Au petit matin, l'équipage commençait à s'éveiller peu à peu. Après une nuit de surveillance, Marco rentra dans le bâtiment du Moby Dick d'un battement d'ailes, ne se changeant en humain qu'une fois hors du champ de vision d'Ace. La scène de cette nuit lui avait donné une idée; il prévoyait de se rapprocher du jeune avec sa forme d'oiseau pour lui tirer des confidences. Après tout, il semblait moins réticent à parler avec un animal.

Quelques-uns de ses frères le questionnèrent sur le prisonnier, sur ses motivations et s'il avait fait des aveux.

Il croisa même un trio errant de membres des Spades qui lui jeta un regard noir, comme si Marco était responsable de tout ce désastre. Apparemment, l'équipage aussi têtu que son capitaine n'écoutait pas les incitations à rester à l'écart. Mais il n'y avait tout simplement pas assez de preuves contre eux pour les garder confiné dans un coin isolé. Les Spades s'étaient également fait assez d'amis sur le bateau pour les protéger d'être mis à l'écart de force.

Cependant, ils manigancaient définitivement quelque chose.

Marco ne savait pas exactement quoi, mais il avait un mauvais pressentiment. Jusque là, ils étaient restés entre eux, groupés, mais ils semblaient désormais être partout. Ils discutaient avec les quelques amis qu'ils s'étaient fait au sein des divisions, se promenaient sur le pont et rôdaient dans les couloirs, le regard vif et la voix basse.

Il allait devoir les garder à l'œil.

Il espérait juste qu'ils ne feraient pas quelque chose de stupide comme prendre d'assaut le navire pour libérer leur capitaine.

D'après les rapports, les Spades continuaient de défendre l'innocence d'Ace, soutenant qu'il devait y avoir une explication pour expliquer ce drame. Marco reprocha mentalement de ne toujours pas avoir envoyé quelqu'un interroger le prisonnier. Il se devait au moins d'être équitable, et avec un peu de chance le jeune passerait aux aveux. Ace n'avait encore donné aucune version des faits ni essayé de les convaincre de le libérer, à part ses mots à Izou.

Lors de son transfert, il semblait même anormalement calme à l'idée d'être exécuté. Ce n'était pas le genre de comportement d'un condamné à tort. Pourtant, il devrait sûrement être terrifié. Marco l'avait senti si fort dans la façon dont sa voix vacilla lorsqu'il chantait. "J'ai si peur de partir seul". Ce n'était encore qu'un gamin.

Il y avait quelque chose qui le dérangeait dans le comportement du plus jeune. Il ne pouvait pas mettre un mot dessus mais cela le gênait comme un grain de sable dans une chaussure neuve.

Marco décida qu'il ira rendre visite au prisonnier, une fois ses devoirs envers l'équipage effectués.

Cela prit plus longtemps que prévu. Une fois ses derniers papiers faits, il passa par l'infirmerie, pas surpris d'y rencontrer Izou qui planait toujours comme une ombre au dessus du cuisinier inconscient.

Il discuta un instant avec l'infirmière Shitzu qui lui sourit timidement en l'informant que l'état des blessés s'améliorait. Teach commençait même à montrer de légers signes de réveil, visibles sur les moniteurs cardiaques. Sa sortie de coma s'annonçait proche, dans quelques jours au maximum. Ce fut le cœur bien plus léger que Marco escorta Izou au réfectoire pour un déjeuner bien mérité.

Ils s'assirent avec quelques autres commandants déjà arrivés, discutant des dernières nouvelles et des ragots les plus récents. Tout le monde sembla soulagé d'apprendre le rétablissement progressif de Thatch, bien qu'il ne montrait pas encore de signes de réveil. Leur ami si enjoué et taquin leur manquait énormément, le silence de son absence pesant sur le groupe. Mais sa vie n'était plus en danger, alors ils s'autorisèrent à montrer un peu plus d'entrain que les derniers jours mornes.

C'était rassurant pour l'équipage de voir leurs commandants reprendre un semblant de normalité.

Haruta dut penser la même chose car il se leva, choppe de rhum à la main.

Et d'un bond, il sauta sur la large épaule de Joz. Le tout dans un équilibre parfait sans renverser une seule goutte du précieux liquide.

L'homme géant ne cilla même pas, habitué depuis longtemps à lui servir de piédestal.

-Mes frères, mes sœurs ! appela solennellement le petit commandant.

Et chaque convive du réfectoire se tourna dans l'attente d'une prise de parole. Ce qui représentait un sacré paquet de monde, l'homme ayant attendu l'heure de pointe pour se manifester. Marco fut un instant envieux de son charisme magnétique, les laissant tous pendus à ses lèvres dans un rare silence. Qui n'allait probablement pas durer longtemps.

Haruta sourit, heureux de son effet.

-Nos deux chers camarades blessés sont sur la voie du rétablissement, leurs jours ne sont plus en danger. Buvons à la santé de Teach et du commandant Thatch ! s'écria-t-il en levant sa choppe.

Des centaines d'hommes l'imitèrent avec un cri de guerre tonitruant, le sol vibrant littéralement au son de l'équipage excité. La seconde et la quatrième division restaient les plus bruyants, mais les autres n'étaient pas en reste.

Tout le monde aimait le cuisinier farceur et accessible qui mettait de l'animation sur le bateau et leur préparait de délicieux repas.

Teach, quant à lui, était membre de l'équipage depuis l'époque de Gold Roger et n'avait jamais causé de problèmes. Malgré son rôle dans le département de navigation, il avait toujours refusé d'en être promu à la tête. Serviable, il proposait souvent son aide, écoutant sans jugement les plaintes et confidences de ses coéquipiers, ce qui le rendait très apprécié.

Haruta sauta à terre avec une pirouette élégante.

Une hola se forma, puis Rosh l'arbalétier lança une acclamation pour les membres de l'équipe médicale qui avaient soigné leurs compagnons, suivi par le reste de l'équipage bien décidé à se déchaîner.

Une voix grave s'éleva du chaos :

-Mais qu'allons nous faire du traître ?

Marco reconnu Hadu à ses cheveux violets et soupira quand le silence se fit. La question fut alors reprise par d'autres membres de l'équipage, se tournant vers lui dans l'expectative. Après avoir demandé la permission à Joz d'un regard, le phénix laissa ses ailes se déployer et se percha sur l'épaule de son ami, à la place récemment occupée par Haruta.

-La situation est délicate yoi. Nous allons l'interroger pour comprendre ses motivations. Mais nous attendons le réveil de nos frères et le retour d'Oyaji pour discuter des sanctions.

Certains, rendus vindicatifs par l'alcool et la colère voulurent protester mais un coup d'œil aiguisé de Marco suffit à les faire taire. Bien, ils étaient peut-être rancuniers -et il les comprenait- mais pas stupides au point de tenter quoi que ce soit contre les ordres du commandant de la première division.

Il retourna à sa place avec nonchalance et termina son repas tandis que l'équipage, de nouveau contaminé par la joie du rétablissement de leurs amis, commençait à porter des toasts pour tout et n'importe quoi.

Marco soupira en secouant la tête. Dire qu'ils étaient les célèbres Barbes Blanches, l'équipage le plus puissant du monde et craint sur toutes les mers...

Mais quelque part, bien caché au fond de lui, cette joyeuse cohue lui réchauffait le cœur. Ils étaient sa plus grande fierté, sa famille, et il savait qu'il n'échangerait sa fratrie adoptive pour rien au monde.

Et en ces temps troublés, cette unité s'est retrouvée mise en péril par la trahison d'Ace. Même si le jeune ne faisait alors pas encore pleinement partie de l'équipage, cela restait un coup dur.

Marco savait qu'il repoussait le problème depuis trop longtemps, malgré l'excuse de la paperasse et sa fatigue.

Il était temps d'aller affronter le prisonnier.


Ace cessa ses activités immédiatement en entendant le grincement de l'échelle de cordes, révélateur de l'arrivée d'un membre de l'équipage.

Il était soigneusement en train de découper des lanières de sa vieille couverture, qu'il glissait ensuite entre les menottes et son bras.

Plus tôt, il s'était rendu compte avec excitation que le granite perdait légèrement ses effets s'il n'était pas en contact direct avec sa peau. Pas de quoi utiliser des pouvoirs, certes, mais il pouvait le sentir revenir lentement en lui, avec ce pétillement sous sa peau si nostalgique et familier. Ça lui avait tellement manqué.

Il lui semblait soudainement qu'il faisait plusieurs degrés plus chaud. Même son esprit lui semblait un peu plus clair. Cette impression de léthargie et de fatalisme qui l'accompagnait depuis des jours s'estompait un peu sans cette maudite pierre pour aspirer son énergie.

Mais il fut interrompu dans son déchiquetage de couverture par l'apparition d'une touffe de cheveux blonds appartenant sans aucun doute à Marco. Il roula rapidement les preuves en boule, espérant que ce serait suffisant pour échapper à son regard aiguisé.

Le commandant se hissa sur la plateforme, l'air toujours aussi ennuyé. Ace eut un pincement de regrets à l'idée de ne plus jamais le voir ouvert et détendu comme lors de cette nuit où ils s'étaient entraînés ensemble.

Il savait depuis le début qu'il ne devait pas créer de liens avec cet équipage qui l'avait kidnappé. Ils étaient ennemis après tout, se força-t-il à se rappeler. Mais son credo sonnait creux même dans sa propre tête.

Merde, bien sûr qu'il s'était attaché. Sa réaction, cette rage instinctive quand Thatch s'était fait poignarder le montrait. Malgré sa rancune contre Barbe Blanche, certains membres de l'équipage avaient peu à peu gagné son respect. Thatch, Izou, et même ce maudit Marco qui le regardait désormais avec ce visage neutre qui, il le sentait, masquait bien plus de choses.

Ace ne se releva pas du mur contre lequel il était assis, se demandant s'il était préférable d'ignorer son invité indésirable. Ce dernier ne faisait toujours aucun geste, restant devant les barreaux sans un mot. Se souvenant une des questions qui le taraudait depuis des jours, Ace réuni sa volonté pour croiser son regard et demander.

-Qu'avez vous fait des Spades ?

Le blond cligna des yeux, ne s'attendant visiblement pas à la question. Heureusement il accepta de répondre.

-Pour l'instant, ils sont encore sur le Moby. La suite dépendra de leur comportement.

-C'est à dire ? questionna vivement Ace.

Il n'allait pas laisser une demi réponse le contenter. Après avoir guidé ses amis dans autant de problèmes, il pouvait au moins essayer de défendre leur cause.

-Yoi c'est moi qui suis censé poser les questions, répliqua le commandant en haussant un sourcil.

-Je répondrai à tout quand je saurais ce qu'il va arriver à mon équipage, s'entêta le jeune homme

Marco sembla débattre avec lui même, de s'il devait répondre à l'interrogatoire ou reprendre la main. Mais il croisa les yeux pleins de d'inquiétude pour son équipage et le froncement obstiné de ses sourcils montrant que sans réponse, il n'y aurait aucune discussion. Et le phénix pouvait comprendre, le jeune homme était un capitaine avant tout et au fond il trouvait cette détermination plus admirable plus qu'irritante. Pas qu'il puisse l'admettre à haute voix.

Il décida finalement de répondre à Ace, bien que ce n'était initialement pas dans ses plans. Après tout, autant ne pas le braquer.

-Bien. Pour l'instant, ils sont surveillés mais libres. Nous les laisserons probablement repartir sur une île quand on aura réglé ton cas. Du moins, s'ils ne tentent rien de téméraire et ne sont pas impliqué dans ta conspiration contre nos camarades, termina Marco avec un soupçon de menace dans le ton.

-Ils n'y sont pour rien, défendit Ace avec force, prêt à exploser au moins geste contre son équipage.

-Est-ce un aveux pour dire que tu as agi seul ? interpréta Marco.

Le jeune homme le fixa d'un long regard, rempli d'émotions si entremêlées qu'il ne pouvait en identifier aucune clairement.

-Crois ce que tu veux, finit par souffler Ace en détournant les yeux.

Le capitaine des Spades caressa un instant l'idée de dire la vérité, toute la vérité à Marco qui le croirait et puis tout irait bien dans ce monde imaginaire et merveilleux. Mais il dû se retenir de secouer la tête à sa propre naïveté. Sa parole ne valait rien ici.

Mais le blond ne semblait pas de son avis.

-Je veux te l'entendre dire.

-Oui, éclata Ace en se levant sous l'énervement. Qu'importe ce que j'ai fait, c'était seul et mon équipage n'a jamais rien eu à voir avec une quelconque trahison, lui.

Le dernier mot fut craché amèrement alors qu'il pensait à la traîtrise de Teach. Si seulement le commandant savais la vérité, il tomberait de haut. Marco fronça brièvement les sourcils à la formulation qui ne ressemblaient pas vraiment à un aveu et Ace continua.

-Mais peu importe ce que je dis, vous continuerez quand même de fliquer mes nakamas et de soupçonner leurs moindres mots d'être des indices de traîtrise.

Le blond s'appuya contre la rambarde extérieure, le jaugeant du regard une seconde d'un air calculateur. Cela piqua les nerfs d'Ace déjà à fleur de peau.

-On n'écarte pas la possibilité que tu aies un complice yoi, dit Marco d'un ton presque amical. Tu sais, si tu en as un et que tu le dénonces maintenant, on pourrait trouver un accord.

-VA TE FAIRE FOUTRE ! rugit Ace en bondissant sauvagement sur la porte. Mon équipage n'a jamais rien fait de mal, ferme la !

Ses chaînes tintèrent violemment à sa suite et ses ongles raclèrent contre les barres de fer avec un bruit strident mais il ne s'en soucia guère. Il regretta de ne pas pouvoir délivrer son feu qu'il sentait crépiter de hargne dans un endroit inaccessible de sa poitrine.

Un grondement monta de sa gorge et il montra les dents, ne voulant rien de plus que sauter à la gorge du commandant qui lui suggérait rien de moins que de vendre ses coéquipiers pour se tirer d'affaire. Il s'en foutait s'il agissait comme un animal en cage, il en était un après tout. Peu importe si son coup d'éclat pouvait être entendu dans tout le navire. Qu'ils se concentrent uniquement sur lui. Même si son comportement le faisait passer pour un danger, il en laisserait personne impliquer son précieux équipage dans cette histoire.

Marco le dévisagea un instant avant de hocher brièvement la tête, l'air satisfait pour une raison obscure. Ce ne fut que la pensée que le blond le testait qui le convainquit de desserrer son emprise sur les barreaux et de reculer d'un pas. Chacun de ses muscles resta tendu, prêt à un affrontement qui ne viendrait jamais.

-C'est bon, t'as eu ce que tu voulais ? mordit agressivement Ace.

Il voulait juste que l'autre parte et le laisse tranquille. Mais le commandant se détacha de la rambarde pour avancer jusqu'à une foulée de la porte sans signe de crainte. Il y avait ce qui s'apparentait à de la curiosité brillant au fond de ses yeux bleus lagon.

-À vrai dire pas encore, il me reste une question. Que s'est-il passé ce soir là ?

La question sonna avec exigence et Ace dut se faire violence pour ne pas reculer instinctivement. Il croisa les bras pour contenir ses mains agitées. "Dis lui, dis lui, dis lui", supplia un voix intérieure. Il lui résista de toute ses forces, se parant facilement de sa colère qui lui collait si bien à la peau comme un vêtement sur mesure.

-Peu importe de toute façon, tu as déjà fait ton opinion.

Mais Marco avait vu une faille dans la carapace du jeune homme et était déterminé à y planter ses griffes pour forcer l'ouverture comme il le ferait d'un huître récalcitrante.

Il refusait de le laisser lui glisser entre les doigts en éludant la question. Il sentait instinctivement qu'il y avait quelques choses de plus et rien au monde ne pouvait l'empêcher de gratter sous cette surface agressive. Cette colère et volonté de protéger son équipage était trop réelle pour être une imposture, et sa voix se faisant hargneuse quand il parlait de trahison ne collait tout simplement pas avec ses actes.

-Tu as promis que tu répondrais yoi, je veux la vérité Ace, rappela-t-il fermement.

Le jeune homme tressailli à l'utilisation du prénom comme si Marco l'avait frappé. Une seconde il hésita, dans son regard le vacillement d'une flamme sous une tempête. Et quelque chose sembla de briser en lui, toute trace de combativité dans sa posture disparaissant alors que ses yeux perdaient leur lumière. Il avait l'air résigné et eut un petit rire sans humour.

-La vérité, c'est ça que tu veux ?

Le ton était presque moqueur et le phénix hésita un instant devant ce soudain changement de comportement, avant de se ressaisir et de hocher la tête fermement. Ce n'était pas le moment de flancher alors qu'il allait enfin avoir des réponses.

Il y eut un moment de silence, et un instant Marco cru que le prisonnier ne répondrait pas. Puis la voix d'Ace s'éleva finalement.

-Je n'arrivais pas à dormir cette nuit là. J'ai voulu prendre l'air sur le pont et puis j'ai entendu cette porte s'ouvrir, vers les cuisines. Il y avait deux ombres. J'étais curieux, je me suis rapproché.

Il marqua une pause, semblant revivre le souvenir comme s'il était de nouveau devant ses yeux. Son ton était aussi plat que s'il lisait une liste de course. Dissociation, reconnut-il. Aucune émotion, juste le retour de ce vide terrifiant et pourtant Marco de retrouva pendu au moindre mot sortant de ses lèvres.

-Le temps que j'arrive, Teach avait poignardé Thatch. Je ne sais pas pourquoi ni comment, mais je l'ai vu. Après... j'ai attaqué ce traitre. Ça j'admets, je voulais le tuer. Et puis tu connais la suite. Voilà.

Le sang de Marco se gela dans ses veines alors qu'il écoutait la fin d'abrupte de l'histoire. Il y eut un autre silence qui s'étala, tout deux restant immobiles.

Les mots n'arrivaient pas à pénétrer son esprit, ou alors ils y parvenaient trop bien. Le vrai et le faux se mêlaient, impossible à discerner. Ace n'avait montré aucun signe de mensonge. Aucun signe de sentiments du tout. Ce n'était pas une plaidoirie, il n'y avait pas ce ton de justification, pas de supplications de le croire et de le relâcher. Mais... Teach trahissant ? Son coéquipier, son frère ? C'était au delà de l'impossible.

Ace fut le premier à bouger, un rire amère aux lèvres et ce regard toujours aussi vide alors qu'il se détournait.

-Peu importe, crois ce que tu veux.

Et il y avait en Ace quelque chose qui semblait si... Tellement... Et Marco savait juste qu'il devait réagir d'une manière ou d'une autre pour...

Il ne contrôlait plus rien, son cerveau se bloquant, mais une seule chose était sûre, il devait fuir d'ici. Fuir cette conversation qui lui embrouillait sa partie rationnelle, où il ne savait même plus distinguer la vérité du mensonge. Où il était tenté de le croire, plutôt que l'un de ses frères.

Avant même de parvenir à penser à travers son esprit embrumé, il dévalait l'échelle de cordages si vite qu'il se demanda un instant s'il n'avait pas volé.

Il ne vit pas derrière lui la façade soigneusement vide d'Ace vaciller, laissant entrevoir un flash de détresse comme une appel à l'aide muet, vite comblé par une douloureuse résignation.


Le trajet se déroula dans un flou et avant de comprendre comment il en était arrivé là, il était enfermé dans son bureau, à bout de souffle et le cœur au bord des lèvres.

Cela lui pris plusieurs minutes qui lui semblaient une éternité pour se calmer, usant toutes les techniques de respiration et visualisation que lui avait enseigné Pops, lorsqu'il n'était encore qu'un jeune garçon insomniaque et angoissé. Il était le second sur ce bateau, il ne pouvait, ne DEVAIT pas perdre son sang froid ainsi.

Mais pour une fois, une rare fois, il était dépassé par ses émotions et ne savais plus que croire et c'était douloureux.

Il aurait pu accepter n'importe quelle explications d'Ace. Que le quasi meurtre de Thatch soit pour le fruit trouvé par le cuisinier, ou une vengeance pour l'enfermement, voir même une bagarre qui a mal tourné et où le couteau se serait planté par accident.

Mais si les mots du jeune homme étaient vrais... ce n'était plus le crime d'un jeune homme n'appartenant même pas encore réellement à l'équipage, mais une trahison d'un frère, venant du cœur de sa famille même et c'était grave.

Surtout Teach qui était présent depuis des années, toujours là pour offrir une main secourable pour ceux qui avaient besoin d'aide. L'homme au cheveux hirsutes qui cuisinait parfois des tartes aux cerise et qui sifflait souvent des mélodies aléatoires en arpentant le Moby Dick. Celui arrivé depuis tellement longtemps qu'il aurait pu prendre la direction de la seconde division, s'il l'avait souhaité. Leur frère modeste, parfois taquiné pour son manque d'ambition.

Ace mentait, Ace DEVAIT mentir.

Et Marco n'avait pas le droit de le croire.

Tout les principes de famille et de confiance absolue qu'Oyaji avait bâti entre ses fils oscillait sur ses fondations.

Il y eut un toquement indubitablement familier contre sa porte, le faisant tressaillir. Un instant, Marco envisagea de faire le mort et de ne pas répondre. Mais il savait que cela ne fonctionnerait absolument pas sur son visiteur.

-Entre Izou, autorisa-t-il une voix bien plus las qu'il ne se permettait habituellement de montrer.

Un instant plus tard la porte s'ouvrit, laissant entrer son ami qui portait un plateau où reposaient deux tasses et une théière.

-J'ai fait du thé, dit inutilement le geisha.

Ce dernier, comme toujours vêtu de son kimono, posa le plateau sur le bureau et commença à servir la boisson d'une main experte. Avant que Marco ne puisse réagir, il avait une petite tasse traditionnelle en terre cuite entre les mains qui le réchauffait agréablement.

Ils se sont assis un instant en silence, puis Izou commença :

-Blamenco t'a croisé dans les couloirs tout à l'heure. Selon lui, tu avais l'air d'avoir croisé un fantôme et n'as même pas entendu quand il t'a appelé.

Il savait bien que l'arrivée de son ami n'était pas anodine. Le phénix fredonna un vague "mh mmh" fatigué qui n'engageait à rien avant de boire une gorgée. Parfaitement préparé comme toujours. Malgré lui, la familiarité de la situation parvenait à le détendre légèrement, apaisant un peu le vortex de pensées qui tentait jusque là de l'entraîner toujours plus profond.

Izou se pencha vers lui, les doigts serrées autour de sa propre tasse et le regard sérieux.

-Marco. Tu es peut-être le second du navire et actuellement le remplaçant d'Oyaji mais tu es avant tout notre frère. Tu ne dois pas toujours tout porter sur tes épaules.

Le geisha laissa quelques instants les mots s'imprégner dans la tête du blond qui contemplait les reflets irisés du thé d'un air pensif, déjà plus calme qu'il y a quelques minutes.

-Hey Izou. Tu as déjà été dans cette situation où... Tu en sais plus quoi croire ? Où tu ne peux même plus réfléchir rationnellement parce qu'on te donne une version qui remettrait beaucoup trop de choses en cause ?

-Tu es allé parler à Ace ? devina immédiatement son interlocuteur.

Le blond sembla un instant surpris puis hocha pitoyablement la tête. Izou se mordilla les lèvres dans un tic nerveux et fit lentement tourner sa tasse entre ses mains.

-Le soir où j'étais allé lui parler, je n'ai pas voulu le croire. Mais après des jours à le fréquenter... Je suis plutôt bon juge des caractères des gens et je n'arrive toujours pas à comprendre qu'Ace puisse faire ça. Je veux dire... Je sais qu'il appréciait énormément Thatch, même s'il ne l'avouait pas. Et quand je lui ai parlé en cellule il avait l'air désespéré.

Il y eut un silence profond où tout deux étaient plongés dans leurs pensées. Ils sirotèrent leur thé vert, aucun des deux ne voulait mettre en premier un mot sur leurs soupçon. Cela reviendrait à douter de Teach. Mais ils ne pouvaient pas échapper à leur devoir en ignorant l'éléphant dans la pièce.

-Comment je dois gérer ça ? finit par demander Marco à mi-voix.

-On doit apprendre la vérité, soupira Izou en se passant une main dans ses cheveux inhabituellement rêches. C'est la seule chose qui compte même si elle est difficile à entendre, il y a un traître sur notre bateau et il faut protéger notre équipage. Que ce soit d'Ace ou... de Teach.

Les derniers mots sont sortis difficilement, montrant qu'Izou était bien plus affecté par la situation qu'il ne s'autorisait à avouer.

La responsabilité était lourde mais Marco devait l'assumer. Si le plus jeune disais la vérité, alors Thatch pourrait être en danger à l'infirmerie. Peut-être qu'il valait mieux être trop prudent que pas assez. Il fallait prendre une décision rapidement. Et sans Oyaji à bord pour les guider, la responsabilité revenait au phénix, qui ne se sentait pas à la hauteur malgré la confiance de leur capitaine.

Prendre le commandement dans une bataille, il y parvenait très bien, sachant guider ses hommes mieux que personne et connaissait sur le bout des doigts leurs forces et faiblesses. Mais décider de telles affaires internes à l'équipage restait différent.

Il allait devoir faire de son mieux.

-Pour l'instant... Reste discret sur nos soupçons, je ne veux pas inquiéter les autres commandants.

Il savait qu'il pouvait faire confiance à ses frères, mais il était au point où il avait lui même besoin de faire le tri dans ses pensées avant de les impliquer. Les confronter ainsi à ses doutes ne ferait aucun bien, surtout sans rien de concret pour les étayer. Il inspira et expira calmement, essayant de garder la tête claire pour ses prochains ordres.

-Je continuerai de surveiller Ace. Et si Teach se réveille, qu'on me prévienne immédiatement, il faudra le surveiller discrètement.

Il nota le léger relâchement des épaules tendues d'Izou qui lui sourit doucement, soulagé que le second de l'équipage prenne une décision pour tous. Pour rien au monde le geisha ne voudrait être à sa place.

-Doit-on enquêter ?

Marco n'hésita qu'un instant avant de hocher la tête. Ils devaient savoir. Même s'il avait l'impression de faire quelque chose de mal, d'illégal et malgré sa gorge nouée, il se força à dire :

-Autorisation de fouiller les affaires de Teach. Peut-être mettre Haruta dans la confidence, il est le meilleur pour fouiner. Interrogez ceux qui étaient de garde ce soir là, sur ce qu'ils ont vu exactement et faites une comparaison avec le témoignage d'Ace pour voir s'il y a des incohérences.

Il essaya de ne pas penser à la charge de travail qu'il se rajoutait ainsi, alors qu'il pourraient simplement attendre le réveil de Thatch. Il eut l'impression d'avoir fait la bonne chose quand son ami acquiesça d'un geste approbateur.

-Je transmettrai aux commandants et à Teto de rester vigilants, accepta le geisha en se levant.

-Hé Izou, le rappela Marco.

L'autre lui jeta un regard par dessus le plateau de thé vide qu'il récupérait, curieux.

-Merci.

Le geisha lui fit un clin d'œil et sortit du bureau, laissant Marco l'esprit un peu plus clair et rasséréné.


Le blond resta enfermé dans l'infirmerie une bonne partie de l'après midi, triant ses pensées dans le désordre de sa tête et s'occupant des quelques patients qui allaient et venaient. Ce n'était pas strictement nécessaire, le reste des infirmiers pouvant parfaitement se charger de ces tâches. D'ordinaire, il laissait le plein contrôle des lieux à Teto, mais cela lui occupait l'esprit et le détendait.

Il aurait dû être en train de garder la prison d'Ace, ne serait-ce qu'en observant depuis le pont, mais il n'était pas encore prêt à le revoir. À revoir ce vide dans ses yeux. Alors oui, peut-être qu'il l'évitait lâchement mais c'était la décision la plus censée à prendre sur le moment. Du moins il essaya de s'en persuader en recousant sans enthousiasme les légères coupures à l'épaule d'Igor puis le flanc d'Endemo.

Il allait encore devoir avertir Vista d'être moins intense dans l'entraînement aux lames de la cinquième division ou au moins leur trouver une protection, car à chaque fois plusieurs de ses apprentis en sortaient blessés. Même s'ils se battaient déjà avec des épées en bois pour réduire les dégâts.

C'était le problème d'avoir un équipage surpuissant.


Ce n'est qu'à la tombée de la nuit qu'un oiseau bleu, brillant dans sa cape de flamme, traversa le ciel telle une comète miniature. Comme d'habitude, le garde actuel lui fit le signe de "tout va bien" à son passage.

Il se dégourdit les ailes par quelques figures aériennes, enchaînant les loopings et les acrobaties dans un éclair de brasier. C'était toujours un réel plaisir de voler ainsi, porté par les vents au dessus de l'océan. Il sentait chaque brise, le tirant ou résistant vaillamment à ses mouvements. Il fit quelques pointes de vitesse pour le plaisir, montant aussi haut dans le ciel qu'il osait avant de replier les ailes et piquer dans une accélération enivrante. Le ciel lui appartenait, offrant bien plus de place que le sol ne pouvait.

À un moment du spectacle, ou peut être depuis le début, il prit conscience qu'une paire d'yeux gris l'observait avec admiration. C'était le moment d'atterrir. Toujours avec la grâce qui caractérisait sa forme de phénix, il plongea, écartant ses serres affûtée (ces mêmes serres qu'il avait posé sur le cou d'Ace, près, si près de le poignarder et le défigurer définitivement) et agrippa la rambarde.

Il devait avouer que même des années plus tard il était toujours fier de son atterrissage impeccable. Mieux valait-il ne pas penser aux centaines d'essais pour parvenir à ce résultat qui l'avaient jadis bien souvent placé dans des situations embarrassantes. Seuls les plus vieux de l'équipage se souvenait de ces jours peu glorieux et c'était tant mieux, il préférait oublier.

Ace était de nouveau assis, pressé contre la porte et le regardant avec un petit sourire bien que moins brillant que d'habitude.

-Salut toi.. tu reviens encore me voir ?

Se sentant scruté, Marco sauta au sol, et se rapprocha un peu plus mais gardant une distance respectable. Les doigts d'Ace caressèrent les barreaux de haut en bas, délicatement. Il semblait pensif, presque mélancolique. Un instant l'oiseau pensa qu'il allait rester silencieux, puis le jeune ouvrit la bouche.

-Je suis content d'avoir de la compagnie.

L'aveu sortit avec un naturel touchant et ils se sont regardés un instant. Le regard d'Ace glissa lentement sur ses ailes avec ce qui ressemblait à une pointe d'envie.

-Ça doit être tellement plus facile d'être un oiseau. Pouvoir voler où tu veux en toute liberté. Alors que je reste là, enfermé comme un animal sauvage...

Marco ne bougea pas d'une plume, ne montrant aucun signe d'écoute. Mais l'adolescent ne semblait pas dérangé de faire la conversation tout seul. C'était un Ace presque bavard, différent de son caractère renfermé habituel. Peut-être parce qu'il ne faisait pas confiance aux Barbe Blanche et s'ouvrait plus facilement avec un simple oiseau. Ou alors la solitude et l'instabilité des derniers jours l'avaient atteint plus qu'il ne le montrait.

-Au moins ça ne durera pas longtemps. Je veux dire, personne ne me croit, je vais juste être déclaré coupable et mourir.

Ces paroles prononcées avec un petit haussement d'épaule défaitiste ont fait rater un battement de cœur au phénix. Il regretta brusquement d'avoir laissé croire ça à Ace. S'il était réellement innocent... Le jeune homme eut un sourire sardonique et secoua la tête. Comme s'il ne voulait se débarrasser d'une pensée. Sa voix sorti dans un murmure calme d'honnêteté absolue.

-Peu importe, j'ignore pourquoi je vis encore, alors que je n'aurais même pas du naître. Ça sera rendre service à l'humanité, tu sais ?

C'était... Faux. Quelqu'un d'aussi jeune qu'Ace ne devait pas dire de telles paroles. Pas comme s'il le pensait être une vérité absolue. Comme si la mort ne le terrifiait pas.

Pourtant il pouvait distinguer une faille dans cette façade nonchalante.

Sans pouvoir se retenir, le commandant se redressa en ébouriffant ses plumes d'une secousse colérique. Le jeune leva un regard surpris à sa réaction et quelque chose sembla s'adoucir dans son expression.

-Ouais, je suppose que mon équipage et... Luffy seront triste.

Il y eut un accroc dans sa phrase quand il prononça le nom de son petit frère, qu'il évoquait de temps en temps et semblait aimer plus que tout au monde. Marco vit le grand frère de mordiller l'ongle de son pouce, les yeux dans le vague. Il avait l'air un peu cassé. Son monologue continua.

-Comme un tel pleurnichard peut s'en sortir sans son grand frère pour le protéger ?

Une seconde de silence tendu.

-Mais je suis incapable me protéger moi même. Je vais l'abandonner et rompre ma promesse. Il sera seul.

Sa voix flancha à ces derniers mots et ses épaules se sont contractées. La culpabilité soudaine transparaissait dans sa posture. Et Marco fit deux pas de plus, tendant le cou jusqu'aux barreaux pour pincer un pan de la couverture dans son bec. Il tira doucement pour attirer l'attention du jeune et le sortir de ce cercle vicieux de pensées.

L'autre sursauta à la traction et le phénix nota la teinte grise plus foncée de ses iris due à l'humidité contenue. Prenant son geste comme une autorisation, Ace tendit une main tremblante, faisant courir ses doigts sur le plumage azur de l'oiseau. Et pour une fois Marco l'endura en silence, le laissant faire. Il restait néanmoins sur ses gardes, prêt à se dégager au moindre signe de brutalité.

Cela ne l'empêcha pas de laisser échapper un cri surpris et indigné lorsque d'une douce poussée, son prisonnier le rapprocha encore plus jusqu'à sentir le fer de la porte contre son aile.

Et le jeune homme le serra délicatement à travers les barreaux, malgré des menottes qui entravaient le processus, son visage s'appuyant contre les plumes de feu dépassant de son côté de la cellule.

Le commandant paniqua intérieurement en entendant ce qui ressemblait à un sanglot réprimé dans son plumage. Il regretta alors tout ces choix de vie qui l'avaient mené à cette situation délicate. Mais il ne se débattit pas quand il entendit un murmure que seule son ouïe sensible de l'oiseau permit de saisir.

-Merde, je ne peux pas mourir comme ça. J'espère que Thatch va se réveiller. Il leur dira toute la vérité.

Les mains délicates se crispèrent dans le fouillis de duvet doux sous la couverture de flamme, comme un noyé s'agrippant à une bouée.

Et Marco sut à cet instant que le jeune homme n'était pas un menteur, ni un assassin et encore moins un traître. Il ferma les yeux, sentant une fois de plus tout le poids des responsabilités et de ses erreurs peser sur lui. Son instinct le poussa à agir, pour consoler l'humain d'habitude si téméraire. Son bec de perdit dans sa tignasse noire et lissa les cheveux ondulés le plus doucement possible. Cela fonctionna relativement. Ace stabilisa sa respiration bien qu'il ne bouge pas et ne relâche pas le pauvre blond qui lui servait de peluche improvisée.

Et bien, Marco pouvait certainement le supporter, juste un peu plus.