Les gens naissent et vivent pour mourir. Notre monde fonctionne ainsi. Il doit fonctionner ainsi. C'est la certitude absolue, de la même manière que les fleurs fanent et que le soleil se couche. Inlassablement, ces cycles se répètent, en boucle, et tout ce que nous pouvons faire c'est rire, tomber amoureux, et survivre à nos peines. Nous ne sommes pas sensés pouvoir aller à l'encontre des lois de la nature. Et pourtant, ces derniers jours c'est comme si ce voile d'aberrations m'avait été retiré des yeux pour que je puisse observer le monde tel qu'il est. Un monde traversé par la magie, des êtres qui se transforment en animaux et d'autres qui ne meurent jamais. Je ne sais pas si je suis capable d'y trouver ma place. Voir Lexie et Katherine, comme des reflets de ce que je pourrais être dans une autre vie, cela m'a indubitablement ramené à moi même. Je ne suis pas assez forte, ni capable, ni aventurière pour me lancer dans cette aventure. Toutefois, pourquoi est-ce que l'envie d'en savoir plus me frappe dès que je me réveille ? Pourquoi ai-je cette rage de vivre, de comprendre et de me battre qui commence à naître du plus profond de mes entrailles ?
Ce dimanche matin, l'autre côté du lit est froid lorsque j'y passe ma main. Jared a du sortir pour une ronde, ou il est peut être rentré chez lui. Pour des raisons évidentes, j'avais trop peur de dormir seule hier soir. J'ai la mauvaise impression de régresser. Pour en revenir à Jared, je trouve que Sam lui en demande trop, même s'il s'agit de son meilleur ami. Mon petit ami le regarde toujours avec un grand respect et une admiration sans bornes, en sa qualité d'alpha. Ce serait plus simple, si la meute était composée de plus de trois loups. Selon les garçons, ça ne devrait pas tarder, mais ils désirent autant qu'ils redoutent cette nouvelle qui changera à jamais la vie d'autres jeunes garçons. Comme les leurs ont été ravagées.
Comme d'habitude, j'appelle ma mère trois fois par jour, et elle m'a assuré qu'elle rentrait mercredi. Je ne prends pas la peine de manger et ma matinée se résume à une vaine tentative de faire mes devoirs. Toutes ces histoires me font prendre du retard, et je ne suis pas assez bonne élève pour me le permettre. J'ai toujours fait les choses par ce qu'on me demandait de les faire, selon ce que ma mère, la psychologue ou mes professeurs pouvaient attendre de moi. Sans grande conviction. Il faut que je parvienne à insuffler du sens à mes actions. Assise sur la chaise en bois face à mon bureau, je griffonne mes exercices de mathématiques en ayant l'esprit ailleurs. Comment suis-je sensée me concentrer sur un théorème quand j'ai l'intime conviction d'être menacée par un ancêtre et un certain Niklaus ? La sonnerie de mon téléphone m'arrache à mes sombres pensées. C'est mon père.
- Allô papa ? Je lui demande, incertaine.
Ce mot « papa », il est toujours soigneusement rangé dans une boîte, accompagné d'une ribambelle de souvenirs et de mots que je n'utilise plus. Par ce qu'ils sont trop anciens. Par ce qu'ils sont trop douloureux. Prononcer ces deux syllabes rend mon cœur lourd, car cela me fait réaliser à quel point il me manque. On ne s'est pas parlés depuis des mois. Sa vie à Seattle doit être bien plus trépidante que celle qu'il a laissé derrière lui à la réserve. Je crois qu'il travaille maintenant dans le service marketing d'une grande boîte, un truc du genre.
- Salut ma belle, comment tu vas ? Sa voix me parait si lointaine.
- Je vais bien et toi ? Je lance comme un automatisme, il ne veut pas la vérité.
- Très bien. Ça me fait plaisir de t'entendre. Parles moi de toi.
Au début, j'ignore quoi dire. Je lui assure que ma thérapie se passe pour le mieux, même si ce sujet le met mal à l'aise. J'omet volontairement tout ce qui est attrait à ma mère, pour ne pas créer de conflits. Ils se détestent, tous les deux. La plupart des sujets banales y passent, l'école, la réserve, la météo … Mais je n'arrête pas de parler. Je veux qu'il sache. Qu'il me connaisse. Aimes moi, papa. Comme avant. Avant que Lynn ne soit effacée du tableau et que tu t'effaces à ton tour, de ton plein grès.
- Et je me suis fait de nouveaux amis ! Je m'exclame avec une douce pensée pour Emily, Sam et Paul. Jared est beaucoup plus qu'un ami.
- Génial, il faut que tu profites de ta jeunesse. C'est cliché, je le sais mais tu ne retrouveras jamais ces années d'insouciance. N'écoutes pas trop ta mère, enfin écoutes la, mais fais tes propres erreurs. Tu vois ce que je veux dire. Tu sais, je voudrais vraiment que tu viennes passer Noël à Seattle avec nous.
Nous, c'est lui et sa jeune petite amie. Ces dernières années, ma mère et moi les avons critiqués autant qu'on le pouvait. C'est un réflexe courant j'imagine. Je mordille ma lèvre inférieure, touchée par sa proposition mais aussi inquiète de la réaction de mon autre parent. Puis, j'ai du mal à me projeter si loin, vu ce que j'ai vécue ces derniers jours.
- Ne t'angoisses pas avec ça. Je sais que tu prends toujours le temps de réfléchir à tes décisions, ma gentille fille. Je te demande juste d'y réfléchir. Prononce mon père face à mon silence.
Je sens une forme de déception dans sa voix. Ça l'attriste. Est-ce que j'ai envie d'y aller ? Oui. Est-ce que je veux décevoir ma mère ? Sûrement pas, mais je ne veux pas le décevoir lui non plus. Elle pourrait peut être comprendre.
- Je viendrais. Je finis par répondre, avant de souffler un bon coup.
Ça fait du bien. Mon père me manque et je sens que je lui manque aussi.
*
- Y a quoi là-dedans ? Demande Jared tandis que nous passons dans le couloir.
Cette après-midi, il m'a rejoint et nous avons préparés la maison en prévision du retour de ma mère. Jared a gentiment tondu la pelouse et nous nous sommes chargés ensemble du rangement et du ménage du reste de la maison. Le sujet Katherine semble proscrit, tabou, car quand j'ai tentée d'y faire référence il a habilement changé de sujet. Le beau garçon pointe du doigt une porte dans le couloir, l'air curieux. J'essaie de cacher la gêne qui envahit mon visage.
- Hum … Comment dire c'est … La pièce de Lynn.
- La pièce de Lynn ? Il répète en levant un sourcil.
- Attends, tu vas comprendre. Je lui réponds en sortant de ma poche le trousseau de clés que ma mère m'a confiée avant de partir. Il comporte une fine clé rouillée par le temps, et elle ouvre la fameuse pièce.
C'est un petit espace qui dégage une odeur de renfermé. La fenêtre est fermée et les volets sont clos. Il s'y trouve de nombreux cartons, des photos, et surtout un immense tableau. Si ce n'était pas aussi triste, je le comparerais à un tableau d'enquêteur. Il y a des photos de Lynn, des photos de délinquants sexuels dont les noms sont recensés par la police de Forks, et le tableau est couvert d'information telle que l'horaire de sa disparition, le temps qu'il faisait ce jour là, il y a aussi la page de ma description faite à la police alors que j'étais petite et des photos d'autres enfants disparus dans des circonstances similaires.
- Voilà. Je sais, c'est pathétique. Ma mère range ici tout ce qui concerne Lynn. C'est son ancienne chambre. Au départ, elle passait ses journées enfermée dans cette pièce, à enquêter toute seule en disant que le chérif Swann était un incompétent et que tout le monde était trop égoïste pour l'aider … Puis elle a fermé la pièce et y viens de temps en temps.
- Non, c'est triste. Me contredit Jared, observant les multiples objets et passant ses doigts sur une photo de moi et ma sœur, en bas âge, qui nous tenons la main.
- Moi et mon père n'avions pas le droit d'entrer. La dernière fois que j'ai mis un pied ici, j'avais onze ans et je me suis prise la gifle du siècle.
Le visage de l'adolescent se durcit à l'idée qu'on m'ait frappé, mais il demeure silencieux, jusqu'à ce que l'on sorte de cette pièce angoissante. Je la referme à clé, comme elle doit toujours l'être.
- Je peux avoir une photo de toi ? Il me demande avec un sourire, son bras glissé autour de ma taille.
- Une photo de moi petite ? Je rigole, mon sourire en écho avec le sien.
- Je me contenterais de n'importe quelle photo. Je la mettrais dans mon portefeuille, comme font les vieilles personnes. Tu prends toujours plein de photos du paysage, de nous, mais peu de toi. Je suis pas très doué, mais si tu me laisses faire je te prendrais en photo avec plaisir. Jared s'explique tandis que l'on descend ensemble les escaliers, rendant l'atmosphère plus légère qu'elle ne l'était.
Je crois que c'est sa manière de s'excuser d'avoir voulu ouvrir cette pièce.
*
Tard dans la soirée, nous sommes occupés à nous embrasser face à la télévision. Je serais bien incapable de résumer le film de science fiction qu'on a mis. Le canapé ne m'as jamais semblé un endroit si agréable. Jared se situe au dessus de moi, il souffle qu'il m'aime entre deux baisers, avant de glisser sa main sous mon haut. Les miennes parcourent ses épaules et la sensation de ses doigts sur mon bas ventre est électrisante. Ses lèvres viennent embrasser le creux de mon cou et sa main glisse de plus en plus haut, en direction de ma poitrine. J'ai le cœur qui bat à cent à l'heure, sans me poser de questions. C'est comme être dans une autre dimension. Armée de mon désir, mes bras se resserrent autour de lui et mes jambes viennent entourer sa taille, pour le rapprocher au maximum. Pour le sentir au plus près de mon corps. Face à ses gestes de plus en plus entreprenant, je lâche plusieurs soupirs de plaisir. Cependant, je finis par sentir quelque chose qui me met mal à l'aise. J'ouvre les yeux et sors complètement de l'action. Il a une érection ?
- Hum … Je prononce en mordillant ma lèvre inférieure, en caressant la joue de Jared qui cesse ses gestes, n'osant pas formuler que je voudrais qu'on arrête explicitement.
- T'inquiètes pas. C'est rien. Il se contente de déposer un baiser à mon front et de s'éloigner sur le canapé, avec un rire aussi gêné que le sourire que j'arbore.
Nous remettons nos vêtements en place et je tente de me calmer en allant nous chercher à boire. Il veut plus, je le sais, mais je ne suis pas prête. Comme pour le « Je t'aime », mais ça viendra. Après tout, nous sommes si jeunes. Je reviens dans le salon avec des canettes de soda.
- Tyler travaille à la mairie, non ? Je demande à Jared au sujet de son père, étant donné que ses deux parents ont insisté pour que je les appelle par leurs prénoms respectifs, Tyler et Joyce.
- Ouais, pourquoi ? Il a un travail de bureau. Répond Jared qui semble surpris que j'évoque ses parents, après un moment pareil.
- On pourrait lui demander de nous laisser entrer pour faire des recherches.
- Des recherches ?
- Sur Katherine ! Elle a dit qu'elle avait une histoire avec cette ville. On pourrait fouiller dans les archives, ou je ne sais pas, trouver quelque chose …
- Je vois pas l'interêt. Il souffle, détestant parler d'elle.
- L'interêt c'est de savoir si elle nous a mentis sur tout. Je réplique directement, attrapant les mains de celui que j'aime dans les miennes.
- Mais on sait rien à son sujet. Marmonne celui qui commence déjà à flancher en ma faveur.
- Elle s'appelle Katherine Pierce. C'est déjà ça. Et si on trouve rien, tant pis, j'avais tort. On peut parier si tu veux. Je lui propose en sachant que c'est sa corde sensible.
- Ça marche. Je suis prêt à parier qu'on trouvera rien, et toi tu paris qu'on trouvera quelque chose pour confirmer ce qu'elle dit ?
- Exact. On parie 15 dollars ?
- Très bien. Je veux pas ton argent. Celui qui perd aura un gage. Jared conclut avec un sourire en coin qui me fait rougir.
Je ne suis pas prête à retourner à la vie normale. Je veux en savoir plus, et même si je ne me sens pas capable de me lancer dans cette aventure seule, je ne le suis en fait absolument pas. Nous sommes ensemble.
Cette fois ci le chapitre était un chapitre de transition assez simple, j'espère que la poursuite du récit vous plaira. Que pensez vous de cette histoire de pièce dédiée à Lynn ? Pour moi ça représente réellement le contraste entre les deux parents de Kim, suite à une immense douleur, sa mère n'est jamais passée à autre chose et son père a vite fait de refaire sa vie ailleurs.
