Marco s'enferma dans son bureau pour la journée. Avec les évènements récents, le retard s'était accumulé sur quelques papiers administratifs importants. Il n'avait même pas eu le temps de vérifier l'inventaire de l'équipe de ravitaillement. Ce travail était celui de Thatch d'habitude. Si seulement il n'était pas inconscient... La pensée piqua, il la rejeta loin au fond de son esprit.
En l'état actuel des choses, il ne pouvait pas attendre son réveil. Il devait également désigner quelqu'un pour superviser la quatrième division laissée à son triste sort, et à qui déléguer la gestion de la cuisine.
En plus de son propre travail de commandant et de celui administratif de Thatch, il devait aussi faire sans Kingdew en mission avec la moitié de sa division, ainsi que prêter encore plus attention à l'équipe de navigation qui perdait la supervision de Teach.
Sans compter le poste probablement délaissé d'Izou, occupé à veiller sur Thatch. Pas que Marco puisse le blâmer.
Mais il allait devoir s'appuyer sur les commandants restants s'il ne voulait pas crouler sous la surcharge soudaine, quand il endossait également le rôle d'Oyaji en son absence.
C'était un travail titanesque de diriger un bateau tout en surveillant les rapports concernant aussi bien la gestion des stocks que des incidents minimes comme un filtre à eau de mer défectueux.
Et surtout, ceux de la division des renseignements de Haruta. Ils recevaient chaque jour des comptes-rendus d'alliés, de leurs membres d'équipage sous couverture infiltrés dans diverses institutions ou encore de civils d'îles sous leurs protection.
On ne reste pas le meilleur et le plus influent équipage du monde sans savoir tout ce qu'il se passe sur chaque mer.
(A quoi bon quand on ne connait même pas le vrai visage de ceux sur son propre bateau, pensa amèrement Marco.)
Il se plongea dans le travail.
Teto le tenait continuellement au courant de l'état des blessés par des petites notes. Savoir que leurs conditions ne s'aggravaient pas l'apaisait suffisamment pour réprimer le besoin constant d'aller vérifier de lui même.
Plusieurs fois, les autres commandants visitèrent pour le tenir de vive voix au courant de ce qu'il se passait sur le navire plutôt que d'envoyer un subordonné. Ces idiots s'inquiétaient beaucoup trop pour lui.
Les Spades Pirates étaient fortement incités à rester confinés dans leur dortoir et à ne s'approcher sous aucun prétexte de la cale. Leur situation se trouvait être délicate, bien que leur rôle dans la trahison n'était pas démontré. Vue leur honnête surprise le soir de l'attaque, Marco leur laissait le bénéfice du doute. Mais il semblaient bien trop loyaux à leur capitaine pour ne pas causer de problème. Ils semblaient tous croire en son innocence.
Le dit capitaine, quant à lui, se tenait étonnamment calme. Un peu trop. Ils craignaient qu'il ne prévoit un plan d'évasion.
Marco soupira, notant mentalement de bientôt déplacer le jeune dans une meilleure cellule.
Pour l'instant, il devait s'occuper de la paperasse.
Des heures après il s'étira, jetant un œil par la vitre pour voir que la nuit tombait déjà. Il avait à peine fait une pause pour aller manger -la nourriture lui semblait fade, si fade sans Thatch derrière pour la préparer- mais les papiers les prioritaires était enfin tous terminés.
Son travail avançait à un rythme bien plus lent que d'habitude, ses yeux ayant du mal à lire malgré ses lunettes et il se sentait fatigué. Une autre preuve de sa trop grande perte d'énergie à soigner Thatch, même avec son sommeil d'un jour entier.
En temps normal, le phénix pouvait passer sans mal plus d'une semaine éveillé grâce à son fruit du démon. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas dépassé ses limites au point de se sentir de nouveau comme un simple humain.
Il se leva néanmoins, prêt à aller trouver une autre tâche à effectuer. Ce fut le moment que choisit Izou pour toquer à la porte. Le Geisha le regarda avec une moue dubitative en remarquant son état de fatigue.
-J'ose espérer que tu te rends actuellement à ton lit pour une bonne nuit de sommeil ? dit-il, sarcastique.
-Et bien, à vrai dire... commença Marco avant de remarquer les yeux rougis de son ami. Il s'est passé quelque chose ? Tu comme l'air horrible.
L'homme détourna le regard, triturant légèrement sa propre manche de kimono d'un geste embarrassé.
-Toujours aucun tact. Je viens de me réveiller et Teto m'a dit que Thatch allait très probablement survivre, alors...
Marco se détendit et hocha la tête avec compréhension. Il savait depuis longtemps qu'un fort lien unissait ses deux frères. Il pouvait parfaitement comprendre le soulagement du commandant. Izou le regarda de haut en bas et fronça les sourcils
-Tu devrais aller dormir, Haru m'a dit que tu étais resté à travailler toute la journée, lui conseilla-t-il d'un ton réprobateur. Ne m'oblige pas à t'envoyer les infirmiers, tu sais ce qu'ils te diront.
La menace toucha un point sensible, Marco recula avec une grimace.
-C'est un coup bas ça Izou.
L'homme lui envoya un regard de « Cause toujours mais tu vas obéir » (et il avait raison) avant d'ouvrir la porte pour s'éclipser.
-Tu retournes à l'infirmerie ? Supposa le blond.
Il y eut une pause.
-Non, j'ai encore quelque chose à faire, déclara Izou avec un air indéchirable sur le visage.
Marco ne poussa pas, décidant de suivre le judicieux conseil d'Izou de se reposer. Son frère avait raison. Même s'il avait l'impression de perdre son temps, sur le long terme il récupèrera plus vite ses pleines facultés.
Le lendemain, les rayons tardifs du soleil finirent par réveiller Marco. Il avait une fois encore beaucoup plus dormi que d'habitude, en faisant la grasse matinée.
Il savait que les premiers rapports de la nuit et du matin se trouvaient déjà dans la boîte installée sur sa porte. C'était dur de repousser le sentiment de culpabilité. Cependant il se sentait largement plus alerte que la veille. La majorité du contre-coup de son usage excessif de pouvoir s'estompait enfin.
Plein d'énergie, il réussi à abattre en deux heure tout ses nouveaux dossiers.
Une fois cela fait, il décida de rendre visite à Thatch avant d'aller au réfectoire. Il avait déjà consulté les derniers rapports de l'infirmerie mais il préférait vérifier de lui même l'état de son ami. Il le faisait toujours après les gros combats, c'était son rôle en tant que médecin.
Rien n'avait bougé depuis la veille. Thatch semblait toujours dormir, trop pâle et immobile.
Izou veillait de nouveau à ses côtés, levant son visage troublé à l'entré de Marco. Même en essayant de le cacher, grâce à leurs longues années d'amitié, le blond remarqua du premier coup d'œil que quelque chose le tracassait.
Pourtant le personnel médical était très positif quant au rétablissement des deux blessés. Rien ne n'aurait dû entacher la sérénité habituelle d'Izou.
Mais il ne posa pas de question, devinant que le geisha cherchait ses mots pour lui en parler. Il faisait ce mouvement nerveux où il mordillait presque son pouce, sans jamais aller au bout de son geste. Cela rappelait à Marco l'époque où son frère avait pour habitude de ronger ses ongles, parfois jusqu'au sang. Heureusement, cela s'était peu à peu calmé grâce à ses soigneuses manucures et ses vernis colorés.
Le phénix lui laissa le temps de trouver ses mots, puis :
-Je suis allé voir Ace cette nuit.
Immédiatement Marco se redressa au nom. Il aurait dû se douter que son frère, dans sa soif de compréhension, irait parler au traître. Il avait pourtant demandé aux autres commandants de ne pas interagir avec lui plus que nécessaire, ne voulant pas qu'ils se retrouvent confrontés à ce douloureux problème.
-Qu'a-t-il dit ? demanda-t-il néanmoins un peu curieux.
Izou se mordit la lèvre inférieure, laissant une trace pâle sur le rouge vif en détournant le regard.
-Il a accusé Teach.
Marco senti ses poings se serrer, réprimant à grande peine le grondement sourd qui montait dans sa poitrine. Ce mensonge supplémentaire qui réussissait à rendre Izou si confus fit monter une bouffée de colère.
-Conneries. Ce traitre a su gagner notre confiance et maintenant il essaie de nous retourner contre nos propres membres d'équipage ?
Il y avait un peu de désespoir sur le visage d'Izou, sa voix vacilla :
-Oui mais il a dit que le fruit... Merde il était tellement convaincant... Tu as raison, je ne sais même pas pourquoi j'ai écouté les paroles de ce serpent.
La main du blond se posa doucement sur celle de son frère, espérant apporter un peu de réconfort. Il comprenait les sentiments de l'homme, mais ce n'était pas le moment de douter de leur famille.
-C'est bon, tu es troublé. Honnêtement, c'est difficile pour tout le monde.
Marco soupira, laissant tomber les restes de colère pour ne laisser place qu'à la lassitude. C'était juste une tentative désespéré du prisonnier pour se sortir de là. Il allait devoir faire plus attention aux tentatives de manipulation.
-J'aimerais tellement qu'Oyaji soit là pour prendre toute cette affaire en main, avoua-t-il avec un pauvre sourire plein d'amertume.
Ils restèrent un moment ainsi, les yeux dans le vague. Puis Marco décida qu'ils devaient aller au réfectoire. Peut-être que cela redonnerait un peu d'énergie à son frère.
Il ne remarqua alors pas que le coffre qui ornait la table de nuit de Thatch avait disparu, discrètement emporté par Izou.
Après tout, rien n'empêchait d'être trop prudent.
L'après midi, Marco prit finalement la décision de changer le prisonnier de cellule. L'actuelle n'était qu'une pièce dans la cale, peu pratique, difficile à surveiller et certainement pas adaptée à un prisonnier. Le reste des cales avait le même problème, et le phénix ne voulait pas risque de le laisser à proximité des autres membres de l'équipage. Si son baratin pouvait même bouleverser Izou, il craignait qu'il réussisse à provoquer une mutinerie par de simples paroles.
Après mûre réflexion, il opta pour l'abri du nid de pie, là où Ace avait élu domicile avant sa trahison
Par sécurité, il décida d'enlever les vitres pour éviter l'utilisation d'éclats de verre en armes, et fit poser à la place des barreaux aux ouvertures. L'endroit très résistant et à l'écart pouvait facilement être surveillé. Impossible d'en descendre sans être repéré alors que Macro pouvait y accéder en volant pour monter la garde.
Il prévint tout l'équipage puis effectua les renforcement de sécurité de l'abri avec l'aide de Vinstor, un utilisateur de fruits du démon faisant pousser de longues épines d'acier dans l'encadrement des fenêtres et de la porte. Il laissa l'espèce de matelas et la couverture que le jeune avait jadis volé et accumulé là depuis son arrivée. Cependant, il fouilla la pièce à la recherche d'armes qu'il aurait pu cacher ici.
En soulevant le matelas, il tomba sur deux cartes au sol. Étaient-elles également volées ou les avait-il avant d'arriver sur le Moby Dick ? Il les empocha. Il prit également le crayon à papier pointu qui pourrait être dangereux entre des mains expertes.
Une fois ces arrangements faits, il retourna à son bureau pour terminer ses papiers.
Marco attendit la tombée de la nuit que l'équipage ne soit plus sur le pont pour transférer le prisonnier. Il préférait que le transfert se fasse le plus discrètement possible.
Heureusement, il commençait à faire plutôt frais et tout le monde rentra tôt.
Il ouvrit la cale, des gants aux mains et déjà fatigué. Ce n'était pas l'épuisement physique causé par une nuit de soin intensif. Cette fatigue-ci était plus pernicieuse, se logeant dans son esprit avec un sentiment accablant de responsabilités.
Une lanterne allumée pendait au plafond, illuminant la pièce. Le jeune releva à peine ses yeux vers lui avant de les détourner. C'était la première fois qu'il le voyait depuis le terrible incident. Marco ne savait pas à quoi il s'attendait. Peut-être à sa colère habituelle, du mépris, voire même un rire machiavélique, heureux d'avoir réussi à blesser cet équipage si haï.
Mais certainement pas à la silhouette immobile du jeune. Pas cette posture résignée comme s'il comprenait que son destin était déjà scellé. Plutôt clairvoyant, pense Marco, peu d'humeur à compatir. Pas quand deux hommes étaient toujours dans le coma par sa faute.
Le jeune homme avait d'une manière où d'une autre réussi à mettre la main sur une corde qu'il essayait de cacher. Déjà un projet d'évasion ? Cela l'agaça mais il n'était pas là pour ça.
-On te déplace ailleurs yoi.
Il le détacha et le fit se lever sans attendre de réponse. Le jeune trébucha lorsqu'il essaya de le faire avancer. Il nota avec agacement les menottes autour de ses chevilles. Le commandant n'en déverrouilla qu'une, laissant l'anneau pendre lâchement du deuxième pied. Si ça le gênait, et bien, ce n'était pas le problème de Marco.
Il tira sur la chaîne des poignets et Ace le suivit, étonnamment docile. Le jeune s'arrêta cependant brièvement en bas de l'escalier menant au pont, regardant pour la première fois Marco dans les yeux. Il se retint de tressaillir devant les lacs d'un gris d'acier, bien trop calmes et fatigués.
-Vous allez m'exécuter ?
La question, prononcée d'un ton léger le troubla plus que de raison. Le capitaine était jeune, encore trop pour être pleinement qualifié d'adulte. Le voir ainsi provoquait un malaise viscéral en Marco. À cet instant, c'était dur de le reconnaître comme l'homme enragé qui frappait encore et encore Teach au sol. Mais le commandant l'avait vu de ses propres yeux. C'était impossible à nier. Il plaça au premier plan de son esprit les corps blessés de ses nakamas, le désespoir de l'équipage. Pas de pitié pour le traitre. Peu importe sa jeunesse, c'était un ennemi. Toute trace de trouble s'envola, subermergé par une froide colère.
-Et bien, qu'en penses-tu ?
Le jeune leva ses yeux vers le pont, le visage illisible.
-Alors je suppose que si tu me fait sortir c'est pour ça.
Sa voix était juste... Détachée. Le phénix réalisa que même en se pensant sur le point de mourir, il n'y avait rien d'autre que de vide. Pas de supplication, ni d'ultime tentative de fuite. Juste cette abysse d'acceptation. Marco en avait la chair de poule et combattit l'envie instinctive de s'éloigner. Il força sa respiration à se stabiliser alors qu'il répondait :
-Tu ne le seras pas tout de suite yoi.
Sans le regarder Ace hocha pensivement la tête à la réponse, ne semblant pas outre mesure perturbé ou rassuré. Avec une curiosité morbide, Marco se demanda un instant comment il aurait réagi s'il avait dit oui. Il voulait obtenir une réaction, que le jeune montre son vrai visage plutôt que cette façade trop neutre. N'importe quoi pour ne plus voir l'être détestable comme un humain, un jeune homme qui ne devait même pas avoir la vingtaine et qui pourtant acceptait sa mort prochaine d'un hochement de tête.
Il ne savait pas comment traiter avec ça.
En réalité il n'avait aucune idée la façon dont il allait gérer ce problème de trahison. Il prévoyait d'attendre au moins jusqu'au retour d'Oyaji et le laisser prendre en charge cette situation. Ce n'était pas fuir ses responsabilités. Il avait juste conscience d'être trop investi pour rester rationnel.
Ce n'était, de toute façon, pas une décision qu'une seule personne pouvait prendre. Un Conseil des Commandants devrait être organisé pour délibérer des faits et des sanctions. Ils attendraient sûrement le réveil et le témoignage d'un des blessés avant de prendre une décision. Hors du feu de l'action, ils ne faisaient pas d'exécution sommaire, qu'importe la gravité de l'acte.
Ne pas tuer un nakama était la seule règle intransgressible de l'équipage, punissable de la peine de mort. Mais Ace pourrait implorer la pitié si Teach et Thatch survivaient tout les deux. Dans ce cas, ils se contenteraient l'exiler des mers et des îles qui était sous leur protection, ou de le livrer à la Marine contre la belle somme d'argent de sa prime. Après tout, il fallait renflouer les caisses du bateau.
Peut-être que le traître terminera à Impel Down pour y subir les tortures de gardiens sadiques.
Le trajet jusqu'au mât se déroula dans un silence inconfortable. Cependant, il était absolument certain qu'à l'intérieur des cabines, quelques membres de l'équipage se pressaient derrière les fenêtres pour observer. Il envoya un regard d'avertissement dans leur direction, espérant que son message silencieux passait.
Il s'arrêta devant l'échelle de cordes.
-On va en haut, indiqua Marco. Grimpe.
Le prisonnier hésita pour la première fois, montrant ses mains liées ensemble par les menottes. Le commandant se réprimanda mentalement pour l'oubli, mais il ne voulait pas prendre le risque de le détacher. Ses options étaient limitées s'il voulait garder sa forme de phénix en atout dans sa manche.
Il prit une inspiration, regrettant déjà ses prochaines actions.
-Accroche-toi bien, si tu tombes je ne te sauverai pas.
Ce fut son seul avertissement avant de se pencher et charger le jeune sur son épaule comme un sac, avant de commencer l'ascension. Le petit cri de surprise qui échappa au jeune homme suffit à le satisfaire. Il avait enfin obtenu une réaction.
Son poids plutôt léger ne le gênait pas et il sentait ses mains s'accrocher désespérément au dos de sa chemise, essayant de garder un équilibre malgré la position précaire. Si Marco avait pu voir le visage d'Ace, il l'aurait trouvé incandescent.
Malgré ses paroles, le phénix gardait une prise ferme et un œil attentif sur sa charge, même prêt à se changer en oiseau pour le récupérer s'il glissait de son épaule. Il préférait néanmoins ne pas montrer le véritable pouvoir de son fruit.
Une fois arrivés en haut, il posa le jeune. Ce dernier lui envoyant un bref regard noir. À peine un scintillement de rancœur, brisant de nouveau cette façade vide, avant de se détourner et de rentrer de lui même dans sa nouvelle prison.
Ace était frustré du traitement, bien qu'il refusait de le montrer. Il voulait juste... Arrêter de ressentir. Se détacher complètement. Ne pas donner la satisfaction à ses ennemis de voir cette terreur qu'il repoussait chaque minute, comme s'il pouvait l'oublier en essayant assez fort. Mais son aîné réussissait toujours à entrer sous sa peau, le forçant hors de ses tentatives de dissociation d'une manière ou d'une autre. Et être porté comme un objet était l'une de ces manières.
Sans le vouloir, Ace se fit la réflexion que c'était le premier contact physique depuis son enfermement. Il sentait encore contre son torse l'écho de chaleur du toucher éphémère.
Les Spades avaient tendance à être tactiles, multipliant les tapes dans le dos et les bousculades, ébouriffant les cheveux ou cognant leurs épaules. Il ne l'avouerait jamais mais cela lui manquait même après seulement une poignée de jours. À l'instar de nombreux problèmes dans la vie d'Ace, c'était la faute de Luffy. Avant, il détestait d'une passion brûlante le moindre contact.
Le commandant entra dans sa pièce à sa suite, attrapant la chaîne de ses menottes pour l'attacher à une autre beaucoup plus longue reliée au mur. Aucune surprise là dedans, après tout il restait un prisonnier. Maigre consolation, Ace avait bien plus de liberté de mouvement ainsi, pouvant se déplacer dans toute sa cellule.
Marco hésita en regardant la menotte isolée qui pendant tristement au pied du prisonnier puis fit demi tour et sortit sans la rattacher ni l'enlever complètement. On pouvait appeler ça une évolution positive. Au moins il pouvait éloigner ses deux jambes l'une de l'autre à plus de quelques centimètres.
La porte renforcée se referma derrière lui. De l'autre côté des barreaux, l'homme le fixa un instant, le visage insondable, puis s'en alla.
Une fois hors de vue, Ace se laissa tomber sur son matelas, serrant avec plaisir sa couverture autour de lui. Ce n'était pas suffisant cependant. La nuit semblait très fraîche.
D'ailleurs, d'après la carte qu'il avait redessiné, n'étaient-ils pas en train de passer à proximité d'une île hivernale ? Il leva le coin de son matelas et soupira en voyant que ses affaires avaient disparu. Évidemment.
Il frissonnait déjà à cause de la pierre marine qui supprimait son feu, peu habitué à ressentir le froid.
Cependant, même si le vent créait un courant d'air qui rafraîchissait bien plus sa prison que dans les cales, il ne pouvait s'empêcher d'être content de son changement de cellule. Ses sens étaient assaillis de sensations, de sons, d'odeurs, bien mieux que la pièce sombre et silencieuse.
De là, il pouvait enfin voir les étoiles.
Il n'arrivait pas à être fatigué, son séjour sans indice du temps passé avait détraqué son horloge interne. Au moins, sa faim se retrouvait légèrement apaisée, Namur lui ayant apporté de la nourriture peu avant l'arrivée de Marco.
Il resta là à contempler la nuit, le cœur un peu plus léger de retrouver l'air libre. Ça lui avait tellement manqué. Mais il gardait à l'esprit la réponse évasive de Marco sur son exécution. Qu'importe, désormais il ne pouvait plus rien y faire.
Il avait cru, un instant, voir une hésitation en Izou à son explication. Mais cette petite fenêtre d'espoir s'était bien vite refermée.
Ce fut une nuit agitée. Il se roula en boule, serrant la couverture autant que possible pour conserver la chaleur. Entre sommeil et éveil, des cauchemars insaisissables allaient et venaient. Laissant dans leur sillage des impressions de vide, de solitude et d'obscurité. Plusieurs fois, il cru sentir derrière ses paupières closes un éclat de feu bleu.
Il accueillit les premières lueurs grisâtres de l'aube avec gratitude. La température avait encore chuté au cours de la nuit. Une fois qu'il eut réuni assez de courage pour se lever, il sauta sur place quelques minutes pour se réchauffer. Mais il se fatigua plus tôt qu'il ne devrait, probablement à cause du granit marin et du manque de nourriture.
Aucun Barbe Blanche n'était encore levé. Ils n'émergèrent que plus d'une heure plus tard, un par un ou parfois par petits groupes. Ace les vit pointer les yeux et parfois même leurs doigts vers le nid-de-pie, se chuchotant des paroles qu'il pouvait deviner sans mal. Mais de là haut il pouvait prétendre les ignorer.
Il chercha longuement les Spades dans la foule, même alors que le soleil à moitié caché par les nuages atteignaient finalement son zénith.
Quand le commandant Jiru lui apporta une portion de monstre marin au riz, il finit par se résigner. Ses amis n'était pas de sortie. Il essaya de repousser l'inquiétude, avec peu de réussite.
Pour tromper l'ennui, il étudia sa cellule. Il connaissait déjà bien l'endroit qu'il s'était approprié depuis son arrivée sur le Moby Dick, mais il y avait eu pas mal de changements. Les nouveaux barreaux en métal semblaient malheureusement trop solides pour être forcés. Ils rentraient profondément dans l'encadrement des portes et fenêtres, sans jointure à faire sauter. Avec sa force continuellement aspirée par les menottes, il doutait de pouvoir briser les murs de bois dur de l'abri. Pour aller où de toute façon ? Son équipage était toujours là, fermé dans un endroit inconnu. Il n'avait plus son pouvoir, ni sa liberté, et ni même de volonté.
Il s'assit au sol, la résignation emportant le peu d'énergie qu'il avait. À quoi bon vouloir se démener, il n'y croyait même plus.
La nuit fut de retour bien trop vite, et avec elle le froid. Il semblait de plus en plus intense, le faisant parfois frissonner malgré la couverture serrée autour de lui.
Pour y échapper, Ace essayait de nouveau de trouver le sommeil, les yeux fermés.
Mais un léger bruissement attira son attention, et il les rouvrit d'un coup, surpris.
La forme d'un bleu lumineux sur la rambarde extérieure de son nid-de-pie captiva immédiatement son attention. L'oiseau était de retour, plus proche jamais. Mais désormais, des barreaux les séparaient. Il réalisa alors que le plumage était littéralement fait de flammes, comme il l'avait pensé initialement avant qu'il ne juge cela illogique. C'était merveilleux, brillant, intense. Une lumière éclairant un peu l'obscurité d'Ace. Ce dernier n'avait jamais vu rien de tel. Grandline était plein de créatures incroyables.
C'était le seul être vivant non hostile qui l'approchait depuis des jours. Lentement, pour ne pas l'effrayer, Ace se leva avec sa couverture toujours autour des épaules. Il s'approcha jusqu'à la porte renforcée avant de s'assoir contre. Il ne pouvait même pas faire passer ses mains plus de quelques centimètres entre les barres à cause des menottes.
Il appela doucement l'animal, essayant d'obtenir son attention sans grand succès.
-Désolé, je n'ai plus le feu qui t'intéressait tant, finit par soupirer Ace en ramenant ses genoux contre sa poitrine.
La température devait encore avoir chuté un peu au cours de la dernière heure. Un nouveau frisson traversa son corps alors qu'il fermait les yeux. Il savait logiquement qu'il fallait s'éloigner des barreaux d'acier froids et de l'ouverture où s'engouffrait le vent mais cette partie rationnelle s'écrasait devenant son besoin de présence amicale. Du moins aussi amicale que puisse être un volatile qui l'ignorait.
Il serra plus fort sa couverture contre lui. Étonnamment l'oiseau fait de flammes bleues lui rappelait un vieux conte qu'il avait entendu dans son enfance. Un flash apporta le bref souvenir de Makino, leur faisant la lecture de sa douce voix un jour où elle rendait visite aux trois frères.
Quelque chose à propos d'une mésange bleu, portant sur un long trajet une brindille enflammée pour réchauffer une enfant perdue. Il y avait une chanson, se rappela-t-il, que Luffy appréciait particulièrement. Sans réfléchir, il se mit à fredonner l'air. Il s'éleva dans la nuit, un peu bancal, un peu abimé par les années, mais retrouvant progressivement de sa justesse.
L'oiseau bleu se tourna enfin vers lui, l'air curieux.
Soudain les premières paroles de formèrent dans son esprit et il les laissa couler de ses lèvres, laissant suivre le fil d'une chanson depuis longtemps mémorisée sans le savoir.
-Oiseau bleu, oiseau bleu
Donne-moi un peu de ton feu
Quand l'obscurité me hante
Pour raviver une braise mourante
Il s'arrêta une seconde, et s'humecta les lèvres peu certain de l'exactitude de la suite des paroles. Mais il avait réussi à attirer l'attention de l'oiseau qui sautilla jusqu'au sol, se rapprochant prudemment. Prenant ça comme un bon signe, Ace continua:
-Perdu au sommet de la montagne
Quand le désespoir me gagne
Je rêve, les yeux fixés sur les étoiles
Que les flocons sont une pluie de pétales
J'oublie un instant le froid et la neige
Sur le point d'enfin céder au piège
Il lui manquait là un morceau du couplet, estompé par les années. Mais il ne s'arrêta pas, son ton s'adoucissant comme le faisait jadis celui de Makino.
-Déjà gelé, sans attendre de miracle
C'est la fin de ce spectacle pathétique
Quand je partirai vers un avenir meilleur
Apporte moi une dernière lueur
Laisse une fleur sur mon linceul
J'ai si peur de partir... seul
Sa voix se fissura à la dernière phrase douloureusement véridique.
S'il y avait eu une suite à la chanson elle avait disparu depuis longtemps de sa mémoire. Il se souvenait de Luffy, essayant de la chanter et la massacrant à chaque fois. Puis de Sabo qui avait trouvé (volé) la version originale du conte où, alors que la brindille commençait à s'éteindre, l'oiseau mettait feu à son propre plumage pour les derniers mètre, sacrifiant sa vie pour finir d'apporter la chaleur à l'enfant frigorifié.
Leur benjamin avait pleuré en entendant cette version, criant qu'il préférait l'histoire de Makino avant de s'enfuir en courant. Un tel bébé...
Sa voix ne sonnait pas aussi mélodieusement que celle de Makino quand elle la chantait. Mais peu importe, de toute façon personne ne l'écoutait.
Personne à part l'oiseau, qui s'était rapproché au point où il sentait sa chaleur irradier à travers les barreaux.
Pris d'une impulsion, il tendit sa main autant que possible, parvenant à frôler le plumage constitué de flammes. Étonnamment ça ne brûla pas, c'était juste... Chaleureux, le réchauffant jusqu'à ses orteils après le léger contact.
S'il avait pu l'invoquer, il fut certain que son propre feu aurait frissonné sous sa peau, prêt à bondir à la rencontre de ces flammes inconnues si tentantes.
Mais l'oiseau recula bien trop vite avec un regard d'avertissement étonnamment familier. Ace ne put s'empêcher de geindre à la perte de chaleur brutale et renta sa main pour ajuster sa couverture.
-Désolé, il fait vraiment froid, tu sais. Foutus microclimats hivernaux...
L'oiseau le fixa une seconde avant d'entrouvrir le bec dans ce qui ressemblait surprenamment à un soupir humain. Puis il s'envola, laissant Ace au silence de sa solitude. Le jeune homme ignora résolument le pincement de déception dans sa poitrine. Il appréciait la compagnie.
Il resta un moment sans bouger, étudiant le nimbostratus s'étendant dans le ciel nocturne, mangeant les étoiles et menaçant dangereusement le demi croissant de lune. Dommage qu'il n'avait pas sous la main ses instruments des météorologie pour affiner ses observations. Il aurait pu trancher si la neige allait tomber malgré la température encore positive, ou si le bateau réussirait à l'éviter.
Il sursauta quand, d'un coup, l'énorme oiseau bleu jaillit dans le ciel, portant entre ses serres un tas de tissus. L'animal atterrit sur le parquet un peu plus lourdement que d'habitude, juste devant Ace. Puis il recula, laissant sa prise à portée de main. Le jeune homme hésita puis son regard s'écarquilla en reconnaissant une épaisse couverture.
-Vraiment ? demanda-t-il plein d'espoir, sans oser tendre la main.
L'oiseau hocha sèchement la tête avant de se détourner, décollant pour aller se poser sur un nid de pie plus éloigné, comme embarrassé par sa propre gentillesse.
Ace sourit comme un fou en récupérant la couverture incroyablement chaude.
Il ne s'y attendait pas.
Le volatile semblait comprendre le langage humain, il était probablement très intelligent. Le prisonnier espérait néanmoins que l'animal n'aurait pas de problèmes à aider un ennemi. Il devait s'assurer de le remercier la prochaine fois.
Largement plus heureux, Ace retourna à son matelas avec sa nouvelle possession.
Marco se lissa les plumes avec force, agacé de son propre comportement. Le traitre ne méritait pas d'être confortable installé. Mais il supposait qu'à un moment ou un autre, la pitié s'était infiltrée dans son cœur. Peut-être parce que l'autre homme semblait soudainement si jeune, si seul, recroquevillé contre la porte et chantant pour un oiseau.
Il l'avait même laissé toucher ses flammes pendant une seconde alors qu'il aurait parfaitement pu esquiver ou lui donner un coup de bec mérité. Il avait alors senti la froideur de ses doigts, l'impression renforcée par son visage pâle faisant ressortir ses tâches de rousseur enfantines et son nez rougi alors qu'il frissonnait constamment. Le jeune capitaine n'avait qu'un fin tissus pour couvrir son torse nu.
Il blâma son instinct de céder à apporter cette maudite couverture. Le jeune n'en serait pas mort, il faisait encore un peu plus de dix degrés. Mais il ne pouvait plus la lui retirer maintenant.
Il plissa les yeux depuis son perchoir, comme la veille bien décidé à surveiller le moindre mouvement suspect du prisonnier et à agir en conséquence. Mais de ce qu'il en voyait, l'autre resta simplement à contempler le mouvement des nuages dans le ciel.
La lune dessinait un D là haut, comme un sourire de défi face aux nuages prêts à la submerger. Pas étonnant que certains sur Grandline avait pris l'habitude de surnommer le demi-astre « la lune de Roger » depuis une vingtaine d'années.
Il ressentait encore un peu de fatigue, aggravée par sa longue journée, mais hors de question de retourner à son lit. Il préférait surveiller son prisonnier, même en sachant la solidité de la nouvelle prison.
Marco laissa son rythme cardiaque s'abaisser, détendant ses muscles et verrouillant ses pattes accrochées à la rambarde. Comme le faisaient de nombreux autres oiseaux, il pouvait dormir d'un seul œil. Un des innombrables avantages à sa forme de phénix. Une partie de son cerveau restait à l'affût, prête à bondir au moindre signal d'alarme, tandis que la seconde sombrait dans une douce torpeur.
Il regagna plusieurs fois conscience pendant la nuit, lors du changement de garde des guetteurs dans son nid de pie, quand un homme de l'équipage sortit fumer ou encore lorsqu'une vague particulièrement forte percuta la coque du navire.
Mais rien qui venait de la prison d'Ace, bien qu'il vole vérifier l'endroit à chaque réveil. Le jeune homme s'était endormi, blotti sous la couverture de Marco et une douceur vulnérable sur le visage.
