Au départ d'Haruta de la chambre, Marco secoua la tête d'exaspération et d'amusement. Son jeune frère ne tenait pas en place plus de quelques secondes.
Ace n'avait pas dit un mot, indécis de la conduite à tenir devant l'autre commandant. Ce dernier semblait dans la confidence, après tout Marco lui avait ouvert directement la porte, sans prendre la peine de continuer l'act du prisonnier. Pas besoin de menottes ni de jouer le jeu.
C'était une petite liberté très agréable même si Ace ne pouvait toujours pas se balader librement. Il se sentait néanmoins un peu claustrophobe avec son monde réduit à une chambre avec la fenêtre comme seule vue sur l'extérieur.
Il ferma les yeux et concentra son haki sur sa perception. Il n'avait pas pu l'entraîner pendant sa captivité, une fois de plus à cause de la pierre marine.
Cela lui venait toujours moins naturellement que celui de l'armement mais l'apprendre était une nécessité sur les mers.
La lumière de Marco lui apparut en premier, proche et intense. Son aura brillait presque, empreinte de la douce chaleur d'un soleil de printemps, là où celle d'Ace s'enflammait de toute sa volonté rebelle et sauvage.
Peu à peu, les présences des autres commandants et de Barbe Blanche s'allumèrent comme des étoiles dans la nuit à la périphérie de sa perception. Parfois pétillantes, parfois strictement contrôlées, tantôt paisibles ou explosives, étouffées ou grondant comme un tonnerre réprimé. Il pouvait même en reconnaitre la plupart.
Celles des Spades, moins intenses mais pleines de familiarité, lui parurent sans mal, appelant son attention.
Plus timidement, les lumières d'autres membres inconnus scintillaient, presque imperceptibles mais s'intensifiant parfois sous des émotions plus fortes.
Il avait encore besoin d'entraînement pour devenir plus précis, mais après seulement trois mois de pratique les progrès étaient visibles. Le temps passa sans qu'il s'en aperçoive alors qu'il essayait d'agrandir son champ d'observation puis de se concentrer sur une seule lumière à la fois pour essayer de la localiser.
Il fut sorti de son état de transe par une voix et les lumières disparurent brutalement. Il mit un peu de temps à comprendre les paroles mais dès que le mot "nourriture" fut prononcé, il sauta vite sur ses pieds.
C'était là le résultat d'années de conditionnement à vivre avec Luffy et les bandits, où un retard réduisait considérablement sa quantité de nourriture.
-Manger ? demanda-t-il encore à moitié dans les vapes.
Marco essaya de cacher son amusement mais n'y parvint pas très bien.
-Oui Ace, manger. Et en tant que mon prisonnier, tu vas devoir venir dans le réfectoire avec moi.
Les engrenages tournèrent un instant dans la tête d'Ace avant qu'il ne se laisse retomber sur le lit avec un soupir exagéré.
-Je suppose que je vais encore devoir porter ces maudites menottes ? souffla-t-il à moitié étouffé dans la couverture.
-Et bien... On peut trouver un arrangement pour ça.
S'il ne savait pas mieux, il aurait pu croire que la voix de Marco était malicieuse. Mais cela suffit à faire se redresser de nouveau le jeune homme, curieux. Sans plus de détails, Marco attrapa quelque chose sur son bureau qu'il lança sur Ace. Ce dernier l'attrapa par reflex et fixa sans comprendre la nouvelle paire de menottes qui venait d'atterrir entre ses mains. Il mit une poignée de secondes à se rendre compte que même si elles étaient d'apparence identiques à celles qu'il portait plus tôt, il ne sentait pas la sensation de drainage de son énergie.
-Métal en imitation granite marin, ça sera plus confortable, le renseigna Marco avec une pointe de fierté. Izou les a apportées ce matin quand tu dormais, sur l'ordre d'Oyaji.
C'était donc l'idée de Barbe Blanche ? Ace rangea l'information dans un coin de son esprit pour y réfléchir plus tard. Il se leva du lit en claquant le cercle de fer ses poignets. C'était froid et la sensation d'être entravé ne lui avait pas manqué. Mais au moins, il ressentait toujours son pouvoir. Il pourrait faire fondre ces fines attaches d'une simple pensée. C'était rassurant.
Marco posait déjà la main sur la poignée de la porte, Ace sur les talons quand il se tourna vers son cadet d'un air hésitant.
-En dehors de cette pièce, tu seras de nouveau considéré comme un prisonnier.
Il y avait une touche d'incertitude au fond de sa voix, de devoir reprendre leurs rôles d'ennemis. Bien sûr, c'était assez embêtant mais pour résoudre sans dommages le drame de l'équipage, ils devaient jouer le jeu. Ils en étaient tout deux conscients. Ace lui sourit facilement, laissant une pointe de moquerie paraître alors qu'il plaisantait :
-Bien sûr commandant, je serai un prisonnier exemplaire.
Il le ponctua d'une main sur la tempe dans un salut militaire qui avait bien plus sa place sur un navire de la marine que celui d'un pirate. Un geste gardé de ses rencontres avec Garp. C'était d'ailleurs étonnant que le vieux merdique n'ait pas encore débarqué sur le Moby Dick en apprenant qu'Ace y séjournait. Peut être même qu'il ne le savait pas encore ; et c'était pour le mieux.
-Je compte sur toi pour faire ton meilleur jeu d'acteur, finit par lui répondre Marco un peu plus détendu.
Ace réfléchit une seconde en s'avançant à son niveau.
-Quel genre d'expression je devrais faire ? Plutôt triste ? Ou méchant et en colère ?
-Un air de prisonnier contre son gré, proposa très inutilement le commandant avec un haussement d'épaules.
Ace se renfrogna parce que ce n'était pas une maudite réponse valable. Mais avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, la lèvre du blond se contacta avec un tic d'amusement qui montra que c'était parfaitement volontaire :
-Parfait, c'est exactement cette expression là.
Et coupant l'herbe sous le pied de son prisonnier, il ouvrit la porte dans le couloir et sortit. Le plus jeune dut se dépêcher pour le rattrapper ce qui n'améliora pas sa moue agacée. Mais hors de la chambre il ne pouvait plus se plaindre même si ses yeux poignardaient le dos de sa chemise violette. Il repassa néanmoins légèrement devant Marco pour être "surveillé" de manière plus crédible.
Aux abords du réfectoire, ils commencèrent à croiser d'autres membres qu'il essaya d'ignorer tant bien que mal, sentant toujours leurs regards hostiles. La présence de Marco suffit à les dissuader de dire quoi que ce soit. Et si, par soucis de sécurité, Ace restait un peu plus proche de lui que strictement nécessaire, personne n'en fit de remarque.
Lorsqu'il entrèrent dans le réfectoire, le jeune homme regarda autour de lui. Il n'y était jamais allé, préférant piller les cuisines. Même lors de ses escapades nocturnes l'endroit n'attirait pas plus son intérêt qu'un bref coup d'œil en passant.
C'était bruyant et animé en cette période de la journée.
Ils se sont assis ensemble à la table des commandants, là où Haruta faisait de grands gestes en appelant le phénix. Izou, qui lisait à côté, ne leva même pas les yeux à l'enthousiasme débordant de son camarade, habitué depuis longtemps. Bien qu'il ne puisse pas interagir avec eux, Ace était content de se retrouver encadré par les rares personnes au courant de son innocence. La chaîne reliant ses mains cliquettait en suivant ses mouvements, en un rappel irritant de sa situation.
Barbe Blanche était heureusement à l'autre bout de la table, écoutant avec attention ce que lui racontait Blamenco.
D'autres commandants se trouvaient dans les sièges environnants, l'air tendus comme s'ils s'attendait à une mutinerie du prisonnier. Ce dernier fit de son mieux pour ne montrer aucun signe d'agressivité, concentré sur la nourriture et prétendant ignorer les chuchotements. Son apparente passivité, étonnamment, eut l'effet inverse et les rendait d'autant plus méfiants.
Au fur et à mesure du repas, la tension s'accumulait dans ses muscles, même s'il se répétait de ne pas faire de vagues et continuer d'ignorer l'équipage ennemi. Il essaya tant bien que mal de se concentrer sur la discussion légère de Marco, Izou et Haruta. Mais cela ne durait que quelques secondes avant qu'un chuchotements plus fort n'atteigne ses oreilles ou qu'il ne soit dévisagé avec trop d'insistance pour être à l'aise. C'était aussi énervant qu'essayer d'ignorer le bourdonnement d'un moustique à son oreille.
De plus en plus énervé d'être toisé depuis un quart d'heure, il fronça les sourcils et le nez, retenant un grognement alors qu'il se redressait et leur rendait un regard noir. Des dizaines de pirates se sont détournés vers leurs propres assiettes. Bien évidemment, la plupart des commandants se sont crispés et Marco lui tapa doucement le pied sous la table.
-Hé Izou, tu te souviens quand Marco a commencé à perdre des plumes et qu'il était persuadé qu'il allait mourir ? demanda Haruta un peu trop fort.
Cela réussit à relâcher une partie de la tension de la table et cette fois l'attention d'Ace se porta sans mal sur le petit commandant. Marco embraya immédiatement sur la distraction.
-Tu exagères, je pensais juste que j'étais malade. Et vous étiez tous bien plus inquiets que moi.
-Évidemment, tu as ensuite passé trois jours entiers sous ta forme d'oiseau dans la cheminée des cuisines, ajouta sournoisement Izou en tournant une page de son livre. Heureusement qu'il y avait un chemin de plumes sinon on ne t'aurait pas retrouvé.
-C'est un truc de phénix, j'avais besoin de feu, essaya de se justifier Marco.
Il avait l'air un peu trop nonchalant et Ace se demanda si c'était une façon de cacher son embarras. Il se remémora subitement la fascination de l'oiseau pour ses flammes et dut cacher son amusement derrière une bouchée de viande en prétendant ne pas être en train d'écouter attentivement la discussion.
-Quand t'en es sorti, t'étais comme un poulet déplumé, t'as refusé de te transformer en phénix pendant des semaines après ça, continua Rakuyo en lui tapant dans le dos avec sympathie.
Tous les commandants qui écoutaient l'anecdote gloussèrent, se moquant sans vergogne.
Marco émit un bruit légèrement étranglé, portant les mains à son visage au souvenir. Définitivement embarrassé donc. C'était une expression irrésistiblement inattendue et déroutante sur son visage. Quelque chose qui donnait envie à Ace de le taquiner encore et encore juste pour la revoir.
-Je ne savais pas encore qu'il me fallait bien plus de chaleur pour récupérer correctement. Maintenant parlons d'autre chose, voulez-vous ?
-On pourrait parler de l'incident de l'échelle et la cornemuse ? proposa innocemment Haruta ce qui provoqua une nouvelle vague de rire dans la tablé excepté chez le blond.
Ce dernier grimaça à ce qui semblait être un autre souvenir honteux, rendant Ace incommensurablement curieux de connaître cette histoire. Mais la négociation pacifique ayant échoué, Marco se retrouva contraint de sortir à son tour l'artillerie lourde.
-Parlons plutôt de l'explosion "mystérieuse" d'un hangar sur Silver Island, lui répondit-il avec un sourire qui ressemblait soudain plus à un prédateur montrant les dents.
Ace fut à peu près sûr qu'il avait piqué ce air à Namur. Fossa, un peu plus loin, se tourna brutalement vers le groupe, la voix soudainement basse dans un avertissement clair :
-Haruta, ne me dit pas que ça concerne ce que je pense ?
-Non Fo~chan, absolument pas, il parle de tout à fait autre chose ! glapit-il d'une voix plus aiguë que d'habitude en bondissant derrière Kindrew.
Le grand blond le chassa d'un grognement, agacé de voir son repas interrompu.
-Oh d'accord, accepta Fossa avec un hochement de tête avant de se retourner.
Il était atrocement naïf pour être si facilement berné par les mensonges de Haruta. Les commandants continuèrent à se lancer des piques et plaisanter entre eux. Ils en oublièrent presque Ace bien que leurs regards s'attardaient parfois sur lui à la recherche d'un signe de rébellion.
Ils restèrent jusqu'à ce que le réfectoire commence à se vider. Marco finit par prendre congé et rentrer dans sa chambre, avec le jeune capitaine à ses côtés.
Ace se réveilla, les yeux piquants de sommeil, dans le lit de Marco où il avait élu domicile. Son colocataire d'infortune dormait toujours, ou du moins ne montrait aucun signe d'éveil.
C'était déconcertant au possible de partager un matelas après des mois à dormir seul. Et l'agitation nocturne de Luffy à laquelle il avait dû s'habituer n'avait absolument rien à voir avec l'immobilité troublante de Marco. Ace lui même avait parfois légèrement tendance à s'étendre et s'accaparer plus de place que prévu.
Le jeune homme recula le plus discrètement possible, se faufilant hors du lit et réussit par miracle à ne pas sortir son aîné de son sommeil. Il s'assit au bord, regardant par la fenêtre les fins nuages teintés d'or par les premiers rayons du soleil. L'astre commençait son ascension à l'horizon et Ace regretta un instant de ne plus être dans le nid de pie pour profiter du spectacle et de la douceur du vent marin. Il soupira. Il aimait beaucoup l'aube.
Au moins, il y avait déjà assez de lumière pour voir clairement.
Profitant du dos tourné de Marco, il regarda sans vergogne les détails de la pièce qu'il avait manqué, comme les rares bibelots probablement à valeur sentimentale accrochés aux murs ou entreposés derrière une vitrine. Marco avait également énormément de livres rangés dans une alcôve qu'il se promit de regarder plus en détail plus tard.
Les photos des commandants épinglées au mur attirèrent de nouveau son attention et il s'en rapprocha pour mieux les voir. Sur la plus récente, il y avait tout les officiers de l'équipage actuel, bien qu'elle semble déjà dater de quelques années à en juger par leur jeunesse et plusieurs différences. Thatch sans barbe avait les cheveux gominés, plaqués en arrière au lieu de son fameux pompadour, et le costume néo-victorien de Curiel dénotait affreusement avec son style actuel.
Il manquait plusieurs cicatrices plus récemment gagnées au combat, mais tout le monde restait à peu près reconnaissable. Certains se tenaient guindés pour la photo officielle, d'autres bien plus détendus leur faisaient des oreilles le lapin avec deux doigts. Ceux qui se battaient discrètement dans le fond dénotaient avec les joyeux lurons qui se tenaient bras-dessus bras-dessous, bouteille à la main dans une camaraderie facile. Ils ressemblaient vraiment à une famille, ne se contentant pas de coexister sur la même photo mais de vivre tous ensemble le moment présent. Les voir ainsi semblait presque être intrusif.
Ace jeta rapidement un coup œil vers la forme de Marco sous la couverture, pour vérifier qu'il était encore endormi, avant de retourner à son investigation.
La plus ancienne des photographies, elle, était bien plus choquante. Si Ace n'avait pas vu Barbe Blanche et sa célèbre moustache en arrière plan, il n'aurait pas cru que c'était le même équipage. Il reconnaissait à peine Joz et Rakuyo qui avait déjà son fléau de prédilection. D'autres personnes inconnues se tenaient là dont un type ressemblant à une chenille et une femme qu'il reconnut comme Whitey Bay, une capitaine pirate qu'il avait déjà eu l'occasion de croiser. C'était surprenant de la voir ici vu que Barbe Blanche était connu pour ne pas accepter de femmes parmi ses combattants.
Et surtout... Un très jeune Marco à l'air agacé, bras croisés, regardait l'objectif comme s'il l'avait personnellement insulté. Le plus surprenant restaient ses cheveux, ébouriffés par la femme, qui étaient d'une teinte noire profonde.
Ace tendit la main vers la photo, essayant de voir s'il s'agissait d'un problème d'impression ou...
-J'avais perdu un paris.
Ace bondit de surprise comme un chat effrayé en entendant la voix venir de juste derrière lui. De petites étincelles crépitantes se sont envolées contre son gré, trahissant son embarras d'être pris sur le fait. Marco le toisa, l'air amusé par sa réaction. Il avait probablement fait exprès de se faufiler discrètement : réussir à sortir du lit sans un bruit ni se faire remarquer constituait un exploit notable. Sans compter que le blond était encore torse nu, dormant simplement vêtu d'un jogging. C'était étrange de le voir sans son habituelle chemise.
Il reprit la parole, son récent réveil rendant sa voix un peu plus rauque que d'habitude :
-C'était le jour où je suis devenu un membre officiel de l'équipage. J'avais relevé un stupide défi de Whitey et perdu... La coloration est restée des mois.
-La photo a l'air très ancienne, remarqua Ace avec une question sous-jacente dans le ton.
Le regard du phénix se fit nostalgique, se rappelant des souvenirs lointains.
-C'était le tout début des Barbes Blanches, j'avais 15 ans. Il n'y avait même pas encore de divisions ou de commandants.
-Tous ces gens... ils sont partis de l'équipage ?
Il hésitait à demander mais la curiosité était trop forte. Poser ce type de question restait toujours délicat, car sur les mers, beaucoup de pirates perdaient la vie. C'était un mode de vie dur et dangereux où la chance jouait beaucoup dans la survie ou la mort. Les risques du métier.
Heureusement Marco sourit, chaleureux, en répondant.
-Personne ne part jamais vraiment de notre équipage. La plupart sont désormais capitaines de leur propre flotte et peuvent prendre leurs propres décisions, mais ils restent les enfants d'Oyaji. C'est bien plus que des alliés, ils font toujours partie de la famille.
-C'est trop grand pour une famille, vous ne pouvez pas tout être proches, ne put s'empêcher d'objecter Ace.
Marco tendit distraitement la main, touchant les photographies du bout des doigts et traçant les silhouettes de ses anciens camarades.
-Et bien, je ne vais pas prétendre connaître personnellement et apprécier chacun sur ce navire. Même si je sais les noms de tous nos membres. On garde aussi une certaine hiérarchie... Ça rend difficile de créer des liens même si c'est nécessaire et qu'il y a quelques exceptions.
Marco lui lança un léger coup d'œil et Ace se demanda une seconde s'il faisait partie de ces fameuses exceptions, même s'il n'était pas un des Barbes Blanches. Après tout, le plus âgé connaissait une partie de l'histoire d'Ace et semblait en échange disposé à parler de sa propre vie. Il se souvint également des plaisanteries avec Thatch dans les cuisines et de ses brèves discussions avec Izou. D'une manière où d'une autre il s'était rapproché sans s'en rendre compte de ces commandants. Troublé, Ace tourna le dos aux photos en enfonçant ses mains dans les poches
-Vous êtes plus des coéquipiers qu'une famille alors.
-Et bien nous vivons tous dans la même maison et surtout nous partageons le même père. Cela ne fait-il pas de nous une famille ?
-Non, répliqua Ace d'un ton catégorique.
Cela fit glousser Marco.
-Tout le monde ici s'est trouvé des nakamas et surtout un petit groupe d'amis proches. Et il y a des liens entre tout les groupes. Au final on est tous reliés même sans avoir besoin de connaître tout le monde, on est comme une toile d'araignée géante.
L'explication avait du sens. Il pouvait facilement imaginer pour quand Luffy prendra la mer et aura son propre équipage. Ace aidera sans hésiter si... non, QUAND son frère ou ses amis auront des ennuis. Probablement même que son cadet allait tomber sur un amiral dès la première île où il mettra les pieds, connaissant sa malchance. Il avait de l'urticaire de stress rien que d'y penser.
Mais il devait vivre sa propre aventure. Depuis longtemps, ils s'étaient mutuellement promis de ne pas interférer dans les affaires de l'autre... C'était plus prudent comme ça. De toute façon, il ne devait pas trop rester avec son frère, son sang maudit le mettrait en danger pour leur lien. Mais Ace était trop égoïste pour renoncer à ses rêves et faisait sans cesse courir ce risque à son propre équipage.
Cela n'empêchait pas qu'Ace prévoyait déjà de rencontrer "accidentellement" la route de Luffy dès que possible, même pour le voir seulement quelques heures. C'était juste le hasard.
-C'est pareil pour chaque équipage, contredit Ace.
Il le dit avec un peu de mauvaise foi. Il avait vu plus d'un équipage dont les seuls liens étaient les intérêts mutuels. Pas d'attaches ni de sentiments. Les plus faibles trépassaient et les blessés étaient abandonnés sur les champs de bataille sans un regard en arrière. La loi du plus fort la plus basique où les hommes de main n'étaient que des pièces interchangeables.
Avant de rejoindre les Spades, c'était le quotidien de Kimel, Dogya et Kukai. Ils vivaient sur l'un des navires secondaires de Kaido, alors que de simples subalternes anonymes. Ils n'avaient jamais essayé de monter de rang, préférant la relative sécurité d'être sous estimés. Le trio d'amis, ne supportant plus la situation, avait pu s'enfuir avec l'aide d'Ace avant de définitivement intégrer les Spades. Il s'était alors juré de ne jamais être ce genre de capitaine.
Et malgré la taille gargantuesque de l'équipage de Barbe Blanche, il retrouvait ce sentiment familial. Le Moby gardait toujours une impression chaleureuse, comme un village où tous se côtoyaient paisiblement. Marco dû saisir ses pensées car il l'évalua du regard. Ace retient un roulement d'yeux en réalisant qu'il avait l'air d'un marchand cherchant le meilleur angle d'attaque vendre ses produits.
-Ici, même avec la hiérarchie, chacun est traité équitablement. Un commandant ne peut s'en prendre impunément à un subalterne. Pops écoutera et conseillera n'importe quel membre lui confiant ses problème.
-Et il arrive à se souvenir des histoires de tout le monde ? demanda Ace mi-curieux mi-sceptique.
-Je ne sais pas comment il fait, mais oui. Je n'ai jamais vu aussi bonne mémoire que ce vieil homme. Je te l'ai déjà dit, ne le sous-estime pas.
Le ton de Marco sonna moqueur, se souvenant probablement de toutes les fois où Ace avait essayé de l'affronter en pensant pouvoir le vaincre. Le plus jeune fit la moue, ennuyé par la pique. Ce n'était certainement pas de sa faute de se retrouver kidnappé ici. Il frotta son pied sur le parquet et marmonna :
-Pourquoi veut-il tant que je rejoigne l'équipage de toute façon ?
-Et bien même si ses méthodes sont parfois... discutables, il a une tendance à vouloir adopter les chiots errants qui croisent sa route.
Un bruit offensé s'échappa d'Ace à l'insulte, relevant si vivement sa tête que son cou craqua. Il avait eu beaucoup de surnoms que ce soit "démon", "erreur" ou "calamité humaine dont l'existence même était un fléau". Mais sûrement pas "chiot" ni même "petit tigre" comme Izou avait une fois osé l'appeler.
Ace plissa les yeux avec un air plein de défi.
-Et si j'étais le fils d'un tueur en série, m'accepterait-il ?
Les mots sont sortis de sa bouche avant qu'il n'ait pu y réfléchir et il voulut les ravaler. Le sujet était bien trop proche de sa véritable situation pour qu'il puisse l'évoquer à tout va. Il eut l'impression que les yeux de Marco devenaient plus perçants, presque analytiques. Mais peut-être n'était-ce là qu'un effet de son imagination et de sa peur d'être découvert.
-Je te l'ai déjà dit, le vécu n'a pas d'importance. Tout le monde peut trouver une maison sur le navire, qu'on soit de jeunes bandits ou des anciens vétérans de la marine, de simples pêcheurs, des nobles en fuite ou nés dans des bidonvilles et même des enfants de dragons céleste ou de tueur en série. Personne ne décide de ses parents.
C'était dit sans hésitation, comme une vérité absolue et avec tellement de conviction qu'Ace en vacilla presque. Bien sûr, lui même n'avait jamais jugé son équipage sur leur famille ou leur histoire, mais il ne pouvait pas se comparer à eux. Ils n'étaient pas les fils de Gol.D Roger. Les fils du plus grand rival de Barbe Blanche à qui Marco offrait de rester sans hésitation ni se soucier de son passé.
Contre sa volonté, le regard d'Ace se posa sur la marque d'équipage de son torse comme toujours visible. Un tatouage d'appartenance et un signe de loyauté absolue que Marco portait fièrement. Mais avant tout, cela représentait sa famille. Une appartenance corps et âme pour l'éternité.
Beaucoup plus symbolique que toutes les marques d'esclavage que des dragons céleste brûlaient de force dans la peau de leurs victimes. Ace détourna les yeux, se passant une main dans les cheveux pour évacuer sa nervosité.
-C'est plus compliqué que ça, dit-il sans élaborer.
-Ça n'a pas besoin de l'être, déclara doucement Marco.
La conversation s'arrêta là, laissant le jeune homme encore plus troublé qu'avant. Il souhaitait que le blond ne soit pas aussi perspicace, son regard intense l'étudiant soigneusement. Heureusement, il comprit qu'Ace ne voulait plus y penser, et profita de l'heure matinale pour les faire sortir de la chambre.
Marco hésita à passer à l'infirmerie vérifier la santé Thatch comme tout les matins. Ça ne semblait pas être une bonne idée d'y aller accompagné par le supposé coupable. Ce dernier le laissa décider sans dire un mot. Mais ses yeux gris à demi dissimulés derrière ses mèches d'ébène quémandaient la permission d'y aller.
Le garçon appréciait le cuisinier et s'y était attaché au fil de leurs rencontres dans la cuisine. À vrai dire, Marco avait été surpris quand Thatch commençait à régulièrement s'éclipser plus tôt du réfectoire pour aller le retrouver. Il avait même vu ça d'un plutôt mauvais œil, trouvant que ça entravait leur rapprochement avec le capitaine et son équipages. Il pensait alors même que le jeune homme essayait de manipuler le commandant qui avait toujours le cœur sur la main. Mais c'était alors bien loin de la vérité.
L'infirmerie était vide.
La très matinale infirmière Shitzu sortit de son bureau quand ils entrèrent, attirée par le bruit de la porte, et lança à Ace un regard noir. Cela glissa sur lui comme de l'eau sur les plumes d'un canard, habitué depuis le temps à l'hostilité. Il s'y était résigné. Marco se mordit la langue pour contrôler son envie de défendre l'honneur du jeune homme.
Plus le temps passait, plus il voulait faire éclater la vérité. Encore un peu de patience, se répéta-t-il. La précipitation n'apportait rien de bon.
Mais maintenant qu'il connaissait plus personnellement Ace, le phénix apprenait à l'apprécier pour qui il était.
Avec le temps, il espérait sincèrement que le capitaine rejoigne l'équipage. Plus seulement parce qu'il représentait une force de combat très impressionnante ou parce que ses valeurs correspondaient à celle des Barbe Blanche. Bien que ce soit deux points non négligeables.
Plus que ça, il sentait au fond de lui qu'Ace possédait même le potentiel de devenir un jour commandant. Il avait les épaules solides et ce charisme magnétique qui donnait envie de le suivre. Il savait prendre des décisions et réfléchir sous son apparence de tête brûlée. Même son côté impulsif et ses actes téméraires prouvait sa droiture morale.
C'était d'ailleurs ce qui avait avant tout attiré l'attention de Marco, il y a de cela des mois.
Sa cascade pour sauver un membres d'équipage attrapé par un des plus fameux chasseur de prime avait figuré en première page dans le journal. Ace n'était alors qu'un jeune rookie, à peine arrivé dans le nouveau monde. Mais la photo de son affiche de prime montrait déjà toute sa férocité à protéger ses nakamas.
Marco n'avait honnêtement pas pu se résigner à être surpris lorsque le jeune homme refusa avec fracas de rejoindre les 7 grands corsaires peu après.
Mais le capitaine voulait tuer Oyaji. Et c'était un gros problème, sans compter l'étrangeté de ce fait. Il n'attaquait pourtant pas d'autres équipages, ce qui rendait sa vendetta incompréhensible.
Après y avoir réfléchi, une des suppositions les plus probables était que l'un des parents d'Ace soit un pirate mort dans un affrontement contre les Barbes Blanches. Ou peut-être était-ce ce mystérieux deuxième frère dont il ne prononçait jamais le nom. Il ne l'avait évoqué qu'une fois à demi mot, en parlant au passé. Et l'expression sur son visage à ce moment là en disait alors bien plus que les mots.
Quoi qu'il en soit, Marco espérait qu'un jour le prisonnier puisse abandonner ce qui le retenait ainsi et choisisse de rejoindre l'équipage de son plein gré.
Thatch n'était toujours pas réveillé. Marco ne pouvait pas appeler ça une surprise, il aurait été directement prévenu dans le cas contraire. Mais il ne put s'empêcher de ressentir un pincement de déception.
Voir son ami d'habitude flamboyant si pâle et immobile n'était tout simplement pas naturel. Marco prit sa main, insufflant un peu de sa flamme de phénix. Son fruit ne faisait aucun effet sur une blessure de plus de quelques heures, encore moins après plus d'une semaine, mais il pensait que la chaleur pouvait peut-être atteindre l'inconscient du cuisinier.
Il savait que parfois des personnes dans le coma pouvaient entendre les mots de ceux qui leur parlent. Plus d'une fois, les électroencéphalogrammes montraient une amélioration du niveau de conscience lorsque les proches parlaient aux comateux. Les lentes ondes delta laissaient alors place à des piques d'ondes thêta et alpha, signalant ainsi une augmentation du niveau de l'activité électrique du cerveau.
C'était d'ailleurs pour ça que Thatch n'avais pas été déplacé dans une pièce à part. Il aimait tellement l'agitation constante du bateau que personne n'a songé à l'en éloigner pour le mettre dans une chambre d'infirmerie plus privée. Teach au contraire était dans une pièce plus loin depuis son premier réveil du coma pour se reposer au calme.
Ace restait en retrait, légèrement derrière Marco. Du coin de l'œil, le commandant remarqua qu'il semblait légèrement pâle, se mordillant la lèvre inférieure et serrant ses poings.
Marco supposa que de voir Thatch allongé là, sous perfusion, avec un masque à oxygène et des électrodes sur le torse relié au scope avait de quoi choquer.
Le blond adressa un signe de "tout va bien" à Shitzu qui planait dans l'entrebâillement de la porte et vérifia rapidement qu'elle retournait dans son bureau après une claire trace d'hésitation.
-Ace ? Ça va ? demanda prudemment Marco.
Son cadet cligna rapidement des yeux alors qu'il sortait de ses pensées. Ses poings se sont lentement désserrés et il regarda avec étonnement les marques laissées par ses ongle dans ses paumes. Il reconcentra son attention sur les mots de Marco, bien que ses yeux semblaient fixer le vide sans le voir.
-J'aurais dû être plus rapide.
Le phénix pencha la tête, ne comprenant pas le cheminement de l'esprit du jeune homme. Ce dernier fit un geste de main vers Thatch qui pouvait signifier tout et rien à la fois.
-Ce soir là... Tu sais... J'avais le sentiment que quelque chose n'allait pas. Si j'étais allé voir plus vite...
Le blond l'étudia, notant le plis de culpabilité sincère dans ses traits, comme s'il croyait réellement ce qu'il disait. Pourtant c'était terriblement faux. Si éloigné de la réalité que cela semblait inenvisageable qu'il croie de telles inepties. Il avait sauvé Thatch.
-Te blâmes-tu souvent pour des choses dont tu n'es pas responsable ? questionna Marco en essayant de garder un ton de voix léger.
Ace ne nia pas ses mots, haussant les épaules avec une nonchalance feinte.
-Et bien pour être juste, d'habitude c'est plutôt l'inverse. Les gens ont tendance à me blâmer pour des choses que je n'ai pas faite.
Il sourit amèrement et Marco se demanda s'il parlait seulement de son emprisonnement sur le Moby. Il semblait y avoir quelque chose de bien plus profond derrière ses paroles.
"Et si j'étais le fils d'un tueur en série ?" avait demandé Ace un peu plus tôt, un air étrange sur le visage. Marco se demanda s'il y avait un lien. Avait-il par mégarde laissé échapper un indice de son passé ? Il posa sa main sur l'épaule du jeune pirate. Au contact, leurs flammes ont brièvement crépité ensemble mais aucun des deux n'y prêta attention.
-Écoute moi Ace, exigea-t-il d'une voix un peu plus dure que prévu même s'il essayait de la garder basse. Tu es seulement responsable de tes actes. Pas de ceux des autres. Le seul coupable ici, c'est Teach. Pas toi.
C'était la première fois qu'il affirmait à haute voix la culpabilité de son ancien coéquipier, sans tourner autour du pot ni le formuler comme une hypothèse. Étonnamment, cela n'était pas aussi difficile qu'il s'y attendait. Il croyait Ace. Ce même Ace qui le regardait avec un mélange d'incrédulité et de divers sentiments alambiqués. Marco adoucit sa voix alors qu'il reprenait :
-Thatch est vivant grâce à toi, tu sais ? Tu as réagi vite. Sinon on ne l'aurait probablement pas trouvé à temps.
C'était dur de l'admettre. Que Thatch aurait pu mourir sans que qui que ce soit ne s'en rende compte, ne retrouvant son corps qu'au petit matin. Cela aurait brisé l'équipage. Rien que de l'imaginer, ça faisait mal.
Il soutint le regard de son cadet en signe de sincérité jusqu'à ce que ce dernier acquiesce timidement un seul bref mouvement de tête. Sans jamais briser le contact visuel, Marco sourit et les yeux d'Ace prirent une teinte plus foncée. Il sentit de nouveau des étincelles crépiter sous ses doigts, vives et intenses.
Ce moment fut coupé quand le commandant entendit la poignée du bureau de l'infirmerie s'abaisser. Comme brûlé (cocasse pour un phénix), il retira sa main qu'il avait laissé par inadvertance un peu plus longtemps que prévu sur l'épaule d'Ace. Il se retrouva soudain bien trop conscience de la proximité entre eux et recula. Le regard de son cadet se baissa immédiatement vers le sol avec un intérêt un peu trop exagéré.
Shitzu en sortit de nouveau, ses couettes rebondissant dans son dos alors qu'elle s'approchait.
-Ce sont les derrières mises à jour des dossiers médicaux, commandant, dit-elle en tendant formellement une liasse de papiers à Marco.
-Merci pour ton travail acharné Shitzu, la remercia Marco en acceptant les pages avec un sourire.
Les joues de la plus jeune des infirmières se teintèrent de rose. Elle était le membre d'équipage le plus récent, alors le blond supposa qu'elle était toujours timide de parler avec un des commandants. Il essayait pourtant d'être gentil avec elle pour la mettre à l'aise mais étonnamment cela ne faisait que la faire rougir de plus belle. Il espérait qu'elle finirait vite par s'habituer, après tout Marco passait très souvent à l'infirmerie en tant que médecin.
Il adressa un signe de tête poli à Yatona qui sortit également du bureau des infirmières, l'air amusée, avant qu'il ne feuillète rapidement le dossier pour trouver les passages intéressants. La nouvelle arrivante tapota amicalement l'épaule de Shitzu et lui chuchota quelque chose à l'oreille qui la fit passer de rose pastel à cerise, et Ace roula discrètement des yeux en les voyant murmurer. Marco les ignora pour lire en diagonale les dernières informations médicales.
C'était très prometteur. L'état de Thatch s'améliorait assez pour que les infirmiers réduisent la dose de sédatif, le sortant peu à peu de son coma. Il montrait des signes des réveil. Il réagissait aux stimulus douloureux et l'électroencéphalogramme donnait de plus en plus de preuves d'activité. Thatch avait déjà un certain niveau de conscience de son environnement.
Le cas de Teach était encore plus positif, malheureusement. Cela aurait ravi Marco si l'homme ne s'était pas révélé être un traître. Il s'était encore réveillé ce matin, désormais assez cohérent pour répondre aux questions de Yatona. Marco réprima une grimace en voyant dans le rapport que l'homme accusait Ace, sautant sur la version officielle de l'affaire. Et il se faisait la part belle, en passant pour un héros blessé en voulant stopper la furie meurtrière du logia. Il craignait d'en informer le prisonnier, redoutant l'effet que la nouvelle pourrait avoir sur lui.
-Veux-tu aller voir Teach ? Je crois qu'il est toujours réveillé, proposa Yatona quand Marco releva la tête du dossier.
Le regard du commandant se porta sur Ace presque sans y réfléchir et il secoua la tête. Il ne pensait pas que le jeune homme devait être en compagnie du traître.
-Non, il ne vaut mieux pas.
L'infirmière interpréta cela à sa façon et sembla compréhensive. Marco prit finalement congé en les remerciant de nouveau et leur adressant un sourire. La plus jeune des femmes eut une fois de plus l'air fébrile. Peu importe.
NDA : Je n'ai pas pu résister à mettre des chamailleries entre les commandants, leur relation m'amuse beaucoup ! Marco avec les cheveux teints pour un paris est à cause des premiers épisodes où il apparait avec les cheveux noirs
Je n'ai pas lu One Piece Novel A, donc il y aura sûrement quelques libertés prises sur les Spades !
