Ace voulait rester pour l'éternité blotti contre le feu vivant et protecteur de l'oiseau bleu. Il sentait le sel de la mer et la chaleur des pierres laissées longtemps au soleil. Un mélange étonnant et rassurant, qui lui laissait cette impression optimiste que tout ira bien. Pas qu'un simple oiseau puisse changer son destin, mais ainsi serré parmi les flammes azurées qui brûlaient sans dommages contre sa peau, il pouvait presque y croire.
Les doux arrangement dans ses cheveux lui laissait une impression diffuse de nostalgie. Une réminiscence de tout ces moments volés des années auparavant, une fois qu'il prétendait être endormi.
À peine le frôlement d'une mèche repoussée hors de son visage, délicatement comme si Ace était fait de verre. Et l'odeur des cigarettes de Dadan lorsqu'elle se penchait prudemment, jurant dans un souffle de le protéger.
Elle n'aurait même pas eu besoin de mots pour le lui dire. Ace le savait, aussi sûr qu'il savait que le soleil se lèvera de nouveau demain.
Sa main se referma instinctivement sur son collier de perles rouges et il laissa échapper un long souffle.
Sa respiration s'apaisa au point où il se sentait flottant, comme s'il allait bientôt s'endormir après la fatigue de s'être laissé aller à pleurer. Ce fut l'embarras soudain qui le poussa à se redresser pour relâcher l'oiseau et frotter brièvement les traces de larme sous ses paupières. Personne ne l'avait vu mais il avait toujours sa fierté. Se lamenter sur son sort ainsi n'était pas dans ses plans.
Peut être qu'il avait simplement besoin d'extérioriser toute la tension de son enfermement depuis des jours, avec l'idée de sa mort prochaine et le rejet d'Izou et Marco qui ne croyaient pas ses explications.
Il brossa maladroitement des gouttes imaginaires d'humidité du plumage de son camarade avec un sourire penaud.
-Désolé, beaucoup de stress ces derniers jours.
L'animal se secoua légèrement mais ne s'éloigna pas et son regard indulgent suffit à faire comprendre qu'il ne lui en voulait pas. Preuve supplémentaire, il ne s'était jamais débattu hors de son emprise même quand Ace l'avait irrespectueusement saisi. Il en était soulagé : il n'avait pas effrayé le seul être vivant à lui montrer un minimum d'empathie.
-Merci d'être resté. Je suppose que j'étais juste fatigué par... Et bien tout ça, termina-t-il avec un geste de la main vague englobant beaucoup de choses.
Depuis combien de temps était-il enfermé ? Peut-être presque une semaine déjà ? Il se sentait toujours un peu perdu après son bref séjour en calle sans repère temporel, couplé à son état d'atonie causé par le choc et la pierre de mer. Pourtant, il n'avait dû y passe qu'une poignée de jours.
Il n'arrivait même pas à en être en colère, pas comme lorsque Barbe Blanche l'avais kidnappé sur ce bateau. C'était beaucoup plus sérieux. Bien sûr, il comprenait parfaitement la réaction de l'équipage. En y repensant, il se permettait même d'être surpris de toujours être en vie, malgré les circonstances qui l'incriminaient. Cela aurait été plus rapide que cette longue attente pour le même résultat.
-Vouloir affronter leur capitaine ne m'a apporté que des problèmes au final, soupira-t-il avec regret. J'espère que Marco tiendra parole et que les Spades iront bien.
Son compagnon d'infortune pencha un peu la tête comme s'il l'écoutait. Une pensée traversa son esprit, lui tirant un sourire narquois.
-Ils vont être tellement en colère, je veux pas être à la place des Barbes Blanches quand ils chercheront à me venger. J'espère quand même que Deuce empêchera Banshee et Esmée de faire exploser le Moby Dick.
Il connaissait la passion pas si cachée que ça de ses camarades pour les explosifs et craignait le pire. Il ne parierait pas non plus sur son Second pour calmer les choses. Bien qu'il soit l'un des plus raisonnable, la mort de son capitaine serait certainement susceptible de déclencher de sa divine fureur. Et aucun de l'équipage ne pourra ni ne voudra le retenir.
-S'ils décident de couler le navire de l'intérieur, essaye de t'échapper loin, d'accord Coco ? plaisanta-t-il bien qu'il y avait une part non négligeable de sérieux dans ses mots.
Le dit Coco fit un claquement vicieux de bec dans sa direction, probablement offensé du surnom. Ou peut-être à cause de l'évocation de la possible future mutinerie des camarades d'Ace.
Cela ne servit qu'à faire sourire le jeune homme qui leva les mains en signe de reddition.
-D'accord je ne t'appelerai plus comme ça, promis.
Sans pouvoir s'en empêcher, Ace laissa de nouveau passer ses doigts à travers les barreaux, traçant délicatement les cercles noirs dessinant des formes de lunettes autour des yeux de l'oiseau. Cette fois, ce dernier broncha et agita sa tête. Alors le jeune homme se contenta de peigner de ses doigts la crête de flammes dorées qui contrastait avec le bleu autour, s'émerveillant de la sensation de solidité sous les flammes. Quand il levait légèrement sa main il sentait comme un chatouillement pourtant intangible, comme du vent sous pression.
-Tu es superbe, ne put-il s'empêcher de complimenter. Je me demande quel genre d'oiseau tu es.
Il y avait une pointe d'orgueil dans la façon dont la posture de l'oiseau se redressa. Il ne s'y connaissait peut-être pas en ornithologie mais il pouvait jurer que son compagnon appréciait les compliments. Ace laissa échapper un rare petit rire.
-Je suppose que tu es plutôt unique.
Sa main descendit, lissant la tâche plus foncée sur le torse emplumé. Une tâche en forme du Jolly Roger simplifié de l'équipage. Le même que Marco abordait fièrement au même endroit sous sa chemise ouverte.
-Es-tu l'oiseau de compagnie de Macro ? réfléchit Ace à haute voix en penchant la tête de curiosité.
Après tout, ils avaient le signe distinctif, la question méritait d'être posée. Pas qu'il s'attende à une réponse de l'animal qui le regardait d'un air insondable.
-Vous avez exactement le même tatouage sur le torse. D'ailleurs, je me demande quel est son entraînement pour avoir de tels abdos...
Il avait dit ça sans y penser, puis compris l'implication sous-jacente de ses paroles alors que les allusions de Deuce lui revenaient. Il se sentit rougir.
-Pas que j'ai regardé ou quoi ! crachota-t-il en se sentant pris sur le fait. Enfin si, mais pas bizarrement ! C'est juste... De la comparaison masculine normal.
L'oiseau s'est figé, son bec s'ouvrant légèrement comme surpris.
Le jeune homme n'avait absolument rien à se reprocher car il n'avait PAS spécialement regardé le torse du commandant, bien qu'il semblait définitivement en forme pour quelqu'un de son âge. C'est à dire autour de la quarantaine d'année, si ce qu'il avait une fois entendu était correct. Il secoua sa tête pour faire taire ces divagations mentales.
-Et puis, j'ai pas à me justifier et tu ne vas rien dire ! termina un Ace aux joues rouges d'agacement en pointant un doigt accusateur sur l'oiseau qui avait soudainement l'air extrêmement moqueur.
Il aurait pu jurer que la volaille se foutait de lui. C'était entièrement de la faute de tout l'équipage qui avaient osé penser que lui et Marco... Maintenant il se retrouvait à se justifier devant une stupide volaille bleue. Il tourna dos à la porte pour cacher son embarras à son interlocuteur. Il resta ainsi une poignée de minutes jusqu'à ce que son ventre gronde bruyamment.
-Aaah j'avais oublié que j'avais faiiiiim, se plaignit-il en se laissant retomber contre le sol trop dur pour être confortable.
Il n'était toujours pas assez nourri et seulement une fois par jour ce qui restait loin d'être suffisant.
Ainsi allongé sur le dos, il se concentra sur les étoiles qu'il apercevait au dessus de lui. L'oiseau le regardait à l'envers avec un air doux qui semblait soucieux et Ace lui sourit en agitant une main désinvolte.
-Ne t'inquiètes pas, ça ira. De toute façon les cuisines sont fermées à clé la nuit et il n'y a plus grand chose. J'attendrai demain. Même si c'est pas assez, c'est mieux que rien.
Ce n'était pas comme s'il n'avait jamais connu la faim avant, après tout. L'île déserte où il s'était retrouvé bloqué avec Deuce après leur naufrage pouvait en témoigner. Heureusement qu'ils avaient pu s'en sortir, acquérant au passage son mera-mera no mi.
L'oiseau sembla tergiverser un instant mais replia simplement ses pattes pour se coucher contre la porte barricadée. Ace tendit sa main et la posa contre une aile, se laissant réchauffer par la chaleur enivrante. Ils devaient être en train de s'éloigner de l'île hivernale, le froid extérieur ne mordait plus autant. Ou peut-être était-ce grâce aux morceaux de tissus entre sa peau et les menottes qui en atténuaient l'effet.
Un bâillement lui échappa, les émotions de la soirée le laissaient vidé.
Le jeune (ex?) capitaine se sentait un peu plus léger ainsi et ne bougea pas de sa position. Le sommeil l'appelait à la bordure de sa conscience, et il finit par y céder.
Dans son inconscience, il ne vit pas une aile se transformer en main, passant silencieusement de son côté de la cellule pour réajuster la couverture qui avait glissé.
Ace fut réveillé par une ombre passant devant le soleil tardif de midi. L'impression d'être observé piqua sa peau alors qu'il ouvrait les yeux puis les refermait immédiatement avec un gémissement, ébloui par la lumière. Il attendit quelques secondes puis réessaya prudemment, assez pour voir une forme se tenir sur la rambarde. Un instant, il crut que c'était l'oiseau, mais nulle trace de sa couleur azure si reconnaissable. De plus, la forme semblait étonnamment humaine. Et verte.
Il réalisa alors avec un battement de cœur qu'il y avait quelqu'un, un humain perché sur la rambarde, le regardant avec un demi sourire. Haruta, reconnu-t-il après une seconde de flottement. Il se tenait en équilibre là où se trouvait l'oiseau la veille, accroupi et les pieds sur le garde corps.
Malgré sa posture et son costume bouffant vert, Ace n'était pas sur le point de le sous-estimer. L'homme hyperactif à l'apparence enfantine restait un extraordinaire combattant, il l'avait suffisamment vu s'entraîner pour s'en rendre compte. Son agilité et sa rapidité lui donnaient un style de combat imprévisible. Ce n'était pas pour rien qu'il était surnommé le Diable Vert.
Il était également à la tête de la division spécialisée dans le renseignement et les communications. Un gars intelligent et perspicace, donc.
Ce qu'il n'expliquait absolument pas pourquoi il se tenait sur ce nid-de-pie à le regarder dormir.
Il rencontra des yeux perçants qui donnaient l'impression de perçer son âme et décida enfin de se redresser de sa position avachi sur le parquet avec un grognement. Il retint le "Quoi ?" irrité qui lui venait naturellement aux lèvres.
-Que puis-je faire pour toi ? réussi-t-il à articuler avec une large pointe de sarcasme.
Ce n'était pas comme s'il détestait Haruta, au contraire il semblait plutôt amical avant qu'Ace ne devienne l'ennemi public n°1.
Mais la situation de son enfermement le mettait mal à l'aise et se faire surprendre pendant son sommeil faisait grimper sa vigilance en flèche. Que personne ne le blâme d'être sur ses gardes. Surtout envers ce qui sortait de l'ordinaire. Pour ce qu'il en savait, le petit homme pouvait tout aussi bien être sur le point de le conduire à une exécution. Le commandant ouvrit sa bouche, semblant sur le point de dire quelque chose qui justifierait son arrivée.
Mais depuis le pont quelqu'un siffla brièvement, faisant tourner la tête du Diable Vert. Un éclair de déception passa dans ses yeux puis il les leva au ciel.
-Haruta.
La voix ressemblant un peu trop à celle de Marco interpella sèchement d'en bas.
Avant qu'Ace ne puisse interpréter la situation, Haruta posa deux doigts contre sa tempe en un salut muet. Puis il sauta en arrière dans le vide, ayant même le culot d'effectuer un salto parfait pendant la manœuvre.
Ace entendit un bruit sourd, signalant que l'homme avait soit effectué un atterrissage exemplaire sur le pont, soit se retrouvait violement écrasé au sol. Connaissant l'agilité de l'homme, il n'était pas inquiet.
Haruta atterrit souplement juste devant Marco, bras tendus pour garder un semblant d'équilibre.
-Mon frère préféré ! Quelle belle surprise ! s'exclama le plus jeune avec un sourire innocent.
Il épousseta sa tunique du dos de la main, chassant une poussière imaginaire. Bien entendu, le phénix n'acheta pas pour un sou la flatterie et roula des yeux, trop habitué à ses frasques.
-Un jour, tu vas tomber sur quelqu'un en sautant.
Ce n'était pas la première fois qu'il lui disait de faire attention en se jetant d'aussi haut. Il causait souvent des frayeurs aux membres de l'équipage qui le voyaient brutalement tomber du ciel.
Haruta rit avec un geste insouciant de la main.
-Impossible, je fais toujours attention !
-Qu'est-ce que tu faisais là haut yoi, demanda le blond bien qu'il se doutait déjà de la réponse.
-Je rendais visite à notre prisonnier, bien sûr ! répondit-il joyeusement.
Bien sûr. Ce n'est pas comme si c'était une surprise. Marco aurait pu le prédire dès l'instant où Haruta s'était vu informé des derniers retournement de situation à propos de la supposée trahison. Il représentait un allié sérieux dans cette histoire, armé de son talent pour fouiner et obtenir des renseignements.
Tôt dans la matinée, après une fouille minutieuse des affaires de Teach, il avait en fait déjà fait quelques découvertes.
Marco s'était alors retrouvé interrompu alors qu'il essayait tant bien que mal d'assurer ses devoirs de commandant. Chose difficile quand il gérerait en même temps la curiosité d'un Izou qui avait d'une manière où d'une autre deviné sa sortie nocturne pour passer une majeure partie de sa nuit en tant que phénix auprès d'Ace.
Heureusement que son frère l'aidait avec la paperasse, sinon il l'aurait chassé sans hésitation de son bureau où il s'était assis.
Avec un soupire, Marco lisait un rapport indiquant que l'équipage du prisonnier avait pour la sixième fois été stoppé dans sa tentative de joindre le capitaine. Un gars cagoulé avait entrepris d'escalader le nid-de-pie en pleine nuit, avant de se faire repérer. Mais avant de pouvoir intercepter le responsable, ce dernier avait réussi à s'enfuir dans les profondeurs du navire et regagner son dortoir. C'était assurément un Spade. Cependant personne ne connaissait son identité ni comment il avait réussi à sortir du dortoir fermé à clé les nuits.
Ils avaient été plutôt calmes jusque là, préparant leurs plans en silence avant de soudainement se décider à les mettre en pratique. Sans jamais se faire attraper, le groupe frappait, très têtu et créatif dans ses essais et obligeant les Barbes Blanches à rester sur leurs gardes dès que l'un des Spades rôdait.
Quoi qu'il en soit, Marco prédisait que le temps de finir de lire ce rapport, un nouveau tomberait sur son bureau. Ils étaient aussi persistants que leur capitaine.
Marco rangea alors soigneusement les papiers, ne prenant même pas la peine de rappeler une énième fois à Haruta qu'il devait toquer à la porte avant de bondir à l'intérieur.
Mais son invité surprise était bien trop excité, agitant un petit livre vert devant son nez et proclamant qu'il avait trouvé un truc intéressant dans la chambre de Teach.
Après l'avoir feuilleté, ils s'étaient alors tout les trois retrouvés devant une page où figuraient la présentation d'un certain yami yami no mi. Un beau fruit violet de forme irrégulière appelé le fruit des ténèbres. Celui là même que Thatch avait trouvé au détour d'une forêt lors de sa mission de ravitaillement.
Ce n'était pas une preuve. À peine un indice ténu à vrai dire. La page n'était pas annotée ni cornée ni aucun autre signe montrant un intérêt suspect pour ce fruit en particulier. Mais ils voyaient là une coïncidence qui mériterait une étude plus approfondie.
Pourquoi Teach gardait un livre sur les fruits du démon, dissimulé dans ses affaires ? Pourquoi ne pas avoir proposé son aide pour déterminer le pouvoir du fruit de Thatch ?
Peut-être que cela n'était pas grand chose, pouvant s'expliquer facilement, allant d'un simple oubli jusqu'à une machination élaborée d'Ace pour faire accuser Teach en glissant ce livre dans ses affaires.
Le trio de commandants étaient d'accord sur un point, il se passait quelque chose au delà des apparences dans ce drame.
L'instinct de Marco, son analyse rationnelle du comportement d'Ace et son propre cœur était tous d'accord pour croire en l'honnêteté du jeune homme.
Mais c'est pas pour autant que ça n'était pas douloureux de suggérer que Teach ait pu les trahir, même si la pensée flottait en bordure de son inconscience depuis qu'il avait obtenu la version du prisonnier.
Cela faisait remettre douloureusement en cause toutes ses valeurs sur sa famille. Soupçonner un Nakama était auparavant inenvisageable. Une partie de lui espérait toujours une troisième option où personne n'était coupable, tous seulement victime d'un complot bien plus grand qui les dépassaient. Et si quelqu'un avait un pouvoir qui permettait de contrôler Teach à distance ? Ou de créer des illusions ?
Il voulait sincèrement croire en ces possibilités.
Mais Marco n'allait pas risquer la vie de sa famille par entêtement ou aveuglément volontaire.
Il avait reçu l'information que Teach montrait désormais de plus en plus de signes de réveil. Le temps était contre eux pour l'enquête.
Il renvoya Haruta cacher le livre là où il l'avait trouvé pour ne pas laisser de signes de leurs suspicions. Izou retourna à l'infirmerie veiller sur les blessés.
Le phénix, quant à lui regarda sa montre, essayant de réunir son courage. Il était temps d'aller voir Ace, en tant qu'humain cette fois. Et il ne savait pas comment la discussion allait se dérouler.
Cependant, avant, il devait passer par les cuisines et lui obtenir de la nourriture. Pendant la nuit, il avait tergiversé un moment, hésitant à aller directement chercher de quoi manger au plus jeune après avoir entendu qu'il n'était pas assez nourri. Mais il ne voulait pas encore révéler sa forme de phénix, et agir immédiatement aurait soulevé trop de questions.
Il avait attendu le matin pour demander aux cuisiniers de faire un plat au prisonnier.
C'est pourquoi il était désormais sur le pont, une cocotte minute pleine à la main.
Il secoua la tête de dépit en voyant que Haruta l'avait procédé, se trouvant déjà sur la rambarde du nid de pie.
Après l'avoir interpellé et averti de ne pas attirer l'attention de l'équipage sur Ace, Marco le délaissa pour escalader l'échelle de cordes. Ce n'était pas facile avec son fardeau dans une main mais il y parvint malgré tout. Il arriva là haut bien trop tôt, et se maudit silencieusement de ne pas avoir prévu ce qu'il allait dire.
Ace se figea légèrement en le voyant arriver, perdant son air impassible pendant une seconde puis détourna le regard. Marco ne pouvait pas lui en vouloir après leur dernière confrontation. Il prit ses clés et déverrouilla la porte. Ace releva des yeux incertains vers lui à l'ouverture mais ne recula pas.
-J'apporte à manger, expliqua le commandant en posant la cocotte par terre.
Toujours aucun mot prononcé de l'autre côté. La menotte à son pied gauche pendait toujours tristement. Celles autour des poignets d'Ace entravaient ses mouvements, empêchant ses bras d'adopter une posture naturelle. Le drainage de son énergie ainsi triplé devait être très désagréable, même s'ils n'avaient pas voulu prendre de risques après l'attaque violente. Sur un coup de tête, Marco se décida.
-Je vais t'enlever une partie des menottes, ne bouge pas.
Cette fois Ace releva la tête, méfiant, le regardant comme si Marco était un puzzle particulièrement obscur. Mais il ne protesta pas à sa demande, ce qui était encourageant. Ou pas, connaissant son caractère habituellement défiant.
Gardant chacun de ses muscles en tension, il laissa Marco s'agenouiller pour doucement libérer sa cheville. La fraîcheur du granit contre sa main s'infiltra sous sa peau, laissant ramper une vague sensation de malaise et de dégoût alors que sa partie phénix se recroquevillait.
Les bouts de tissus coincés entre sa peau et la pierre de mer tombèrent au sol sans un bruit. Plutôt ingénieux, pensa Marco même s'il avait le sentiment qu'il ne devrait pas approuver ce genre de manigances d'un prisonnier.
Il attrapa aussi la main droite d'Ace et répéta l'opération, ignorant la sensation désagréable avant de reculer. Il prétendit ne pas remarquer l'air émerveillé du plus jeune en sentant la majeure partie de ses forces revenir.
C'était pas seulement physique, Marco savait de première main que plus il y avait de peau en contact avec la pierre de mer, plus cela affectait l'état psychologique. Il ne pouvait guère blâmer le capitaine d'être sur la réserve.
Le phénix se retint de bouger sur ses pieds, mal à l'aise du regard scrutateur de son prisonnier.
-Je vais devoir laisser la dernière menotte, prévint-il malgré la frustration de ne pas pouvoir libérer complètement le jeune homme.
Le laisser toujours bloqué avec la sensation rebutante du granit était difficile maintenant qu'il le pensait innocent. Mais il ne pouvait pas convaincre le reste de l'équipage juste avec ses croyances personnelles. Il avait besoin de preuves pour ne pas provoquer de scission interne à l'équipage.
Son dilemme dû se lire sur son visage car Ace ouvrit la bouche pour la première fois, la posture méfiante.
-Pourquoi ?
Marco pencha la tête sans comprendre, un tic tiré de sa forme d'oiseau. Le logia de feu explicita :
-Je veux dire, pourquoi enlever les menottes ? Pourquoi être... Gentil ?
Ace cracha ce dernier mot comme une insulte. Peut-être que ça en était une pour lui. Avant que le commandant puisse s'expliquer, le jeune homme se redressa avec une étincelle de compréhension et le devança rapidement.
-Me nourrir, retirer les menottes, être sympa... C'est ce truc de dernières faveurs avant de mourir ? C'est aujourd'hui, c'est ça ?
Il avait l'air calme mais après ces derniers jours, Marco commençait à lire l'angoisse latente dans sa tension et l'inflexion de sa voix lorsqu'il essayait de rester impassible. Son opinion sur le jeune avait fait volte-face en si peu de temps. Ce n'était pas un tueur. Juste un jeune homme qui se mordait les lèvres jusqu'au sang devant l'éventualité de sa mort prochaine. Et tout ça était la faute de Marco.
-Est-ce que je peux juste... parler une dernière fois à mon équipage ? demanda finalement Ace d'une petite voix, presque inaudible.
Cela réveilla Marco comme un électrochoc.
-Putain non ! Je veux dire, non tu ne vas pas mourir, c'est... Compliqué yoi.
Il se passa une main dans les cheveux, frustré de son propre manque d'éloquence. Il ne jurait presque jamais d'habitude mais la situation était loin d'être ordinaire. Il ne pouvait pas laisser ça ainsi.
Ace avait reculé d'un pas sous l'incertitude et la confusion, loin de son attitude assurée qu'il affichait jadis. Presque dos contre le mur, il croisa les bras dans une faible tentative de retrouver une contenance.
-Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
Le phénix déglutit. C'était le moment de vérité. Il n'y avait qu'une seule chose à dire, malgré ses doutes, malgré la peur d'envisager la trahison d'un frère.
-J'y ai réfléchi, tu sais ? Tout ce que tu as dit sur cette soirée là. Que Teach...
Il ne termina pas sa phrase. Il ne pouvait pas encore le faire. Les doigts crispés d'Ace laissaient des marques blanches sur ses propres bras même s'il n'avait pas l'air de s'en rendre compte. Il relevait le menton en un défi muet, malgré son léger tremblement.
-Où veux-tu en venir ?
L'azur de ses yeux rencontra l'éclat d'acier de son cadet. L'aveu sortit tout seul.
-Je te crois.
Une émotion très compliquée apparut sur le visage d'Ace et la réponse fut immédiate :
-Ne mens pas. Ne le fais pas.
Son regard avait une étincelle brûlant férocement, le suppliant de ne pas jouer avec lui. De ne pas lui donner d'espoir.
Mais il avait envie de croire en Marco. De lui faire confiance.
C'était pourtant si profondément caché sous des couches de méfiance, de colère... De PEUR, réalisa soudainement Marco.
Pas celle pourtant innée d'être blessé et de mourir, il l'avait prouvé suffisamment de fois par ses actes téméraires. Mais une terreur profonde et instinctive de donner sa confiance pour se retrouver trahi.
À quel point Marco pouvait être passé à côté de ça ? Soudain les mots coulaient de ses lèvres avec une facilité déconcertante.
-Je suis désolé. Désolé de t'avoir accusé à tort sans te laisser t'expliquer, isolé, privé de ta liberté et laissé supposer que tu allais être exécuté. Tu ne mourras pas, je te le promets ; je ne laisserai pas ça arriver yoi. Je ne peux pas te libérer dans l'immédiat mais lorsque tout sera réglé je le ferai.
Le jeune homme eut une inspiration qui semblait presque douloureuse, le fixant comme s'il craignait d'avoir mal entendu. Comme si être cru était plus bouleversant que l'idée de mourir.
Et soudain il sembla sur le point de s'effondrer, sa main s'appuyant et se rétractant contre le mur avec force, à la recherche d'un pilier stable.
Un instant, Marco pensa que le prisonnier allait pleurer. Mais Ace s'adossa simplement au mur et se laissa glisser jusqu'à s'assoir au sol. Ses genoux s'étaient repliés contre sa poitrine, le mains passant et repassant frénétiquement dans ses cheveux pour les laisser dans un état complet de désordre.
Ne sachant comment réagir, le commandant se laissa tomber à genoux à ses côtés, hésitant à le toucher. La brutalité avec laquelle Ace traitait sa chevelure finit par le convaincre. Marco tendit la main, attrapant doucement les poignets du jeune homme pour les extirper de ses mèches.
Il les tint, ignorant la froideur du granite marin et l'agitation du jeune homme. Ce dernier finir par renfermer ses doigts sur la manche de Marco, agrippant mécaniquement le tissus, serrant ses poings sur sa chemise comme si sa vie en dépendait. Le blond se figea, désemparé par la situation inattendue. Ace laissa tomber sa tête sur son propre bras, son agitation précédente se figeant en un instant.
Il n'y eut aucun sanglot ni de larmes, seulement un silence. C'était peut être pire. Même sa respiration était pratiquement inaudible, faisant à peine bouger son torse, contrôlant son souffle avec une régularité maniaque comme si c'était la seule chose l'empêchant de s'effondrer.
Le jeune homme tremblait.
Ce fut ce qui décida le phénix à lever sa main récente avec hésitation pour effleurer les cheveux obscurs du prisonnier, essayant de lisser le désordre comme il l'avait fait sous sa forme d'oiseau.
Ce n'était pas sa spécialité de réconforter d'autres personnes, et il laissait volontiers tout cela à Oyaji ou à d'autres commandants bien plus doués que lui.
-Je sais que c'est pas facile pour toi d'être prisonnier ici. Tu as le droit de nous en vouloir ; tu mérites de vivre. N'accepte pas d'être accusé à tort sans clamer ton innocence.
Les tremblements redoublèrent et Marco pensa un instant avoir dit la mauvaise chose pour provoquer cette réaction mais les mains d'Ace se sont agrippées un peu plus fermement à sa manche. Le plus âgé continua doucement de réorganiser les mèches rebelles dans un vain espoir de l'apaiser.
Il ne s'attendait pas à ce que la conversation se passe ainsi et il ne pouvait pas le lâcher alors qu'il était responsable de cela.
Au bout d'une minute sans bouger, il se demanda si son cadet s'était endormi. Avec sa narcolepsie et les évènements du jour, cela ne l'étonnerait pas.
Un bruit un peu trop fort s'éleva du pont, rompant finalement l'instant. En l'étendant, Ace releva la tête dans un geste un peu trop vif et sa poigne relâcha la manche de Marco comme si elle l'avait brûlé.
Le blond recula légèrement pour lui laisser de l'espace.
Ils se sont toisés une seconde puis Ace détourna son regard, avec une pointe d'embarras. Il porta une main à ses cheveux, cherchant par réflexe son chapeau avant de se souvenir qu'il n'était plus là.
-Tout va bien ? demanda le blond, refusant de laisser un silence gênant s'installer.
-Désolé... Pour t'avoir agrippé, tu sais.
Ace jeta un œil à la manche froissée de son aînée comme s'il essayait de comprendre son propre réflexe, laissant entrevoir une grimace. Marco sourit.
-C'est bon, tu es loin d'être le premier à t'accrocher à cette pauvre chemise.
Il avait largement eu sa part de frères alcoolisés qui s'agrippaient à lui et devenaient alors plus collant qu'une moule sur un rocher. Au moins, cette fois il y avait une bonne raison. Et il ne risquait pas de se faire vomir dessus. Il n'était pas sûr ses arguments convaincraient le jeune homme, alors Marco décida de changer de sujet. Il se releva et fit un geste vers la cocotte délaissée qu'il avait emmené.
-Tu as faim ?
Immédiatement toute l'attention d'Ace se tourna vers la nourriture, un air soudainement étincelant et son trouble presque oublié. Il jeta cependant un bref regard spéculateur vers le commandant avant de rejoindre son repas, la faim le dissuadant de protester.
Ace tomba sur la nourriture comme un aigle s'abattrait sur un innocent petit lapin.
Il était affamé après tout ce temps prisonnier et ne se soucia même pas que Marco reste dans la pièce.
Le jeune homme ne commença à ralentir le rythme qu'après avoir abattu un tiers de son repas. Il fit une légère pause, se sentant nauséeux du soudain remplissage de son estomac après le manque.
Fourchette toujours dans la bouche, son regard se porta vers son aîné qui semblait entre partagé entre amusé et coupable.
Ace ne comprenait pas comment en 24 heures l'opinion du blond pouvait avoir autant changé. Et surtout... "Je te crois" le souvenir de l'aveu du commandant le rendit de nouveau inconfortable. Il n'aurait jamais pensé être cru aussi facilement. Marco plaçait sa confiance en lui, il ne savait toujours pas quoi en penser. Pourquoi croire sa version et la culpabilité de Teach ? Une partie de lui ne pouvait s'empêcher de penser qu'il s'agissait d'un stratagème élaboré pour gagner sa confiance. Mais les yeux bleus de Marco brillaient d'une honnêteté brûlante, et cela avait suffit pour qu'Ace s'effondre après tant de temps à réprimer ses sentiments.
N'y pense pas, se réprimanda-t-il mentalement en sentant ses joues chauffer au souvenir de son propre comportement qui le laissait confus. Où étaient passés toute sa colère et sa verve quand il en avait le plus besoin ?
Il ne savait pas s'il voulait être de nouveau laissé seul ou rester avec Marco. Cependant, il avait été seul trop longtemps même s'il pensait y être habitué avec sa jeunesse, ce n'était clairement pas le cas. Alors la deuxième option l'emporta. De toute façon l'envie de comprendre pourquoi Marco agissait ainsi était trop forte. Mais avant il avait une autre question plus importante qui méritait de le faire poser sa fourchette quelques secondes.
-Est-ce que Thatch se rétablit ? finit-il par demander après une brève hésitation.
Le blond ne semblait pas s'attendre à cette question car il cligna des yeux de surprise avant que quelque chose de doux apparaisse sur son visage. Il devait beaucoup tenir à son frère de tout sauf de sang. Un instant Ace fut envieux de leurs relation avant de se ressaisir. Il avait Luffy, bien qu'ils ne puissent pas toujours veiller l'un sur l'autre. Et les Spades étaient aussi devenus sa famille.
-Ouais. Il est encore dans le coma mais sa vie n'est plus en danger. Il ne montre pas encore de signes de réveil mais selon les infirmiers cela ne devrait pas tarder.
Ace hocha brièvement la tête en se détendant. Il était soulagé que le gentil cuisinier aille bientôt mieux, et pas seulement parce qu'il était la clé pour prouver son innocence. Il commençait enfin à espérer que, peut-être, les choses pourraient s'améliorer.
Il repris une fourchette de nourriture, mâchonnant pensivement.
-Hé Ace, quand tu auras fini, tu pourrais me décrire précisément le déroulé de l'attaque ? Je sais que tu m'as déjà résumé mais chaque détail peut avoir son importance, demanda bien trop doucement Marco.
Immédiatement le jeune capitaine se renfrogna au ton, ses sourcils se fronçant. Le commandant parlait comme si Ace était si fragile qu'il craignait de le briser. Il refusait que sa légère perte de sang froid plus tôt le fasse passer pour un faible. Il était un putain de pirate élevé dans les montagnes par des bandits et qui risquait chaque jour sa vie sur les mers.
-Seulement si tu cesses de marcher sur des œufs quand tu me parles, brava-t-il.
Il ne ferait aucune concession sur ça. Marco rencontra ses yeux déterminés et relâcha un peu cette attitude trop précautionneuse qu'il commençait à adopter autour de son cadet.
-Ce n'était pas mon intention, répondit-il en prenant soin cette fois de garder un ton léger.
Le prisonnier, toujours assis par terre le regarda avec méfiance puis hocha la tête. Alors il commença à décrire son insomnie nocturne et l'envie de prendre l'air. La porte qui s'ouvrait et les deux hommes sortant, le rendant curieux. Et quand il s'est approché pour assister à une scène de trahison.
Il eut un peu de mal à raconter, même si l'événement s'était tant de fois rejoué devant ses yeux depuis des jours. Certains détails restaient gravés dans ses souvenirs, mais devoir décrire à haute voix rendait tout bien trop réel.
Son souffle se bloqua un instant alors qu'il se revivait cette interminable seconde lorsqu'il avait croisé les yeux de Thatch, pleins de douleur et d'incompréhension avant qu'il ne cesses de bouger.
Il n'avait cependant pas beaucoup de souvenirs de la fin de bataille contre Teach. À cet instant il voulait juste le faire souffrir, frapper et surtout protéger le cuisinier. Sa colère et l'instinct du combat avaient pris le dessus, mêlés à l'impuissance de ne pas pouvoir aider Thatch quand un meurtrier menaçait leurs vies.
Marco ne le pressait pas, lui laissant le temps d'organiser ses souvenirs. Le stylo entre ses mains volait sur un carnet, noircissant les pages alors qu'il retranscrivait fidèlement chacun de ses mots.
De temps en temps, il posait quelques questions sur des détails, son trajet et sur un coffret que Thatch avait à ce moment là. Ace se souvenait vaguement de l'avoir vu par terre à un moment, mais sans aucune idée de ce qui se trouvait à l'intérieur. Mais depuis sa conversion avec Izou, il commençait à penser qu'il s'agissait du fameux fruit du démon violet.
Finalement, Ace termina son récit, essoré et la bouche sèche d'avoir autant parlé après les derniers jours de quasi silence. Marco ferma son carnet, marquant là la fin de l'interrogatoire.
-Merci pour ton témoignage.
Le jeune hocha brièvement la tête, surpris par le remerciement. Il termina en deux coups de fourchette les dernières onces de nourriture qu'il avait négligé au fond du récipient, regrettant avec nostalgie de ne pas pouvoir s'enfuir après son repas comme il y était habitué.
Puis il releva la tête pour fixer Marco.
-Est-ce que je serai bientôt libre ? demanda-t-il.
Le commandant se passa une main dans les cheveux, l'air plus las qu'Ace ne l'avait jamais vu.
-Je ferai du plus vite possible, mais pour l'instant les apparences sont contre toi et rien n'incrimine directement Teach. Il est... Il est dans l'équipage depuis des années, un de nos frères les plus anciens. Alors penser qu'il puisse nous trahir...
-Pourtant tu y a cru, toi, releva son cadet d'un ton qu'il espérait neutre.
-J'ai décidé de te croire, oui.
Quelque chose d'agréable s'agita dans l'estomac d'Ace à ces mots et il prétendit que c'était parce qu'il venait d'avoir son premier vrai repas depuis des jours.
Il détourna son regard sur les barreaux, pouvant voir de là une partie de l'équipage qui s'affairait sur le pont. Il ne voyait aucune silhouette familière des Spades ; c'était un peu décevant.
-Pourquoi ? Je ne fais même pas partie des Barbes Blanches. Je ne suis pas l'un des vôtres.
Il y avait dans sa voix plus de curiosité sincère qu'escompté. Un peu frustré, Ace replia ses jambes contre son torse et Marco rit doucement.
-Même si on t'a kidnappé sur notre bateau un peu cavalièrement, on avait sincèrement envie que tu nous rejoignes. Mais je pense qu'après ton emprisonnement à tort, Oyaji te laissera partir comme tu le souhaites.
Y avait-il bien une touche de regret dans sa voix ou Ace y réfléchissait trop ? Marco semblait presque... Déçu à l'idée de son départ. Pourtant après tout ce que l'équipage ennemi lui avaient fait, il était normal qu'il s'en aille.
Il avait été séquestré depuis son combat contre Barbe Blanche, c'était son droit le plus strict. Nerveux sans savoir pourquoi, le logia de feu afficha une mine renfrogné avant de dire.
-Pourquoi l'appelez vous tous comme ça de toute façon ?
-Oyaji ? Parce qu'il nous appelle ses fils, répondit le blond comme si c'était une évidence.
Putain de non-sens. Il se rendit compte au sourire de Marco qu'il avait dit ça à haute voix. Le blond s'appuya contre un mur, et expliqua :
-On vient tous d'horizons différents avec nos propres bagages. Mais sur l'océan, cela ne compte plus ; nous pouvons être qui nous voulons peu importe notre passé. Ce navire nous a recueillis et fourni ce dont nous avions besoin : une famille. Nous sommes tous des enfants des mers, les fiers fils de Barbe Blanche et des frères loyaux jusqu'à la mort.
Il y eut un vague malaise à la dernière phrase qui désormais sonnaient amèrement. Aucun des deux ne le releva.
-J'ai déjà des frères, argumenta Ace sans réussir à y mettre autant de passion qu'habituellement.
Marco hocha la tête, comprenant. Il sentait qu'Ace laissait lentement tomber ses défenses. Il réalisa que pour une fois ni colère ni méfiance n'étaient présents dans la voix du jeune. Pour une fois, le jeune capitaine allait avoir le choix, et peut-être que cela faisait toute la différence. Encore une fois les paroles d'Izou tournaient dans sa tête, lui rappelant que de vouloir forcer la volonté que quelqu'un d'aussi libre n'était que stupidité. Ils auraient simplement dû commencer par proposer une alliance. Gagner peu à peu sa confiance et sa loyauté pour l'intégrer à la famille.
Déterminé à ne pas laisser passer l'opportunité, il reprit doucement :
-Alors ils seront toujours tes frères. Nous rejoindre ne veut pas dire renier le lien fort et spécial qui vous unit. Plusieurs d'entre nous ont encore de la famille biologique qui les aime et qu'ils aiment en retour.
Marco s'arrêta une seconde, hésitant sur ses prochains mots. Mais il ne put les retenir plus longtemps, même s'il avait l'impression d'aller trop loin.
-Même en créant seulement une alliance en tant que capitaine des Spades, tes frères feront également partie de la famille élargie s'il le souhaitent, qu'ils soient des pirates ou non.
Mais au lieu de s'énerver, une lueur calculatrice rarement vue apparut dans les yeux d'Ace.
-Et techniquement ça changerait quoi pour eux ?
Le commandant prit une seconde pour réfléchir, ayant l'impression d'entamer des négociations.
-Nous avons l'équipage le plus puissant du monde avec des alliés sur toutes les mers. S'il demande de l'aide, on peut facilement leur envoyer une escouade.
Pour la première fois un léger intérêt flotta sur le visage d'Ace avant qu'il ne secoue la tête avec une moue déçue.
-Luffy ne voudra pas que j'interfère dans son aventure lorsqu'il prendra la mer.
Il soupira dramatiquement, semblant en fait être très mécontent de ne pas pouvoir remplir son rôle de frère et le protéger envers et contre tous. Il y eut un moment de silence contemplatif.
Le regard de Marco finit par se porter sur le soleil et il grimaça en se rendant compte qu'il devait retourner à ses tâches de commandant. Ils parlaient depuis un long moment déjà dans cette cellule exiguë, mais il était temps de prendre congé.
Il ouvrit la porte, et se retourna pour jeter un dernier regard vers son prisonnier, regrettant de devoir le laisser ainsi.
-Les choses vont bouger bientôt. Teach est proche de sortir du coma et Pops sera très vite de retour. Soit patient, tout va s'améliorer.
Ace à cet instant souhaita ardemment placer sa confiance sur cette promesse tacite. Seule toute une vie à se méfier de chaque personne, après avoir vu la plus sombre noirceur de l'âme humaine, l'en empêcha. De peu. C'était un jeu dangereux d'accorder sa confiance lorsque même Marco pourrait souhaiter sa mort s'il apprennait l'existence du fils de Gol.D Roger.
-Tu ne rattaches pas le reste des menottes avant de partir ? se risqua à demander Ace.
Il n'en avait plus qu'une seule à moitié ouverte qui pendait à son poignet, se balançant dans le vide lorsque son propriétaire leva son bras. Le blond secoua lentement la tête.
-Non, une seule est suffisante. Je te l'enlèverais bien aussi mais ça pourrait éveiller les soupçons de l'équipage. Mais tu peux continuer à mettre tes bouts de couverture ; je prétendrai n'avoir rien vu.
Ace hocha sagement la tête, compréhensif et ses lèvres se sont très légèrement incurvées en un petit sourire. Leurs yeux se sont une fois de plus rencontrés.
-Merci pour tout ce que tu as fait.
Cette fois-ci c'est Marco qui se retrouva troublé par le remerciement. Il n'avait rien fait pour le mériter, pas quand il était responsable de l'enfermement d'Ace.
Il inclina la tête poliment et referma la porte à contrecoeur, se promettant de faire tout son possible pour aider son cadet.
