Le retour "proche" de Barbe Blanche signifiait attendre un long moment que les deux navires se rejoignent, bien qu'Ace n'avait pas de montre pour en juger.
Entre la réapparition de Marco revenu à tire-d'aile et l'arrivée du capitaine, le soleil avait continué sa course pour trôner fièrement dans l'azur profond, ayant effacé les dernières pâles teintes de l'aube.
Le phénix l'avait rapidement prévenu que Barbe Blanche lui parlerait bientôt, ce qui le mettait un peu sur les nerfs. Qui sait ce que le capitaine voulait faire de lui ? Marco lui assura cependant qu'il avait déjà expliqué la situation et qu'ils feraient de leur mieux pour l'aider. Pas qu'Ace l'ait cru sur parole, bien sûr, il attendait de voir les résultats avant de se permettre d'offrir sa confiance. À vrai dire, par delà l'inquiétude, il gardait rancune contre le géant qui l'avait privé de sa précieuse liberté en le gardant sur le bateau contre son gré depuis des semaines.
Du haut de sa prison, il regarda tout le monde s'affairer en contrebas.
Les deux bateaux finirent par se rencontrer dans une effervescence joyeuse, tous ravis de revoir leurs camarades. Les Spades qui se tenaient en retraite en profitèrent pour faire une nouvelle tentative -très peu subtile il devait se l'avouer- de lancer un escargophone à Ace. Malheureusement le projectile fut intercepté en plein vol par un membre aléatoire de l'équipage ennemi qui alla immédiatement signaler l'incident à d'un des commandants proches.
L'effusion des retrouvailles commença enfin à se calmer, et Barbe Blanche, réparable de loin, finit par rentrer à l'intérieur du bateau. Il supposa qu'il allait voir les blessés de l'infirmerie. Ace haussa les épaules et se détourna pour retourner s'assoir sur son lit de fortune. Son emprisonnement était aussi ennuyeux que possible, avec quasiment rien d'autre à faire que de contempler l'horizon et faire les cent pas. Lors de ses divagations dans la cellule improvisée, il avait même accidentellement trouvé une cachette d'alcool sous une lame de parquet branlante, probablement laissée là par un des guetteurs peu scrupuleux pour occuper les longues nuits de garde. Cependant, Ace n'en était pas au point à se laisser aller à boire seul en plein milieu de la journée. Encore moins maintenant qu'il était enfermé et préférerait garder toute sa lucidité.
Mais il se fit la note mentale d'informer Marco de la planque, ne serait-ce qu'en tant que vengeance pour tout les regards haineux qu'il recevait depuis son enfermement.
Peut-être qu'en échange, il pourrait récupérer son matériel de cartographie qui avait disparu de sous son matelas...
Alors qu'il cherchait vaguement une distraction, un hybride mi-Marco mi-oiseau se posa près de sa porte, retrouvant une forme pleinement humaine lorsqu'il s'avança. Ace s'empêcha à grande peine d'admirer ouvertement la transformation flamboyante. Il opta pour une mine légèrement renfrognée comme si l'arrivée n'était pas une distraction bienvenue.
-Déjà de retour ?
Marco lui sourit, peu dérangé par le ton. Au contraire il semblait heureux de voir Ace un peu plus vif que lors des derniers jours d'enfermement. Il fit tourner une clé autour de son doigt avec nonchalance :
-Oyaji souhaite te voir yoi.
-Eh bien il est le bienvenu pour me rendre visite, répliqua le prisonnier en croisant les bras.
Il n'était actuellement que peu motivé à faire des efforts. Et il payerait cher pour voir le vieux géant escalader l'échelle de cordes jusqu'en haut du nid de pie. Marco se contenta de lever les yeux au ciel en ouvrant la porte, faisant une brève courbette sarcastique pour l'inviter à sortir.
-Allez Ace, ne rend pas ça plus compliqué.
Le jeune pirate hésita mais s'avança néanmoins, ne voulant pas manquer l'opportunité d'enfin sortir de sa cellule.
-Qu'est ce que ton capitaine me veux ? finit-il par demander avec une pointe de nervosité presque indiscernable.
-Je lui ai tout expliqué. Il ne peut pas te libérer dans l'immédiat mais apparemment il a un plan pour améliorer ta... Captivité.
Le blond s'arrêta une seconde, une brève hésitation troublant son visage calme.
-Mais on ne pourra pas ouvertement montrer qu'on est de ton côté devant l'équipage, il faudra jouer le jeu yoi. Je vais devoir rattacher ta deuxième menotte, sinon ils vont se poser des questions.
Peu importe, tant que ça ne durait pas trop longtemps. Ace avait été capitaine assez longtemps pour comprendre les implications de garder cela secret. Sans preuves solides, ils devaient simplement attendre le réveil de Thatch. Il haussa les épaules attrapant de lui même la seconde partie du bracelet qui pendait de son bras gauche pour le refermer sur son autre poignet avec un claquement audible. Il grimaça légèrement en sentant l'effet de la pierre de mer se renforcer. Une touche d'excuse et de compassion adoucit le regard de Marco. Immédiatement, le plus jeune détourna les yeux pour ne pas voir cette expression plus longtemps.
Puis un autre soucis replaça brusquement le précédent, le faisant demander très suspicieusement :
-Comment je vais faire pour descendre l'échelle avec mes mains attachées ?
Son aînée retrouva un sourire un peu plus honnête et un peu trop moqueur.
-Il semblerait que je doive te porter yoi.
-Dis-moi au moins que tu vas me faire descendre en me portant sous ta forme d'oiseau, supplia Ace d'un ton horrifié.
-Malheureusement il y a trop de risques que la pierre de mer me touche par accident et supprime ma transformation en plein vol.
Malgré l'argument censé, Ace croisa les bras, campant sur sa position.
-Je refuse d'être de nouveau porté sur ton épaule comme un putain de sac de provision.
Marco roula des yeux, marmonnant quelque chose de sarcastique à propos de ne pas vouloir blesser ses sentiments trop fiers. Mais un regard vers le pont où Barbe Blanche et une majeure partie de son équipage étaient de sortie suffit à conforter le jeune capitaine dans sa décision. Il avait une réputation à préserver ! Le phénix posa une main contre son menton, réfléchissant à un accord qui pourrait les satisfaire tout les deux.
-Ça serait plus simple de directement te jeter du nid-de-pie yoi, finit par ironiser le commandant.
-Je préfèrerais encore ça plutôt que d'être porté, répliqua Ace avec un reniflement moqueur.
-Si je n'avais pas besoin de mes mains pour descendre, je te porterais comme une princesse, menaça Marco avec un sourire qui contredisait ses paroles.
En tant que fils du Roi des pirates, c'était assez ironique.
-Essaye même, le défia Ace le menton relevée fièrement.
Leurs yeux se sont croisés avec un éclair de challenge, dans un refus de céder plus ludique que belliqueux. C'était presque... amusant.
Une voix grave venue d'en bas interrompit leurs chamailleries.
-Oï Marco, tu descends ou pas ? T'as du mal à gérer le prisonnier ?
Le dit prisonnier fronça les sourcils à la dénomination agaçante bien que véridique, reprenant cet air fermé qui avait un instant disparu de son visage. Le commandant se recula avec un toussotement avant de se pencher par dessus la balustrade.
-J'arrive Atamos, j'ai juste besoin de régler deux trois détails avant.
Il y eut un instant de silence en haut, les deux toujours bloqués dans leur projet de descente. Ils devaient vite trouver un accord.
-Et si je monte sur ton dos ? proposa finalement Ace.
Le phénix imagina brièvement la position dans son esprit avant d'objecter.
-Avec la chaîne de tes menottes contre mon cou ? Pas sûr que ce soit très sécuritaire yoi.
-N'essaye pas de prétendre que tu es sans défense, se moqua Ace. Même si j'avais de mauvaises intentions, je n'arriverai pas à t'égratigner.
Son aîné le dévisagea, un peu incrédule devant l'admission. Puis il plissa ses yeux d'un air suspicieux.
-J'espère que tu n'essayes pas de me flatter pour que j'accepte ?
Ace lui sourit brillamment sans confirmer ni nier, laissant planer le doute.
-Ça dépend, est-ce que ça fonctionne ? eut-il l'audace de demander en battant exagérément des cils.
Marco essaya de cacher son amusement sans y parvenir complètement. Il jeta un regard vers le pont, conscient du temps qui pressait avant de se décider.
-Bien, si j'en enroule une couverture autour de tes menottes, on peut suivre ton idée.
Les yeux d'Ace commencèrent à briller, signe d'un nouveau plan.
-Alors, commença-t-il avec espoir, si les menottes ne sont plus un problème, tu peux me transporter sous ta forme d'hybride phénix ?
Le zoan chercha une raison pour refuser et réalisa que ça pouvait marcher. Et l'air suppliant du prisonnier n'avait absolument AUCUN IMPACT sur sa décision finale. Il hocha la tête, amusé malgré lui et Ace lança son poing en l'air en signe de victoire avec une courte exclamation de joie. Un instant après, il courait dans sa cellule, revenant avec une couverture. Marco lui emballa soigneusement les bras jusqu'à ce que tout signe de chaîne ait disparu. Le plus jeune se laissa faire patiemment, trop heureux de pouvoir bientôt voler à dos de phénix. Mais il se retenait de trépigner d'impatience. Une fois terminé, le blond relève la tête avec satisfaction. Puis il tourna le dos au prisonnier et posa un genou à terre.
-Allez, monte gamin.
Il n'en fallu pas plus pour qu'Ace jette ses bras enrubannés autour du cou du commandant. Après une seconde d'hésitation où Marco ne bougea pas d'une pouce, il fini par crocheter ses jambes de chaque côté des flancs de son aîné. Ce dernier se releva, et un instant plus tard des flammes bleu jaillirent, formant des ailes là où ses bras étaient quelques instants plus tôt. Il s'approcha du bord du nid-de-pie, jettant un oeil aux pirates en bas.
-Prêt ? chuchota-t-il.
Ace hocha la tête par réflexe puis se rendit compte que Marco ne pouvait pas le voir. Mais son mouvement dut être ressenti car un instant plus tard, les ailes se déployaient fermement. Et le phénix sauta. Le cœur de son passager loupa un battement à la sensation de chute, ses bras et jambes se resserrant par réflexe. Avant qu'il ne puisse s'attarder sur le sentiment, ils volaient. Il sentait chaque muscle du dos de Marco bouger contre lui alors qu'il les maintenait dans les airs. Le demi-oiseau dessina un lent cercle, descendant en spirale. Ils ne pouvaient pas s'attarder trop longtemps mais Ace voulait que l'instant ne s'arrête jamais. Le commandant irradiait presque de chaleur, ses plumes intangibles le frôlant doucement et l'air dans ses cheveux de jais sentait la liberté. C'est indescriptible et il se demanda si, un jour ou l'autre, il pourrait convaincre de nouveau son aîné de le transporter ainsi.
Mais bien trop vite, ils se sont rapprochés du sol pour atterrir devant Barbe Blanche, déjà entouré du reste de ses commandants.
Les pieds d'Ace touchèrent le sol à regret. Il ôta ses bras du cou de Marco pour s'éloigner de lui, se tenant droit et la tête haute face à ses ennemis. Il combattit l'envie de jeter un regard vers son aîné à la recherche d'un soutien silencieux. Agir comme d'habitude, ça il pouvait le faire. Il ne laisserait personne voir la nervosité qui rampait sous sa peau dans une sensation indéfinissable.
Ou peut être étaient-ce les regards scrutateurs des autres pirates qu'il ressentait.
Honnêtement, il avait désormais juste envie de retourner dans sa cellule, loin de cette foule le cernant en un piège étouffant. Il était brutalement conscient de chaque présences autour, autant d'ennemis potentiels bloquant les issues de fuite. Pas que ce soit dans ses projets. Mais une petite partie de son cerveau ne pouvait s'empêcher d'évaluer chaque possibilités.
Le géant l'étudia d'un œil curieux, comme s'il le voyait pour la première fois. Il avait la désagréable impression qu'il pouvait voir son stress derrière sa façade bravache. C'était irritant.
La tension fut brisée par Haruta, qui se balançait d'un pied à l'autre comme s'il venait de marcher sur une fourmilière.
-Hey Marco, tu en as mis du temps avec ton prisonnier !
Ace se figea une fraction de seconde au pronom possessif mais le laissa passer sans commentaire. Le blond à ses côtés ne sembla même pas le remarquer.
-Ça n'a pas dû prendre plus de cinq minutes yoi, minimisa Marco.
-Plutôt comme 15 ou 20 minutes, marmonna Curiel.
-Plus exactement 16 minutes et 23 secondes, lui précisa Vista.
En réponse, il agita la main dans un geste qui signifiait globalement "peu importe", puis Rakuyou ajouta une réflexion sur les "obsédés du temps" qui fit se hérisser Vista mais également Izou et Namur.
-Facile de dire ça quand tu es toujours celui qui est en retard aux réunions, commenta l'homme-poisson avec un sourire tendu rendu dangereux par ses dents acérées.
Un début de querelle se forma rapidement entre eux, ponctuée de quelques interventions des autres commandants sous les regards désabusés de l'équipage. Ace lui même avait assez souvent vu ces débats houleux sur divers sujets pour savoir qu'il fallait les ignorer.
-Mes fils, nous ne sommes pas là pour se chamailler, les réprimanda Barbe Blanche de sa voix profonde.
Cela suffit à les stopper, du moins assez pour qu'ils se mettent rapidement d'accord pour régler ça lors du prochain tournois de poker. Ils se sont ensuite tus, sagement alignés à leur place sans bouger. Du moins, si on ignorait le sautillement de Haruta pour qui l'attente semblait presque douloureuse. Ace les étudia calmement, s'attardant un peu plus longtemps sur Izou qu'il savait être de son côté. De nouveaux, les regards se sont portés sur Ace.
Lui aussi commençait à devenir impatient sous l'attention insupportable et décida d'attaquer en premier.
-Barbe Blanche, salua-t-il sur un ton de défi. Pourquoi m'avoir fait venir ici ?
Les derniers bruits de chahut sur le navire ont cessé à ses mots, tout les pirates attendant avec impatience d'obtenir plus de drame. Il faut dire que la vie sur un bateau était plutôt ennuyante, tout ce qui sortait de l'ordinaire attirait immédiatement l'attention. La plupart étaient de vraies commères, toujours à la recherche du moindre ragot.
Dans la foule silencieuse, Ace remarqua de coin de l'œil un éclair de cheveux bleus appartenant très probablement à Deuce et se sentit plus confiant. Il n'était pas seul, son équipage était proche.
-Toujours aussi direct, à ce que je vois, répondit le géant. Bien. Cette affaire n'est pas facile.
-Je m'en étais rendu compte, coupa Ace avec amertume.
Il en était le premier au courant, c'était lui qui se retrouvait enfermé depuis une semaine et subissait les erreurs de l'homme.
La colère frissonna le long de ses bras dans cette sensation de chair de poule qui précédait souvent l'arrivée de ses flammes. Malheureusement (ou heureusement), une fois encore, elle ne purent se manifester. Rendues insensibles à des appels, leur puissance inhibée par le granit.
Quelques hommes à sa périphérie s'agitèrent à son ton peu avenant. Barbe Blanche le regarda avec ce qui ressemblait à du regret bien que l'expression ne dura pas assez longtemps pour en être sûr.
-Toujours est-il, que jusqu'aux réveils définitifs de Thatch et de Teach, tu seras placé sous surveillance jour et nuit, continua le vieux capitaine en choisissant d'ignorer ses paroles.
-Très bien, mettez juste un garde devant ma porte, c'était pas nécessaire de m'emmener ici pour se justifier, répondit le jeune homme en haussant les épaules.
La moustache du géant frémit et une petite lueur brilla dans ses yeux mais disparut avant qu'il ne puisse l'analyser.
-Tu resteras sous la surveillance directe de Marco.
Le blond fit un pas en avant avec un air chiffonné, prenant la parole.
-J'ai des devoirs en tant que second, Oyaji, je ne peux pas rester devant une cellule toute la journée yoi.
Cette fois-ci, Ace était sûr qu'il n'avait pas imaginé l'étincelle d'amusement qui apparut dans les yeux de Barbe Blanche. Marco aussi dû la remarquer car à la tension dans ses muscles, il semblait vouloir reculer mais s'obligeait à rester immobile.
-C'est pourquoi c'est lui qui t'accompagnera partout où tu seras. C'est plus simple ainsi et je pense que tu sauras parfaitement gérer cette affaire.
Le phénix fit un petit bruit étranglé. Il ne s'attendait sûrement pas à ça. La foule amassée autour d'eux s'agita un peu en entendant la nouvelle. Ace, lui, hésitait entre être exaspéré de devoir de nouveau changer de cellule, content de rester en bonne compagnie plutôt que de s'ennuyer seul en comptant les heures ou se moquer silencieusement du choc du pauvre commandant. D'accord, il devait admettre que c'était un peu drôle. Il regarda son nouveau geôlier essayer de protester avant que ses faibles arguments ne se fassent rapidement balayer.
Et c'est ainsi que, une poignée de minutes plus tard, Ace se retrouvait entraîné devant la chambre du commandant. Bien.
-Ma vie n'est qu'un changement perpétuel de prisons, déclara-t-il avec fatalisme avant se passer la porte.
Il lui sembla entendre un bruit amusé de Marco derrière lui.
Son premier réflexe fut de scruter son nouveau lieu de vie. C'était la première fois qu'il rentrait ici et il ne pouvait s'empêcher d'être curieux. Ça sentait la propreté, bien loin de l'odeur diabolique des dortoirs communs de la plupart des pirates. L'endroit n'était pas spécialement personnalisé, se composant d'une décoration minimale avec quelques effets personnels et un grand lit à l'air très confortable à gauche. Au fond, pressé contre le mur, se tenait un bureau, placé devant une fenêtre pour un maximum de lumière. Il sourit doucement aux piles de papiers soigneusement classée de chaque côté, bien que laissant quelques feuilles et des livres encore en vrac sur le milieu de la table. Il s'y serait presque attendu. Marco semblait être un bourreau du travail.
Son regard passa ensuite le long d'une armoire d'aspect lourde, solidement vissée au plancher pour résister aux pires vagues de Grand Line, où devraient être les vêtements du blond. Puis, il s'attarda sur deux photos clouées au mur qui à première vue semblaient être celles des commandants et de leur capitaine.
Marco se racla la gorge, récupérant ainsi l'attention d'Ace avant qu'il ne puisse investiguer plus en profondeur.
-Alors... C'est ici que je vais rester ? fini par demander Ace, se sentant étrangement maladroit
-Apparemment oui, alors... Fais comme chez toi, dit poliment Marco d'une voix où planait une touche d'humour.
Le jeune homme avança lentement dans la pièce avec l'impression d'être un intrus, essayant de ne pas trop scruter la décoration des lieux. Du moins pas ostensiblement. De toute façon, il allait rester quelques jours ici, il aura largement le temps d'en apprendre plus sur le commandant. Ce dernier s'avança sans hésitation jusqu'à son bureau, jetant un œil vers des papiers avec une légère grimace.
-J'ai un tas de rapports en retard à finir d'organiser... Peut-être voudrais-tu aller te laver en attendant ? C'est la porte à droite, finit-il par proposer d'un ton entendu qui ne sonnait étrangement pas comme une question.
Ace leva ses bras (qui étaient toujours attachés sous la couverture qui les enveloppait) et renifla, puis acquiesça immédiatement à la demande. Il blâmait son séjour en cellule avec une hygiène moindre.
-Installez plus de douches dans les prisons la prochaine fois, se moqua l'ex détenu.
L'autre lui sourit simplement et l'aida à enlever la couverture. Il y eut aucune hésitation dans les gestes du blond alors qu'il récupérait une clé de bronze et reprennait ses mains pour déverrouiller une des menottes. Son toucher laissa un fantôme de chaleur sur sa peau et Ace se demanda une seconde si c'était dû à sa partie phénix. Légèrement troublé par la soudaine proximité, il pensa que Marco allait reculer immédiatement après. Mais son regard se fit plus scrutateur comme s'il essayait de lire les pensées de son cadet avant de se pencher et... il y eut un second cliquetis. Sa deuxième main était libre.
Le feu hurla, euphorique dans ses veines, réclamant d'être déchaîné après des jours contraint à rester confiné. Tant de temps à être rendu inaccessible par la pierre de mer. C'était comme pouvoir retourner le soleil après des mois passés sous un éclairage artificiel. Chaleureux, lumineux et presque éblouissant.
Il pouvait sentir tout son corps crépiter d'étincelles joyeuses comme un brasier de sapin. L'appelant en un chant de sirène. Et pour la première fois depuis des jours, il s'autorisa à le laisser sortir dans le creux de sa paume. Pas plus qu'une petite flamme, contrôlée pour ne pas créer de problèmes malgré la tentation de le laisser rugir sans contraintes. Il ne préférait pas imaginer la réaction de Marco s'il mettait accidentellement feu à son lit. Mais c'était suffisant pour avoir l'impression de retrouver une partie vitale de son être dont il n'avait pas conscience avant de la perdre brutalement.
Il resta une poignée de secondes les yeux rivés sur sa main enflammée, ne réalisant toujours pas qu'il pouvait enfin resentir son pouvoir.
Marco le regardait avec quelque chose de doux dans les yeux, même s'il avait reculé de quelques pas pour lui laisser de l'intimité. Comme s'il ne venait pas de lui donner librement accès à un moyen de se battre, détruire le bateau et s'enfuir.
Il ne pourra pas le faire maintenant de toute façon, son honneur l'en empêchait. Après un tel acte de confiance, Ace ne pouvait plus la trahir. Parce que cela voulait dire bien plus que tout les mots, et montrait que ce n'était pas des paroles creuses et des promesses en l'air.
Bien sûr, cela aurait pu être un plan calculé pour gagner sa loyauté, ou un test, ou de l'arrogance de Marco le pensant trop faible pour l'affronter même sans menottes. Ce dernier choix aurait été stupide et une grave erreur. Après tout, Ace avait été rapproché par le gouvernement pour intégrer les grands corsaires. Ses compétences n'étaient plus à prouver.
Mais quoi qu'il en soit, son aîné n'était pas obligé de le libérer ainsi alors qu'il y avait de très bonnes raisons de ne pas le faire. Peu importe ses motivations cachées, Ace avait récupéré son feu, ça lui suffisait.
-Tu sais que c'est pratiquement une incitation à m'enfuir ? fini par plaisanter Ace pour ne pas montrer à quel point la situation l'impactait.
Marco renifla, moqueur :
-Évite de le faire. Ça serait sacrément épineux pour toi d'échapper à tout les commandants. Et j'aurais quelques problèmes pour t'avoir libéré.
-Je te prendrai en otage, ça résoudra tout les soucis...
Il laissa la fin de phrase en suspens en une menace subtile. Marco afficha un air horrifié.
-C'est encore pire, je ne peux même pas imaginer à quel point Thatch se foutra de moi à son réveil. "Alors, Marco, tu profites que je fasse une sieste pour te faire kidnapper comme une princesse en détresse par un charmant pirate ?".
La dernière phrase avait été prononcée avec le léger accent du cuisinier, haussant les sourcils dans une des ses mimiques évocatrices, le blond relevant ses cheveux vers l'avant dans une parodie du pompadour habituel de l'autre commandant. La gestuelle et le ton étaient tellement Thatch qu'Ace ne put s'empêcher d'éclater de rire. Il se demanda brièvement à quel moment il était devenu suffisamment détendu avec Marco pour plaisanter ainsi.
Il finit par passer la porte en bois que Marco indiquait être sa salle de bain privée, un des privilèges d'être le second du bateau.
Ace remarqua immédiatement que la baignoire possédait un système anti-noyade pour les utilisateurs de fruits du démon, avec une chaîne accrochée au plafond d'où pendait une sangle. S'il s'évanouissait ou devait trop faible pour se maintenir, cet ingénieux mécanisme garderait sa tête hors de l'eau.
Ace en était ravi. Il s'accapara immédiatement le bain, qu'il remplit d'eau froide avant d'utiliser son feu pour la chauffer, juste parce qu'il le pouvait. Le liquide atteignit rapidement une température idéale bien qu'à la limite du supportable pour le commun des mortels. Il passa la sangle sous ses bras et elle s'ajusta confortablement, le sécurisant lorsqu'il se glissait finalement dans l'eau brûlante.
L'eau aspirait son énergie mais d'une manière radicalement différente des menottes, la chaleur aidant à se détendre. Il ferma les yeux de contentement. Finalement, ce n'était pas si mal d'être prisonnier.
C'était tellement agréable qu'il s'endormit presque, plongé dans cet entre deux confortable de semi-conscience. Il n'en fut tiré que par deux brefs coups à la porte
-Ace ? J'espère que tu ne t'es pas noyé.
Il se redressa, sortant de sa transe à regret. De toute façon, l'eau commençait à se rafraîchir. Il lava rapidement son short dans le reste d'eau, le séchant à l'aide de ses flammes comme il en avait l'habitude avant de le remettre et retourner dans sa chambre.
Il fut accueilli par une odeur alléchante. Pendant son absence, quelqu'un avait apporté des sandwichs dans deux assiette posées sur un coin du bureau. Marco lâcha sa paperasse dès qu'il le vit de retour dans la chambre.
-Ce midi, on mange ici. Mais ce soir on devra se rendre dans le réfectoire, prévint-il.
L'accord était loin de déranger le jeune homme qui haussa les épaules, acceptant facilement la nourriture que Marco lui tendait. Bien qu'il préférait ne pas quitter la chambre du tout. Le repas en tête à tête avec Marco fut assez silencieux, tout deux réfléchissant à la situation. Ace prit soin de ne pas mettre de miettes sur le lit moelleux où il s'était assis.
Une fois fini, Marco se retourna vers son bureau pour finir d'annoter l'un de ses documents. Ne voulant pas le déranger, Ace resta d'abord assis sur le rebord du lit, là où frappait un rayon de soleil.
Puis il céda, et se laissa tomber en arrière sur le matelas beaucoup trop confortable pour y résister.
Surtout cette couette extrêmement douce qui semblait dégager de la chaleur. Le jeune homme supposa avec un ricanement que Marco l'avait remplie de ses propres plumes, car l'image était hilarante. Il ferma les yeux, sourire aux lèvres. Au loin, le grattement de plume sur le papier s'estompait peu à peu dans son esprit.
Étendu au soleil comme une étoile de mer et plus satisfait qu'il ne l'avait été depuis longtemps, cela ne le surpris pas quand le sommeil l'emporta.
Il fut réveillé en entendant une conversation indistincte à sa droite, proche de la porte.
Mais en reconnaissant les voix de Marco et d'Izou, il décida qu'il était trop paresseux pour bouger ou ne serait-ce que d'ouvrir les yeux. Les longues siestes avec Kotatsu lui manquaient, il espérait pouvoir bientôt retrouver l'énorme chat avec le reste de son équipage.
Le soleil (ou peut-être le bateau ?) avait malheureusement changé de place, alors il roula sur le ventre jusqu'à sentir de nouveau les rayons chauffer ses vertèbres et se rendormit aussi sec.
À son second réveil, Marco était encore à son bureau, classant les feuilles dans un dossier. Ace l'observa quelques minutes rouler des yeux en barrant certaines phrases, écrivant des commentaires à certains endroits avec un léger soupir d'exaspération.
-Toujours en train de faire de la paperasse ? demanda Ace une fois qu'il fut assez réveillé pour faire une phrase cohérente, se tournant sur le côté pour être plus à l'aise.
Marco lui jeta un regard pointu par dessus son épaule.
-Si ton équipage pouvait arrêter d'essayer de mettre la main sur des explosifs ou de lancer une mutinerie, je perdrais moins de temps à traîter des comptes rendus d'incidents.
Ace se moqua, ne se sentant absolument pas coupable. Ses compagnons prenaient son sauvetage à cœur. Leur loyauté était très précieuse.
-Un peu de chaos suffit à faire autant de papiers ? demanda-t-il un peu curieux.
-Si seulement c'était que ça ! gémit le blond. À cause de l'attaque de Thatch, le navire est en état d'alerte maximum, surtout avec notre capitaine loin. La situation est instable et chaque problème doit être soigneusement étudié.
Bon d'accord, peut être qu'Ace était un peu désolé pour Marco. Être le second d'un navire aussi important ne devait pas être une partie de plaisir tout les jours. Le phénix semblait en avoir beaucoup à dire sur l'organisation du navire alors le jeune homme n'eut aucun scrupule à en demander plus. C'était toujours intéressant d'en comprendre le fonctionnement.
-Il n'y a personne d'autre pour t'aider ?
-Et bien les commandants ont chacun leur division avec des spécialité propres et je centralise leurs informations pour les coordonner, expliqua Marco en faisant pensivement tourner un stylo entre ses doigts. Mais en ce moment il en manque trop et leurs remplaçants temporaires ne savent pas toujours faire un rapport. C'est pas évident d'en trouver qui savent écrire.
Ace hocha la tête, ayant déjà été confronté à ce problème. La majorité des pirates venaient de milieu pauvres, les poussant à prendre la mer plutôt que de vivre une vie de paria sur une île. Sur les océans, personne ne posait de questions sur l'origine et la vie d'avant, c'était un nouveau départ. Beaucoup n'avaient jamais eu l'occasion d'apprendre la lecture et l'écriture. Ce n'étaient pas des priorités quand il fallait survivre et trouver de la nourriture. Sans Makino pour lui apprendre pendant des heures à tracer les deux alphabets, Ace lui même aurait eu beaucoup de mal. Le jeune homme finit par se redresser de sa position allongée, s'asseyant en tailleur sur la couverture.
-Vous ne mettez pas en place des cours d'écriture sur le Moby ? Dans mon équipage, Mihar a appris à tout ceux qui le voulaient. Il était professeur avant de nous rejoindre, et son rêve est d'enseigner aux enfants qui n'y ont pas accès.
Il sourit doucement en pensant à son ami qui avait toujours un puits intarissable de patience, même pour ses élèves les plus lents. Jour après jour, chacun pouvait apprendre et il se souvenait de leur fierté quand ils parvenaient à lire pour la première fois le journal. Marco eut un air pensif, posant une main sur son menton.
-Peut-être devrions-nous aussi faire des cours pour l'équipage du Moby...
Ace ouvrit la bouche, prêt à proposer de demander à Mihar mais la referma avant de prononcer le moindre mot. À quoi pensait-il ? L'équipage de Barbe Blanche n'était pas le sien, il allait bientôt partir d'ici. Il ne devait pas oublier ça. Pas maintenant. Marco ne sembla pas remarquer son hésitation, marquant l'idée sur un post-it qu'il colla négligemment à son mur avant de jeter un regard sombre à la paperasse qui restait sur son bureau.
-J'y réfléchirai une fois ces papiers finis.
L'homme s'étira, faisant craquer quelques vertèbres et détendit son poignet d'une légère torsion. Puis un air satisfait apparut sur son visage quand il ajouta :
-Heureusement, le retour d'Oyaji et de Kingdew devrait alléger le travail. Je n'aurai plus à m'occuper de cette maudite politique extérieure.
Sur ces bonnes paroles, il reprit ses dossiers, ragaillardi par la fin prochaine de son calvaire.
Ace secoua la tête avec amusement, compatissant secrètement. Il décida de se lever du lit pour faire des pompes, abdos et autres exercices avec le moins de bruit possible pour ne pas déranger l'autre pirate. Même en s'entraînant parfois dans ses anciennes prisons pour passer le temps, les menottes le restreignaient alors énormément, drainant son énergie. Il avait enfin le plaisir de forcer sur ses muscles jusqu'à en sentir la brûlure, laissant présager de futures courbatures. Son dos heurta le plancher presque silencieusement lorsqu'il se laissa finalement tomber, agréablement fatigué par l'effort.
Son regard se posa sur le dos de Marco, toujours concentré sur son travail. Heureusement sa pile de papier en attente avait nettement diminué. Il abattait feuilles après feuilles avec la rapidité de l'habitude. Ace ne pouvait pas voir son expression de là où il se tenait mais il l'imaginait sans peine plisser le front de concentration.
Le jeune homme resta au sol, ralentissant peu à peu sa respiration et les battements de son cœur.
Il ne fut délogé de sa place que par un toquement à la porte qui le fit se relever, sur ses gardes. Il n'était pas censé être libre, même sous la surveillance de Marco et cela le rendait un peu nerveux.
Le blond s'était également tendu puis se leva de sa chaise dans un silence absolu. Une seconde après, il se détendit et alla déverrouiller la porte. Ace se demanda s'il venait d'utiliser le haki pour savoir qui les dérangeait ainsi.
Haruta sa faufila dans la pièce dès que Marco lui laissa assez de place pour passer.
-Aw j'ai cru que t'allais jamais ouvrir, tu as mis une ÉTERNITÉ.
Marco roula des yeux devant l'exagération éhontée. Cela n'avait pris que quelques secondes. Il préféra ignorer le commentaire.
-Haruta. J'espère que tu n'es pas venu m'apporter plus de rapports, je suis en train de finir l'avant-dernier.
-Tu n'as pas encore terminé ? D'habitude t'es plus rapide, t'es en train de rouiller mon vieux, le taquina l'autre commandant.
Pour sa moquerie, Marco le châtia d'une chiquenaude au front. Bien sûr, Haruta bondit exagérément en arrière à l'impact, pleurnichant sur la rudesse de son frère et ami.
-Pour ta gouverne, j'ai actuellement d'autres préoccupations, l'informa le commandant en coulant un regard vers Ace qui le fit se redresser légèrement. Et 41 ans n'est pas vieux yoi.
-Bien sûr, acquiesça sagement Haruta malgré son expression qui démentait les paroles. En tout cas, Oyaji m'envoie récupérer les documents.
Ace se rassit sur le lit alors que le blond retournait à son bureau et saisissait un classeur bien ordonné pour le confier à Haruta. Ce dernier le feuilleta rapidement, faisant soupirer Marco :
-Tout y est : dossier politique, synthèse de mission de commandement, relevé de décisions, compte rendu des incidents et l'enquête.
-Parfait, je lui apporte tout de suite !
Le petit commandant referma le classeur, l'agitant au dessus de sa tête avant de détaler en courant.
-Et tu lui diras de passer voir Teto pour ses examens avant qu'elle ne vienne le chercher d'elle même ! eut le temps de dire Marco avant que la porte se referme.
NDA : Notre petit Ace a enfin un moment de répit ! Sa situation s'améliore petit à petit maintenant que quelques commandants sont dans la confidence.
J'espère que vous avez apprécié ce chapitre, et à la semaine prochaine pour la suite !
