Chapitre 3 – Bolar


Les portes s'ouvrirent ; derrière, une longue table dressée, couverte de fruits et de plats colorés.

Au bout de celle-ci, se tenait deux femmes, dont l'une dispensait visiblement des ordres à la seconde. Lorsque le bruit des portes retentit, elle bondit vers les battants, impatiente. Voyant Boroze pousser Abelt vers l'avant, elle renvoya la servante, et vint à leur rencontre.

Elle était belle ; il supposait ses cheveux noirs, puisqu'ils étaient retenus sous un voile. Tout comme ses vêtements, celui-ci était orné de motifs géométriques. Son ample robe balayait le sol dans un frisson vaporeux, tandis que des rangées de perles cliquetaient au moindre de ses gestes. Faisant figure de fée insaisissable, la femme ne décrochait pas ses pupilles jaunes de lui.

Loin de baisser les yeux, Abelt devinait sans trop de peine qu'ils l'avaient conduit au cœur de l'empire de Bolar. S'il ne l'avait jamais vue, la gestuelle autoritaire de la jeune femme lui laissait supposer qu'elle devait en être l'une des haut-placés, sinon la dirigeante.

La femme s'approcha, une légère moue contrariant son visage piqueté de taches de rousseur. Seul l'un de ses bras était ganté, et d'un geste vif, elle attrapa le menton de l'ancien dictateur pour le forcer à baisser la tête. Tout en évitant ses yeux, elle inspecta des siens son visage fatigué.

Elle le prenait pour quoi, du bétail ?

Abelt s'était cependant fait violence pour ne pas se défendre. Il n'était plus en droit de le faire, maintenant que Boroze détenait une certaine télécommande …

Elle le lâcha tout aussi brusquement, et dépassa le gamilien pour s'en prendre à Boroze. Tendant une main capricieuse, elle lui réclama une chose qu'Abelt espérait être le contrôleur du collier.

- Est-ce ainsi que tu traites les représentants diplomatiques ? le fustigea-t-elle. Enfin … Je dois dire que je suis impressionnée par ta gestion de la crise. Je pourrais avoir besoin de tes services à Kotonska, Boroze …

- Ce serait un honneur, Madame.

Après quelques échanges de messes basses, elle congédia le soldat pour en revenir à Abelt.

- Excuse-le ; il ne pensait pas à mal. Je suis Iosevka Irinova, régente de l'Empire de Bolar, ajouta-t-elle, singeant une révérence. Mais appelle-moi Ilya.

- Abelt Dessler, articula l'homme en s'inclinant.

Il était épuisé, et après plusieurs jours passés dans l'obscurité d'une cellule, la luminosité le fatiguait davantage. Une vilaine migraine vrillait ses tempes …

- Tu as l'air fatigué. Viens, mange quelque chose.

Il ne bougea pas, méfiant de cette jeune femme qui ne faisait pas le moindre cas de recevoir à sa table l'homme qui avait failli détruire Gamilas. Elle leva les yeux au ciel, et attrapant sa main, lui indiqua une chaise. Abelt s'assit, réprimant un frisson lorsque Iosevka laissa courir ses mains sur ses épaules crispées. Avec un sourire, elle effleura le collier qu'il portait ; puis elle s'appuya à même la table, et lui tendit une corbeille de fruits.

- Tu es bien tendu … Je peux t'assurer que tu ne crains rien ici.

Il repoussa les fruits qu'elle lui proposait. Tout cela était si inquiétant …

- Alors retirez-moi ce collier, cracha-t-il, glacial.

- Patience ; il en va de ta sécurité, désormais. Mais tu l'enlèveras bientôt.

Abelt serra les dents, s'efforçant de laisser l'indifférence émerger sur ses traits. Sa grimace et sa lassitude tirèrent un adorable rire à la jeune femme, qui masqua ses lèvres du dos de sa main.

- Bienvenue sur Bolar, lui souhaita-t-elle.