Malheureusement innocenter formellement Ace était plus facile à dire qu'à faire. Comme il s'en doutait, Haruta était déjà allé recueillir le témoignage de gardes, même s'ils n'avaient quasiment rien vu jusqu'à ce qu'Ace utilise son feu pour abattre Teach. Seul Hokuna, un petit homme discret de la division de Marco, affirmait avoir vu le Spade sur le pont près du garde-corps tribord durant la nuit. Cela concordait pour l'instant avec les déclarations de leur prisonnier.

Un autre élément important était le couteau utilisé pour poignarder Thatch. Il faisait partie du set des cuisiniers et se trouvait alors à l'intérieur de la pièce. L'assaillant avait dû entrer dans la cuisine puis sortir à l'extérieur à la suite de Thatch.

La présence d'Ace sur le pont peu avant rendait difficile pour lui de se faufiler. De plus, le jeune capitaine possédait un poignard de très bonne qualité qui n'avait jamais quitté l'étui à sa hanche. Pourquoi alors utiliser un couteau de cuisine pour agresser Thatch ?

Mais il n'y avait que des preuves circonstancielles, ce qui ne suffisait pas pour le relâcher.

Ils devaient attendre d'avoir la version de Teach pour comparer. L'homme s'était réveillé quelques secondes l'après midi, bien qu'il n'était alors qu'à moitié cohérent. Il était toujours parsemé d'hématomes et de brûlures, tête bandée et un bras dans le plâtre. Mais plus le temps passait, moins Marco arrivait à ressentir de la pitié.

Thatch était toujours dans le coma, une balafre qui commençait à peine à cicatriser marquant désormais sa poitrine et son dos.

Revenant de l'infirmerie, il traversait le pont lorsqu'il fut interpellé par Toliomelo de la treizième division, qui le rejoignit rapidement.

-Commandant, est-ce vos clés ? demanda-t-il poliemment en sortant une grosse clé en bronze.

Elle était extrêmement semblable à celle utilisées pour les menottes du prisonnier. Par réflexe, Marco tapota la poche intérieure de sa chemise, et fut rapidement rassurée en sentant le poids toujours dans sa poche. C'est à ce moment là qu'il sentit des yeux sur lui. Pas de Toliomelo, c'était bien plus subtil et éloigné.

Immédiatement, un sursaut de méfiance le fit se redresser. L'impression d'être observé disparut aussitôt. Il se força néanmoins à ne pas afficher son doute, optant pour une expression calme, et récupéra les clés.

-Ce ne sont pas les miennes, mais je les rapporterai à leur place. Où les as-tu trouvées ?

Son coéquipier haussa les épaules, désignant vaguement un point vers sa gauche.

-Kimel-san dit les avoir ramassées près de la timonerie.

Le temps que Marco fasse le lien, son camarade s'était déjà éloigné. Bien. Il s'agissait définitivement d'une autre manigance des Spades. Et ils prévoyaient de jouer aux pickpocket dans un avenir proche, maintenant que Marco les avait gentiment informés dans quelle poche il gardait ses clés. Il allait devoir en changer une fois hors de vue et surtout rester sur ses gardes.

Soupirant de s'être aussi facilement fait avoir, il regagnit sa chambre où ses frères avaient prévu une réunion.

Depuis qu'Izou s'était rendu compte de la véritable trahison, un feu brûlait dans ses yeux, terriblement énervé d'avoir été trompé au point de croire en la culpabilité d'Ace. Ils regroupèrent les éléments de leurs enquêtes, discutèrent et bataillèrent sur divers points. Bien que les preuves ne soient pas suffisantes, Haruta était d'avis à libérer Ace et s'occuper des retombées ensuite. Izou préférait ne pas provoquer plus de troubles dans l'équipage jusqu'au réveil de Thatch, bien que sous la table, il tordait ses doigts de culpabilité de laisser le jeune en prison.

-Un bébé tigre aussi mignon, j'aurais dû comprendre Marco, se lamenta le geisha.

Haruta lui tapota le bras avec sympathie.

-On s'est tous fait avoir par Teach, le rassura patiemment Marco bien qu'il résistait à l'envie de rouler des yeux devant les tendances dramatiques de son ami.

Il arrangea ses notes en un tas parfait, ignorant la façon dont Izou le toisa, ayant parfaitement deviné ses pensées au ton de sa voix. Pas qu'il se sente coupable.

Leur réunion top secrète se retrouva malheureusement interrompue une missive urgente. Leurs autres devoirs de commandant les rattrapaient.

Marco dut se pencher sur problème de coup d'État de l'île d'Atanrka, qui était sous la protection des pirates de Barbe Blanche. Le pays se trouvait à des milliers de miles nautiques, ils ne pouvaient pas intervenir directement à temps.

Comme toujours dans ces situations, l'aide d'Haruta fut extrêmement précieuse. Sa division spécialisée dans les renseignements avait une partie entière consacrée à la localisation des équipages alliés. Et avec l'aide du département de cartographie, ils purent rapidement en contacter un assez proche pour intervenir et ramener l'ordre en empêchant une dictature de se remettre en place.

Avant qu'il ne puisse se détendre après ce travail effectué, un nouveau rapport arriva sur son bureau, détaillant une altercation entre une division mineure de Big Mom et de Kaido sur une histoire de frontière non respectée et d'attaque accidentelle. Bien que cela ne concernait pas directement les Barbes Blanches, ils allaient devoir garder ce développement à l'oeil, de crainte que cela ne crée une escalade de violences et de représailles entre les deux empereurs.

Marco soupira. Certains jours il détestait vraiment la politique. Il laissait volontiers cette partie là à Oyaji.

Heureusement, le vieil homme les avait contactés pour annoncer son retour dès le lendemain. Enfin une excellente nouvelle qui allégeait considérable l'humeur (et les responsabilités, ainsi que l'emploi du temps) de Marco.

Surtout que maintenant, il souhaitait consacrer son temps au problème d'Ace. C'était un sujet qu'il n'avait pas encore pu aborder par escargophone avec Pops. Ce dernier sera si bouleversé en apprenant la trahison de Teach.


Pendant ce temps là, Ace était un peu plus heureux du haut de son perchoir. Savoir que Marco se plaçait de son côté, qu'il n'était plus seul et destiné à mourir avait allumé une étincelle irrépressible d'espoir. Bien qu'il s'ennuyait toujours, enfermé dans sa prison sans distraction. Couché sur le parquet, il se laissa aller à regarder les nuages dans le ciel, essayant de prévoir la météo pour les prochaines heures.

Il perdit vite tout intérêt, préférant rêvasser de son petit frère qui était sûrement proche de prendre la mer. Combien de temps lui faudrait-il pour devenir un pirate de renom ? Ace ricana. Il imaginait sans mal que Luffy, avec son goût légendaire pour les ennuis, allait secouer terres et mers lors de son périple. Oh qu'il avait hâte. Et un peu peur, s'il osait se l'avouer. L'enfant n'avait pas la moindre once de réflexion avant de se jeter dans une bagarre pour aider un de ses amis, même (surtout) contre des adversaires beaucoup plus puissants que lui.

Ace lui rendra absolument visite une fois ou deux, histoire de le garder à l'œil et s'assurer qu'il ne fasse rien stupide. Du moins, pas trop.

Mais le jeune homme se rappela alors qu'être prisonnier entravaient un peu ses projets.

Avant qu'il ne puisse recommencer à se morfondre sur son sort, un éclat de soleil flasha sur le plafond de sa prison de fortune. Au début, il n'y prêta que peu d'attention, jusqu'à ce que la lumière commence à clignoter.

Ace se redressa et jeta un regard autour de lui, interloqué de ce qui pouvait refléter ainsi la lumière. Il ne mit qu'une poignée de secondes à comprendre que cela suivait un rythme précis. Long, court, long, court. Une légère pause puis deux longs, un court et un long. Ensuite une pause avant que le même schéma ne recommence.

La mémoire de l'habitude permît à Ace d'en saisir la signification presque instantanément. Il devrait remercier Mihar de leur avoir martelé les codes dans le cerveau jusqu'à ce que tous les retiennent. L'appel CQ montrait que quelqu'un (un des Spades, devina-t-il) essayait de le contacter.

Ace se leva vite, se rapprochant de la fenêtre d'où venait le rayon lumineux.

Immédiatement, il repéra trois de ses camarades très suspects. Mihar, de dos, passait sa main devant un petit miroir pour lui renvoyer des éclat de soleil. Voir son nakama à l'extérieur était un signe suffisant que quelques choses de louche se tramait. Sa queue de pie rouge vif encore plus inhabituelle confirmait l'impression et le fit froncer les sourcils.

Dès qu'Ace fut remarqué par Pinnacle et Kukai se trouvant en face, ils commencèrent à chuchoter entre eux avant de faire un petit signe à Kotatsu.

Immédiatement, le lynx démarra en trombe comme s'il était possédé. Il courut à l'opposé sur le pont avant de faire ses griffes sur l'un des mâts dans une destruction joyeuse, sous les regards effarés des Barbes Blanches. Certains assez courageux essayèrent de s'approcher du félin qui s'enfuit hors de leur portée. Cela ressemblait sacrément à une diversion.

Alors le code CQ s'arrêta. Le clignotement changea alors pour transmettre la lettre B.

Et rien de plus. Ace fronça les sourcils, se demandant ce que ses amis essayaient de lui dire. Le B flasha de nouveau, insistant.

Son regard s'attarda alors sur la veste écarlate de Mihar. Et il réalisa. Bien sûr, le code des pavillons.

Si avec ne se trompait pas, le B signifiait "Je charge, décharge ou transporte des marchandises dangereuses."

Puis le paterne changa pour un J, suivi du ··-·· qui marquait un point d'interrogation.

Une autre lettre pour un danger impliquant un incendie à bord et des marchandises dangereuses.

Donc les connaissant, ils prévoyaient d'utiliser des explosifs sur le Moby Dick. Bien. C'était extrêmement problématique. Surtout compte tenu de son nouvel arrangement avec Macro.

Le point d'interrogation clignota de nouveau, lui demandant la permission.

S'assurant d'être vu, Ace croisa ses bras pour former un X dans les airs. Le signe pour "Arrêtez vos manœuvres et veillez mes signaux". Avant de reculer d'un pas pour marquer la fin de l'échange bien que restant en vue.

Ses camarades chuchotèrent de nouveau entre eux.

Il jura sentir de la déception du trio dans les pulsations de lumière qui lui répondirent un "bien reçu" et de mettre également un termes à la communication.

Il espérait qu'ils n'allait pas mal interpréter et penser qu'il fallait exploser le navire.

Cependant, voir son équipage se démener pour le contacter et le sauver ainsi lui faisait chaud au cœur. Il rit doucement de leurs efforts pour lui venir en aide. Ils ne l'avaient pas abandonné, et croyaient en lui.

Même s'il pensait qu'il ne le méritait pas, ils lui avaient tous offert leur fidélité absolue, quitte à défier l'équipage d'un des empereurs des mers. Sans même penser aux conséquences pour leur vies d'énerver Barbe Blanche en libérant un prisonnier et présumé traître notoire.

En contrebas, l'équipage ennemi commençait à bouger, essayant de coincer Kotetsu. Le trio de Spades rejoignit immédiatement le félin, s'excusant en son nom envers les Barbes Blanches au vu de leurs inclinaisons.

Deuce qui traînait un peu à l'écart, surveillant le déroulé du plan, se retourna à temps pour voir Ace les observer. Il souffla discrètement un baiser dans sa direction avec probablement un clin d'œil que la distance empêchait de distinguer.

Savoir qu'ils pensaient à lui était suffisant pour lui donner un regain d'énergie. Même si Marco trahissait sa parole et ne parvenait pas à le faire sortir de prison, ses amis étaient là, quoi qu'il leur en coûte. Il espérait néanmoins qu'ils ne s'attireraient pas trop d'ennuis pour leurs cascades téméraires.

Le jeune capitaine resta dans un silence apaisant, les yeux rivés sur le pont, regardant les pérégrinations des pirates devenue si familières depuis ces semaines sur le bateau.


Sa journée avait été très mouvementé, Ace ne s'attendait pas à une nouvelle visite à son nid de pie de la journée. C'est pourquoi, à la tombée de la nuit, Ace fut très surpris de voir une ombre se hisser jusqu'à sa prison. Malgré sa menotte restante, le jeune homme était alors en train de pratiquer quelques uns de ses mouvements de combats pour ne pas rouiller. Il subissait l'inactivité depuis suffisamment longtemps et voulait désormais reprendre sa routine d'entraînement.

Il se crispa, relâchant sa position de combat en entendant le léger grincement de l'échelle de corde, se demandant qui pouvait bien rendre visite à cette heure tardive. Marco ? Haruta ? Un garde ? Peut-être même Deuce ou un des Spades qui aurait échappé à la surveillance intensive ?

Son visiteur impromptu apparût alors sous la forme d'un commandant bien connu. Un éclair de surprise flasha dans les yeux du prisonnier en reconnaissant Izou, toujours vêtu de son éternel kimono, se rapprocher et déverrouiller la porte. Ace se raidit, ne sachant pas ce que l'autre lui voulait, surtout après leur dernière confrontation.

Leurs yeux se sont rencontrés, le commandant semblant étrangement nerveux. Un adjectif qu'Ace ne lui aurait jamais attribué jusqu'ici. Mais avant que le plus jeune puisse dire quoi que ce soit, le geisha prit une grande inspiration et s'inclina profondément.

-Je suis sincèrement désolé, j'ai manqué à mon honneur de samouraï et laissé l'émotion obscurcir mon jugement. Merci d'avoir protégé et sauvé Thatch.

-S'il-te-plaît relève-toi Izou, le supplia Ace en sentant ses joues rougir d'embarras.

Il ne s'attendait pas à des excuses formelles. Surtout qu'Izou semblait extrêmement sérieux, le regard droit et franc alors qu'il se redressait. Le prisonnier se racla la gorge, gêné.

-Tu n'as pas à faire ça, c'est normal d'avoir douté vu la situation...

...c'était parfaitement logique de le croire coupable, finit-il silencieusement. Il ne pouvait pas en vouloir à l'équipage, il comprenait. Izou posa délicatement sa main sur son épaule, le regardant avec un air doux mais intransigeant.

-J'aurais au moins dû écouter ta version quand tu as essayé de t'expliquer. C'était injuste pour toi.

-Je suis un quasi-étranger, et puis vous m'avez vu attaquer Teach qui est là depuis des années, argumenta Ace sans savoir pourquoi il se faisait l'avocat du diable.

Il ne voulait plus voir la culpabilité sur le visage d'Izou. Ni voir tout ces commandants s'excuser comme si sa vie avait de l'importance à leurs yeux. Ils ne faisaient pas partie du même équipage ! Cela faisait s'agiter quelque chose de cru et bouillonnant dans la poitrine d'Ace et il craignait cela autant qu'il le désirait.

-On a passé notre temps à te demander de devenir l'un de nos frères mais on ne t'a pas traité comme tel. Et c'était aussi une mauvaise idée de te retenir sur le Moby contre ton gré.

Ace ne pouvait nier cette dernière phrase sans mentir. Cependant, il était toujours inconfortable devant les excuses d'Izou. À vrai dire, il en avait si rarement entendu qu'il se sentait surchargé après en avoir entendu deux en une seule journée.

-Tu n'y es pour rien. Mais... Je suis content d'avoir pu être là pour aider Thatch, avoua un peu maladroitement Ace en espérant que l'obscurité tombante cache son trouble.

Mais il ne pouvait pas complétement le masquer du ton de sa voix. Il se mordilla les lèvres et regarda par la fenêtre, cherchant une contenance dans la pudique noirceur de fin de soirée. Izou n'insista pas, comprennant l'implicite derrière sa déclaration. Il lissa son kimono, regardant lui aussi les ténèbres à travers l'ouverture comme s'il espérait y trouver des réponses. Le son de leurs respiration semblait presque trop fort dans le calme du nid de pie. Même le vent avait cessé de souffler. Alors le commandant repris la parole, se confiant dans un murmure.

-Thatch a toujours été apprécié et respecté par tout l'équipage. Il fait de son mieux pour nous nourrir et donner le sourire à tout le monde en étant tellement... lui même que personne ne pouvait le détester, malgré son humour désastreux. Du moins je le pensais.

-Jusqu'à la trahison de Teach, supposa amèrement Ace d'un ton qui n'avait rien d'une question.

Izou hocha la tête, confirmant ses mots.

-Pour nous ce qu'il a fait ce soir là, c'est incompréhensible. Peut-être qu'il a une raison. Je voudrais tellement croire que quelqu'un l'a forcé à commettre ce crime. Quelqu'un avec un pouvoir de manipulation mentale, ou qui lui a fait du chantage et menacé sa famille, plutôt que tuer un frère pour un stupide fruit.

Les paroles du commandant sonnaient un peu creuses. Même Izou ne parvenait pas à croire ces possibilités, ses épaules se tendant subtilement dans une posture vaincue. Le jeune capitaine le savait, il n'avait vu aucune trace de regrets dans le regard de Teach ce soir là. Seulement ce visage avide, avant que la surprise puis la peur ne déforment l'expression à l'attaque d'Ace. Mais il ne pouvait se résoudre à écraser les dernières bribes d'espoir du commandant.

-Peut-être, en effet, répondit poliment Ace du bout des lèvres.

Le geisha troubla le silence d'un rire délicat sonnant un peu tristement.

-Tu es un très mauvais menteur, j'espère que tu le sais.

Izou avait l'air amusé et ne semblait pas lui en vouloir mais Ace baissa les yeux, rougissant légèrement d'avoir été aussi facilement lu. Il hésita à s'excuser mais un éclat de lumière les fit se taire lorsqu'une lanterne s'alluma sur le pont. Probablement un des gardes faisant une ronde nocturne. La sécurité se renforçait depuis son incarnation, à la fois pour surveiller ses mouvements suspect mais aussi prévenir une rébellion des Spades. Ils regardèrent le point lumineux se déplacer, bas en dessous d'eux.

-Je devrais peut-être y aller, finit par dire Izou à regret. Marco veut rester discret sur ta... Situation. Mais je t'assure qu'on fera de notre mieux pour vite te faire sortir.

Une fois que l'éclat de la lanterne disparut vers la poupe, Izou fit un geste d'adieu à Ace en fermant la porte. Et il s'évanouit dans la nuit avec le léger grincement de l'échelle de corde comme seule preuve de sa présence.


Cette nuit là, Ace dormit comme une souche, se rappelant seulement d'un éclat de feu bleu entre deux rêves. Ou alors la visite de l'oiseau brûlant n'avait été qu'un autre produit de son imagination ? Il ne parvenait pas à le dire. Il se réveilla à l'aube, étonnamment en forme pour l'heure.

Le soleil se levait paisiblement au dessus de l'horizon, colorant déjà les fins nuages de lueurs pastelles roses et violettes qui se reflétaient sur l'eau comme dans un miroir. Aucun vent ne soufflait sur cette mer d'huile, si bien qu'Ace craignit un instant qu'ils n'aient dérivé jusqu'à Calm Belt. Mais ils en étaient loin d'après les dernières cartes de navigation, alors il s'autorisa à se prélasser sur son matelas.

Depuis la visite de Marco puis d'Izou, il se sentait beaucoup plus léger. Les deux commandants avaient décidé de parier sur son innocence. Soudain, sa vie ne semblait plus sur le point de se finir brutalement. À quel point pouvait-il leur faire confiance lorsqu'ils promettaient de l'aider ? Ils ne semblaient pas être du genre à trahir leur parole... Du moins tant qu'ils ignoraient qu'Ace était le fils de l'ennemi juré de Barbe Blanche. Continuer d'être sur le Moby Dick en gardant ce secret sur la conscience le rendait mal à l'aise, lui donnant l'impression de commettre un sacrilège.

Mais de la prison où il était enfermé, il ne pouvait rien y faire de toute façon, alors mieux valait-il ne pas trop y penser. Ace ferma les yeux, secouant la tête pour oublier ces stupides problèmes.

Ils s'étaient enfin assez éloignés de l'île hivernale pour que la chaleur revienne lentement, même si la température restait fraîche après la nuit. Il espérait que dans quelques heures, les premiers rayons de soleil auraient suffisant réchauffé l'atmosphère pour se passer de sa plus épaisse couverture.

Se sentant paisible et un peu léthargique, il ne sauta pas immédiatement à son entraînement physique. Il se leva seulement pour marcher jusqu'à une des ouvertures toujours barricadée et inspirer l'air vivifiant.

Sa contemplation se perdit paresseusement sur l'étendue d'eau parfaitement lisse, si bien qu'il pensait apercevoir les ombres des seigneurs des mers danser dans les profondeurs marines. Heureusement, ils étaient rarement hostiles envers le gigantesque bateau, sentant qu'il ne s'agissait pas d'une proie intéressante. Tout irait bien tant qu'ils restaient loin des sites de nidification, ne représentant pas une menace pour leurs progéniture. Perdu dans ses pensées pleines de monstres marins aux crocs effilés, un mouvement à sa périphérie manque de peu de le faire sursauter. Il se tourna et sourit largement en reconnaissant le plumage flamboyant devenu familier.

-Birdy !

Immédiatement, l'oiseau décrocha du ciel comme une étoile filante, piquant dans sa direction. Il atterrit sur la rambarde beaucoup trop gracieusement pour sa taille, le toisant d'un air qu'Ace interpréta comme suffisant.

-Tu aimes parader et être admiré, n'est ce pas ? devina Ace, moqueur.

Le volatile gonfla le torse et ébouriffa son plumage avec arrogance, faisant encore plus ricaner l'humain.

Il y eut une seconde où une étincelle de calcul malicieux brilla dans les yeux de l'animal puis d'un coup le feu bleu s'intensifia et ondula étrangement, les ailes s'affinant et la forme se tordant pour devenir étrangement familière. Et en une seconde l'oiseau qui était auparavant là laissait place à...

-Marco ? s'écria Ace choqué en reconnaissant le commandant.

Il trébucha sur un pan de couverture qui trainait par terre et faillit tomber. Sa main se referma à temps sur un barreau de sa prison pour éviter de s'embarrasser à embrasser le sol. Bien sûr, son aîné ne manqua pas une miette de la scène, un sourire jouant sur les lèvres qui étaient autrefois un bec.

-Salut Ace yoi.

-Comment... ? C'était toi depuis le DÉBUT ?

Le ton d'Ace claqua avec indignation alors qu'il pointait un doigt accusateur vers le maudit blond qui avait osé le tromper en l'approchant sournoisement à son insu.

Et ce dernier n'avait même pas la courtoisie d'afficher une mine désolée, semblant au contraire très content de son effet.

-Je ne porte pas le nom "Marco Phénix" pour rien après tout.

Cela n'impressionna pas le plus jeune qui le fixa avec énervement avant de se couvrir le visage de ses mains.

-Je pensais que c'était parce que tu es tenace à survivre ou parce que l'oiseau t'appartenait, quelque chose comme ça...

-Et bien, en effet, je suis presque immortel grâce à ma forme zoan, confirma le commandant avec un sourire moqueur.

-Ugh quand je penses que je t'ai laissé...

Ace se tut brutalement en se remémorant ses moments les moins glorieux lorsqu'il avait chanté ou quand il s'était effondré en larmes sur l'oiseau. Sur Marco. Il sentit son visage chauffer.

-Pourquoi dévoiler ton pouvoir maintenant ? finit-il par demander autant pour écarter le souvenir embarrassant que par réelle curiosité.

-Parce que tu mérites de savoir, surtout que tu as l'air de t'être attaché à ma forme d'oiseau.

-Je ne l'ait pas fait, réfuta Ace en croisant les bras avec un froncement de sourcil.

Marco lui sourit, les yeux pétillants de malice alors qu'il s'appuyait au garde-corps.

-Tu mens très mal, navré de te l'apprendre.

Comme il n'était plus un enfant, il résista à l'envie puérile de lui tirer la langue, préférant se renfrogner. L'accusation le vexait, il n'était pas si mauvais menteur que ça !

-T'es le deuxième à me le dire aujourd'hui. Mais mon frère est bien pire que moi !

Alors qu'il se retrouvait d'une manière ou d'une autre à digresser à un Marco attentif sur à quel point Luffy ne pouvait même pas mentir pour sauver sa vie au travers de quelques anecdotes d'enfance, un goéland les interrompit.

Il se posa à côté d'eux, tenant un paquet très suspect entre ses pattes palmées. Marco se posa une main sur le visage comme s'il réprimait un mal de tête.

-J'ai comme l'intuition que ton équipage est responsable de ça.

Ace rit de son malheur.

Le commandant fut bien évidemment obligé d'intercepter le colis qui contenait un burin et un marteau probablement destinés à prévoir une évasion. Honnêtement, il y avait une chance que le prisonnier puisse faire sauter ses menottes avec ces outils.

-Les Spades te donnent du fil à retordre ? se moqua Ace en le regardant ranger les outils dans sa poche.

Le soupir exaspéré qu'il reçut était une réponse suffisamment claire.

-Il ont essayé de dérober mon escargophone à courte portée, et sabotent discrètement tout ce qui leur tombe sous la main. C'est facilement réparable mais certainement irritant, surtout que personne n'a réussi à les prendre sur le fait.

-Ils sont vraiment bons pour ça, ne put s'empêcher de dire affectueusement Ace.

Deuce, Skull et Mihar étaient très certainement les cerveaux derrière la majorité de ces plans. Et les autres devaient être très heureux de coopérer. Peut-être qu'Ace devrait leur dire de se calmer un peu, avant que Marco ne les jette tous dans l'océan sans remords.

À ce moment là, le guetteur posté au sommet du mât d'artimon siffla trois coups brefs. C'était leur signal pour "navire en vue". Les rares pirates déjà sur le pont regardèrent le sentinelle qui, après un bref coup d'œil dans son longue vue, cria que Barbe Blanche était de retour.

Ace regarda avec fascination les épaules de Marco perdre la crispation qui le suivait depuis des jours, soulagé de rendre le commandement du bateau à son propriétaire d'origine.

-Je vais devoir te laisser gamin, le devoir m'appelle !

Ace prétendit protester au surnom. Mais il ne put y mettre du cœur en voyant le sourire brillant de Marco alors que son corps de couvrait d'un plumage de flammes bleues.

En une seconde, il avait décollé, déjà haut dans les airs. Un peu amusé, le prisonnier le regarda filer comme un feu follet, brisant le calme du ciel d'un cri tapageur vibrant. Un instant les flammes ont pris vie pour jaillir de la pointe de ses ailes dans une traînée flamboyante, probablement non nécessaire mais qui soulignait superbement le spectacle. Il fut certain de croiser un instant le regard suffisant du phénix et fit de son mieux pour ne pas montrer son émerveillement.

Une fois qu'il termina de parader, Marco prit encore de la hauteur avant de s'élancer à toute vitesse vers le navire approchant, impatient de retrouver le reste de son équipage. Ace fit un peu la moue en l'admirant s'éloigner, mais il serait hypocrite de lui reprocher cela.


C'était un temps parfait pour voler. Le ciel superbement dégagé laissait passer les premiers rayons de soleil, sans aucune brise pour pousser Marco hors de sa trajectoire.

Le souffle chaud créé par ses ailes le portait toujours plus vite, troublant le silence en sifflant dans son sillage.

Il permit à ses flammes de brûler plus intensément, aimant la façon dont elles se reflétaient dans l'océan en dessous de lui comme dans un miroir. Il était conscient qu'Ace ne parvenait pas à le lâcher du regard et ne put s'empêcher de le taquiner en lui offrant un spectacle inoubliable.

Mais il n'oubliait pas son objectif premier : retrouver Oyaji. Après un dernier éclat d'étincelles, il monta en spirale dans les airs. Cela ne prit qu'en poignée de minutes avant qu'il n'atterrisse sur le pont du Mini Moby. Là aussi, la majeure partie de l'équipage dormait, même si quelques irréductibles matinaux s'affairaient déjà sur le pont, le saluant joyeusement en le voyant arriver.

Pops était déjà sur le pont, l'ayant vu approcher de loin. Il avait essayé de cacher sa gigantesque choppe de saké derrière une caisse, ce qui lui valut un regard exaspéré du commandant de la première division quand il atterrit, se retranformant dans la foulée.

-Il n'est même pas encore huit heure ! fit-il remarquer au géant.

Pas qu'il s'attendait à ce que ses paroles aient le moindre impact. Ne pas savoir trouver les mots, les arguments ou les raisons pour le convaincre d'arrêter lui pinçait toujours le cœur. Il voyait chaque jour son Père se détruire à petit feu, impuissant à l'arrêter. Cela lui laissait toujours un goût amer de regrets.

-Gurararara content de te revoir aussi énergique mon fils ! rit Pops en éludant complètement la réprimande.

Marco souffla par le nez et laissa tomber le sujet. Il avait d'autres choses à discuter.

-Oyaji, pouvons-nous parler en privé ?

Il essaya de garder un ton neutre pour ne pas inquiéter les quelques membres de l'équipage assez matinaux pour être de sortie.

Le capitaine dut en être conscient car il le dévisagea calmement avant de hocher la tête. Ils se retrouvèrent rapidement tout les deux dans une pièce privée.

-Alors, comment s'est passé ce voyage à Lokill Town ? demanda Marco.

-D'après le spécialiste, la maladie continue de se développer malgré le traitement, il essaie d'améliorer le remède mais je ne suis plus de la toute première jeunesse. Cependant, il me reste encore de belles années à vivre parmi mes fils !

-Et il a conseillé de réduire la quantité d'alcool ? supposa le commandant en haussant un sourcil.

Son Père secoua avec insouciance sa grosse main en l'air, comme si cela n'avait pas d'importance. Comme s'il ne bradait pas ses années restantes pour quelques litres de saké. Puis, il tourna de nouveau son regard scrutateur toujours si perspicace vers Marco.

-Cependant, je suppose que tu n'es pas venu jusqu'ici seulement pour parler des problèmes de santé de ton vieux père. Qu'est ce qui te tracasse ?

Il n'en fallut pas plus à Marco pour commencer à parler. Bien sûr, Oyaji était tenu au courant du quasi meurtre de Thatch, et recevait régulièrement des rapports sur l'amélioration de la santé des blessés. Mais il n'avait que la version officielle.

Alors Marco parla d'Ace, de ses doute de plus en plus grand. L'enquête menée avec Haruta et Izou sans preuves formelles mais où les comportements suspects s'accumulaient. Et les rencontres en tant que phénix où il avait gagné le confiance d'Ace jusqu'à avoir la certitude de son innocence. Au fur et à mesure du récit il se sentait plus léger, se délestant de tous ses soucis sur la seule figure parentale de sa vie.

Oyaji écouta en silence, le visage insondable mais le commandant le connaissait suffisamment pour savoir au frémissement occasionnel de sa moustache et l'assombrissement de ses yeux que cette tournure inattendue des choses le bouleversait.

Marco termina son récit sur la deuxième courte phase de réveil de Marchal D. Teach à l'aube, où il avait balbutié quelques mots à propos de feu avant de se calmer et se rendormir. Il se tut finalement, presque à bout de souffle et la langue sèche d'avoir autant parlé.

Le géant finit par poser sa main sur l'épaule du blond.

-Tu as dû faire face à beaucoup d'épreuves, et je sais que tu as fait au mieux. Merci d'avoir pris soin de l'équipage pendant mon absence.

La fierté gonfla le cœur de Marco comme à chaque fois que son Père lui faisant un compliment. Ces quelques mots avaient suffi à balayer des jours d'incertitudes et de doutes.

-Que pouvons-nous faire alors ? demanda-t-il enfin.

Pops soupira péniblement, ce qui n'augurait rien de bon. Marco savait qu'il ne pouvait pas sortir de solution miracle de sa moustache mais ne put s'empêcher de sentir une pointe de déception.

-Vu la situation de l'équipage et le manque de preuve, je ne peux pas faire innocenter Ace sur la base de ta seule conviction, même si j'ai foi en ton jugement. Teach est assez apprécié, ça provoquerait des déchirements dans l'équipage.

-Alors on ne peut rien faire pour sortir Ace d'ici ? On doit le garder prisonnier ? questionna calmement le blond.

Son ton ne réussit pas à masquer le sentiment d'injustice qui brûlait dans sa poitrine. Il avait vu le désespoir du jeune homme, accusé à tort et son pouvoir piégé par la pierre de mer. En tant que commandant il était censé protéger ses frères, et quoi qu'il en dise et quelque soit sa décision finale, Ace avait sa place dans l'équipage.

Il était prêt à aider le jeune homme à s'évader avec les Spades si cela continuait ainsi sans solutions.

Sa détermination dut se voir dans ses yeux car le géant sourit, un air malicieux gagnant son visage alors qu'il se grattait pensivement le menton.

Cela lui rappela avec nostalgie cette époque lointaine où Pops affichait cette exacte même expression, après avoir une énième fois entourloupé son rival Gol D. Roger.

-Eh bien, même si on ne peut le libérer, je suppose qu'on peut trouver un moyen d'améliorer un peu les choses...

Marco le pressa de révéler son plan, mais son Père se contenta de sourire mystérieusement et refusa d'en dire plus. Le commandant eut un instant l'effroyable impression que, d'une manière où d'une autre, il allait subir cette idée de plein fouet. Mais il se résigna à son sort.

Oyaji finit par le chasser, lui demandant de se rendre sur le Moby Dick et prévenir l'équipage du retour proche de leur capitaine.

Peut-être alors que tout allait vraiment s'arranger.


NDA : Salut ! Merci d'avoir lu cette histoire jusqu'ici, j'espère que les aventures d'Ace vous plaisent ! Ce chapitre a demandé pas mal de recherches surtout pour les plans des Spades

Si vous êtes curieux, je vous laisse les sources pour les références au code morse et les significations des pavillons utilisées dans ce chapitre. (En espérant que les liens fonctionnent)

en. wiki/CQ_(call)

article/27640/pavillons-signification-mer