bras. La connaissant, si elle a pris cette décision, c'est par ce que grand mère doit vraiment aller mal ... Ça m'étonne tout de même ... Mais c'est la chose la plus normale qui me soit arrivé ces dernières heures.
Un mois à me débrouiller seule, quand je me sens déjà plus seule et dingue que jamais.
Dans ce troisième chapitre, on découvre la situation familiale de Kim et les rêves qui la hantent. Que pensez vous du personnage de la mère ? De ces fameux rêves ? Des théories ? En toute modestie, j'adore ce chapitre un peu chaotique. L'imprégnation ne va pas tarder. J'hésite encore à, de temps en temps, ajouter le point de vue de Jared, on verra.
Alexise-me : merci à toi pour ta review !
